Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.
Nous savons qu'en mourant à Dombiyâdji, en 1870, Almamy Oumarou laissa plusieurs fils, parmi lesquels : Mamadou Pâté et Boubacar Biro. Le Conseil des Anciens estima que tous deux, encore jeunes, n'étaient pas aptes à remplacer le défunt. Le parti Soriya investit donc Ibrahima Sory Donghol Félâ de cette haute fonction. Celui-ci exerça le pouvoir de 1871 à 1889 et mourut.
Les héritiers de son prédecesseur étaient alors grands et capables de commander. Mamadou Pâté et son frère Boubacar Biro briguèrent l'investiture. Malgré l'intervention des Anciens, Boubacar Biro refusa de se retirer au profit de son frère aîné, prétextant qu'un homme ne doit jamais abdiquer ses droits et quand l'occasion se présente devant lui, il ne devra jamais reculer devant le commandement ; bien au contraire, il doit s'engager jusqu'à la victoire finale.
Sa maman, Néné Diâriou, elle-même, s'opposa énergiquement à cette lutte fratricide. Elle supplia son fils d'abandonner le pouvoir à son frère aîné qui pourrait le tuer s'il s'obstinait. Boubacar Biro refusa catégoriquement et répondit à sa mère qu'il resisterait énergiquement à son frère.
Une lutte acharnée s'ouvrit alors entre les deux frères. Mamadou Pâté était épaulé par tous les Anciens. Il jouissait d'une influence considérable dans le Fouta. A la mort de son père il s'était emparé de tous les biens laissés par celui-ci (or, esclaves, bétail etc..). Il occupa lui seul les foulassos de Sokotoro, Nénéya et Hélâya où tous les biens étaient gardés. Aucun de ses frères, même Abdoulaye de même mère que lui, n'osa dire un mot. Boubacar Biro et Ibrahima Sori — frère aîné de même mère que lui — manifestèrent pourtant leur mécontentement. Pour sanctionner cette manifestation, Mamadou Pâté invita Ibrahima Sori à un dîner. Pendant le repas, les sofas le bastonnèrent jusqu'à la mort.
L'Almamy en exercice voulut faire arrêter le meurtrier. Mais ce dernier prit la fuite et se réfugia dans le Labé. Tous les chefs intervinrent en sa faveur pour obtenir le pardon. Rentré de Labé, Mamadou Pâté se réinstalla à Sokotoro où il continua à jouir des biens usurpés à ses frères. Dans les villages de culture, il poursuivit l'augmentation de la production qui atteignit des proportions importantes.
Même avant la mort de son père, la puissance de Mamadou Pâté était très forte. C'est ainsi qu'ayant tué un homme dans le Labé parce que celui-ci avait regardé sa femme, il restera impuni. En effet, à la demande de vengeance formulée par le Labé, l'Almamy répondit qu'on ne pouvait tuer un homme qui avait pris onze villages de païens. Il avait, en effet, participé activement aux guerres contre les fétichistes et s'était souvent distingué par sa bravoure.
Pendant la pénétration française, il gagna l'estime des Européens par sa position francophile. Il soutint toutes les missions qui se succédèrent à Timbo pour négocier avec les Almamys des traités d'amitié ou de protectorat. Il eut souvent à s'interposer pour éviter des bagarres avec les miliitaires qui voulaient s'imposer de force dans le pays.
La candidature de Mamadou Pâté au trône était donc fortement soutenue par les Anciens de Timbo, dirigés par Tierno Abdoul Wah'hâbi, chef des Yillâbé, ainsi que par les Chefs des Diiwe dont le puissant Alfa Yaya de Labé, qui lui promit même sa sœur, Néné Oumou, en mariage.
Boubacar Biro était moins populaire, moins riche ; mais très courageux, très brave, énergique et fort. Il était trop craint des masses. Il avait, comme son frère aîné, participé à plusieurs guerres contre les fétichistes et avait, à plusieurs reprises, apporté la preuve de sa grande valeur, notamment, lors du combat contre les Houbbous engagé en 1879 par Almamy Ibrahima Sory Dara. C'est pourquoi, il ne comptait pour son investiture que sur sa valeur personnelle et sur sa force. Il avait recruté une armée de jeunes gens et de sofas qui pouvait être évaluée à 500 personnes.
Parmi les Chefs de Province, seul Alfa Ibrahima de Fougoumba, qui avait une grande estime pour lui, le soutint.
Boubacar Biro habitait le village de Tiâtiakô, près de Sokotoro, lorsqu'il apprit que son concurrent s'était dirigé sur Bhouria pour solliciter son investiture. Il le suivit immédiatement avec ses partisans et sofas. Le lendemain de son arrivée à Bhouria, les Anciens du village le trompèrent en lui faisant croire que son frère Mamadou Pâté était déjà arrivé à Fougoumba. Dans la colère, Boubacar Biro se dirigea aussitôt sur cette ville. Avant le départ, il envoya un messager à Alpha Ibrahima, chef du diiwal, pour lui demander de lui réserver un accueil officiel avec le tambour royal. Celui-ci le fit avec les honneurs d'usage.
Devant cette discorde, les Anciens de Bhouria et de Timbo décidèrent de couronner Mamadou Pâté à Bhouria avec le titre de Alfa, selon l'usage. Alfa Ibrahima, de son côté, couronna Boubacar Biro à Fougoumba avec le titre d'Almamy du Fouta.
Dès lors, il n'était plus possible d'éviter le combat entre les deux frères. La rencontre eut lieu sous le fromager de Timbo, tout près de la ville. Alpha Mamadou Pâté était armé d'un fusil à répétition et était réputé pour la sûreté de son tir. Il chargea sept coups ; tous portèrent sur son adversaire sans le blesser. Celui-ci fonça sur lui comme un lion, en lui lançant que le pouvoir est à lui et que ses balles le touchent totalement refroidies. Mamadou Pâté prit immédiatement la fuite. Ses partisans, en débandade, suivirent son exemple et se dispersèrent en tous sens.
Poursuivi par Almamy Boubacar Biro à cheval, Alpha Mamadou Pâté se cacha dans la paille et ne fut pas aperçu. L'Almamy le dépassa. Et c'est quelques heures après seulement que le fugitif fut dénoncé par une femme qui l'avait vu se cacher dans le grenier de la case de Sory, fils de Siddi Kalako. Ainsi découvert, il demanda pardon à l'Almamy.
