Décès de l'Almamy Ibrahima Sory Mawɗo à Labé
A la suite du décès à Timbo de Modi Mamadou Dian, chef du diiwal de Labé, en 1784, un deuil national fut décrété. De ce fait, il était du devoir du chef suprême du Fouta, de se rendre à Labé, pour présenter ses condoléances et celles du gouvernement central, à la famille du défunt. Après l'accomplissement de ce devoir, l'Almamy fut frappé d'une grave maladie qui l'emporta dans les sept jours de son arrivée. Le deuil était épouvantable et la population de Labé lui fit des funérailles grandioses. Le sort voulut qu'il soit enterré à l'endroit que Modi Mamadou Dian lui avait désigné, en échange du sien à Timbo.
A la sortie de la mosquée, le fils de Sory Mawdho, Thierno Sadou, fut chaleureusement acclamé par l'ensemble des fidèles présents. Modi Abdoulaye qui assurait l'intérim du chef de diiwal, lui plaça aussitôt le turban sur la tête, concrétisant ainsi la décision prise unilatéralement par Sâdou qui devint le quatrième Almamy du Fouta-Djallon.
Le pays ignorait cette désignation d'office et Modi Abdoulaye se dépêcha d'adresser une convocation à tous les chefs des diiwe pour une rencontre à Fougoumba. Lorsque l'assemblée fut réunie, Modi Abdoulaye exposa ce qui s'était passé et demanda la ratification de l'acte fait à Labé. L'assemblée fut d'accord, à l'exception toutefois d'Alfa Ousmane chef du Fougoumba, qui déclara ne pouvoir approuver honnêtement un acte qui était en violation de la constitution du pays. Il reprocha au chef du diiwal de Labé d'avoir empiété sur ses prérogatives qui lui donnait, à lui seul, le devoir de couronner un Almamy. Chaque chef de diiwal, consulté individuellement, fit la déclaration suivante :
— « Mi nanii, mi jabhii » (j'ai entendu et j'ai accepté).
Alfa Ousmane éleva une protestation véhémente, mais l'assemblée n'en tient aucun compte. Almamy Sâdou reprit donc la route de Timbo pour s'installer sur son trône.
Alfa Saliou, premier fils de Karamoko Alfa, qui ne s'était pas rendu à Fougoumba, pensant qu'il allait être convoqué pour son couronnement, ne put encaisser cette fourberie. Il alla trouver Almamy Sâdou et lui dit :
— « Tu m'as pris l'héritage de mon père, car, c'est lui, et non le tien, que le Fouta a nommé Almamy. Ton père n'a été couronné que parce que j'étais jeune. Maintenant, j'ai la majorité et je ne puis admettre d'être ainsi frustré de mon droit. »
Almamy Sâdou lui répondit :
— « Tu acceptes ou non, peu m'importe. Les services que mon père a rendu au Fouta lui ont valu la place qu'il a occupée, par deux fois, comme Almamy. Les droits de ton père ont été éteints dans ta personne lorsque le Fouta, après t'avoir nommé, t'a révoqué. Fais ce que tu veux, je serai toujours Almamy malgré toi. »
A partir de ce moment, la situation entre les deux devint explosive. Alfa Saliou et ses parents réclamèrent en vain le pouvoir. Almamy Sadou refusa toute négociation et resta sur le trône pendant cinq ans (1784 à 1791)
Alfa Ousmane de Fougoumba, vexé lui aussi de ce qui s'était passé, garda rancune à Almamy Sâdou. Il prépara avec Alfa Saliou un complot contre lui.
Des discussions très chaudes s'engagèrent entre les fractions : Soriya et Alfaya. Les Alfaya prétendirent être seuls héritiers du trône, soutenant que l'Almamy Ibrahima Sory n'était pas un cousin de Karamoko Alfa, mais simplement un de ses disciples, un étranger.
