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Histoire


Louis Tauxier
Histoire des Peuls du Fouta-Djallon

Payot, Paris, 1937

nano dow nyaamo

Chapitre III
Les Sources et les Renseignements de 1890 à 1905

Maintenant, reprenons l'histoire des explorateurs du Fouta-Djallon et parlons de Claudius Madrolle qui vit le pays en 1893 et publia son gros ouvrage : En Guinée en 1895. Il a donné (p. 295 à 320) une histoire du Fouta-Djallon, en grande partie empruntée à ses prédécesseurs Bayol, Noirot, etc. Du reste, il débute par une erreur énorme (qui vient de ce qu'il n'a pas lu Gordon Laing, pas plus que ses prédecesseurs, du reste). Il place, en effet, en 1775 seulement, la guerre sainte des Peuhls contre les infidèles du Fouta-Djallon. La vraie date, nous le savons, se trouve vers 1725. Puis, quittant Bayol, il fait l'histoire des Peuhls jusqu'à la rencontre décisive de 1776 (qu'il place, lui, en 1780). Accumulant les erreurs, il place la mort d'Ibrahima Sori le Grand en 1813 (alors qu'il faut la placer approximativement vers 1784). Il ignore complètement Saadou, Yaya (ou Yaga), Ali-Bilmah et Alpha Salihou (qui vont en bloc de 1784 à 1805 approximativement) et il passe tout de suite à Abdoulaye Bademba qu'il place de 1813 à 1819 (et qui est de 1805 à 1813, approximativement). Il dit qu'Abdoulaye Bademba tua l'almamy des Soria à Timbo (1813) et qu'Abd-elKader le tua à son tour en 1819 et régna de 1819 à 1830. Or, ces dates sont évidemment fausses puisque quand René Caillié passa en 1827 dans le Fouta-Djallon, Abd-el-Kader était mort et Yayaye même fut déposé pendant que notre voyageur était dans le Fouta et alors Boubakar le remplaça.

A partir de cette époque, et avec l'aide de Hecquard, Madrolle est sur un terrain plus solide. Si Boubakar a commencé à régner en 1827 (et non en 1830 comme il le dit) il semble bien être mort en 1837 comme Madrolle l'affirme et comme nous l'avons déjà vu nous-même.

Madrolle copie ensuite chez Bayol l'histoire d'Amidou ou Ahmadou qui fut tué après un règne de trois mois et trois jours. Il passe ensuite au grand almamy Omar. Il donne l'histoire de sa jeunesse d'après Hecquard qu'il copie. Nous reproduisons ce passage que nous n'avons pas donné plus haut :

“ Encore jeune, dit Madrolle, il dut s'expatrier et se retirer chez l'almamy Sada, roi du Boundou. Dans les fréquents palabres 1 que l'almamy Sada eut avec des Français pendant qu'Omar résidait près de lui, ce dernier apprit à nous connaitre, à admirer notre puissance et à nous aimer 2. Il avait vingt et un ans quand il rentra dans son pays. Son père était mort en lui laissant une fortune assez considérable et que l'almamy Bou-Bakar, alors régnant, n'osa pas confisquer. A peine de retour à Sokotoro, résidence habituelle de sa famille, il attira près de lui la jeunesse du pays qu'il s'attacha par ses générosités. Une des maximes favorites de l'almamy Sada, son maitre en politique, était qu'un chef devait toujours renvoyer les mains pleines ceux qui venaient le voir et l'élève resta fidèle à cette maxime aussi longtemps que dura son riche patrimoine; mais il le dissipa si vite et si complètement qu'un jour, n'ayant plus rien, il retira son coussaye 3 pour l'offrir à un griot qui venait de chanter ses louanges. Cependant, si ses biens étaient partis, il lui restait de nombreux partisans d'autant plus attachés à sa fortune et à sa personne qu'ils avaient appris à le connaitre et savaient parfaitement que, s'il arrivait au pouvoir, il ne les oublierait pas. Dans plusieurs expéditions contre les infidèles, Omar se fit une grande réputation militaire et gagna d'autant plus vite le coeur de ses guerriers qu'il leur abandonnait toujours la plus grande part du butin.
“Enfin l'occasion de mettre à l'épreuve la fidélité de ses partisans se présenta. Un des fils de l'almamy régnant ayant insulté une de ses femmes, il l'étendit mort à ses pieds la première fois qu'il le rencontra sur son passage. Quand la nouvelle de ce meurtre parvint à Timbo, le conseil des anciens, entièrement composé des ennemis de sa famille, fut assemblé pour le juger et le condamna à mort sans qu'il eût voulu comparaitre devant ce tribunal. Sachant le sort qui l'attendait, Omar s'était retiré à Tsain où il avait convoqué ses jeunes amis qu'il compromit à sa cause en leur permettant d'enlever toutes les femmes du parti adverse dont ils avaient envie. Alors l'almamy Bou-Bakar voulut faire exécuter la sentence prononcée contre Omar, mais un de ses hommes, envoyé à cet effet à Tsain, fut arreté, bafoué et ignominieusement châtié. A cette nouvelle, l'almamy, furieux, voulut diriger contre lui une armée assez considérable pour le prendre ou le tuer. Mais des cadeaux faits adroitement à Timbo par Omar, sa générosité proverbiale et la crainte de voir détruire la partie la plus brillante de la jeunesse du pays, parmi laquelle se trouvaient un grand nombre d'alphaias, lui avaient fait des partisans 4 et les anciens consultés refusèrent d'en appeler aux armes pour une querelle personnelle. L'almamy Bou-Bakar ne pouvant, avec ses propres forces, se flatter de prendre Tsain défendu par Omar, dut donc ajourner sa vengeance.
“Alors les jeunes partisans de ce chef habile l'engagèrent à se proclamer almamy et appelèrent à eux tous les hommes qui lui étaient dévoués. Le moment ne semblait pas propre à Omar qui refusa d'abord, mais, craignant qu'on attribuât ce refus a un sentiment de crainte et voyant à ses côtés une armée prête à marcher et bien disposée à combattre, il se résolut bientôt à courir les chances d'une bataille qui, s'il était vaincu, aurait du moins pour résultat de le poser en prétendant.
“Ses partisans une fois réunis, Omar marcha sur Timbo où l'almamy Bou-Bakar avait, de son côté, rassemblé une armée. Les deux adversaires se rencontrèrent sous les murs de cette ville : le combat dura trois jours. Trois fois, Omar pénétra dans Timbo et trois fois, il fut obligé de se retirer. Néanmoins la fortune semblait se prononcer pour lui lorsque sa mère, Nene-Kadiata, arriva dans l'intervalle d'une trêve convenue entre les deux partis pour se donner le temps de faire le salam du vendredi.
“Le premier soin de cette femme héroique fut d'aller trouver son fils, auprès duquel, usant de son autorité maternelle et invoquant la tendresse qu'il lui avait toujours montrée, elle obtint qu'il se soumettrait si l'almamy Bou-Bakar consentait à oublier le passé et à le reconnaitre pour son successeur, puis elle se transporta sous la tente de celui-ci et l'amena à accepter cet engagement en montrant l'avantage qu'avait déja son fils et les malheurs qu'allait entrainer la guerre. Ce traité conclu, Omar désarma, son but atteint, son droit au trône sanctionné, et il n'avait plus qu'à attendre, ce qu'il fit patiemment, mais sans cesser néanmoins d'accroitre le nombre de ses partisans.
“La mort de Bou-Bakar arriva cinq mois après. Quelques soins qu'on eût pris pour cacher la maladie de ce prince, Omar en avait été instruit par les agents qu'il entretenait à Timbo où il rentrait le jour même du décès de son prédécesseur, s'emparait du pouvoir et, chose inouie depuis la mort des premiers almamys, disait prière sur le corps du défunt et conviait les deux partis à une réconciliation qu'il désirait sincèrement. En effet, pour ôter désormais tout motif à la guerre civile, il faisait appeler Ibrahima Sauri, son cousin, successeur désigné avant le combat de Timbo et lui promettait de lui céder la couronne dans quelques années sous la condition qu'ils régneraient alternativement afin d'éviter dans l'avenir les représailles et l'effusion du sang qui amoindrissaient depuis trop longtemps l'influence extérieure du Fouta-Diallo.
“Ibrahima souscrivit à cet arrangement. Trois ans après qu'Omar fût monté sur le trône, ainsi que cela était convenu, son cousin se présenta devant Timbo tandis que l'almamy Omar se retirait sans combattre.” (Hecquard)
“Ibrahima, continue Madrolle (p. 308), esprit faible et orgueilleux, cédant à l'influence de son entourage, profita de la confiance d'Oumarou (Omar) qui n'avait aucune force autour de lui pour chercher à se saisir de sa fortune. Heureusement pour Oumarou, les eaux du Sénegal 5 étaient hautes, les troupes d'Ibrahima ne purent le surprendre. Oumarou eut le temps de gagner Tsain, sa place forte, et d'appeler ses partisans. Six mois après, il battait brahima et rentrait définitivement à Timbo (p. 308).