Par sentiments, l'Almamy voulut lui accorder grâce. Mais Alfa Ibrahima Fougoumba s'y opposa énergiquement déclarant qu'Alfa Mamadou Pâté était une panthère blessée qu'il fallait exterminer coûte que coûte. Il ajouta que s'il accordait la grâce à son adversaire, il l'abandonnerait pour rejoindre Fougoumba. C'est alors que le chef sofa reçut l'ordre d'exécuter le fuyard malheureux avec une balle en or que lui remit son maître.
Le Fouta tout entier fut épouvanté par cet assassinat et la soumission au nouvel Almamy fut totale. Mamadou Pâté avait pourtant été prévenu par un marabout éminent de Labé. Il savait que son échec était certain. Mais il s'est entêté et cela n'a fait que précipiter sa perte.
Pour glorifier cette victoire de Boubacar Biro, la jeunesse de Timbo inventa une chanson foula dont la traduction peut être la suivante :
Kaari et Khaïrati se disputent
Se confrontant toute une matinée.
Kari, d'un coup de pied, terrassa Khaïrati
Grâce à Biro fils de N'Doungou.
Kaari est une exclamation que Boubacar Biro, pendant sa jeunesse, lançait quand il était joyeux. Ce terme lui servit de surnom. Khaïrati est le titre d'un livre religieux que Mamadou Pâté ne cessait de lire que pendant le sommeil. Il lui fut attribué comme surnom.
Après cette victoire, Boubacar Biro prit donc le pouvoir, au titre des Soriya. Mais il eut, dès ce moment, contre lui et dans son propre parti, une opposition irréductible. La désintégration s'en suivit immédiatement et prépara la fin du Fouta-Dialô en tant qu'Etat souverain et indépendant.
Violent, cruel et autoritaire, ne ménageant aucun frein à ses passions, il exerça un pouvoir dictatorial qui attisa la haine de ses adversaires. Et au lieu de chercher à ramener ces derniers dans son camp, Boubacar Biro les en éloigna davantage.
Dès son installation au trône, il renouvela les chefferies des provinces. Partout ses candidats Soriya prirent la place des chefs alfaya suspendus. Son tour de deux ans étant expiré alors qu'Almamy Ahmadou, Alfaya, était mort,il refusa de se retirer au profit d'un autre Alfaya. Son intention fut même interprétée comme une volonté de supprimer la Constitution du Fouta en sa partie instituant l'alternance du pouvoir. Il prit des dispositions particulières pour échapper au contrôle du Conseil des Anciens qui comprenait, pour la plupart, des membres influents.
Ses relations avec les Européens ayant été relatées plus haut, il est inutile de revenir sur ce point. Cependant, il faut noter sa résistance acharnée contre l'occupation du pays par la France qui, en maintes occasions, s'était manifestée sans bruit. Avec intelligence, Boubacar Biro évita la rupture en utilisant un langage prometteur. Il continua à correspondre avec Samory malgré l'encerclement de celui-ci par les troupes françaises.
En renouvelant les chefferies des provinces, il choisit des amis de la France pour les placer à Timbi-Touni et à Maci, en remplacement des chefs dont se plaignait de Beckmann. En juillet 1894, il adressa à ce dernier une lettre l'invitant à le rencontrer au bord du Konkouré pour régler toutes les questions pendantes entre le Fouta et les Français. Il ne s'y rendit jamais, mais arriva ainsi à maintenir l'optimisme du représentant de la France et évita, par ce moyen, la précipitation de l'occupation du pays par les forces militaires.
Dans l'intérieur du pays, il engagea une chasse systématique à l'opposition qui grandissait. Menacés par lui, ses deux frères, Tierno Ciré et Iliassa se réfugièrent dans le Dinguiraye d'où ils gagnèrent Bakel pour supplier le commandant français de cette zone d'intervenir pour la déposition de Bocar Biro. Dès que celui-ci apprit cette nouvelle, il confisqua tous leurs biens pendant leur absence. Ses cousins, Alfa Ibrahima Sory Yilili (Soriya) et Alfa Oumarou mo Bademba (Alfaya), qui avaient fait des déclarations de fidélité aux autorités françaises furent tous deux traqués. Toute la haute féodalté fut menacée aussi bien à Timbo qu'à l'intérieur du pays.
C'est en 1892 que l'Almamy Boubacar Biro choisit dans le Labé un de ses amis, Modi Yaya, fils de Alfa Ibrahima, pour assurer la direction du diiwal, en remplacement de Alfa Abdoulaye Tiéwîré. En le choisissant il espérait que celui-ci lui donnerait entière satisfaction, en raison des liens d'amitié qui les unissaient de longue date.
Nous verrons plus loin, dans un chapitre spécial, la vie de ce chef de diiwal qui joua un rôle primordial dans la perte de son ami, Almamy Boubacar Biro. Pendant le règne de l'Almamy Boubacar Biro, le Fouta traversa une période cruelle. Les exactions, les vols, les viols, en un mot, tous les méfaits et crimes furent très courants. Des bandes de pillards commettaient les actes les plus ignobles, qui restaient impunis. C'est dans cette situation que l'Almamy commit un acte qui lui coûta sa perte à jamais. Pour sanctionner un fait courant, il révoqua son supporter, Alfa Ibrahima Fougoumba, dans les conditions que voici.
En 1895, ce chef de diiwal enleva de force à Tierno Hamdjata, chef de Kâla, village dépendant de sa province, une concubine nommée Koumba Djiwal et un très joli cheval qui, comme la concubine, provenait de la succession de son vassal de Diâguissa. La victime se plaignit chez l'Almamy à Timbo qui donna un ordre formel à Alfa Ibrahima Fougoumba de restituer les biens ainsi frustrés. Ayant refusé d'obtempérer à cet ordre, Alfa Ibrahima fut suspendu de ses fonctions et les villages de Kâla et de Dalaba furent détachés d'office de son diiwal pour être rattachés directement à Timbo. Les biens furent restitués de force à la victime Tierno Hamdjata.
