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Histoire


Louis Tauxier
Histoire des Peuls du Fouta-Djallon

Payot, Paris, 1937

nano dow nyaamo

Livre Troisième
Histoire des Peuls du Fouta-Djallon

Chapitre II
Les Sources et les Renseignements de 1880 à 1890


M. Noirot qui traversa la Fouta-Djallon et le Bambouck avec la mission Bayol et qui nous a donné un petit livre très vivant sur son voyage: A travers le Fouta-Djallon et le Bambouck, (Paris, Dreyfous, 1882) a tracé un tableau animé de l'histoire ancienne des Peuls du Fouta, respectant le style et les tournures de phrases employées par son renseigneur.

"Les Peuls, ce sont des blancs comme vous ! S'ils sont noirs, c'est que le soleil les a brûlés. Guidés par Dieu qui les aime bien, les Foulahs sont venus du Founangue (pays de l'est) où il n'y avait plus d'herbe pour faire paître leurs troupeaux, dans les montagnes du Fouta qui est un beau pays, où il y a toujours de l'eau, de l'herbe et du bois.
« C'étaient les Diallonkés qui étaient les maîtres du Fouta, mais ces hommes-là buvaient du sangara (eau-de-vie), ne faisaient jamais salam et Dieu n'était pas content pour eux. C'étaient tout de même de bons garçons car ils ont dit au Foulah : Reste-là, fais des lougans et tes boeufs mangeront de la bonne herbe.
« Les Peuls qui voyaient que le pays était bon pour eux sont venus en grand nombre, et, quand ils ont été les plus forts, ils ont dit: Il faut que les Diallonkés fassent prière comme nous. Alors ceux qui étaient chefs des Peuls ont dit aux chefs du Diallo : Il faut faire salam avec nous, C'est Dieu qui l'a dit ! Mais les kéferus (infidèles) ont répondu: « Nous sommes chez nous et nous ferons comme nous voudrons, si vous n'êtes pas contents, il faut quitter le pays ! Alors, les Peuls ont fait la guerre aux Diallonkés qui n'avaient pas la force et ont gagné le pays jusqu'à Fougoumba. Ces Peuls-là, c'étaient des Radinke, des Sidiannke, c'etaient les fils de Sidi et de Raldi qui commandaient à Tombouctou 1.
« Un de ces hommes-la qui était de la famille de Sidi s'appelait Kikala. C'était un grand marabout (homme pieux). Alors les Poulars ont dit : C'est lui qui est notre chef ! et Kikala a été chef.
Quand il est mort, c'est son fils Sambigou qui l'a remplacé. Mais Sambigou eut deux fils: Nohou et Malik-Si qui étaient aussi de grands marabouts.
« Quand Sambigou est mort, ils voulaient être chefs tous les deux, mais ça n'était pas bon. Alors les Peuls ont dit : "Voilà Karamoko Alpha qui est le fils de Nohou, Dieu l'aime trop 2 parce qu'il est grand marabout; il faut qu'il soit le chef du Fouta. » Et Karamokho-Alpha a été le premier grand chef. Ce n'était pas Almamy, mais c'etait comme almamy. Karamokho faisait salam toute la journée et aussi toute la nuit. Avec les autres chefs et avec Modi-Maka, le grand-père de Modi-Diogo, qui était le grand porte-parole des Peuls, il a dit : "Dieu n'est pas content parce que les hommes ne font pas salam. Alors les Peuls ont pris des lances et des flèches 3 et ils ont fait la guerre aux buveurs de sangara. »
C'est Karamokho qui commandait. Il a rencontré Kondé-Birama qui était commandant des kéfirs 4. On a livré bataille et Kondé-Birama, qui était le plus fort, a gagné. Il a pris beaucoup de captifs et a coupé le cou au chef des Poulars 5. Karamokho-Alfa s'est sauvé, mais il n'avait plus la tête solide. "Kondé-Birama a bâti un tata (forteresse) près de Fougoumba et il a dit : "Maintenant c'est moi le maître, j'ai la force, et si les Poulos ne travaillent pas bien les lougans, je leur couperai le cou. » Les Peuls n'etaient pas contents d'être captifs et ils ont dit : "Il faut tuer Konde-Birama ! » Modi-Makha, qui avait beaucoup de tête, a dit : "Celui qui sauvera les Peuls, c'est Alpha-Ibrahima, fils de Malik-Si. » C'était le cousin de Karamokho. Ibrahima a appelé tous les hommes et a dit : « Nous allons casser le tata de Kondé-Birama; mais il faut faire salam et Dieu nous accordera la force. » Les hommes d'Alpha-Ibrahima ont rencontré les Kéfirs au Tiangol-Sira Koure près de Timbo. Ils ont fait une grande bataille et Ibrahima qui avait obtenu la force a tué Konde-Birama ainsi que sa femme Awa Birama qui commandait aussi les guerriers et il a coupé le cou à ceux qui ne voulaient pas faire salam.
« C'était bien pour les Peuls cette affaire-là et les Diallonkés qui n'avaient plus la force ont fait salam. Mais Ibrahima n'était pas encore content parce qu'il y avait des hommes de Kondé-Birama qui s'étaient sauvés du côté de Donhol-Fella. Il a couru après et les a tous tués !
La guerre était finie et les anciens du pays étaient trop contents pour Ibrahima; ils ont fait le palabre et Modi-Maka a dit : Ibrahima, c'est un grand guerrier, il faut le nommer almamy du Fouta et puisqu'il livre toujours la bataille quand le soleil se lève, il s'appellera Sory (le matinal) Ibrahima-Sory a été le premier almamy du Fouta )» (Ernest Noirot, A travers le Fouta-Djallon el le Bambouck, 1882, Paris, Dreyfous).

