webFuuta
Taariika / Histoire


Previous Home Next

Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon.
La pénétration européenne et l'occupation française.

Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.


II — Almamy Oumarou Bademba

Quelques temps après son couronnement, Almamy Oumarou Bademba ne manqua pas de constater que son autorité n'était qu'apparente.
La présence de de Beckmann avait jeté une ombre sur son étoile. Il commença à regretter son action en faveur de l'occupation du Fouta par les Français. Il adopta, avec son collègue Soriya, une attitude qui inquiéta le résident de France. En effet, les deux almamys, d'un commun accord, avisèrent celui-ci qu'ils se retiraient dans leur village de campagne. Ce double départ ne sembla pas sincère à de Beckmann car il n'avait jamais appris qu'au cours des siècles de l'histoire du Fouta, les deux almamys se soient absentés ensemble de la capitale sans motif très important.

Pour l'almamy Oumarou Bademba qui était mécontent de la tournure des évènements, il fallait rechercher un moyen pour reprendre le pouvoir des mains de ses amis qui, estimait-il, l'avaient trompé. Il s'accusa lui-même de faute très grave en livrant son pays, musulman, à des infidèles, avec la seule intention de satisfaire une passion politique. En écoutant la voix de sa conscience, il décida de se repentir en jeûnant pendant tout le reste de sa vie. Ce qu'il fît de 1897 à 1926, date de son décès.

Pour réussir dans son projet, il eut recours à tous les éminents marabouts du pays. Dans leur invocation à Dieu, il leur demanda de solliciter le départ des Français. La réponse lui vint de Labé sans retard. Il était dit que les Français dirigeraient le Fouta pendant cinquante ans. Cette réponse était fort juste, car la France a régné sur le Fouta de novembre 1897 à octobre 1946, date à laquelle Yacine Diallo, un député guinéen, fut élu et un Conseil général installé. Depuis, les Foulah participèrent à l'administration du pays par leurs représentants élus jusqu'à l'indépendance totale, le 28 septembre 1958.

De Beckmann, rentré en France, fut remplacé à Timbo par Noirot qui, dès son arrivée à son poste, créa toutes sortes d'ennuis à l'Almamy Oumarou Bademba

Toujours mécontent et dans le désespoir, l'Almamy prit une malheureuse décision qui, un peu plus tard, provoqua son limogeage. Espérant trouver auprès de Samory un appui suffisant pour chasser les Français du Fouta, il adressa à celui-ci une lettre confidentielle. Mais, Samory, traqué de tous côtés par les troupes françaises, se garda d'y répondre, car il était à bout de résistance. Il classa, néanmoins, la correspondance dans ses archives. En 1898, il fut arrêté et ses archives saisies. La lettre d'Almamy Oumarou Bademba fut découverte et transmise aux autorités coloniales. Celles-ci, après étude, considérèrent le chef Alfaya comme un traitre et ne purent lui pardonner son acte. Il fut relevé immédiatement de ses fonctions.

A partir de cette date , le gouverneur de la Guinée française annula unilatéralement le Traité du 6 février 1897 et décida que, désormais, le Fouta sera administré directement par les autorités françaises. Chaque diiwal, rendu autonome, sera dirigé par un résident nommé par lui et contrôlé par Noirot, résident de France à Timbo, en qualité de commandant supérieur du Fouta.

Almamy Oumarou, acceptant la sanction, continua son jeûne et se retira dans son village, à Dâra où il résida dans le calme. Bien des choses se passèrent par la suite, dans le pays. Mais il resta étranger à tout et ne se mêla de rien.

A la suite du départ de Cousturier de la Guinée, le gouverneur Frézouls le remplaça à Conakry, en octobre 1904. Dès sa prise de service, il désapprouva la politique de son prédécesseur en Guinée. Noirot qui était à la base des ennuis des chefs du Fouta, fut déplacé aussitôt de la direction des affaires politiques de Conakry pour être affecté à Beyla. Frézouls envoya, ensuite, au Fouta, un inspecteur des affaires administratives qui parcourut tout le pays pour enquêter sur les agissements des dirigeants français. Ce haut fonctionnaire eut recours à l'ancien Almamy Alfaya, Oumarou Bademba, afin de recueillir des renseignements qu'il pouvait avoir contre Noirot. Convoqué à cet effet à Labé, Almamy Oumarou Bademba eut avec lui un entretien cordial, mais refusa de révéler quoi que se soit.

Il profita pour exposer à son interlocuteur la situation qui lui a été faite par les autorités de l'époque. Il reçut la promesse formelle que cette situation serait redressée. Car il était un ami de la France et avait largement contribué à l'occupation du Fouta.

Dans son rapport, l'inspecteur proposa au gouverneur la réintégration de l'ancien chef Alfaya, en qualité de chef de la famille Alfaya. Cette proposition rencontra une opposition formelle de la part de l'Almamy Soriya en fonction, Baba Alimou. Mais celui-ci mourut en 1906.

Profitant de cette vacance, le gouverneur divisa la Région de Timbo en deux postes. Le territoire de l'ancien diiwal de Bhouria, les villages alfaya de Timbo, le territoire des villages de Nounkolo et de Téliko, formèrent le poste de Mamou, placé sous l'autorité du vieil Almamy qui resta en fonction jusqu'en 1912. A cette date, les cercles du Fouta furent morcelés en cantons. Almamy Oumarou jugea inutile de continuer avec le nouveau régime. Il abandonna le commandement du canton de Mamou à son fils Modi Sori. Il continua son jeûne de répentir pendant le reste de sa vie qui s'acheva en 1926.

Avec lui disparut le couronnement officiel des almamys par les autorités occupantes. Le titre resta symbolique ; et c'est pourquoi, son fils Modi Sori, chef du canton de Mamou, sollicita sa reconnaissance comme successeur symbolique au trône de l'ancien poste d'almamy alfaya. Il obtint satisfaction et resta en vie jusqu'en 1933. Actuellement, c'est son homonyme, Modi Sori Dâra, petit-fils d'Almamy Ahmadou qui assure la suite.