Madrolle passe ensuite directement à l'envoi par Omar du voyageur Hecquard à Dara pour solliciter la soumission de son rival. Il ignore donc (preuve qu'il n'a pas lu complètement le volume de Hecquard) qu'Ibrahima Sori-Dara avait, à la fin de 1850, formé une colonne contre l'almamy de Timbo et après s'être fait couronner à Foukoumba (19 janvier 1851) s'était fait battre par Omar sous les murs de Timbo (24 janvier). C'est à la suite de cette défaite définitive qu'Omar, comme nous l'avons vu plus haut, envoya Hecquard à Dara. Madrolle donne, copiant Hecquard, un récit circonstancié de l'ambassade.

“Ibrahima, ayant été prévenu de notre arrivée, deux de ses hommes nous introduisirent dans une grande chambre où se trouvaient déjà quelques anciens de son parti, impatients de voir la paix conclue pour rentrer à Timbo et reprendre leur place au conseil et dans les assemblées... Le lendemain, les palabres recommencèrent; comme toujours, Ibrahima se montrait faible et irrésolu” (Hecquard).
Lorsque les marabouts et les vieillards eurent terminé leur harangue, Ibrahima demanda comme condition de sa soumission qu'on lui laissât les provinces du Timbi et du Labé.” Cette prétention était inadmissible, car c'eût été le demembrement de l'Etat et donner à un rebelle les moyens de rassembler une armée et de recommencer la guerre sans que l'almamy pût s'y opposer. Le frère d'Omar repoussa énergiquement de pareilles conditions. Cette première conférence dura fort avant dans la nuit et il fut convenu que nous la reprendrions le lendemain. Effectivement, le soir de ce jour, après une assemblée de trois heures dans la matinée, j'étais de retour à Socotoro où j'eus la satisfaction de rapporter à l'almamy l'heureuse nouvelle qu'Ibrahima était prêt à faire sa soumission sans autre condition que la vie sauve.
“Le vendredi 6 juin 1851, jour de salam, fut choisi pour la renonciation solennelle que devait faire Ibrahima devant le conseil de Timbo. Nous nous étions rendus la veille dans cette ville où Ibrahima qu'on logea près de moi envoya un des siens pour me prévenir de son arrivée et m'inciter à l'aller voir. Il m'interrogea longtemps sur les dispositions dans lesquelles j'avais laissé l'almamy à son égard et me pria d'aller moi-même lui demander à quelle heure il pourrait le recevoir. Je me rendis chez l'almamy qui ordonna d'aller immédiatement chercher son cousin. Quand Ibrahima parut devant lui, il ne lui laissa pas le temps de faire des excuses: lui tendant la main, il le fit asseoir à ses côtes sur sa peau de mouton et lui parla de leur enfance et de leur ancienne amitié, comme si jamais ils ne s'étaient brouillés. Leur conversation dura une heure. Le soir, l'almamy envoya à Ibrahima un magnifique souper.
“Le souverain du Fouta-Diallo, tenant son compétiteur par la main se rendit à la mosquée, accompagné d'une foule immense et des chefs du pays convoqués à cette cérémonie et prêts à se battre en cas de surprise. Le tamsir fit le salam auquel Omar et Ibrahima assistèrent, placés sur la même peau. Lorsque la prière fut terminée, ce dernier, suivi de ses principaux partisans, renonça en présence des Anciens et des Chefs, à toute prétention au trône et jura sur le koran fidélité à l'almamy Omar (Hecquard)...”