Ajoutons que la traduction du récit a été faite par l'interprète de la mission Bayol-Noirot sous la dictée d'un Peul nommé Mahamadou-Saïdi.
Dans ce récit, il y a des choses intéressantes et nous pouvons reprendre notre chronologie ancienne des Peuls du Fouta-Djallon en la modifiant ainsi :

Séri (ou Sidi), avec Raldi vers 1694
Mohammadou Saldi (fils de Seri ou Sidi) - 1700
Kikala (homme pieux et grand marabout. Est sans doute le Moussa-Ba de Gordon Laing) - 1710
Sambigou (son fils) - 1715
Nouhou et Malik-Si, fils de Sambigou 1715 à 1726
Ibrahima Moussou dit Karamokho-Alpha ou Alifa-Ba. 1726 à 1751
Enfin Ibrahima-Sori 1751 à 1784

Quant au récit des guerres avec les Ouassoulonké soutenus par les Diallonkés du sud, il est ici réduit à l'excès et synthétise en deux batailles, une défaite décisive et une victoire décisive. Dans la réalité, nous le savons par Gordon Laing, il y a eu de longs combats entre Peuls musulmans du Fouta-Djallon et Peuls fétichistes du Ouassoulou, de 1762 à 1776 (d'après Gordon Laing) et ces combats ont même commencé plus tôt si on admet, d'après le récit de Noirot, que Karamakho-Alpha (mort en 1751 d'après Gordon Laing) a été battu par Kondé-Birama et en est devenu fou avant sa mort (1751). Mais c'est un point d'histoire que nous ne fixerons pas pour le moment et sur lequel nous aurons à revenir.

Nous arrivons maintenant au Dr Bayol qui fit un voyage dans le Haut-Niger en 1880, dans le Fouta-Djallon en 1881 et dans le Bélédougou en 1883. C'est en 1888 qu'il publia son ouvrage: Voyage en Sénégambie.

C'est le 12 mars 1881 que partit la mission du Fouta-Djallon, chargée d'imposer aux Peuls un traité de protectorat français. Elle comprenait, outre M. Bayol, M. Noirot, jusqu'alors acteur aux Folies-Dramatiques (et qui devint pourtant un excellent explorateur, comme nous l'avons vu). Elle arrive à Boké (chez les Landoumans) le 10 mai et à Fougoumba le 23 juin. Il y avait alors dans le Fouta une de ces révolutions politiques si fréquentes, comme nous en avons dejà vues beaucoup, et Hamadou venait de remplacer comme almamy un Ibrahima Sori. Hamadou répondit au Dr Bayol : « La France aux Français, le Fouta-Djallon aux Peuls ! » Cependant, il finit par signer et ratifier le traité de protectorat que Bayol avait en main (14 juillet 1881).

Bayol donne des détails intéressants sur les Peuls qu'il appelle des Nubi-Berbères, venus depuis un temps immémorial du côté de l'Egypte. Leur organisation politique au Fouta est une republique aristocratique possédant deux rois ou almamy se remplaçant tous les deux ans (non sans heurts). Les Seuria ou Soria sont les guerriers, les Alphaya les marabouts (p. 78 à 79).

Bayol donne ensuite une notice historique sur les Peuls. Les légendes musulmaniques les font descendre de Modi Ousman et de Modi Aliou, compagnons du prophète. Mais ceci n'est que légende. En fait, les Peuls sont des Nubiens apparentés aux Berbères et leur langue a des analogies avec le Sérère et le Ouolof. Pour l'histoire même des Peuls du Fouta-Djallon, ils viennent du Macina (p. 92). Bayol parle de chroniques écrites en arabe sur eux et par eux qu'il aurait rapportées (p. 98) et qui, par malheur, n'ont jamais été traduites et dont il n'a jamais plus été question (a ma connaissance).

Voici, du reste, exactement ce que dit Bayol (p. 98) :

« L'histoire du Fouta-Djallon est peu connue encore. Caillié, Mollien, Hecquart et Lambert, les deux derniers surtout ont donné des renseignements précieux 6. Mais, j'ai pu m'apercevoir pendant mon séjour chez les Peuls combien il est difficile d'obtenir qu'ils disent la vérité. Les différentes chroniques écrites en arabe que j'ai rapportées jetteraient de la clarté sur cette question; je n'ai malheureusement pu encore les faire traduire. Elles donnent la liste exacte des chefs principaux, tant des provinces de Timbo et Fougoumba que de l'important pays de Labé dont le chef, à l'origine, faillit devenir le maître suprême du Fouta-Djallon.
« Ce sont les renseignements recueillis de la bouche même de l'almamy Ibrahima Sori et de celle de l'almamy Hamadou que je vais transcrire. Ils ont été complétés par le récit des griots, chanteurs attachés à ces princes et qui ont, comme autrefois les trouvères du moyen âge, recueilli les hauts faits de leurs seigneurs et les légendes concernant les aieux.
« Les Peuhls, comme nous l'avons dit, prétendent descendre de blancs. Ils sont venus de l'Est et la tribu qui a envahi les hauts plateaux du Ba-Fing, de la Gambie et du Rio-Grande, arrivait du Macina, pays situé sur la rive droite du Niger entre Ségou et Tombouctou 7. A cette époque, tous les Peuls n'étaient pas musulmans et même aujourd'hui l'on rencontre dans le Ouassoulou et le Kankan des Peuhls nomades qui n'ont qu'un seul culte : celui de leurs troupeaux, qu'ils font prospérer le mieux qu'ils peuvent, sans se préoccuper du lendemain. Il y a près de deux siècles que ce peuple qui habite cette contreée où il avait trouvé une population nombreuse, les Diallonkés qui faisaient partie de la grande famille Mandingue 8.
« Les Peuhls se dispersèrent dans le Dialonka-Dougou (Dialonke, pays, c'était le nom du pays), à la recherche des meilleurs paturages et ne tardèrent pas à voir leurs troupeaux prospérer sur ce sol fertile. D'autres Peuhls descendirent du Fouta sénégalais où, au commencement du XIIIe siècle, Abdou-el-Kader avait fondé un grand état et se mêlèrent aux tribus venues de l'est 9.
« Les tribus vivaient à l'état d'isolement. Quelques noms de chefs étaient prononcés, mais aucun n'avait eu l'idée d'unir les Peuhls en une même nation et de les rendre par là capables de se faire respecter d'abord et de devenir ensuite les maîtres de ces pays si fertiles. C'est à Modi-Maka-Maoudo (Maka le Grand) grand-père de Modi Djogo, président actuel de l'assemblée des anciens à Timbo, que devait venir cette pensée qui a fait la grandeur de son pays 10.
« A leur arrivée, les Peuhls étaient conduits par deux frères Seri et Sedi, de la famille princière des Sidiankés à laquelle appartenait 11 Ahmadou Lobbo, chef du Massina. A cette époque, les chefs Peuhls, comme aujourd'hui, portaient des titres de noblesse. Alfa était le premier titre; venaient ensuite les tierno et les modi. Modi correspond au titre espagnol don. "Séri et Seïdi vivaient dans les environs de Fougoumba, où commençaient déjà à se réunir des assemblées populaires. L'histoire ne parle pas des enfants de Séri. Seidi, qui était plus remuant que son frère, prenait peu à peu de l'importance : il eut un fils appelé Sambégou qui lui succéda. Sambégou eut pour descendant Madi qui fut remplacé par son fils Alfa Kikala. Kikala eut deux fils: Nouhou et Malik-Sy. Les deux frères vécurent en bonne intelligence. »

Ces données de Bayol, dont nous interrompons un moment le récit, peuvent se resumer ainsi :

Séri et Seldi
vers 1694
Sambégou
- 1700
Madi
- 1710
Alfa Kikala.
- 1720
Nounou et Malik Sy
- 1725

Si nous comparons ce tableau au dernier que nous avons donné pour cette époque, nous trouvons quelques dissemblances. Dans Bayol, Raldi n'est pas nommé, pas plus que Mohammadou Saidi, fils de Séri. Sambégou et Madi sont mis avant Alfa Kikala. Bref, il y a quelques petites dificultés que seules les chroniques écrites en arabe qu'a rapportées Bayol, pourraient résoudre.