Mécontent de cette décision, Alfa Ibrahima prit la ferme décision de se venger. Il prépara habilement un complot contre son souverain et ami d'hier. Usant de l'influence et du crédit dont il jouissait dans les milieux politiques du Fouta, il convoqua discrètement à Fougoumba, une délégation du Conseil des Anciens de Timbo, qui comprenait les plus éminentes personnalités du pays. Celle-ci avait à rencontrer une délégation de chaque Chef de Diwal qu'il convoqua également à Fougoumba. Alfa Ibrahima prépara ingénieusement une réunion séparée des délégués au cours de laquelle il fit comprendre aux délégués de Timbo que les représentants des chefs de province avaient pris la décision de déposer Almamy Boubacar Biro, qui devenait de plus en plus cruel et dangereux. Aux délégués des provinces, il dit que le Conseil des Anciens avait pris la même décision et que la délégation présente à Fougoumba était chargée de leur en donner avis. Les deux délégations, sans se réunir, crurent en la déclaration d'Alfa Ibrahima.
Rentrés chez elles, chaque délégation en rapporta à son chef, avec conviction, la décision fomentée par Alfa Ibrahima. Pour l'exécution de cette décision, celui-ci se mit immédiatement en rapport avec Alfa Mamadou, chef de la province de Kollaadhe (Kankalabé) qui, plus est, était son gendre. Ce dernier eut la mission délicate de travailler Alfa Yaya chef de la province de Labé. Tous trois furent d'accord sur l'objectif et les moyens à employer.
Depuis son couronnement, Almamy Boubacar Biro n'avait entrepris aucune guerre contre les fétichistes. Alfa Ibrahima savait à quel point il nourrissait un tel projet, désireux de suivre les traces de ses ancêtres qui ont été les piliers de l'Islam au Fouta. Ni du côté est, ni vers la côte atlantique, une telle expédition n'était possible, les Français ayant fortement occupés le littoral. Mais au nord, Moussa Môlo continuait à braver les souverains du Fouta. Alfa Ibrahima suggéra à Alfa Yaya d'inviter l'Almamy à entreprendre, avec lui, une expédition contre Moussa Môlo. Ce fut avec plaisir que le Chef supérieur entendit une telle invitation. Il se mit aussitôt en route sur Labé avec quelques combattants, étant assuré que Alfa Yaya recruterait une armée forte pour la guerre projetée.
Pendant ce temps, Alfa Ibrahima pressentit Modi Abdoulaye, frère de l'Almamy et frère de lait de Mamadou Pâté, assassiné par ce dernier, pour accepter son couronnement à la place de Boubacar Biro qu'il allait faire déposer. Modi Abdoulaye accepta volontiers l'honneur qui lui était fait.
Alfa Ibrahima s'entendit avec ses complices pour attaquer Boubacar Biro à son arrivée à Bantiŋel, pour le tuer.
En décembre 1895, l'Almamy quittait Timbo pour ce voyage. A Bhouria comme à Fougoumba il reçut les bénédictions d'usage et les Anciens de Fougoumba décidèrent de l'accompagner. Alfa Ibrahima avait déjà prévenu les chefs de Kankalabé et de Labé. A son arrivée à Bantiŋel, l'Almamy fut surprit par la présence d'Alfa Yaya. Celui-ci lui dit qu'il venait à sa rencontre pour lui souhaiter la bienvenue. Dès que Alfa Ibrahima proposa de tirer sur l'Almamy sortant de la mosquée, Alfa Yaya s'y opposa et préféra la trahison ; car connaissant bien la force dont l'Almamy était capable, il était sûr qu'en tirant sur lui, l'Almamy aurait le dessus et échapperait. Quant au candidat, Modi Abdoulaye, il repoussa la trahison, craignant que ce procédé ne se retournât contre lui s'il était nommé Almamy.
Dès le soir, laissant Alfa Yaya sur place, Alfa Ibrahima et ses partisans rentrèrent à Fougoumba pour couronner Modi Abdoulaye. Ils le nommèrent Almamy Abdoulaye.
Apprenant la nouvelle le 13 décembre, Almamy Boubacar demanda une entrevue avec Alfa Yaya, qu'il prenait pour son sincère ami. A toutes les questions qu'il lui posa sur cette affaire, Alfa Yaya opposa une dénégation formelle et lui donna l'assurance d'une collaboration confiante, ajoutant qu'il combattrait les traîtres qui l'attaqueront.
Après le sacre d'Almamy Abdoulaye, les conjurés décidèrent de regagner Bantiŋel pour exécuter leur forfait. Almamy Boubacar Biro sortit du village pour les attendre avec une quarantaine de partisans. La rencontre eut lieu à Tyimme Lèré.
Envoyant deux messagers pour inviter Alfa Yaya à sortir avec son armée, l'Almamy ne vit arriver personne. Un troisième messager fut abattu sur l'ordre d'Alfa Yaya. C'est alors que, constatant le fait, l'Almamy cria : « Je m'en remets à Dieu ».
Malgré leur courage, la majorité de ses partisans fut décimée par les soldats d'Alfa Ibrahima Fougoumba. Devant ce drame, l'Almamy sauta sur son cheval Morikèbè pour s'enfuir. Il ne s'arrèta qu'à Daralabé, où ses femmes et ses enfants l'attendaient depuis l'avant-veille. Il prit juste son sac contenant son or et se remit au galop. Les hommes d'Alfa Yaya le poursuivirent en vain. Il passa la nuit à Douka dans une cabane champêtre. A l'aube l'armée de poursuite l'approchant, son cheval hennit. Après sa prière il se remit en marche jusqu'au rivage de la rivière Kassa. Le passage à gué du cheval fut impossible. Il descendit à terre et l'abandonna avec sa peau de prière et le sac d'or dans la gaîne de la selle. L'armée de poursuite ne retrouvant pas l'Almamy, prit le cheval et fit demi-tour.
Almamy Boubacar Biro continua son chemin à pied, traversa la Kassa et la longea jusqu'à son confluent, la Kâkrimâ. Là, il se sentit sauvé, car il se trouvait sur le territoire de Timbi-Touni, dont le chef n'avait pas pris part au complot ourdi contre lui par Alfa Ibrahima Fougoumba.
Au premier village, il se découvrit aux habitants en leur expliquant ce qui lui était arrivé. Ceux-ci s'occupèrent de lui en lui fournissant tout ce qui lui était nécessaire. Par un messager, il informa l'Almamy Amadou, à Timbo, et son premier fils Modi Sory, qu'il était sain et sauf et demanda l'intervention de l'Almamy pour que le chef de Timbi Touni lui soit utile. Un messager spécial vint de Timbo de la part de l'Almamy Ahmadou pour faire le nécessaire auprès du chef du diiwal.