Madrolle passe ensuite à l'affaire des Houbbous et reproduit le récit de Bayol. Comme nous l'avons fait nous-même plus haut, nous ne nous appesantirons pas davantage sur ces événements.
C'est en 1873 (un an environ après la mort de Omar) que Madrolle place la campagne d'Ibrahima-Sori-Dara contre les Houbbous et sa mort. Il reproduit du reste, apres le récit de Bayol, celui du Dr Noirot qui est a peu près le même, Bayol et Noirot ayant fait leur mission ensemble et ayant entendu les memes interlocuteurs.

“A la mort d'Oumarou, ajoute Madrolle, son frère Ibrahima Sauri-Donhol-Fella lui succéda. Du côté des Alphayas, Ahmadou, frère d'Ibrahima-Sauri-Dara et troisième fils de Boubakar fut nommé almamy.
“Ce fut sous le règne d'Ibrahima (1872-1889) et d'Ahmadou (1873-1896) que le Fouta-Dialo signa un traité d'amitié avec l'Angleterre puis avec la France 6. Depuis 1888, les Foulahs ont définitivement accepté la suzeraineté nominale de la France, traité qui a été ratifié par le gouvernement et que le Portugal et l'Angleterre ont reconnu valable.
“Le Fouta-Dialo est donc bien, cartographiquement du moins, dans la zone d'influence de la France, en attendant le temps, rapproché il faut l'espérer, ou notre autorité sera représentée, militairement au besoin, pour faire respecter les deux conventions de 1882 et de 1888 et donner au commerce la liberté qui lui est nécessaire.
Bou-Bakar-Biro, du parti des Saurias, a remplacé en 1889 son oncle Ibrahima-Sauri mort à Socotoro. Il a pris le pouvoir de 1890 à 1892 et est encore actuellement à la tête du Fouta-Diallo pour la période de 1894 à 1896 7.
“Dans ces dernières années, la France a envoyé plusieurs missions étudier le Fouta; on peut citer celles de M. de Beckmann (1891) et Alby (1893) vers Timbo, et Madrolle et Baillat (1893) dans le diwal de Labé.” (Madrolle, p. 299 à 314).

Ce que ne dit pas Madrolle ici même, c'est que sous le proconsulat du commandant Galliéni au Soudan, une colonne française envoyée du nord passa par le Fouta-Djallon en 1888. Peu s'en fallut que le choc (qui eut lieu définitivement en 1896) ait eu lieu a cette époque. Du reste, Madrolle relate la chose dans son récit des explorations en Guinée, dans les premières pages de son livre. Voici ce qu'il dit à ce sujet sous les titres : Levasseur, Plat et Audéoud 8, p.31 à 33 :

Levasseur, du Boundou à Labé (1888).
Le sous-lieutenant Levasseur fut détaché de la colonne dirigée par le capitaine Fortin contre Mahmadou Lamine, pour reconnaitre les pays situés depuis le Gaman vers le Fouta-Diallo.
“Cet officier parvint à Labé, mais ne put gagner Timbo, l'almamy du Fouta ne lui ayant pas permis d'entrer dans sa capitale 9.
“Plat, de Kayes à Timbo (1888). - Sur l'initiative du gouverneur du Soudan qui était alors le colonel Galliéni, une mission fut organisée pour être dirigée vers le Fouta-Dialo. La direction de cette expédition fut donnée au capitaine Oberdorf qui prit pour sa mission le sous-lieutenant Plat et le docteur Fras, l'interprete Amadi-Gabi, huit tirailleurs pour l'escorte et vingt-trois conducteurs avec 5 chevaux, 5 mulets et 30 ânes.
“Le but de ce voyage était de reconnaitre la route depuis Kayes vers les rivières du sud en passant par Dinguiraye et Timbo.
“Dès les premières marches, le capitaine Oberdorf tomba malade, et mourut à peu de temps de là (9 janvier) près du village de Tombe, laissant la direction de la mission au sous-lieutenant Plat.
“Cet officier atteignit Dinguiraye et Timbo où, après bien des palabres avec l'almamy du Fouta, ce chef convint de placer son pays sous le protectorat de la France.”
Madrolle, qui écrivait en 1895, met en note:
“De ce traité, la France n'a encore rien recueilli. Les Français qui se rendent au Fouta-Dialo sont toujours aussi mal reçus et cela malgré les 10.000 francs de rente que la colonie de la Guinée Française donne à l'almamy. Cette subvention, qui, du reste, est le plus souvent apportée à Timbo, fait dire par les indigènes que la France est sujette du Fouta.” Après cette note, Madrolle reprend son récit et cite le lieutenant Plat:
“Le texte du traité, en français et en arabe, soigneusement relu, nous nous apprêtions à partir lorsque deux hommes du Dinguiraye nous apportent soudain un courrier, le courrier du colonel attendu depuis si longtemps. Avec une émotion profonde, une joie fébrile, nous décachetons, dévorons les lettres. Cette coincidence nous semble de bon augure. On me hisse sur un cheval et nous partons pour les derniers palabres.
“Cependant, après la lecture du traité, dont chaque article est longuement expliqué et commenté, tout ne se passe pas sans encombres. L'almamy croit de son devoir de résister devant le public et, pendant une grande heure, c'est une lutte émouvante contre de misérables objections; puis il renvoie la signature au lendemain matin: les esprits malins volent dans l'air la nuit et viennent souffler et ternir les lunettes, objecte-t-il.
“A 4 heures du matin, une reprise d'hématurie me replongeait dans les misères d'une fièvre assez violente pour inspirer de l'inquiétude au docteur, mais le traité de protectorat de la France sur le Fouta-Dialo était signé en séance publique le vendredi 30 mars 1888.” (Plat, Tour du Monde, XIL, I, 537è livraison).