« Fougoumba, continue Bayol (p. 99), devenait de plus en plus le centre intellectuel et politique des Peuls. Des écoles où l'on enseignait l'arabe existaient. C'est là que furent élevés Alfa, fils de Nouhou et Ibrahima, fils de Malik Sy. Tous deux étaient très pieux, mais Alfa ne tarda pas a acquérir une instruction supérieure à celle de ses concitoyens, il lut et prêcha le Koran avec une telle éloquence qu'on lui décerna le titre de Karamokho (l'illustre) et désormais, Karamakho Alfa fut vénére comme un grand marabout 12.
« Karamokho avait eu pour maître : Tierno Samba, marabout renommé qui habitait alors Fougoumba et devait mourir plus tard à Bouria.
« Les Peuls, devenus nombreux, riches et puissants commençaient à lever la tête et parlaient de convertir, les armes à la main, les Diallonkés fétichistes qui avaient refusé de croire au vrai Dieu. De nombreux conciliabules eurent lieu à Fougoumba, point central situé à égale distance de Timbo (au sud) et du Labé (au nord), mais la réunion la plus célèbre fut tenue entre Broualtapé et Bombolé, dans un endroit connu des marabouts seuls, sur les bords d'un ruisseau sacré. C'est là que fut decidée la guerre à outrance contre les Keffirs (ou infidèles). Les marabouts donnèrent à l'endroit où se réunissait la conférence le nom de Fouta-Djallon, désignant par ce nom seul le but à poursuivre : l'unité nationale des Peuls et des Diallonkés, convertis de gré ou de force, et comptant plus tard étendre ce nom à tout le territoire compris entre le Niger et l'Océan. C'est de là d'abord, de Fougoumba ensuite, que sont partis les mots d'ordre qui dirigeaient les fidèles pour les grandes guerres de l'Islam (p. 100). »

Bayol donne encore de nombreux renseignements sur cette période d'effervescence et de préparation à la guerre sainte. Ainsi, Karamokho Alfa, ayant pris une jeune femme, se sépara d'elle pendant sept ans, sept semaines et sept jours pour aller faire salam et demander à Allah la conversion des idolâtres. Au bout de ce temps, sa jeune femme vint lui dire que les anciens réunis à Fougoumba venaient de le désigner comme chef suprême des Peuls, malgré la compétition d'Alfa Labé, le guerrier le plus célèbre du moment (p. 101 et 102). Bayol raconte ensuite que Karamokho Alfa rencontra les armées du Ouassoulou et du Sankaran (sans compter celle des Diallonkés du Souliman. De même, Bayol prend Ava Bouramo ou Bourama, en réalité la femme du chef Ouassoulonké Kondé Bouramo ou Birama, pour un chef) et fut battu malgré la bravoure de son fils Modi Salifou. Les alliés victorieux établirent une forteresse non loin de Fougoumba, d'où ils pillèrent le pays. Comme Karamokho Alfa avait la raison ébranlée par tous ces désastres, on nomma à sa place Alfa Ibrahimo ou Ibrahima. Celui-ci en réunissant tous ses parents, attaqua sur-le-champ les deux chefs alliés, les tua sur les bords du marigo de Sirakouré non loin du mont Kourou, puis il rejeta les restes de l'armée ennemie sur les bords du Niger en épargnant l'amazone, femme du chef Kondé Bourama (p. 102-103). Comme on le voit, Bayol ne connaît pas plus le détail de ces guerres que ses prédécesseurs français. En réalité, nous savons par Gordon Laing qu'au lieu de deux batailles décisives et rapides, il y eut une série de guerres de 1750 à 1776, pendant vingt-six ans. Les Peuls, nous l'avons vu, finirent par en sortir victorieux, mais non sans de nombreuses défaites (et de nombreuses victoires aussi).

Ibrahima prit le titre de Cheikou, puis celui d'Almamy, « à la condition formelle, dit Bayol, qu'il reconnaitrait toujours au conseil des Anciens le droit de donner son avis sur toutes les questions de politique intérieure et extérieure, que, de plus, ses successeurs, pris dans sa famille, seraient d'abord reconnus tels par un vote de l'assemblée. »

Comme on le voit, Bayol ignore le conflit brutal qui mit aux prises Ibrahima Sori, vainqueur, et le conseil des Anciens de Fougoumba, anciens auquel il fit couper la tête (du moins à ceux qui étaient ses ennemis). Ses informateurs, de même qu'ils ont synthétisé, d'une façon un peu enfantine, les guerres entre les Peuls d'un côté, les Ouassoulonké, les Sankaranké et les Soulimananké de l'autre, ont jeté un voile pudique sur ce massacre des vieux marabouts par le soldat vainqueur qui n'acceptait pas de se soumettre à leurs ordres.

C'est de cette époque, d'après Bayol, que date la fondation de Timbo (1789 environ). Auparavant, c'était un gros village Diallonké appelé Gongoui (la grande maison). Ibrahima Sori y transporta le siège du gouvernement, abandonnant Fougoumba, et lui donnant le nom de Timmé 13 (d'où Timbo, espèce de faux acajou de l'endroit).

