webFuuta
Taariika / Histoire


Previous Home Next

Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon.
La pénétration européenne et l'occupation française.

Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.


IV — Alfa Ibrahima Fougoumba

Dès que Almamy Oumarou Bademba fut couronné comme Almamy Alfaya, le 10 novembre 1896, il couronna, le soir même, à son tour, Alfa Ibrahima Fougoumba, comme Chef alfaya du diiwal de Fougoumba .

Ce dernier rejoignit immédiatement sa province pour prendre le pouvoir. Mais, il ne tarda pas à constater que le changement de régime ne s'opérait pas en sa faveur. En effet, la liberté d'action qui caractérisait le pouvoir des anciens chefs , était maintenant limitée. L'administration française prenait, peu à peu, le pouvoir et cherchait à restreindre l'autorité des chefs foulahs qui, de leur côté, jugeaient mal la nouvelle autorité.

Pour Alfa Ibrahima Fougoumba, il ne fallait pas «avaler» d'un trait cette pillule. Il estimait que le départ des Français dont il venait de soutenir l'installation à Timbo, était la seule solution possible. Une révolte dans le pays pouvait hâter ce départ. Spécialiste des complots, il prépara, en accord avec les Almamys, un mouvement de rébellion qui devait avoir lieu à l'occasion de la fête de Tabaski à Timbo. Mais , le Résident intérimaire, le capitaine Dédouis, mis au courant de ce projet par ses agents de renseignement, convoqua aussitôt Alfa Ibrahima à Timbo. Le projet fut ainsi avorté et Alfa Ibrahima refusa de répondre à la convocation qui lui était adressée.

L'affaire resta en attente et c'est sur ces entre-faits que Noirot fut désigné comme titulaire à Timbo. Dès sa prise de service, il invita les chefs de province à se joindre aux Almamys pour une prise de contact avec lui. Il était déjà connu dans le Fouta, ayant accompagné Bayol, en 1881, lors de sa mission dans le pays.

A son arrivée à Timbo, Alfa Ibrahima nia totalement le complot qui lui était reproché. Profitant de l'occasion qui lui était offerte, il prit la parole au milieu de tous les chefs, ayant le chapelet à la main et dit ce qui suit :

« Nous savions que les Français seraient un jour, les maîtres de ce pays. Les Malinké ont commandé cent ans. Les Sarakolé, les Arabes, les Djallonké cent ans. Notre grand père Karamoko Alfa avait dit cela. Maintenant c'est les Français qui commanderont cent ans, puis ils seront remplacés par le Mahdi. De même que nous allons vous payer l'impôt, vous aussi vous payerez l'impôt au Mahdi. Après, le démon règnera cent ans et piquera tous les hommes avec sa lance ; et après, l'Ange se lèvera et sonnera la trompette pour appeler tout le monde devant Dieu ».

Pour lui, cette intervention était une condamnation de l'occupation étrangère du Fouta. Mais, il se jugeait incapable de chasser les Français et cherchait à leur montrer qu'il désapprouvait leur politique.

Dès la fin de son intervention, le clairon sonna l'heure du rassemblement au camp militaire qui était tout proche. Pour ironiser, Noirot dit à l'assistance :

« En attendant la trompette de l'Ange, c'est à notre trompette que vous devrez vous habituer maintenant ».

Après la palabre, Alfa Ibrahima rentra à Fougoumba, non sans amertume. A la suite de cette accusation portée contre lui, il ne resta pas longtemps chef de diiwal. Il fut, comme Almamy Oumarou Bademba, relevé de ses fonctions.

Depuis, les évènements ne cessèrent de se succéder dans le pays , et au cours de l'année 1900, Alfa Ibrahima Fougoumba fut compromis encore dans une affaire très grave qui lui coûta sa perte définitive.

En effet, comme il continuait à entretenir des relations avec l'ancien Almamy Oumarou Bademba, il envoya, un jour, à ce dernier, deux charges de colas par deux de ses esclaves. Pour récompenser le dévouement de ces derniers, Oumarou Bademba offrit à chacun d'eux une pièce de tissu. A leur retour à Fougoumba, l'un des porteurs fit part à leur maître du beau cadeau reçu à Timbo. Par contre, l'autre garda le silence. L'attitude de ce dernier vexa Alfa Ibrahima qui le convoqua et lui retira la pièce de tissus. Le porteur savait que la mission auprès de l'Almamy était secrète. Mécontent d'être frustré du cadeau, il dévoila à Alfa Amadou, chef du diiwal, le secret. Alfa Amadou était un ennemi acharné d'Alfa Ibrahima Fougoumba, et cherchait un moyen pour se débarrasser de ce grand tyran qui le gênait énormément.

Il dénonça immédiatement Alfa Ibrahima au commandant français du poste de Ditinn dont il relevait. Il informa ce commandant que les relations entre les deux grands, Almamy Oumarou Bademba et Alfa Ibrahima Fougoumba, n'avaient pour objet que la préparation d'une rébellion contre les Français. Il alerta également Almamy Alimou à Timbo. Sans tarder, le chef de poste de Ditinn plaça Alfa Ibrahima en résidence surveillée en attendant la conclusion d'une enquête ouverte à son sujet.

Les enfants de Alfa Ibrahima Fougoumba, dont l'aîné était surnommé Karo Diallo, apprirent la nouvelle avec stupéfaction. Ils prirent immédiatement la ferme décision d'engager une réaction pour libérer leur père. Le vendredi suivant, ils profitèrent du grand rassemblement pour la prière solennelle, pour mettre le chef de diiwal qui avait calomnié leur père, en état d'arrestation, avec son ministre Modi Amadou Kamâkoro. Ils les informèrent qu'ils seraient gardés en otage tant que leur père serait détenu.