Ce traité, remarquons-le, était le second traité de protectorat imposé au Fouta-Djallon, le premier étant de 1881 (Mission Bayol-Noirot), mais les Peuls répugnaient invinciblement à appliquer les clauses de ces traités et ils étaient pour eux comme nuls et non avenus. Aussi, le colonel Galliéni, partisan de la manière forte, envoie une mission,avec 100 tirailleurs cette fois, appuyer le lieutenant Plat. C'est ce que Madrolle nous explique en ces termes (P. 32):

“ Audéoud, de Siguiri au Fouta (1888). - L'année 1888 fut féconde en explorations : tandis que le lieutenant Plat cherchait à Timbo à placer le Fouta-Dialo sous le protectorat de la France, le capitaine Audéoud, avec toute sa compagnie de tirailleurs, quittait Siguiri le 25 mars 1888 10 pour s'assurer que les lieutenants Plat et Levasseur étaient bien traités dans les pays habités par les Mandingues et les Foulahs.
“Cette compagnie de tirailleurs sénégalais, forte de 100 indigènes, du lieutenant Radisson et du sous-lieutenant sénégalais Toumané Aïsa, franchit le Tinkisso, et pénètre dans le Fouta où elle fut reçue avec une certaine crainte mêlée de respect.
“ Un retard de porteurs nous retient encore au campement 11 pour la matinée. Cela nous vaut le coup d'oeil curieux du défilé de la colonne de l'almamy.
“ Auparavant, Demba est venu trouver mystérieusement le capitaine et, l'obligeant à s'écarter, lui a, plus mystérieusement encore, donné une espèce de plaque en or. C'est le remerciement du cadeau d'hier : 300 francs en gourdes (pièces de 5 fr.) renfermées dans un petit coffret en orfèvrerie et deux boubous en soie brodés d'or remis à l'almamy par ordre du colonel 12.
“Un détachement d'esclaves est parti avant-hier et a préparé la route que l'almamy doit suivre, faisant des ponts sur les torrents, pratiquant des tranchées dans les forêts.
“ II est neuf heures : voici d'abord les deux fils d'Ibrahima, précédés d'une espèce de bannière et d'un choeur de griots. Cent mètres plus loin et à cent mètres les uns des autres, les groupes de chaque chef à cheval, entouré de guerriers et de captifs, et precédé de griots chantant ses louanges.
“ Les armées françaises devaient marcher comme cela au temps de la féodalité lorsque le roy convoquait ses vassaux. Les chefs sont par ordre d'importance. Enfin, voici l'almamy ayant devant lui ses bannières, ses griots, ses marabouts, les gens de sa suite, et derrière, une troupe compacte de guerriers. Il marche à pied, suivi de son cheval. Nous allons au-devant de lui pour le saluer. Il s'arrête. Mais les paroles ne s'entendent pas parmi les vociférations de ses griots, faisant un porte-voix de leurs mains. Puis, il continue sa route et, dans le bruit qui décroit, on n'aperçoit bientôt plus que les longues draperies de ses femmes ondulant dans une perspective décroissante.”
Le mot de la fin sera donné par un fils de l'almamy : un des officiers lui annonçant le départ de la compagnie pour le lendemain: “Vous partirez si mon père le veut !” ou bien encore ce Peuhl disant à un de nos porteurs :
— “ N'as-tu pas honte de te faire le captif des blancs ?” ou enfin par ce vieillard défendant à un marchand de vendre des oranges à ces “ fils du diable” (Radisson cité par Madrolle, p. 33).

Ce que ne dit pas ici Madrolle, c'est qu'il manqua d'y avoir un choc entre la colonne Audéoud et les Peuls. Mais la sagesse du capitaine Audéoud évita le conflit. Il n'était que retardé du reste et devait se produire en 1896, car les Peuls, peuple fier et vaniteux, ne voulaient pas admettre la supériorité militaire des Français, malgré nos faits d'armes du Soudan de 1878 à 1888, et ne l'admirent que quand ils eurent été écrasés. En attendant que l'almamy guerrier et Soria, Bou-Bakar-Biro, dernier héros de la race, se lève contre les Français, les missions continuaient au Fouta-Djallon. En 1891, M. de Beckmann vint de Konakri à Timbo.

“M. de Beckmann, administrateur du cercle de Dubreka, fut, lui aussi, dit Madrolle, page 37, chargé en 1891 de se rendre a Timbo pour reconnaître le tracé de la future route coloniale vers le Fouta.
“ M. de Beckmann apportait à l'almamy la redevance annuelle que la colonie de la Guinée française a la mauvaise habitude de payer à des chefs peu respectueux des traités et toujours animés de mauvais sentiments à l'égard des Européens s'égarant dans leur pays.”

On conçoit assez bien en réalité que les Peuls nous vissent d'un mauvais oeil dans le Fouta. Il ne leur fallait pas beaucoup de perspicacité pour voir où nous voulions en venir (la conquête) et, comme le lapin ne demande que, par manière de parler, à avoir le derrière rôti ou le train d'avant mis en daube, de même les Peuls ne voulaient pas être mangés à la sauce française. Mais les gros poissons avalent les petits dans les rivières et le destin du Fouta était d'ores et déja fixé.