Boubacar Biro écrivit alors à son frère Modi Aliou et à Satigui Modou, le chef de ses sofas. Son fils Modi Sory rassembla tous les sofas disponibles, les partisans volontaires et les proches parents pour rejoindre son père qui s'était refugié dans le Monomâ à Kinfaya.
En arrivant dans ce village, Boubacar Biro espérait trouver dans la famille de Tierno Maâdiou, chef du diiwal, des partisans fidèles à lui. Il savait, d'autre part, que les dirigeants de la région de Kébou, non loin de là, nourrissaient le désir de s'affranchir de la suzerainete de Timbi-Madina, dont ils sont vassaux. Il leur demanda assistance pour reprendre le pouvoir et leur promit de leur donner satisfaction en cas de victoire. Il fit également appel aux Djallonkés de Sôkili, du Monomâ et du Kinsan qui lui répondirent en masse. Il put recruter ainsi une armée de combattants vigoureux qui se joignirent à ceux venus de Timbo.
De Beckmann se trouvait à ce moment là à Sangoya, près de la rivière Konkouré. Il sauta rapidement à Kinfaya pour se rendre compte du degré de désespoir du souverain et essayer de le gagner dans son projet d'installer un poste français à Timbo. Dès sa rencontre avec l'Almamy à Kinfaya, il l'appela Bocar Biro. Ce nom lui restera attaché à partir de cet instant.
De Beckmann proposa d'abord de le raccompagner à Timbo avec ses militaires pour reconquérir son trône. Bocar Biro refusa toute aide pour marcher contre ses adversaires, qui sont ses parents et déclara que dans son pays, il n'a été trahi que par deux individus : son cousin Alfa Ibrahima Sory Yilili, et Alfa Ibrahima Fougoumba. Il ajouta qu'il était sûr de la victoire finale. C'est avec beaucoup d'hésitation qu'il accepta un caporal et deux hommes pour lui tenir compagnie en qualité d'observateurs.
Dès son retour à Dubréka, de Beckmann envoya un rapport au Gouverneur pour le renseigner sur la situation troublée du Fouta. Dans ce rapport, il suggère avec insistance au chef de la colonie de poser comme condition de reconnaissance du nouvel Almamy ou de retablissement de l'ancien, l'installation d'un poste à Timbo . Il demande que l'on agisse vite et que des troupes soient prêtes à marcher en cas de besoin pour établir de manière solide l'autorité française sur le pays et y faire prospérer le commerce.
Le Gouverneur, pacifiste, préférera la poursuite de sa politique pacifique. Il évita l'emploi de la force contrairement au désir de son Administrateur et au gouvernement militaire du Soudan. Ce qui lui valut beaucoup de critiques de tous côtés.
De Beckmann, toujours poussé par son désir d'aller vite, écrivit à nouveau au Gouverneur pour solliciter des instructions afin de savoir :
Le Gouverneur ralentit cette ardeur en estimant qu'il valait mieux attendre que la situation se précisât.
De Beckmann resta donc à son poste pour attendre l'évolution de cette situation qui inquiétait les Foulas. Il resta cependant aux aguets .
Après avoir tout préparé Bocar Biro quitta le Monomâ avec une armée très forte pour rejoindre Timbo.
Quand Almamy Abdoulaye apprit ce départ, il convoqua ses partisans et partit à Pétel-Djiga pour attendre le frère-ennemi. Alfa Yaya, Alfa Ibrahima Fougoumba, Alfa Ibrahima Sory Yilili et tant d'autres membres du parti Soriya l'accompagnaient.
Le 1er février 1896, les deux armées s'affropntèrent à Pétel-Djiga et une bataille des plus acharnée s'engagea entre elles. Les Seydiyanke partisans du nouvel Almamy se battirent avec courage . Dès la première attaque, le contingent de Timbi-Touni, du camp de Bocar Biro, flancha. Bocar Biro monta à cheval, fonça au galop sur ses ennemis et, de sa voix forte, cria : « Bouffez-moi. Je vais vous apprendre qui je suis ».
Dès que Alfa Yaya le reconnut, il prit aussitôt la fuite car il savait à quoi il s'exposait. Toutes les troupes du Labé le suivirent dans la débandade. Avec les combattants de Kébou et les Djallonkés, Bocar Biro marcha alors contre le front d'attaque de Timbo, qui prit à son tour la fuite. Les massacres furent très importants. Almamy Abdoulaye y perdit la majorité de ses collaborateurs, qui étaient les plus influents du parti Soriya. Alfa Ibrahima Fougoumba et Alfa Ibrahima Sory Yilili ne purent échapper que déguisés en griot.
Parmi ceux qui tombèrent à cette bataille, nous citerons :
tous cousins ou proches parents de Bocar Biro, mais soutenant la cause du nouvel Almamy.
Modi Alimou, premier fils de Alfa Ibrahima Sory Yilili, fut capturé . Mais sur intervention de son ami Modi Alillou, frère de Bocar Biro, il échappa à la mort ainsi que Modi Alillou, fils d'Alfa Ibrahima Diogo, qui demanda pardon au souverain. Bocar Biro perdit également son fils Aguibou au cours de cette bataille .
Devant cette grande perte, Almamy Abdoulaye ne pouvait plus continuer la guerre. Il prit la fuite et ne s 'arrêta qu'à Noukolo où Alfa Oumarou mo Bademba lui accorda l'asile. Mis au courant, Bocar Biro se chargea lui-même de sa poursuite. Il l'arrêta le 7 février 1896, le traita avec égard et le conduisit, sous escorte, à Timbo, afin de calmer la terreur qui pesait lourdement sur le pays.
On notera, en passant, que le parti Alfaya ne prit aucune part à ce complot et préféra s'abstenir.
Après cette victoire de Bocar Biro, tous les notables récalcitrants furent réduits à l'impuissance. Les chefs des provinces vinrent, un à un, faire leur soumission au vainqueur qui resta le maître absolu du Fouta.
