Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.
C'est dans une telle situation du Fouta que Ballay choisit l'administrateur de Dubréka, de Beckmann, pour l'envoyer à Timbo renouveler les relations antérieures, en lui donnant des instructions précises.
Il devait insister auprès des Almamys pour que l'argent des rentes qui leur sont versées soit dépensé uniquement dans les Rivières du Sud où les prix sont les mêmes qu'en Sierra Leone. Il devait en outre leur faire comprendre la necessité de faire cesser les visites officielles des Anglais a Timbo, et rappeler que l'intention de la France n'est nullement d'occuper militairement le Fouta mais d'assurer le développement du commerce et d'amener l'aisance et la prospérité. Il devait faire connaître, enfin, àBocar Biro l'interêt qu'il aurait à cesser de donner asile aux ennemis de la France, notamment aux partisans de Samory. Cette dernière instruction lui fut transmise par le Gouverneur du Sénégal qui combattait Samory au Soudan.
De Beckmann fut frappé, dès son entrée au Fouta, par le fait qu'on y parlait que des Anglais. II arriva à Timbo le 30 novembre 1891 et fut reçu par Bocar Biro, nouvel Almamy Soriya, le 2 décembre. Leur entrevue ne donna pas une bonne impression. De chaque côté des reproches et récriminations s'étalèrent.
Le 8 décembre la mission se rendit à Dara auprès du souverain alfaya. Dès le début, même impression. Mais avec la prolongation du séjour, les choses changèrent peu à peu. Les cadeaux versés à l'entourage de l'Almamy travaillèrent en faveur de Beckmann. Après quelques jours de pourparlers, il obtint, en effet, la signature d'une Convention le 14 décembre.
Cette convention reproduisait dans leurs grandes lignes, les instructions que de Beckmann avait reçu du Gouverneur des Rivières du Sud et de celui du Sénégal. Les Almamys ne doivent avoir de rapports officiels qu'avec la France. Les rentes seront désormais versées à Dubréka ou à Conakry. Le Fouta ne doit commercer qu'avec les factoreries situées dans les Rivières du Sud. La France s'engage à assurer une sécurité complète aux caravanes foulas, et à construire une route qui va relier la côte au Fouta. Enfin, les Almamys s'engagent à ne pas accorder l'hospitalité aux ennemis de la France. La convention fut signée du côté du Fouta par les deux Almamys Bocar Biro et Ahmadou , sous réserve de l'approbation par le Conseil des Anciens ; et du côté français par de Beckmann et Chasles.
Lorsque la mission quittait Timbo elle espérait que tout était arrangé et que les Almamys respecteraient scrupuleusement leurs engagements. Mais effrayés par la puissance française, ceux-ci observèrent une attitude de méfiance et de plus en plus hostile. Pour cacher cette attitude, ils se montrèrent courtois vis-à-vis de tout français qui les contactait.
Sur la côte, la situation politique n'était pas des meilleures. Tous les Chefs n'approuvaient pas entièrement le protectorat français. Dina Salifou était de ceux qui protestaient vivement. Il voulait rester maître de son Etat et même étendre sa puissance chez les voisins. Il jouissait d'une grande influence dans le pays, ayant, pendant sa jeunesse, appris le Coran dans le Fouta, et ayant été, d'autre part, honoré d'un voyage en France à l'occasion de l'Exposition de 1890. Il avait des relations intimes avec les Chefs Foulas.
Il demanda à Alfa Yaya qui était de passage dans son pays, de l'aider à supprimer son cousin Togba qui le gènait dans sa politique. Appelé un jour en invitation par Alfa Yaya, Togba eut la tête tranchée à coups de sabre par les sofas de l'invitant. Après ce coup Dinâ fut invité à Conakry par le Gouverneur qui lui annonça son internement, à Saint-Louis du Sénégal, pour un temps indéterminé. Le Gouverneur l'escorta lui-même jusqu'à cette destination. Dinâ fut ainsi effacé de la politique et éloigné de son pays nalou.
Les Almamys du Fouta considérèrent cette décision comme inamicale, car Dinâ était un ancien élève d'un grand marabout foula et leur sincère ami. Ce geste, ajouté au soutien que la France apportait à Moussa Môlo, l'ennemi irréductible du Fouta, était contraire à l'esprit de la convention passée avec de Beckmann.
En 1892, Almamy Ahmadou reprit le pouvoir et la campagne menée par les troupes françaises au Soudan, s'ajouta à l'amertume ressentie à la cause citée plus haut.
En janvier 1893, de Beckmann fut remplacé à Dubréka par un autre Administrateur des colonies, Alby. Dès sa pris de service, celui-ci passa, à l'insu de Timbo, des traités de protectorat avec les Chefs de Téné et du Baring, tous deux dépendant du Fouta-Dialô.