C'est à Olivier de Sanderval que nous demanderons (La Conquête du Fouta-Djallon, 1899) le récit de l'agonie de l'empire Foulah et sa soumission définitive à la France (1896). Les Anglais avaient eu, au cours du XIXè siècle, des visées sur le Fouta-Djallon, comme plus à l'est, sur le Mossi. Mais les Anglais sont sages, et, ayant énormément de colonies et riches, ont decidé, une fois pour toutes qu'il fallait laisser à la France une part du butin. A partir de leur dernière mission au Fouta-Djallon (mars 1881) ils ne nous disputèrent plus le pays et reconnurent notre traité de protectorat de juillet 1881 (Bayol, Noirot). Aimé Olivier (comte de Sanderval au titre portugais) avait, lui aussi, des visées sur le Fouta-Djallon. Après s'être établi sur la côte, il alla jusqu'à Timbo et le 2 juin 1880, obtint de l'almamy Ibrahima Sauri III, le neveu du grand Omar, l'autorisation d'établir un chemin de fer dans le pays (p. 28). Malheureusement pour Aimé Olivier, l'administration française avait aussi ses projets à elle et envoya en 1881 au Fouta la mission Bayol et Noirot. Il faut dire que les Anglais, eux aussi, s'étaient émus du voyage d'Olivier de Sanderval en 1880. En 1881, le docteur Goldsbury, gouverneur de la Gambie, fut envoyé à Timbo à la tête d'une compagnie de cent soldats. Il fit manoeuvrer ses hommes devant l'almamy (31 mars 1881) et en même temps, il lui présenta une convention toute préparée. Cette convention fut signée sans discussion. Elle stipulait que l'almamy ouvrait les routes du Fouta aux Anglais, et mettait ses territoires a leur disposition (p. 38). Cela n'empêcha pas du reste le Fouta-Djallon de signer peu de temps après le traité de protectorat présenté au nom de la France par la mission Bayol et Noirot. En effet, cette mission partit de Dakar le 4 mai 1881 13 arriva le 23 juin à Fougoumba où venait de s'accomplir la petite révolution périodique du Fouta-Djallon : l'almamy Ibrahima Sauri III, almamy Sauria venait de céder la place à l'almamy Alphaïa Hamadou 14. Le 14 juillet, Bayol était à Timbo, en même temps que M. Gaboriau, envoyé d'Olivier de Sanderval. Bayol n'eut aucune peine à faire signer son traité par l'almamy Hamadou le 14 juillet 1881. Ainsi, à six mois de distance, le Fouta-Djallon s'était mis à la fois sous le protectorat de l'Angleterre et sous le protectorat de la France (c'est ce qu'on appelle neutraliser le mal par le mal). Du reste, Olivier de Sanderval ayant envoyé à Timbo une mission particulière pour s'assurer que son traité à lui (1880) n'était pas effacé par le traité avec l'Angleterre de mars 1881, obtint cette réponse magnifique que son traité était bon, tandis que celui signé avec l'Angleterre sous la menace des armes, ne liait aucunement le Fouta-Djallon. Cependant, en 1887-1888, Olivier de Sanderval se faisait proclamer par l'almamy citoyen du Fouta-Djallon et se faisait donner les hauteurs de Kahel avec le droit de frapper monnaie (p. 42), et cependant encore, l'administration française continuait à écarter Olivier de Sanderval qu'elle considérait comme marchant sur ses brisées et foulant sans vergogne les plates-bandes des projets officiels. Bref, pour elle, c'était un individu gênant, vaniteux, encombrant, et à mettre de côté 15. En 1888, nous le savons, trois missions furent “précipitées” sur le Fouta-Djallon. Aimé Olivier était alors à Fougoumba et le vieil almamy Ibrahima Sauri III se plaint à lui des exigences brutales de la France.

“ Il ne voulait pas donner, disait-il, son royaume aux Français, pour un sac d'écus. En 1881, il avait échangé des paroles d'amitié avec la France, mais il entendait rester indépendant.”

Cependant, la colonne du capitaine Audéoud se mettait en mouvement avec 106 hommes. L'almamy s'enfuit de Fougoumba, mais fut rejoint à quelque distance par le capitaine Audéoud. La colèere était vive chez les Peuls, mais le capitaine sut éviter un choc (p. 48).
A cette époque, et depuis juillet 1881, un accord conclu, nous l'avons vu plus haut, entre la France et l'Angleterre, nous attribuait le Fouta. Cependant, jusqu'en 1895, la colonie anglaise du Sierra-Leone paya une rente à l'almamy de Timbo pour assurer la liberté des transactions commerciales entre la Sierra-Leone et le Fouta-Djallon (p. 51). En 1891, un fonctionnaire fut envoyé pour visiter le pays. (Il s'agit sans doute de M. de Beckmann). Il fut reçu poliment, dit Aimé Olivier, emmené à la chasse, son nom fut donné au dernier fils de l'almamy, mais “ il demeura l'étranger auquel on ne confie pas la clef de la maison.” (p. 53).
En 1894-95, Aimé Olivier revint à Timbo. L'almamy Ibrahima Sori III étant mort en 1889, son neveu Bokar Biro, fils d'Omar, avait pris sa place. Il avait fait assassiner, dit Aimé Olivier, son frère aîné et était ainsi devenu le représentant des Soria (voir plus loin) : Ce fut en cette qualité qu'il prit le pouvoir après la mort d'lbrahima Sori III en 1889 et le conserva de 1889 à 1891, puis il dut le céder à l'almamy Alphaia (plus ancien que lui), Ahmadou ou Hamadou, de 1891 à 1893. Il le reprit à cette époque et devait le céder de nouveau en 1895 à Ahmadou.
Mais en mars 1895 (approximativement) il déclara, ce qui etait du reste un vrai coup d'Etat contre la constitution du Fouta-Djallon, qu'il garderait désormais le pouvoir indéfiniment. Ahmadou, plus vieux que lui, était malade et se mourait de la phtisie. Ce qui, outre cette maladie, encourageait Bou Bakar Biro a garder le pouvoir, c'est qu'il venait de vaincre et de tuer un de ses frères Mahmadou Paté.
Le syndicat des marabouts avait soutenu dans cette lutte Bou Bakar, jugeant Mahmadou Paté trop intelligent et trop redoutable. Il avait fait retirer secretement les balles des fusils des captifs de Mahmadou Paté, si bien que celui-ci fut plutôt assassiné dans un guet-apens que vaincu dans une guerre véritable. “Bokar Biro, dit Aimé Olivier, page 61, vainqueur dès le premier engagement, était fier de son succès. Il nous fit conduire sur le champ de l'action, au milieu des cases en ruines de Mahmadou Paté, témoins éloquents de ce qu'il croyait avoir été une glorieuse bataille.”
C'est cet almamy brutal et batailleur, représentant du parti guerrier du Fouta, que le lieutenant-gouverneur de la Guinée en 1895 (M. Ballay, un homme énergique) fit inviter enfin a venir à Conakry. En fait, les lois du Fouta-Djallon ne permettaient pas à l'almamy de quitter le pays. Aussi Bokar Biro refusa-t-il à l'administrateur (envoyé par le gouveneur à Timbo) de venir lui-même à Conakry ou même d'y envoyer quelque grand personnage du Fouta pour le représenter (mars 1895).
Pendant que cet envoyé revenait fort mécontent, traitant Bou Bakar Biro de “fourbe irréductible”, Aimé Olivier qui passait non loin de lui et reçut ses doléances par correspondance, continuait son chemin sur Timbo, espérant ameuter contre Bakar Biro les Alphaïas, les fils de Mahmadou Paté, tous ses ennemis enfin et entre autres le grand marabout de Fougoumba, Ibrahima, qui l'avait soutenu contre son frère Mamadou Paté, mais qu'il avait irrité depuis en ne tenant pas les promesses faites. Enfin, on pouvait dresser contre l'almamy de Timbo le chef du Labé (province nord du Fouta-Djallon) toujours impatient de ne plus obéir au pouvoir central.
Aimé Olivier trace un tableau curieux des moeurs politiques peuhles à ce sujet:

“ Alpha Yaya, roi du Labé 16, est un vigoureux garçon, intelligent, sans imagination, attaché aux ambitions utiles. Il avait fait assassiner son frère Agui-Bou qui régnait avant lui. Agui-Bou était un brave homme dont la fin prématurée méritait un regret. Cet Agui-Bou avait fait assassiner un de ses voisins qui avait conspiré contre son pouvoir et dont je vis les fils captifs chez lui; de plus, il avait une femme immensément riche, la belle Tahibou... Yaya, son frère, lui ôta la vie, s'empara du pouvoir et prit sa femme. Les mêmes procédés de succession le menaçaient...”