Vaincus et refusant de se soumettre, Alfa Ibrahima Fougoumba et Alfa Ibrahima Sory Yilili rejoignirent Alfa Yaya à Labé pour s'y refugier.
Quant à Alfa Yaya, quelque temps après son retour dans sa capitale, les notables de la province intervinrent en sa faveur auprès de l'Almamy pour leur reconciliation. Deux Anciens, très influents, furent chargés de cette mission, afin de « recouvrer » le turban de Labé. L'Almamy accéda à cette demande, non sans difficulté, car il posa comme condition, l'éviction de Labé de Alfa Ibrahima Fougoumba et de Sory Yilili.
Dès le retour de la mission à Labé, les deux insurgés furent invités, par les notables, à évacuer le pays. Avant de quitter, ils eurent un long entretien avec Alfa Yaya. Ensemble, ils prirent la décision de faire appel aux Français pour les débarrasser de leur adversaire commun : Bocar Biro.
Alfa Ibrahima Sory Yilili prit le chemin de Siguiri où stationnait une compagnie militaire du Soudan. Alfa Ibrahima Fougoumba erra un moment avant de rejoindre son village où il continua à mener une campagne hostile et secrète contre l'Almamy.
Ayant reprit le trône, Bocar Biro continua à exercer ses fonctions dans l'agitation. La terreur qui planait sur le pays fut telle que lui-même vivait dans l'incertitude.
Les Français étaient au courant de cette situation désastreuse que le Fouta traversait. Ils avaient reçu déjà plusieurs déclarations de fidélité émanant d'hommes influents du pays. Ils étaient prêts à répondre à n'importe quel appel en faveur de l'occupation.
Apprenant la réinstallation de l'Almamy Bocar Biro au trône, l'administrateur de Beckmann demanda aussitôt à Conakry, l'autorisation de se rendre à Timbo pour tenter d'obtenir, non plus des promesses, mais l'installation pure et simple d'un poste.
Cette autorisation lui fut accordée et, pour sa défense, une compagnie de tirailleurs commandée par le capitaine Aumer, fut mis à sa disposition. Mais, il ne continua sur Timbo qu'avec une section commandée par le même Aumer, le gros de la compagnie restant à la frontière du Fouta .
Le 18 mars 1896, cette mission arriva à Timbo, drapeau tricolore et clairon en tête, et traversa la ville dans tous les sens. Dès la première entrevue avec de Beckmann, le souverain se montra irréductible et fit savoir à son interloccuteur que la décision d'autoriser l'installation d'un poste français à Timbo ne releve pas de lui seul. Il doit avoir le consentement du Conseil des Anciens et des Chefs de Province.
L'Almamy convoqua alors une réunion du Conseil des Anciens et demanda à chacun des membres son avis sur la question. Ayant constaté des hésitations de part et d'autre, il leur dit ce qui suit :
« Dites à de Beckmann de se promener dans tout le Fouta, je l'autorise. Partout où il rencontrera un lopin de terre ayant appartenu à son père, il n'a qu'à s'y installer et construire son poste. S'il n'en trouve pas, ce n'est pas moi qui aurait refusé sa demande ».
Au cours d'une entrevue qu'il eut après avec de Beckmann, il rappela à celui-ci qu'il avait vu passer au Fouta beaucoup d'émissaires européens, dont lui-même, sans tirer un coup de fusil et sans faire aucun acte d'autorité. Il lui dira que les Foulas sont fiers de la situation spéciale dans laquelle ils sont considérés mais qu'ils résisteront avec la dernière énergie pour conserver leur indépendance. Il lui fera remarquer que les Anglais ne changent jamais leur traité mais que les Foulas ne comprennent pas pourquoi les Français, eux, changent tout le temps.
A la suite de cette entrevue houleuse, tous les esprits étaient surchauffés. Tirailleurs et population se regardaient en chien de faillance. Tout le monde était sur le qui-vive. Pour se débarrasser de cette mission gênante, l'Almamy jugea opportun de griffonner quelque chose au bas du traité dont de Beckmann était porteur. Ainsi satisfait, la mission se retira de Timbo le 10 avril 1896.
Dès son retour à Dubréka, de Beckmann transmit le traité à Conakry. En réponse le Gouverneur l'informa que l'annotation faite par l'Almamy au bas du traité n'était pas une signature et ne concordait pas avec ce qu'il rapportait. En guise de signature, le souverain avait écrit de sa main, en arabe, une note adressée au Gouverneur et dont la traduction indiquait que l'Almamy avait bien reçu les émissaires français, qu'il les avait entendu mais qu'il ne pouvait donner suite qu'après l'accord de tous les notables du pays et après avoir rencontré le Gouverneur et le Gouverneur général.
Le document fut transmis également à ce dernier qui fit la même constatation et répondit qu'il fallait en finir avec les atermoiments et la duplicité de Bocar Biro.
De Beckmann fut très surpris car il croyait avoir vaincu alors qu'il était battu. Mais sans perdre courage, il fit bonne figure et prit les dispositions adéquates pour venger sa réputation de diplomate.
C'est dans cette situation troublée que décédait à Timbo, Almamy Ahmadou (Alfaya). En vue de pourvoir à son remplacement, deux candidats, comme nous l'avons déjà retracé dans le premier livre, se présentèrent et furent obligés de se départager par les armes. Bocar Biro était pour le fils du défunt Alfa Oumarou. Il le manifesta ouvertement en l'enrolant dans sa cour. Cet acte vexa Alfa Oumarou Bademba qui ne pouvait combattre l'Almamy. Mais soutenu par son frère Alfa Mamadou Dian, ses fils Mamadou Béla, Modi Sory ainsi que son neveu Modi Mamma, il rejoignit le camp des ennemis de Bocar Biro, dirigé par Alfa Ibrahima Fougoumba et Alfa Ibrahima Sory Yilili.
Après un examen approfondi de la situation, les dirigeants de ce camp se partagèrent les rôles à jouer dans le combat pour l'anéantissement de Bocar Biro. Alfa Oumarou Bademba fut chargé de contacter de Beckmann à Dubréka. Alfa Ibrahima Sory Yilili avait déjà choisi de voir les militaires à Siguiri. Tous deux devaient obtenir des Français l'aide nécessaire pour les débarrasser de leur ennemi redoutable, Bocar Biro.