Assassinat de l'Almamy Sadou
Ils rassemblèrent des troupes de sofas et de proches parents pour déloger Almamy Sadou de la case royale. Une bataille acharnée s'engagea entre eux. De chaque côté, les pertes en hommes furent importantes, Almamy Sadou fût tué à coups de sabre, sur ordre d'Alfa Saliou. Ce fut le nommé Mardiougou qui assura cette affreuse mission. Il surprit l'Almamy sur sa peau de prière. Quand il leva son sabre pour le porter sur l'Almamy, celui-ci leva la main. Modi Hamidou Bamba qui était présent lui dit :
— « Tu avais dit que tu es sans peur. »
Almamy Sadou répondit :
— « Oui Sadou est sans peur, il a l'habitude des chefs. Seulement tout ce qui s'attaque au corps, la main s'interpose pour le retenir. »
Mardiougou le frappa de plusieurs coups de sabre jusqu'à sa mort et lui trancha la main droite. Alfa Saliou s'approcha alors du corps, prononça la shahâdât et dit :
— « Les questions de gloire, elles sont redoutables ! Cette main tranchée d'Almamy Sâdou, je témoigne qu'elle n'a jamais utilisé le sable pour les ablutions, qu'elle a recopié de mémoire sept corans et qu'elle ne s'est jamais posée sur la femme d'autrui. Ce sont les questions de pouvoir qui ont causé la mort de l'Almamy Sâdou. Puisse Dieu, le souverain, chasser définitivement le pouvoir de ma maison et de la sienne. »
C'est alors qu'Alfa Saliou dont la haine a été attisée par Alfa Ousmane de Fougoumba et quelques conjurés, vint, avec la main tranchée de l'Almamy, trouver les vieux comploteurs rassemblés dans la cour de la mosquée de Timbo et, la mettant devant eux, déclara :
— « Voyez votre oeuvre, l'œuvre de vos lâches conseils et vos intrigues, vieillards dont le dehors est propre, mais dont le coeur est sale. Regardez cette main, c'est vous, vieillards, qui la lui serriez en l'appelant Almamy, qui avez comploté pour le tuer, comme vous comploterez pour me supprimer moi aussi. »
Alfa Saliou jura qu'il refusait le trône qui lui revenait et rentra définitivement à Dara, son village de culture.
Depuis cette date, aucun de ses descendants n'a plus été choisi comme Almamy du Fouta. Il en fût de même pour la famille d'Almamy Sâdou, jusqu'en 1897, date à laquelle l'un de ses arrières-petits-fils, Sory Yilili, fût nommé à ce poste par les Français qui avaient occupé le pays.
Almamy Sâdou était un homme très courageux et sans peur. En effet, pendant sa jeunesse, ses camarades voulurent le mettre à l'épreuve. Ils tuèrent un gros serpent qu ils placèrent, la nuit, à la mosquée, à la place où il avait l'habitude de faire sa prière. Lorsqu'il vint assister à l'office de l'aube, il entreprit l'exécution d'une prière. Lors de sa prosternation a terre, son front heurta le serpent. Croyant à un danger, il interrompit la prière et sortit un couteau de sa poche qu'il enfonça par deux fois sur le reptile mort, et y laissa le couteau. Il continua à prier et, à la fin, sortit de la mosquée sans rien dire. Au lever du jour, ses camarades revinrent sur les lieux et trouvèrent le couteau enfoncé sur le reptile qui avait reçu deux coups. Ils conclurent que Sâdou était sans peur.
Dès que l'Almamy Sâdou usurpa le pouvoir, il nomma Abdoulaye, fils de Modi Mamadou Dian, comme chef du diiwal de Labé en remplacement du défunt. Modi Abdoulaye devint ainsi deuxième chef soriya dans
cette catégorie. (Thierno
Mamadou Bah)
Sources
1. Thierno Mamadou Bah
2. Thierno Diallo
3. Louis Tauxier
4. Joseph Harris