Aimé Olivier travailla le chef du Labé en secret et le poussa à se révolter (p. 68), puis il partit pour Timbo où il palabra avec Bokar Biro qu'il excita à son tour contre le chef du Labé.
Bokar Biro, en revanche, essaya de l'empoisonner quand il eut dépassé, pour rentrer en France, le village de Sokotoro, petit Versailles des almamy Soria, où pourtant les fils de Bokar reçurent bien notre voyageur.
Cependant, tandis qu'Aimé Olivier gagnait Kouroussa, Siguiri, Kayes et Dakar, Bokar Biro attaquait tout de suite après la saison des pluies (donc fin 1895) le chef du Labé. Il fut vaincu à Bentiguel-Tokocéré.

“ Mes gens et mes armes, dit Olivier de Sanderval, entraînant la confiance de la petite armée de Alpha Yaya, les troupes de l'almamy furent mises en déroute et lui même prit la fuite.” (p. 89).

Notre auteur ajoute que le principe de Bokar était :

“ qu'il vaut mieux fuir si l'on était vaincu et se réfugier en lieu sûr pour préparer de nouveaux combats que de rester mort sur le champ de bataille” (p. 90).

Bokar Biro, vaincu, jeta donc son turban royal, enfouit dans une cachette le sac de peau de bouc dans lequel il portait son trésor representé par les bracelets et les boucles d'or de ses femmes; il laissa son cheval et, à travers la brousse, tantôt secrètement dans les régions habitées par des populations ennemies, tantôt plus à l'aise, mais toujours prudent dans les villages amis, il fit deux cents kilomètres à pied pour gagner la Guinée Française, se réfugiant auprès de l'Administrateur envoyé en vain à Timbo pour l'engager à venir à Conakry et qui le traitait de “ fourbe irréductible” dans ses lettres à Aimé Olivier. Ce fonctionnaire sans rancune reçut l'almamy vaincu le plus galamment du monde (p. 91). Il lui donna deux miliciens en uniforme pour l'accompagner jusqu'à Timbo.

D'autre part, Bokar Biro recruta en pays soussou où il avait des partisans (sa mère étant de race Soussou) une petite armée. Il rencontra l'armée des opposants entre Téliko et Timbo, mais celle-ci se retira à la vue des uniformes français (p. 93). Cependant, l'administration avait envoyé une colonne à Timbo et pressait l'almamy de descendre à Conakry. Celui-ci refusa encore, mais ne put pas ne pas signer un nouveau traité de protectorat qui le mettait définitivement et étroitement sous la dépendance de la France. La colonne qui occupait Timbo redescendit alors dans la plaine à quelque distance de la capitale (p. 99). Il faut ajouter que Bokar Biro n'avait pas signé le traité de son nom. S'il faut en croire Olivier de Sanderval, il avait mis à la place Bissimilaï (grâce à Allah! merci à Allah !) De plus, on s'aperçut à Saint-Louis, le traité traduit, qu'il ne reproduisait pas exactement ce que nous avions voulu y mettre. Bokar Biro avait, une fois de plus, rusé, pour éviter notre protectorat.

C'est alors (les dés étaient cette fois jetés et bien jetés) qu'on donna l'ordre au capitaine Muller, qui commandait la colonne d'occupation, de réoccuper Timbo par la force et de s'emparer de l'almamy. Celui-ci, en qui survivaient les qualités guerrières de son père, l'almamy Omar, fit un appel suprême à ses partisans, aux Sorias, à tout le Fouta-Djallon, et marcha avec 1500 hommes contre nous. La rencontre définitive eut lieu à Porédaka. Bokar Biro essaya de tourner et d'envelopper la petite ligne française (100 tirailleurs et les officiers blancs). Mais les feux de salve réguliers et meurtriers des Français mirent la cavalerie peuhle en déroute. Quatre frères de Bokar Biro sur dix-huit restèrent sur le champ de bataille. Lui-même s'enfuit, espérant gagner le Sierra-Leone, mais on mit à ses trousses un chef indigène qui le haïssait. Il fut rejoint assez loin du champ de bataille. Un paysan montra la case où il s'était réfugié avec quatre de ses captifs les plus dévoués. Rejoint, il essaya de se défendre et ordonna à ses captifs de faire feu, mais il fut tout de suite abattu et tué avec ses défenseurs. Mort, on lui coupa la tête qui fut portée aux Français avec celle de ses hommes 17.

C'était la fin de l'indépendance du Fouta-Djallon.

Bou Bakar Biro, almamy Soria vaincu et tué (1896), il fallait nommer un nouvel almamy. Or, l'almamy Alphaïa, Ahmadou, venait lui-même de mourir. Olivier de Sanderval fut consulté par le Gouverneur Général pour savoir qui l'on devait nommer : il désigna Oumarou mo Bademba, un Alphaïa qui réunissait le plus grand nombre de suffrages dans le pays, homme paisible et honnête. Mais le sort en décida autrement. En effet, le commandant de la compagnie victorieuse campée à Timbo désigna le 9 février 1897 comme almamy le nommé Sauri Elili qui avait eu un almamy parmi ses ascendants, mais qui était de petite noblesse. On l'avait choisi pour les services qu'il rendait et la façon exacte dont il ravitaillait la colonne. Malheureusement, il se faisait aussi sa part et pillait le pays. En octobre 1897, il fut assassiné par un nommé Tierno Ciré.