Les mois qui suivirent ces évènements furent utilisés par de Beckmann à préparer l'occupation du Fouta. Il continua, notamment, sa politique de division entre les chefs de Bocar Biro. Tantôt il envoie son fidèle interprète, David Lawrence, à Timbo pour recueillir des renseignements sur la situation de l'Almamy ; tantôt il dépêche des messagers à tel ou tel chef de province pour le pousser contre Bocar Biro. Et les rapports se succèdent à Conakry pour indiquer au Chef de la Colonie que la situation était des plus alarmantes, afin que ce dernier hâte l'ordre d'occupation.
C'est à la suite de cette politique de division que Alfa Yaya, chef du Labé, jugea utile d'envoyer une lettre au Gouverneur Ballay pour lui exprimer son témoignage de fidélité et donner à la France la province qu'il commandait. Dans cette lettre il informe le Gouverneur que c'est en accord avec tous les notables de la province qu'il a pris sa décision ; et que Bocar Biro envisage de le destituer. Il se met donc sous la protection de la France à qui il demande assistance pour commander tous les pays qui lui appartiennent, à savoir : Labé, Niokolo, Valende, Voyokadi, Baguice, kabado, Kamoro, Vabica, Koula, Samboula, Kantora, Diamar, Firdou et autres.
Malgré tout ce qui se tramait contre lui, Bocar Biro ne bougea pas de Timbo pendant ces mois . Il maintint toujours sa position hostile à l'occupation du Fouta par des étrangers. Cette hostilité ne se manifesta pas seulement par ses relations ternes et inamicales avec les Français, mais aussi par la chasse à tous ceux qui, à l'intérieur du pays, se déclaraient amis de ces étrangers. C'est ainsi qu'il fit exécuter, à Timbo même, trois notables pro-français notoires. Les militaires, laissés au campement de Timbo par de Beckmann, étaient pour l'Almamy des espions et risquèrent leur vie, sans l'intervention de son frère Modi Alillou, en leur faveur. Bocar Biro répétait à qui voulait l'entendre, que les Français ne seront jamais autorisés à entrer dans le Fouta.
A cette époque, le Gouverneur Ballay était souvent absent de la colonie. Il devait assurer l'intérim du Gouverneur Général à Saint-Louis. Il vint une fois à Conakry pour quelques jours, accompagné du Chef d 'Etat-major général de l'Armée. Le capitaine Aumer, convoqué à cette occasion, reçut entre autres instructions celle d'occuper Timbo sans coup férir, et si les Foulas lui en fournissaient l'occasion, de ne pas manquer de leur donner une bonne leçon.
De Beckmann était donc satisfait. Il se mit en rapport pour cette occupation qu'il souhaitait tant. Alfa Oumarou Bademba qui se trouvait à Dubréka en mission de la part du groupe ennemi de Bocar Biro, en fut également satisfait et s'offrit comme guide du convoi.
Le Gouverneur mit à la disposition de de Beckmann deux sections de tirailleurs pour l'accompagner non pour une expédition à proprement parler, mais pour simplement occuper Timbo.
Parti de Sangoya le 25 octobre 1896, avec sa petite colonne sous le commandement du capitaine Aumer, de Beckmann entra à Timbo le 3 novembre 1896. L'Almamy était absent. Au même moment, partie de Siguiri, une compagnie de tirailleurs sous le commandement du capitaine Spiss, accompagné d'Alfa Ibrahima Sory Yilili, deuxième chargé de mission par le groupe adversaire de Bocar Biro. Au passage, cette compagnie occupa Sokotoro, résidence de campagne de l'Almamy, et séquestra tous ses biens.
Les deux compagnies faisaient leur jonction à Timbo le 3 novembre. L'émotion fut à la mesure de l'événement.
De Beckmann, devant les troupes rassemblées au quartier résidentiel de l'Almamy Soriya, proclama officiellement la prise de Timbo sous la possession française. Il expédia, par Kankan, un télégramme au Gouverneur général à Saint-Louis pour l'en informer et aviser que Alfa Ibrahima Fougoumba est lui aussi arrivé à Timbo.
Ainsi, Bocar Biro, absent de Timbo, était battu d'avance. Ses principaux ennemis firent leur soumission à de Beckmann et employèrent tous les moyens à leur disposition pour le faire supprimer.
Pour éviter que la situation ne s'aggrave, de Beckmann estima qu'il était nécessaire de poursuivre l'Almamy et surveiller ses mouvements. Le 12 novembre, le capitaine Muller quitta Timbo avec un peloton comprenant le lieutenant Fress, deux sous-officiers et 80 tirailleurs escortés par Alfa Ibrahima Sory Yilili, Alfa Ibrahima Fougoumba, de leur partisans et d'une quarantaine de sofas. Ce peloton se dirigea sur Bhouria et Porédaka.
Nous avons dit que l'Almamy Bocar Biro était absent de Timbo lors de l'arrivée de de Beckmann et des deux compagnies militaires. Il se trouvait, à cette date, à Bambéto, dans le Mâci, pour le motif suivant :
Malgré la restitution, après Pétel-Djiga, du turban à Alfa Yaya, roi du Labé, Bocar Biro n'avait pas encaissé la trahison de celui-ci à Bantiŋel. Sa conscience l'avait trop travaillé et lui avait dicté le projet de supprimer ce traître. Pour y réussir, il simula un voyage à Dombiyadji-Kâdé pour un pélérinage auprès de la tombe de son père Almamy Oumarou. Par le chef de Timbi-Touni, Bocar Biro demanda à Alfa Yaya de l'accompagner. Celui-ci comprit son projet véritable ; mais lui donna son accord complet. Il quitta Labé avec son armée, prête à riposter en cas d'attaque de la part de l'Almamy. Il s'arrêta à Bânyan, dernier village de sa province, à la frontière de Timbi-Touni. L'Almamy lui avait pourtant proposé une rencontre dans la ville même de Timbi-Touni. Bocar Biro, tout confiant après sa victoire sur ses ennemis, était en route pour ce rendez-vous, lorsqu'il s'arrèta à Bambéto, dans le Mâci. C'est là qu'il prépara l'exécution de son forfait.