Cependant, Ibrahima Sori avait soumis le Koin et le Kolladé. Il fit reconnaitre son autorité par le chef peuhl du Labé, province du nord, qui affectait d'être indépendant des chefs de Fougoumba et Timbo. Il marcha ensuite sur la Haute Gambie, imposa le Niokolo, (province Mandingue) et força Maka, roi du Boundou à se faire musulman et à prendre le titre d'almamy 14. Il n'alla pas jusqu'au Kaarta, mais il y envoya des émissaires (p. 104). Cependant, Modi Maka, le conseiller et le héraut réputé des assemblées du Fouta Djallon, s'allia aux Alphayas, partisans de Karamokho Alfa (ou plutôt de sa pieuse descendance, puisque le saint homme était mort fou) et fit proclamer comme almamy, rival d'Ibrahima Sori, Abdoulaye Bademba, fils de Karamokho Alfa. Ibrahima Sori se soumit à la décision du conseil et céda le pouvoir à Bademba, mais il fut rappelé peu de temps après, remporta de nouvelles victoires, et reçut le surnom de Maoudo (le Grand). Il mourut dans le Labé, après avoir régné trente-trois ans (d'après Lambert). Cela met son règne de 1751 à 1784. (Je me demande si toute cette histoire, qui est peut-être exacte, d'un Alphaya nommé comme second almamy du temps même d'Ibrahima Sori, ne doit pas être placée avant le massacre par celui-ci du grand conseil des Anciens de Foukoumba. Ibrahima Sori ne dut pas accepter de gaité de coeur de résigner son commandement et de se soumettre, fut-ce pour deux ans, à un almamy rival. Et c'est probablement au cours des luttes intestines, provoquées par cette situation scabreuse, que les anciens du Foukoumba furent, au moins en partie, massacrés par Ibrahima Sori).

Notons encore que c'est le même Modi Maka, conseiller et héraut de l'assemblée de Foukoumba, qui, en 1751, avait fait nommer Ibrahima Sori généralissime des armées du Fouta Djallon, qui à l'époque où nous sommes, ayant peur du pouvoir absolu de son ancien protége, fait nommer un almamy rival, du parti Alphaya. Cette décision qui opposait deux almamys l'un à l'autre, mettait l'anarchie au cur même du royaume peuhl, mais sauvegardait jusqu'à un certain point le pouvoir de la haute assemblée de Foukoumba. Cependant, celle-ci n'eut pas a se louer tout de suite de cette innovation.

D'autre part, si Ibrahima Sori Maoudo (le Grand) a régné trente-trois ans, comme nous savons, d'autre part, par Gordon Laing, qu'il prit le pouvoir en 1751, cela met son règne de 1751 à 1784 et par conséquent le transfert de la capitale du Fouta Djallon de Foukoumba à Timbo ne peut pas être de 1789, comme le dit Bayol, mais de quelques années plus tôt (par exemple 1780).

Bayol, mal renseigné, donne ensuite une histoire très abrégée, par ses interlocuteurs sans doute, de ce qui arriva après la mort d'Ibrahima Sori le Grand. Il nomme Sadou, fils d'Ibrahima Sori, massacré à Timbo par Abdoullaye Bademba, le rival d'Ibrahima Sori à la tête des Alphayas, mais, de là, sans parler de Yaya, Ali Bilmah et Alpha Salihou, il arrive d'un seul trait à Abd-el-Kader qui aurait vengé Sadou en tuant de sa main Abdoulaye Badamba à Quetiquiya (dans le Kolladé). Cette bataille a eu lieu, en effet, probablement en 1813, mais justement il ne doit pas s'agir du même Abdoulaye Bademba, le premier étant de 1780 environ, le second étant mort en 1813. Comme Sadou ou Saada, fils d'Ibrahima, Sori est mort approximativement en 1791, on voit que la vengeance aurait été lente à venir (18131). J'aime mieux croire qu'il y a eu deux Abdoulaye Bademba, l'un que le parti des marabouts et les Alphayas opposèrent entre 1776 et 1784 ou même plutôt à Ibrahima Sori le Grand, et un autre que nous voyons apparaître après Yaya, Ali Bilma (1797) et Alpha Salihou. C'est en 1805 que ce second Ba Demba devint almamy et nous savons par Gordon Laing qu'il attaqua Falaba en vain en 1805. Ce fut celui-ci qui fut vaincu et détrôné par Abd-el-Kader en 1813. Du reste, il n'y a pas d'impossibilité absolue à ce qu'il n'y ait eu qu'un seul Abdoulaye Bademba, almamy du parti Alphaya, de 1776 à 1813 (pendant 37 ans) mais cela me semble peu probable. Là encore, les renseignements de Bayol ont dû être très synthéthisés et comprimés par ses interlocuteurs, comme le récit des guerres entre les Peuls et la coalition, qui eurent lieu en réalité de 1750 à 1776 et que notre auteur fait, sur la foi de ses interlocuteurs, tenir en deux batailles très rapprochées.

Il est vrai qu'ensuite les renseignements de Bayol deviennent précieux pour la période peu connue qui va de la mort d'Abd-el-Kader (vers 1825) à l'avènement de l'almamy Omar (1837).

« Almamy Abdoul Gadiri, dit-il, mourut de maladie à Timbo après un règne peu tourmenté 15. Il fut remplacé par son frère Almamy Yaya. Almamy Abdoulaye avait eu pour successeur Almamy Boubakar 16. Le règne d'Almamy Yaya ne fut pas important. Il mourut de maladie à Timbo 17 et eut pour successeur Almamy Hamadou, fils de Modi Hamidou. Modi Hamidou était fils d'Almamy Sory Maoudo et par conséquent, le frère d'AImamy Yaya. « Almamy Hamadou n'est resté au pouvoir que pendant trois mois et trois jours. Sa nomination avait eu lieu par surprise et dans un grand et violent palabre, les habitants décidèrent que Modi Hamidou n'ayant pas été almamy, son fils ne pouvait l'être d'après les coutumes des Peuhls. Ils sommèrent almamy Hamidou 18 de quitter le pouvoir. Celui-ci refusa, s'échappa de la capitale, et s'enfuit dans la direction de Sokotoro; rejoint par ses ennemis au delà de Saréboval, il fut massacré sur les rives du Tiangol-Fella, marigot qui coule au pied du monticule où se trouve le village de Donhol-Fella.

« Almamy Oumarou, fils d'almamy Abdoul Gadiri, un des chefs les plus aimés du Fouta, et qui, depuis plusieurs années, s'était fait connaître par sa bravoure contre les infidèles et sa haine contre les Alfaïas, fut appelé au pouvoir comme chef des Sourias.