Cependant Aimé de Sanderval voulait toujours établir son chemin de fer de la côte au Fouta. Mais il se heurta à nouveau au ministère des Colonies qui finit par dire franchement aux sénateurs et députés qui s'intéressaient à Aimé Olivier : le chemin de fer, nous voulons le faire nous-mêmes (c'est-a-dire le confier au génie militaire). Aimé Olivier était définitivement évincé et quitta le Fouta. En 1899, il publiait sa Conquête du Fouta-Djallon où il soutenait que c'était l'initiative privée (la sienne) qui avait fait la conquête du pays. En fait, Aimé Olivier n'a guère été qu'une mouche du coche et (fut-il ou ne fut-il pas intervenu) les colonnes françaises auraient toujours fait la conquête du pays 18.

Cependant, on devait quelque chose à un homme qui s'etait ruiné dans le Fouta-Djallon et, en 1913, on n'avait pas encore payé à Olivier de Sanderval cette dette qu'on aurait dû accompagner du ruban de la Légion d'honneur.

Olivier de Sanderval disparaît donc de la scène du Fouta-Djallon en 1899. En 1900, c'est l'Exposition Universelle et M. Famechon dans sa Notice sur la Guinée Française pour l'Exposition de 1900, parle à son tour du Fouta-Djallon. En fait, il ne donne pas de renseignements inédits sur les Peuls. Il distingue avec raison les Peuls fétichistes venus au XVIè siècle, en 1534, avec Koli Tenguéla ou Koli Galadio (appelé encore Koli Pouli, c'est-a-dire Koli le Peul) dans le Labé et vers la Gambie et les Peuls venus du Macina à la fin du XVIIè siècle. C'est par la voie du Tinkisso ou Tankisso, affluent occidental du Niger, et en le remontant, comme ils firent du Niger lui-même, que les Peuls du Macina pénétrèrent dans la région de Foukoumba et de Timbo, conduits par quelques familles nobles (Séri, Saïdi). Ils se virent assigner au début un district par les Dialonké, maîtres alors du pays, puis des marabouts étant venus les renforcer, ils firent la Guerre Sainte aux Dialonké et s'emparèrent du Fouta, soumettant les Dialonké ou les poussant dehors.

M. Machat (Les Rivières du Sud et le Fouta-Djallon, 1906) 19 parle lui aussi de l'histoire des Peuls du Fouta-Djallon, mais il se rallie à une théorie fausse qu'ils sont venus directement de Ghana. Ecartant tous les témoignages unanimes des voyageurs et historiens précédents, il imagine d'abord que les Peuls du Fouta-Djallon sont venus du Fouta-Toron par la voie courte (et très facile évidemment sur la carte) du Bondou et de la Haute-Gambie! Géographiquement parlant, cette route est parfaite, mais voilà, les Peuls du Fouta (je parle de l'immigration de 1694 et non de celle de Koli Tenguéla qui est de 1534) sont venus du Macina: tous les voyageurs et historiens l'affirment, comme nous l'avons vu : Gray et Dochard, Gordon Laing, Hecquard, Bayol et Noirot, etc., etc. Mais dit M. Machat, Mollien (1818) dit le contraire. Nullement : Mollien dit simplement, en général, que tous les Peuls d'Afrique occidentale et leurs métis viennent du Fouta-Toron, ce qui est vrai d'une vérité générale et incontestable car les Peuls de Nioro et ceux du Macina eux-mêmes et aussi ceux du nord du Haoussa, viennent du Fouta-Toron. Ainsi, les Peuls du Fout-Diallon, même ceux du XVIIIè sièecle, viennent indirectement du Fouta-Toron (et indirectement même d'Ethiopie à une époque encore plus reculée) mais ils viennent directement du Macina. Tout ce qu'on peut admettre, c'est que quand le marabout Abdel-Kader s'empara du pouvoir au Fouta-Toron en 1773, des Peuls du Fouta-Toro vinrent rejoindre ceux du Fouta-Djallon, à l'époque du grand almamy Ibrahima Sori Maoudo.

Il en est de même de Tautain (1886) cité par M. Machat à l'appui de sa thèse. Il affirme simplement que le centre original et premier de l'expansion Peuhle en Afrique occidentale a été le Fouta-Toron. Seulement, il le fait en termes singulièrement critiquables et équivoques, quoiqu'au fond on voie bien sa pensée.

M. Machat se demande ensuite à quelle date -les Peuls sont venus au Fouta-Djallon. Il cite M. Le Chatelier qui dit au XVIIè siècle (et qui a raison à condition qu'on entende la fin du XVIIè siècle), Madrolle qui placerait cet exode des Peuls vers 1650 20, Noirot qui le place en 1694. Il cite aussi la carte du grand géographe français du XVIIIè siècle, d'Anville, faite pour l'édition des voyages d'André Brue et qui porte la mention au S. E. des sources de la Faléme de Foulaguialon “ pays naturel des Peules.”

M. Machat ajoute : “C'est pour la première fois, à ma connaissance, que le nom à peine déguisé de Fouta-Diallon pouvait se lire sur un document cartographique; outre qu'il indique à lui seul que les Diallonkés n'etaient plus les maîtres incontestés de la contrée, l'expression accolée de “ pays naturel” prouve, à mon avis, deux choses : que d'après les renseignements d'André Brue, les Foulbé (et par conséquent leurs métis) étaient depuis assez longtemps au Fouta et que, ni pour les indigènes, ni pour les Européens de Sénégambie, ils n'y étaient venus du Nord.”

Cette conclusion de M. Machat ne nous semble nullement sérieuse. André Brue (et le père Labat que M. Machat ne nomme pas) avaient fort peu de renseignements sur les Peuls du Fouta et se sont contentés de les découvrir, ce qui est déja bien joli. On ne peut tirer d'un mot (pays naturel) qui exprime une idée d'ailleurs fausse (puisque, s'il y a un pays naturel des Peuls, c'est en Afrique occidenlale, le Fouta-Toron et en Afrique orientale, l'Ethiopie ou la Nubie), les conséquences énormes que M. Machat veut en tirer. Du reste, l'étude de M. Machat sur les Peuls et leurs métis est serieuse. Il distingue fortement les Peuls purs (ceux de la brousse, nomades, pasteurs et chasseurs) des Peuls du Fouta-Djallon qui, dit-il, sont très métissés de Mandés (Dialonké et Malinké) et qu'il aime mieux appeler Foulahs (quoique ce nom soit un nom Mandé : Foula au singulier et Foula-ou au pluriel, désignant les Peuls en général) et il s'appuie surtout ici sur l'autorité du Dr Maclaud 21. Evidemment, il a raison en partie et Bokar Biro lui-même, nous l'avons vu, ce dernier défenseur de l'independance du Fouta-Djallon, était le fils d'un Peuhl, le grand Omar, et d'une femme Soussou et ce qui est vrai de Bokar Biro est vrai d'une grande partie des Peuls du Fouta-Djallon...