Avisé de cette double arrestation opérée par ses enfants, Alfa Ibrahima ordonna discrètement à ses enfants de se débarrasser de ses ennemis en les égorgeant. Karo Diallo et ses frères, obéissant à cet ordre, procédèrent, dans la cour de la mosquée, à cette opération criminelle. La nuit suivante, Karo Diallo se rendit à Kâlâ où il égorgea également le chef de ce village, Tierno Sounounou, qu'il accusait d'être du camp adverse.

Pour empêcher le signal de son triple crime aux autorités de Timbo, Karo Diallo coupa la ligne téléphonique communiquant avec Timbo et tua le surveillant des postes.

La nouvelle de ces actes de banditisme sema la panique dans le pays. Les chefs et les notables influents cherchèrent leur salut dans les cachettes des buissons de la brousse. Karo Diallo continua à traquer tous ceux qu'il soupçonnait d'avoir pris part au complot contre son père.

Le problème de son arrestation se posa avec acuité. Karo Diallo était fortement armé et avait avec lui une petite troupe bien entraînée et également armée. Personne n'osait donc les approcher dans la brousse.

La fatigue et la faim aidant, les bandits décidèrent de se rendre à Dalaba, chez Tierno Mamadou, chef de ce village, qui était un oncle de Karo Diallo. Tierno Mamadou était au courant des crimes commis par son neveu. Il le reçut gentiment avec ses compagnons et leur fournit un logement et de la nourriture.

Pendant que les bandits mangeaient tranquillement dans sa case, Tierno Mamadou alerta les habitants qui se rassemblèrent pour procéder à leur arrestation. Les bandits, rassasiés et très fatigués, prirent le lit et dormirent d'un profond sommeil. Pendant ce temps, Tierno Mamadou rassembla de nombreux habitants autour de la case. Malheureusement, ces habitants étaient des trouillards et n'osèrent pas s'approcher de la case.

Cependant, après quelques minutes d'hésitation, un courageux gaillard monta sur le toit avec une arme. Il dégagea la paille pour permettre d'entrevoir l'intérieur. Abattus de fatigue, les bandits continuaient tranquillement leur profond sommeil. Le gaillard visa Karo Diallo et l'atteignit grièvement. Réveillé par la détonation de l'arme et la blessure reçue, Karo Diallo sortit un revolver et se suicida par un coup dans le crâne. Ses compagnons apeurés se mirent à crier et à lancer des cris de menaces. Entendant ces cris dehors, la foule se dispersa dans un immense brouhaha. Les bandits profitèrent du vide ainsi fait devant eux, pour s'échapper.

Le cadavre de Karo Diallo séjourna dans la case pendant plus de quarante huit heures, sans que personne n'eut l'audace de s'approcher. Ce n'est que le surlendemain, qu'un vaillant monta encore sur le toit de la case et, par le trou fait par son prédécesseur, découvrit le cadavre gisant sur le sol. Le chef du village et les notables pénétrèrent alors dans la case pour faire le constat. Le chef coupa la main de Karo Diallo et l'envoya à Fougoumba pour être présentée au commandant de poste de Ditinn.

Pendant ce temps, Alfa Ibrahima Fougoumba était toujours gardé en prison avec plusieurs de ses fils. Ils y attendaient le jugement pour leurs actes criminels. Traduit devant le tribunal de Ditinn, Alfa Ibrahima fut condamné à la peine de mort avec ses fils Modi Amadou Makka, Modi Abdoulaye et Modi Aliou. Tous quatre furent publiquement fusillés à Ditinn.

Son fils Modi Ousmane put prendre la fuite pour la Sierra-Leone, où il mourut quelques années après. Ses enfants mineurs Alfa Mamadou Séfou, Boubacar, Ismaïl et Abdoulaye furent envoyés à l'école primaire de Timbo, où ils reçurent l'instruction française. Son frère Ousmane fut compromis dans cette affaire, mais fut disculpé par le nouveau chef de diiwal, Alfa Ibrahima Kilé, qui appuya son innocence.

L'événement fut suivi à Timbo avec moins d'intérêt. Le résident qui avait pourtant reçu le compte-rendu de l'Almamy en exercice, Baba Alimou, ordonna simplement une surveillance du domicile de l'Almamy Oumarou Bademba par un peloton de miliciens qui, ne relevant rien d'anormal, rejoignit, par la suite, le camp.

Mais, quelques temps après, le bruit persista pour accuser l'ancien Almamy Alfaya d'avoir bien comploté avec Alfa Ibrahima Fougoumba. Seulement, ses parents l'avaient mis en garde contre ce qu'ils estimaient être à l'encontre des intérêts de la famille Alfaya. C'est pourquoi il fut obligé de s'abstenir.

Le chef de la province de Kolladhe, Alfa Mamadou, gendre d'Alfa Ibrahima Fougoumba, fut lui-même suspecté dans cette affaire. Bénéficiant du doute, il fut complètement dégagé par l'administrateur de Timbo qui mena l'enquête.

Pour éviter le retour de pareilles perturbations, le résident de Timbo, invita Almamy Oumarou Bademba à changer de domicile et s'éloigner de Timbo. Almamy Oumarou Bademba se rendit dans son village de culture de Nounkolo, à la frontière occidentale du Fouta.