Et c'est là, avant même qu'il n'ait pu arrêter son plan, qu'il reçut, le 9 novembre, un messager de sa maman, Néné Diârîou, qui lui apportait la nouvelle de l'occupation de sa capitale par une colonne française, venue de Siguiri et de Dubréka, sous la conduite d'Alfa Ibrahima Sory Yilili et d'Alfa Oumarou Bademba. Ce message lui apprit également que sa maman s'était enfuie dans la brousse où elle se cachait, et que tous ses biens gardés à Timbo et à Sokotoro étaient séquestrés.
Immédiatement, Bocar Biro réunit ses compagnons : Tierno Abdoul Wahhâbi, N'Guilla Kalianké, Sékou mo Nentèbou, Alfa Oumarou, fils d'Almamy Ahmadou, Tierno Mâliki Kalianké, son jeune frère Alillou, son premier fils Modi Sori, et le fils de ce dernier, Modi Aguibou. Il leur fit transmettre la terrible nouvelle par le messager lui-même.
Son fils aîné, Modi Sori, prit la parole pour dire qu'il était opposé à toute résistance aux Blancs car l'Almamy est abandonné par le Fouta et que, par ailleurs, des Chefs aussi puissants que Elhadj Oumar et l'Almamy Samory, n'ont pas réussi à les vaincre. Bocar Biro, en colère l'interrompit en lui demandant s'il a peur. Il lui répondit qu'il n'a jamais eu peur et qu'il est prêt à mourir pour sa patrie. L'Almamy reprit la parole pour dire que les Français veulent sa tête, qu'il a été trahi par ses propres parents. Mais étant investi en vertu de l'islam, il se battra jusqu'à la mort contre les traîtres et pour l'indépendance de son pays.
L'Almamy convoqua alors, comme de coutume, les Chefs du Fouta pour prendre part à la défense du pays. Aucun Chef ne répondit à cet appel. Alfa Yaya, contre lequel il était venu à Bambéto et qui reçut un message spécial lui demandant d'oublier le passé, refusa de se déplacer. Un seul notable vint de Labé, Modi Mamadou Saliou Gadawoundou, demi-frère et adversaire chévronné du roi de Labé, qui, certainement, nourrissait un complot contre ce dernier.
L'Almamy quitta alors Bambéto pour Porédaka avec une soixantaine de sofas et de partisans. Son fils aîné, Modi Sori, qui l'avait devancé, lui donna tous les renseignements sur le mouvement de la colonne qui venait à sa poursuite.
Le 14 novembre 1896, au petit matin, la rencontre eut lieu à Rounde-Mawnde, près de Porédaka. Les militaires étaient escortés par Alfa Ibrahima Sory Yilili qui leur indiquait, à distance, les têtes à abattre. La première décharge de tir s'abattit sur Modi Sori, fils de l'Almamy qui tomba inanimé. La fusillade fut très chaude. Les cavaliers du souverain Foula tourbillonnèrent autour de la colonne en cherchant à l'envelopper. Les sofas, disposant d'armes moins puissantes que les mousquetons, redoublèrent d'efforts pour tenter de l'encercler. Un moment, la position de la colonne fut mise en danger.
Mais, en peu de temps, les tirs des mousquetons furent plus intenses et décimèrent un nombre important de combattants foulas. A cheval, l'Almamy s'avança lui-même en tirant sur les officiers. Reconnu par Alfa Ibrahima Sory Yilili qui le désigna du doigt à l'un d'eux, Bocar Biro reçut plusieurs balles qui ne purent l'entamer bien qu'il s'avançât toujours. C'est alors que l'officier donna l'ordre d'abattre la monture. Atteinte d'une balle, l'animal se cabra et tomba sur la jambe de l'Almamy qui fut ainsi mis hors de combat. Son pied était cassé. Mais il rampa sur le sol pour se dégager du champ de bataille. Sur le terrain gisaient plus de cinquante combattants Foulas tombés sous les balles de l'ennemi.
Malgré sa blessure grave, l'Almamy tenta de rejoindre Nafaya, dans le Tinkisso, où il avait de nombreux guerriers en réserve, ainsi qu'une quantité importante d'armes et de munitions. Aussitôt, des ordres furent donnés pour que toutes les routes qu'il pouvait emprunter soient coupées afin de lui barrer le chemin. Arrivé à Bôtôrè, Bocar Biro était très fatigué par sa blessure. Il se cacha dans la case d'un forgeron.
Les lieutenants Spiess et Fresses furent dépêchés avec les partisans d'Alfa Ibrahima Sory Yilili au nord et au sud pour activer les recherches. Modi Amadou, frère d'Alfa Oumarou Bademba prit la route de Nafaya avec quelques sofas armés. A Bôtôrè, il apprit, par le forgeron qui hébergeait l'Almamy, que le fugitif était chez lui. Quand ses ennemis l'approchèrent, Bocar Biro tira sur leur chef Modi Amadou. Celui-ci commanda alors de le fusiller.
C'était le 18 novembre 1896. Son corps fut transporté sous un bosquet. Et là, Modi Amadou lui coupa la tête qu'il expédia à de Beckmann, à Timbo, puis fit enterrer le reste. Cette tête, reçue à Timbo le 19 novembre, fut enterrée près de la tombe de Modi Sori, son premier fils abattu à Porédaka par la colonne française .
Quant au capitaine Muller, après la bataille de Porédaka, il rentra dans le village qu'il traversa avec ses troupes et passa la nuit sur un mamelon situé en bordure du village. Le lendemain, il reprit le chemin de Timbo en traversant Bouria.
Ainsi se terminait la vie d'un homme, très brave, très courageux et dont le prestige était sans limites, un homme qui ne ménagea aucun effort pour défendre la cause sacrée de sa patrie, l'indépendance et la liberté. C'est à son sujet que Guébard, Administrateur des Colonies, écrivait dans son livre « Histoire du Fouta et des Almamy », les phrases suivantes :
« On ne saurait dénier à Bocar Biro, la qualité d'un grand patriote. Jamais, il n'admit un instant que la tutelle de l'étranger pût s'exercer sur son pays, et ; à aucun moment de sa vie, il ne songea à faire appel à lui pour rémédier aux vicissitudes de sa fortune ».