« Oumarou ne prit en réalité le pouvoir qu'à la mort d'almamy Boubakar, qui arriva inopinément. Ses partisans avaient caché sa maladie, mais le soir même du décès, il (Oumarou) faisait son entrée dans la capitale et conviait son cousin, Ibrahima Sori 19 fils de Boubakar, à une réconciliation complète. Il convint de lui céder le pouvoir au bout de trois années. Ibrahima Sori prit le titre d'almamy et se retira au village de Dara, dans le voisinage de Timbo. C'est sous le règne d'almamy Boubakar que le territoire de Dinguiray fut cédé à El Hadj-Omar et appartint désormais à la famille du prophète Toucouleur. D'après M. Lambert, El Hadj Omar aurait réussi à détacher du trône national … un parti de Foulahs ou Peuhls, connus sous le nom de Houbous qui, à la voix du faux prophète, auraient attaqué Timbo en 1859. C'est un marabout vénéré, Modi-Mamadou-Djoué qui a formé ce parti hostile aux habitants de Timbo et non le fameux guerrier toucouleur. Cette histoire des Obous ou mieux Houbbous est intimement liée au règne de l'almamy Omar et de l'almamy Alphaya Ibrahima Sory (Ibrahima Sory II) 20...

Modi Mamadou Djouhe

« Au début du règne de l'almamy Oumarou,un chef appelé Modi Mamadou Djouhe qui habitait à Laminia, dans le diiwal 21 de Fodé-Hadji, vint à Podor et fut ensuite dans le Gannar (Fouta-Toro) sur la rive droite du Sénégal, où un chef maure fit de lui un marabout fervent et instruit. Il revint sept ans après au Fouta, se retira dans sa maison de Lamima et commença à prêcher. Sa réputation ne tarda pas à se répandre : on vint de tous les points du Fouta-Djallon voir cet homme vénéré et lui demander des prières. Les chefs lui confièrent leurs fils. Alfa Ibrahima, frère de l'almamy Oumarou, aujourd'hui almamy des Peuls 22 sous le nom d'lbrahima Sory, vint quelque temps auprès de Modi Mamadou et fut un de ses talibés favoris. Le village de Laminia acquit de l'importance; les élèves et les admirateurs de Modi Djoué prirent le nom de Houbbous (Houbbou rasoul Allai: quelqu'un qui aime bien Dieu).
« Une querelle insignifiante donna occasion à ce chef religieux de compter ses partisans et de s'ériger en chef politique indépendant de l'almamy de Timbo.
« Au sud de Fello-Koumta existe une région montagneuse d'un abord diflicile et qui s'étend à plusieurs journées de marche dans la direction de Falaba 23. De nombreux villages peuhls amis de Modi Mamadou étaient cachés dans les montagnes. Ils considéraient le pays comme leur appartenant. Cheikou-Sery, fils du chef de Baïlo et son ami Mamadou Salifou vinrent à cette époque élever un roundé (maison de campagne) dans ces montagnes et firent des plantations de manioc. Des élèves de Modi Mamadou dévastèrent les champs, coupèrent le manioc et répondirent par des insolences, que le latin seul permettrait de rendre, aux justes observations de Cheikou Séry. La querelle dégénéra en bataille et un esclave fut assommé à coups de bâton.
&laquo ;Le chef de Baïlo envoya une députation à l'almamy Oumarou l'informer des troubles qui venaient d'avoir lieu. Celui-ci ne voulut pas trancher le différend, il désigna deux hommes qui furent, avec ceux de Bailo, trouver Modi Mamadou Djoué qui devait, en sa qualité de marabout, prononcer le jugement. Le chef des Houbbous reçut les envoyés de l'almamy Omar entouré de ses talibés. Il fit un discours sur la religion qui arracha des larmes à toute l'assistance et se termina ainsi : « Mes talibés appartiennent à Dieu et à moi; ils ne doivent rien à l'almamy. »
« Les envoyés sortirent de la salle du conseil en laissant tomber ce mot de Modji ! C'est bon ! que ces peuples emploient toujours à la fin d'un palabre. C'était la guerre. Le tabala (tambour de guerre) retentit dans les provinces de Timbo et de Fougoumba, et, quand les Peuls furent réunis, l'almamy Oumarou leur dit que les Houbbous étaient trop puissants, qu'ils voulaient se mettre au-dessus des lois et qu'il fallait les combattre.

« Le conseil refusa, à l'unanimité, de donner des soldats à l'almamy :
— « C'est ta politique qui a fait les Houbbous puissants. Ce sont nos parents ou nos amis et non des rebelles. »
— « Vous avez le droit de refuser, répondit Oumar, mais vous ne sauriez m'empêcher d'aller les combattre avec mes propres ressources; j'armerai tous mes esclaves et je les conduirai à la victoire. »
Les anciens de Timbo envoyèrent un courrier à Modi Djoué le prévenir de l'attaque qui se préparait contre lui et un grand nombre de Peuhls se joignirent à l'almamy, espérant par leur présence hâter la conclusion de la paix.
« Après plusieurs rencontres avantageuses pour l'almamy, les anciens le prièrent de cesser une guerre sacrilège puisque c'étaient des musulmans Peuhls qui combattaient les uns contre les autres. L'almamy se soumit, mais à regret, à l'avis de ses conseillers et retourna à Timbo. Il fit appeler son cousin almamy Ibrahima Sory qui était à Dara et lui dit : "Les Peuhls viennent de laisser se créer un troisième almamy : c'est le chef des Houbbous Modi Djoué. Devons-nous laisser amoindrir notre prestige? »
« Les deux almamys convinrent de faire de concert une nouvelle campagne à la fin de l'hivernage, mais ils furent devancés par les Houbbous, qui avaient recruté de nombreux partisans. Ces derniers détruisirent un village voisin de Baïlo, mais leur armée échoua à l'attaque du village de Malako, non loin de Donhol-Fella. Almamy Omar et Ibrahima-Sori arrivèrent sur ces entrefaites avec des renforts, livrèrent une bataille désastreuse à Modi Djoué sur les bords du marigot de Mongo, affluent du Tinguisso, et furent obligés de battre en retraite, poursuivis par les Houbbous qui saccagèrent Timbo. Oumarou 24 se retira dans le diwa1 de Koin et Sory se réfugia au Labé 25.
« Bademba, frère de Sory, réunit plus de six cents guerriers du Labé et se dirigea sur Timbo qui était resté sans défenseurs. Sa population se composait de femmes et d'enfants. Les Houbbous occuperent tous les villages situés dans les environs de Donhol-Fella où ils s'étaient retranchés.
« Bademba envoya le chef de ses esclaves annoncer à Modi Djoué et à tous les Houbbous qu'il les considérait comme ses captifs et que lui, Bademba, était leur maitre. Une bataille sanglante eut lieu à Koumi: 2.400 Houbbous (des Peuhls, des Malinkés, des Dialonkés 26 s'étaient réunis et avaient formé cette armée) luttèrent tout un jour contre les hommes de Bademba et furent obligés de battre honteusement en retraite. Après cette victoire, le chef peuhl écrivit aux deux almamys de revenir a Timbo, "que les Houbbous n'étaient pas 27 à craindre. »
« Ce ne fut que six mois apres que Oumarou et Sory revinrent, l'un de Koïn et l'autre de Labé où ils avaient passé l'hivernage. Ils firent avec succès une expédition contre les Houbboui qu'ils battirent à Consogoya; les femmes assistèrent à la bataille et ramenèrent des prisonniers. Modi Mamadou Djoué gagna avec ses partisans les hautes montagnes qui s'étendent entre le Ba-Fing et le Tinguisso (ou Tinkisso) et mourut quelque temps après. Son fils Mamadou que le Fouta connait sous le nom d'Abal (le Sauvage) devint le chef des rebelles. Oumarou ne tarda pas à venir l'attaquer et le battit complètement sur les bords du Kaba, affluent du Tinguisso.
« La défaite des Houbbous semblait irrémédiable, quand les soldats de l'almamy l'abandonnèrent, lui reprochant de vouloir anéantir des gens de leur race et de n'agir que par ambition personnelle, sans songer aux intérêts du Fouta-Djallon 28. Resté seul avec ses captifs, Oumarou eut à supporter une attaque d'Abal et, ne se trouvant plus en force, il se replia du côté de Socotoro, accompagné par son frère Alfa Ibrahima, l'almamy actuel 29.
« Les Peuhls avaient vu d'un mauvais oeil la guerre contre les Houbbous et les deux almamys en sortirent amoindris dans leur influence et leur prestige. Oumarou était trop fin politique pour ne pas essayer de reconquérir sa popularité et de refaire sa fortune entamée par les dépenses de ses dernières expéditions. Il déclara qu'il voulait augmenter le territoire peuhl du côté du Comba (Rio-Grande) et combattre les populations fétichistes du N'Gabou. Il laissa Alfa Ibrahima comme gardien du pays et le fit reconnaître comme son successeur. Ses fils, Mamadou Paté et Bou-Bakar-Biro l'accompagnaient dans son expedition. Oumar détruisit le village de Kamsala, coupa la tête au chef et parcourut en vainqueur tout le territoire de Koli. Cette campagne, qui dura deux ans, cessa par la mort de l'almamy Oumar qui survint en 1872. Le chef peuhl s'éteignit a Dombi-Hadji, dans le N'Gabou, des suites d'une maladie chronique pour laquelle ses médecins lui avaient fait faire usage des eaux thermales du village de Kadé.
« Alfa Ibrahima fut proclamé almamy sous le nom d'Ibrahima Sory 30. La nouvelle de la mort d'Oumar s'etait répandue dans tout le Fouta-Djallon avec une étonnante rapidité. Les regrets sincères des Peuhls prouvèrent en quelle estime ils tenaient le chef qui venait de disparaitre. C'est sous le règne de ce prince que les deux explorateurs Hecquard et M. Lambert visitèrent le Fouta-Djallon 31.
« Ils furent accueillis par lui avec la plus grande bienveillance tandis qu'ils trouvèrent une sorte d'antipathie aupres du chef alphaya Ibrahima Sory. Ils en conclurent l'un et l'autre que les Sourias étaient nos amis et les Alphayas nos ennemis. Les deux partis sont nos alliés et le resteront tant que nous ne chercherons pas à occuper le Fouta-Djallon 32. C'est un sentiment de jalousie contre Oumar qui a fait d'Ibrahima Sory un ennemi pour Hecquard et M. Lambert.
« Les deux chefs du Fouta s'appelant (alors) tous les deux Ibrahima Sory, on disait Sory-Donhol-Fella pour désigner le chef des Souria, successeur de Oumar et Sori-Dara quand on parlait du chef alphaya.
« Pendant la campagne d'Oumar sur les bords du Rio-Grande, Sori-Dara était resté a Timbo sans songer à faire la guerre aux Houbbous.
« A l'annonce de sa mort 33, il crut le moment favorable pour appeler le Fouta-Djallon à entreprendre une nouvelle expédition contre des gens qu'il considérait comme des rebelles. Ayant réuni un contingent assez fort, il se rendit à Baïlo, ensuite à Firia, dans le pays des Dialonkés, cherchant inutilement les Houbbous, qui, prévenus par des espions, s'étaient dirigés vers les montagnes de Coumtat, non loin de Donhol. Il finit par les rencontrer au village de Boquetto (ou Boketto) résidence d'Abal 34.
« Voici le récit de ce combat d'après Mamadou Saidou « La bataille commença à 4 heures du soir un samedi et continua jusqu'au dimanche. A 4 heures du soir, le dimanche, Abal fit tuer Sori-Dara sur les bords d'un petit ruisseau appelé Mongodi. Sori, abandonné par ses hommes, n'avait pas voulu s'enfuir; il s'assit sur les bords du marigot et un homme d'Abal le trouvant là, le frappa d'un coup de sabre à l'avant-bras droit. Cet homme, nommé Coumba, appelait à son aide, tout en frappant: "Venez, criait-il, venez, je tiens l'almamy! » Il donna un dernier coup de sabre sur l'épaule du chef peuhl et celui-ci ne bougea pas. Un enfant, entendant les cris, était allé prevenir Abal. Après avoir inutilement frappé l'almamy, Comba courut après les Peuhls qui fuyaient et coupa le cou à un grand nombre.
« Abal arriva sur ces entrefaites. Il vient dire bonjour à Almamy Ibrahima. Almamy lui dit bonjour.
— « Viens dans le tata, enceinte du village, je vais te faire soigner, ajouta Abal.
Almamy répondit :
— « Non, je ne bouge pas de place, ni pour aller à Timbo, ni pour entrer dans ton tata. A la fin du monde, on me trouvera ici. Tue moi. »
Abal lui dit:
— « Tu ne veux pas venir? »
— Almamy dit : « Non! »
Aux renseignements que le chef Houbbou cherche à obtenir de l'almamy vaincu, celui-ci répond:
— « Si tu étais mon prisonnier, je ne te demanderais rien. Tu n'as rien à me demander ! »
« Abal est parti pour retourner dans son village en disant aux gens qui étaient avec lui de rester et de tuer l'almamy. Ces hommes l'ont tué à coups de baton, parce qu'un grand marabout comme Ibrahima Sory est invulnérable par le sabre, la balle et le fer, il faut l'assommer pour en venir à bout, il a la peau trop dure. Une fois mort, on lui a coupé la tête. Mamadou, fils d'almamy Sory Dara, est retourné sur le champ de bataille où il avait laissé son père. Il est descendu de cheval, puis est resté immobile. Les hommes d'Abal l'ont tué à coups de sabre. Un autre de ses fils, Ba-Pate, est venu également se faire massacrer sur le corps de l'almamy, ainsi que ses deux frères, Sadou et Aliou, puis quarante cinq guerriers peuhls 35 sont venus l'un après l'autre se faire tuer escortés de leurs griots qui chantaient leurs louanges et les encourageaient à mourir avec leur roi. C'est Bay, Toucouleur du Bondou, griot devoué à l'almamy qui, par son chant enthousiaste, avait fait revenir tous ces hommes qui fuyaient. Il fut massacré à son tour. Un autre chanteur reçut trois coups de sabre et trois balles: il a survécu. Seul, le plus jeune des chanteurs, appelé Hamadou, dut à sa grâce et à sa bonne mine d'être épargné. Il fut emmené par les Houbbous et plus tard, Abal en fit cadeau à Almamy Ibrahima, le chef des Sourias. La tête de Sory Dara fut exposée sur la porte de la maison d'Abal 36.
« Quand le bruit de ce désastre parvint à Timbo, les Alphayas proclamèrent Mamadou, second fils de Bou-Bakar almamy. Celui-ci, depuis son avènement au pouvoir, n'a jamais songé à venger son frère. Je crois devoir ajouter que le chef alphaya est peu influent. Almamy Ibrahima Sory 37 que son titre d'ancien talibé de Mamadou Djoué père d'Abal, a rendu favorable à celui-ci, ne permettrait sans doute pas cette expédition.
« Les Houbbous ne sont pas nombreux. Abal, qui n'a que 43 ans 38 sera remplacé par son frère Sory. Bien qu'ils habitent un pays d'une défense facile, je les crois appelés à dispara&icir;tre ou, mieux, à se mêler de nouveau à leurs frères du Fouta-Djallon, si Fodé Darami, poursuivant ses succès du côté du Kouranko et de Falaba, leur fermait la route de Mellacoree et de Sierra-Leone où ils vont acheter des fusils et de la poudre » (page 112).