Après sa mort, tous les survivants de son armée furent activement recherchés. Tous ceux qui furent retrouvés furent exécutés sans pitié. Trois de ses enfants se réfugièrent au Soudan. Un autre, Modi Aguibou, fut sauvé par Baba Alimou, premier fils d'Alfa Ibrahima Sory Yilili, en payement de son intervention pour empècher son exécution lors de la bataille de Petel-Djiga. Alfa Oumarou, fils d'Almamy Ahmadou, se cacha dans le NDâma, chez le maranout Tierno Ibrahima. Alfa Yaya, chef du diiwal de du Labé, mis au courant, menaça le marabout de le dénoncer s'il ne livrait pas le fugitif. Alfa Oumarou s'échappa et se rendit directement à Conakry où il fit sa soumission au Gouverneur Ballay. Il fut interné dans la banlieue de Conakry avec ses enfants adultes.
Tous les autres membres de la famille de Bocar Biro et ses dévoués partisans furent dirigés sur le chef-lieu de la colonie pour y être internés. C'est ainsi que son fidèle Mamadou Saidou s'installa à Conakry pour créer le village de Dixinn-Foula. Le marabout de sa cour, Tierno Ibrahima Dalen, réussit, pendant son internement, à se faire nommer sécrétaire arabe auprès du Gouvernement. De 1897 à 1900, il rendit d'importants services à l'Administration. Rentré à Timbo, après sa libération, il fut nommé fonctionnaire de l'administration locale.
Avec l'assassinat de l' Almamy Bocar Biro et l'arrestation de tous les suspects qui subirent, à leur tour, le sort qui les attendait, la campagne de pénétration française dans le Fouta était close. De Beckmann et ses amis prirent l'administration du pays en main.
Pour asseoir cette administration, un poste administratif et un camp militaire furent immédiatement construits à Timbo. A partir de ce moment, ce fut un défilé continuel des partisans de l'ex-Almamy qui venaient faire leur soumission au nouveau chef blanc. Ainsi, Satigui Môdou, Satigui Sabari, Mody Iliassa, Tierno Ciré, tous principaux sofas et frères de Bocar Biro furent les premiers à souscrire à cette soumission qui, seule, leur permettait de reparaitre devant le public de Timbo.
La répression ordonnée par de Beckmann se poursuivit sans pitié car la préoccupation des vainqueurs était moins la pacification immédiate du pays que la vengeance contre leurs adversaires qui ne purent échapper au meurtre et au pillage systématiques.
Dès le 18 novembre 1896, Alfa Oumarou Bademba fut reconnu par les blancs comme Almamy Alfaya. Par dérogation à la Constitution du Fouta qui devenait caduque, il fut couronné à Timbo même par Alfa Ibrahima Fougoumba.
Le 10 décembre suivant, il fut proclamé officiellement à cette fonction, en présence de toutes les troupes de la garnison de Timbo en armes, d'Alfa Ibrahima Fougoumba, d'Alfa Ibrahima Sory Yilili, tous deux à cheval à côté de de Beckmann. Une foule nombreuse d'habitants prit part à la cérémonie à la fin de laquelle de Beckmann fit le tour de la ville de Timbo avec tous les Chefs et les griots qui chantaient les louanges du nouvel Almamy et de la France.
Le même jour, Alfa Ibrahima Fougoumba fut nommé, à son tour, Chef de la province de Fougoumba, par l'Almamy Oumarou.
Les affaires du parti Soriya passèrent sous l'autorité de Alfa Ibrahima Sory Yilili qui ne deviendra Almamy qu'ultérieurement.
De grandes festivités furent organisées et, à cette occasion, le canon fut entendu pour la première fois à Timbo. A cette date, la situation de la répression contre les partisans de l'ancien Almamy était la suivante :
A son sujet, de Beckmann fera savoir au Gouverneur qu'il n'a aucune confiance dans la sincérité de ses promesses, et qu'il ne prendra jamais la responsabilité de proposer de le mettre dans une situation où il pourra contrebalancer l'autorité des Almamys et chercher à s'emparer du pouvoir en s'abritant, comme Bocar Biro, derrière les principes religieux.
Pourtant, Alfa Yaya, arrivé à Timbo, le 12 décembre, y fut reçu avec pompe par une foule de plus de deux milles personnes sur ordre du même de Beckmann. Chacun des deux partis, Soriya et Alfaya, le réclama pour le loger. Pour éviter un conflit, de Beckmann le logea
La répression, pendant ce temps, continua avec plus de sevérité. Les têtes d'Alfa Oumarou et de Modi Abdoul, fils de Bocar Biro, tués dans le Koïn par les tirailleurs qu'accompagnait Baba Alimou, fils de Alfa Ibrahima Sory Yilili, sont présentées au Résident. Modi Aguibou ayant quitté Koïn est arrêté à Dinguiraye par le lieutenant, chef du poste.
A cette date, de Beckmann estimant que les opérations miliaires étaient pratiquement terminées, adressa un télégramme au Gouverneur du Soudan pour l'informer que le pays est devenu pacifique, la circulation libre et que les caravanes peuvent reprendre les routes en direction de Timbo et qu'un poste est établi à Sokotoro pour surveiller le passage sur le Bafing.
Alfa Yaya, logé chez lui, eut un premier contact avec de Beckmann qui, contrairement à ce qu'il avait écrit au Gouverneur, lui annonça son projet de le faire nommer roi du Labé. Alfa Yaya, qui cherchait à couper ses liens avec Timbo, fut heureusement surpris par cette proposition. Il rejoignit Labé dès que cette nomination fut effective. Il crut à sa liberté et à son indépendance vis-à-vis de Timbo. Mais sa nomination dans cette ville n'était, en vérité, qu'une confirmation de sa subordination, pour un temps encore imprévisible, aux Almamys du Fouta.
De novembre 1896 à janvier 1897, les nouveaux dirigeants du Fouta utilisèrent leur temps à s'installer dans leur poste et à remettre de l'ordre dans le pays, à calmer les esprits et à rechercher tous ceux qui, de près ou de loin, avaient trempés dans cette affaire de Bocar Biro.
Alfa Yaya en profita pour poursuivre Modi Mamadou Saliou Gadawoundou, qui avait pris part à l'échauffourée de Porédaka à côté de l'ancien Almamy. Activement recherché, Modi Mamadou Saliou fut découvert dans sa cachette dans les montagnes du Woundou. Extirpé d'une caverne où il vivait, il fut dirigé sur Labé. Mais, en cours de route, refusant d'obéir aux ordres de son escorte, il reçut une balle dans la tête qui le terrassa inanimé.