Nous verrons plus loin ce qu'il en advint des Houbbous et comment leur chef Abal fut vaincu, tué et coupé en morceaux par Samory en 1896 — ce qui n'empêche pas les Houbbous d'exister toujours 39. Ajoutons, pour en finir avec le Dr Bayol, que celui-ci ajoute à son histoire du Fouta-Djallon une description de la constitution politique du pays (p 113). Il ajoute aussi des renseignements intéressants sur les villages du pays (p. 114), sur la culture, l'élevage, la flore, la faune, le lieu physique (p. 115). Quelques considérations politiques sur l'avenir du Fouta complètent le tout (p. 116 à 118).
Comme on le voit, Bayol donne des détails intéressants sur l'histoire du Fouta-Djallon. Il connait fort mal, il est vrai, le XVIIIè siècle peuhl, par des légendes abrégées et synthétisées à l'excès, substituées au récit des faits réels, mais à partir de 1859, ses notations sont intéressantes. Donnons maintenant le tableau chronologique de l'histoire peuhle d'après Laing, René Caillié, Hecquard, Lambert, Noirot, et Bayol:

Séri ou Sidi (et aussi Raldi) vers 1694
Mohammadou Saidi, fils de Séri - 1700
Kikala (ou le Moussa-Ba de Gordon Laing) - 1715
Sambigou (son fils) - 1720
Nouhou et Malick-Si 1720-1726
Ibrahima Moussou, dit Karamokho-Alfa ou Alifa-Ba 1726-1751
Ibrahima-Sori-Maoudo 40 (le Grand) 1751-1784
Saadou ou Saada 1784-1791 (?)
Yaya 1792
Ali-Bilmah (règne cinq ans) 1792-1797 (?)
Alfa-Salihou 1797-1805
Abdoulaye Ba-Demba 1805-1813
Abdel-Kader 1813-1825
Yaya (ou Yayaye) 1825-1827
Amidou (ou Hamadou) (règne 3 mois) 41 1827-1828
Boubakar 1827-1837
Omar (Almamy Soria) et Ibrahima-Sori-Dara ou Ibrahima-Sori II (alamy Alphaia) 1837-1872
Ibrahima Sori-Donhol-Fella ou Ibrahima Sori III 1872-1881

Comme on le voit, les contributions de Noirot et de Bayol sont importantes pour l'histoire du Fouta-Djallon. Mais il est dommage que l'on ignore où se trouvent les chroniques Foulahnes rédigées en arabe, ramenées par Bayol.


Notes
1. Ce Raldi n'a pas été nommé jusqu'alors. Quant à Sidi, c'est probablement Séri, père de Mohammadou Saidi. Pour Tombouctou, il faut entendre: qui commandaient dans le Macina d'où venaient nos Peuls.
2. Expression usitée chez les noirs et qui veut dire simplement: beaucoup. Elle ne marque pas autre chose que le superlatif.
3. La véritable arme= des Peuls était la lance et le javelot, mais ils avaient emprunté= des arcs et des flèches aux nègres autochtones.
4. Konde-Birama était, comme nous le savons, le chef des Ouassoulonke, Peuls fétichistes.
5. Ce chef des Peuls était= le chef des guerriers et non pas Karamokho Alpha, grand marabout des Peuls, qui parvint à se sauver, mais qui devint fou.
6. Comme on le voit, Bayol= ignore les sources anglaises de l'histoire du Fouta, Gordon Laing entre autres, dont il aurait pu se servir avec fruit.
7. Le Massina est situé en réalité sur les deux rives du Niger et même le petit canton du Massina proprement dit est sur la rive gauche du Niger entre le lac Débo au nord et le Diaka au sud. De plus, le Massina, pris dans toute son extension du sud au nord, ne touche ni à Segou au Sud, ni à Tombouctou au Nord.
8. Le culte des troupeaux dont parle ici Bayol est cette boolâtrie (ou culte du boeuf) qui m'a été signalée en 1913 à Nialonké comme encore existante dans le Ferlo sénégalais par un lieutenant français qui était tombé par hasard dans la brousse sur une scène de culte boolâtrique. Avant d'être musulmanisés, les Peuls avaient le culte religieux du boeuf.
9. Il peut se faire que des Peuls soient descendus du Fouta sénégalais sur le Fouta-Djallon mais faisons attention que le marabout Abd-el-Kader du Fouta-Toro a pris le pouvoir en 1773-1774 seulement et est mort vers 1809. C'est donc, non au commencement, mais à la fin du XIIIè siècle que des Peuls du Ferlo (Fouta sénégalais) seraient venus renforcer les Peuls du Massina venus un siècle plus tôt.
10. Ce Modi-Maka, Noirot en parle plus haut. C'était le membre du Conseil des Anciens de Foukoumba qui, en 1751, fit choisir Ibrahima Sori pour chef des armées peuhles. C'était un bon choix, mais pas pour le conseil même des anciens de Foukoumba.
11. C'est-à-dire devait appartenir plus tard Ahmadou Lobbo (1816).
12. Karamakho ne veut pas dire l'illustre, comme le dit ici Bayol, il veut dire exactement maitre d'école et par extension lettré, savant, etc. Karamokho Alfa est donc le savant Alfa ou Alfa le Savant (de son vrai nom Ibrahima Moussou).
13. En fait, on ne put pas parler ici de la fondation de Timbo. Ce fut sans doute, d'abord un gros village Diallonké s'appelant Gongovi, mais ce devint ensuite un etablissement peuhl, puisque Gordon Laing dit qu'en 1763, les Ouassoulonké et les Diallonké du Soliman, coalisés, brulèrent Timbo. Ils n'auraient pas brûlé un village Diallonké. Donc, Timbo, dès 1763, était un gros village peuhl. Mais ce fut Ibrahima Sori le Grand qui, après le massacre d'une partie des marabouts de Foukoumba, transporta la capitale du Fouta Djallon de Foukoumba à Timbo. Foukoumba resta la capitale religieuse du pays.
14. Cet évènement aurait besoin d'être confirmé par l'histoire du Boundou même, car les chefs de ce pays étaient sans doute musulmans bien avant 1780. De plus, le Kaarta n'avait pas d'importance à cette époque (1780) mais le Khasso. C'est sans doute avec le Khasso (Koniakari) que Ibrahima Sori le Grand eut des relations plus ou moins hostiles.
15. En réalité, il avait vaincu et tué son prédécesseur Abdoulaye Bademba.
16. Naturellement parmi les Alphayas. C'était l'almamy Alphaya.
17. Caillié, nous l'avons vu, qui passa dans le pays en 1827, rapporte les choses autrement. Abdoul Kader étant mort, ses successeurs se battirent. En 1827, Yayaye (ou Yaya) est déposé et Boubakar le remplace.
18. Bayol appelle cet almamy tantôt Hamadou, tantôt Hamidou. Comme il appelle le père Modi Hamidou, le fils s'appelait sans doute Amidou ou Hamidou plutôt qu'Hamadou ou Amadou.
19. C'est Ibrahima Sori II, dit Ibrahima Sori Dara, du nom de sa capitale Dara, fief des Alphayas.
20. Je passe un certain nombre de considérations inutiles dont Bayol alourdit son récit.
21. Canton ou province.
22. En 1881, c'est Ibrahima Sori III.
23. C'est le Fitaba au nord du cercle actuel de Faranah où les Houbbous vivent toujours. C'est au sud du Fouta-Djallon, dans un région montagneuse qui forme le sud du massif montagneux du Fouta.
24. Je supprime l'éternel almamy dont Bayol fait précéder les noms d'Oumarou et d'Ibrahima Sori II.
25. Ces évènements, inconnus de Hecquard (1861), se passèrent après lui. C'est en 1859, d'après une indication donnée précédemment, que les Houbbous prirent Timbo.
26. Comme on le voit, les Houbbous, sorte de puritains de l'lslam au Fouta-Djallon, avaient la sympathie des autochtones Diallonke, Malinke, asservis ou refoulé par les Peuls.
27. En réalité, n'étaient plus à craindre.
28. Ces soldats etaient les Peuhls libres et riches, ou tout au moins propriétaires (bref, une aristocratie), qui combattaient avec l'almamy. L'attaque par les Houbbous de Timbo (1859) les avait révoltés, mais, quand ils virent les mêmes Houbbous refoulés, punis et réduis à la défensive, ils se souvinrent que c'étaient aussi des Peuhls.
29. Actuel en 1881.
30. Cet Alfa Ibrahima était le frère d'Omar; on peut le désigner sous le nom d'lbrahima Sori III
31. Hecquard en 1851, Lambert en 1863.
32. Nous cherchâmes toujours à l'occuper en réalité et en 1896, c'est un fils du grand almamy Omar, à savoir Bou-Bakar-Biro, donc un Soria, que nous trouvâmes devant nous. Il fut vaincu et tué par une colonne française à Porédaka, en 1896.
33. Il s'agit de la mort d'Oumar.
34. Boketto est la capitale du Fitaba, province habitée par les Houbbous dans la montagne, dans le nord du cercle actuel de Faranah.
35. Des gens de la haute aristocratie peuhle évidemment.
36. Ainsi mourut Ibrahima Sory Dara ou Ibrahima Sori II qui de 1837 à 1872 fut le rival du grand Omar. Quant à Ibrahima-Sori-Donhol-Fella, frère puiné d'Omar, qui prend le pouvoir du côté des Soria, après la mort de son eminent frère et prédecesseur, on peut le désigner sous le nom d'lbrahima Sori III.
37. Bayol écrit: Ibrahima-Lory avec un L, mais c'est évidemment une faute d'impression non corrigée.
38. En 1881, Abal était donc né en 1838.
39. Je les ai vus moi-même en 1907 quand je commandais le cercle de Faranah. Ils constituent le canton du Fitaba et ont toujours un chef à eux.
40. La variante de Bayol pour ces eloignés serait:

Séri et Sédi vers 1694
Sanbégou, fils de Sédi vers 1700
Madi vers 1710
Alpha Kikala vers 1720
Nouhou et Malick-Si vers 1730

41. René Caillié, qui passa dans le pays en 1827, connait Abd-el-Kader qui vient de mourir et Yaya qu'il appelle Yayaye, mais non cet Amidou ou Ahamadou dont Bayol parle, p.106. Je mets donc Amidou approximativement en 1827-1828, parce qu'il a pu régner à la fin de 1827 ou au commencement de 1828, après le passage de René Caillié.

nano dow nyaamo