M. Machat indique ensuite ce que sont les Peuls en eux-mêmes : il cite le Dr Verneau, qui a reconnu sur eux les deux mêmes types que présentent les Ethiopiens et les anciens Egyptiens, ancêtres des Fellahs actuels. Il cite aussi, il est vrai, mais moins favorablement, l'hypothèse que ce seraient des Arabo-Berbères (Dubois, Passarge, Constantin Meyer) et aussi l'hypothèse de Deniker (1900) qui concilie les deux opinions en disant que les Peuls sont des métis d'Ethiopiens pénétrés de sang Arabo-Berbère (p. 273, en note). C'est cette dernière théorie qui semble, en définitive, avoir les faveurs de M. Machat puisqu'il traite couramment les Peuls de Nubi-Berberes (ainsi p. 270).

M. Machat revient ensuite sur les Peuls du Fouta-Djallon qu'il appelle, comme nous l'avons vu, des Foulahs (p. 276) : il cite encore Maclaud qui dit que les Irlabé sont des Toucouleurs d'une famille qui a laissé beaucoup de ses membres au Senégal et les Sidianke des Mandé qui se sont implantés au Fouta avec Karamokho-Alfa. Si ces faits sont vrais, ils prouvent tout simplement ce que tout le monde admet, qu'il y a eu un fort métissage des Peuls du Macina avec les autochtones (Dialonké) et même des Malinke et qu'il y a aussi des Toucouleurs qui sont venus du Fouta-Toron (probablement vers 1773). Puis il examine d'où sont venus les “Foulahs” du Fouta-Djallon et cite l'opinion classique qu'ils sont venus du Macina (il la cite chez Bayol et Noirot, mais pourrait la citer chez bien d'autres). Puis il cite l'opinion de Mollien que nous avons discutée plus haut et qui se contente en réalité d'indiquer le Fouta-Toron comme point de départ des migrations des Peuls en Afrique Occidentale, point de vue exact. Mais Mollien, qui ne connaissait nullement l'histoire du Fouta-Djallon, n'a jamais déterminé et ne pouvait déterminer avec ses moyens et à son époque si les Peuls du Fouta-Djallon venaient directement du Fouta-Toron ou indirectement par le Macina, solution qui est celle des Peuls du Fouta-Djallon eux-mêmes, de leurs traditions et de la plupart de leurs historiens.

Cependant, avec tout cela, M. Machat n'admet pas que ce soit seulement des Peuls du Fouta-Toron ou des Toucouleurs qui aient peuplé le Fouta-Djallon. Il croit en définitive (p. 278) que la masse Peuhle du Fouta-Djallon est arrivée directement par l'est et même déjà si fortement métissée de noirs, qu'elle était presque Mandéïsée à son arrivée dans le Fouta. Tout cela, c'est de la fantaisie et nous avons déja exposé longuement ce qu'il en est réellement.

M. Machat passe ensuite à l'histoire détaillée de l'empire des Peuls du Fouta-Djallon. Il fait remonter les premiers groupements Peuls dans le Fouta à la dispersion de l'empire de Ghana (XIè siècle) qui était, pour lui, un empire Peuhl. Il met l'arrivée de ces groupements du XIIIè au XVè siècle (d'après le Dr Quintin) 22 et dit qu'en tout cas, au XVIIè siècle, des Peuhls (purs) et même des Foulahs (Peuls métissés) étaient depuis longtemps dans le pays, ce qui ne l'empêche pas de citer en même temps l'opinion contraire de Noirot qui place l'arrivée des Peuls du Macina en 1694. Il y a ensuite d'énormes erreurs de chronologie dans M. Machat, erreurs qui proviennent de ce qu'il a mal lu Gordon Laing. Il le cite cependant, mais malgré cela, place Karamokho-Alfa vers 1780 (p. 281, in fine) alors que nous savons par Gordon Laing qu'il est mort en 1751 et que les grandes guerres pour la domination du Fouta eurent lieu de 1750 à 1776 contre les Dialonké du Soliman, les Ouassoulonké et les Sankaranké. Cependant, Machat, puisqu'il a lu Gordon Laing (p. 282, 283), aurait pu en tirer une version plus exacte de ces événements. En tout cas, il note, d'après Gordon Laing, la destruction de Timbo en 1763 par les Ouassoulonké et les Diallonké du Soulima, ce qui prouve que quand Ibrahima Sori, après sa victoire définitive (1776), transféra definitivement la capitale du Fouta-Djallon de Foukoumba la vieille capitale et la ville sainte à Timbo (ceci vers 1780) il ne faisait que rétablir un village important du pays, d'abord créé par les Diallonké, puis occupé ensuite, bien avant 1763 par les Peuls (p. 283).

Machat note ensuite, cette fois avec exactitude, le coup d'Etat d'Ibrahima Sori contre le grand conseil des marabouts de Fougoumba et son établissement définitif à Timbo, avec le titre d'almamy que lui avaient donné les guerriers (p. 284).

Ce qu'il y a de mieux dans Machat, c'est l'histoire chronologique des progrès extérieurs des Foulahs à partir de 1830. A cette époque, le Labé (province peuhle du Nord), les Timbi, le Niocolo, le Bandéia, le Koïn, le Kolladé, obéissaient à l'almamy (le Niocolo est Mandé). Son pouvoir s'étendait vers le sud jusqu'au Rio-Nunez supérieur, au Limba, au Soulima. Sans doute, plusieurs des pays gouvernés par lui étaient plutôt vassaux ou «protégés” que sujets; ils étaient probablement dans la situation décrite un peu plus tard par Hecquard pour le Kantora 23 l'almamy nommant le chef et protégeant les caravanes moyennant redevance. Mais les Foulahs avaient déja émigré dans toutes ces régions. L'almamy avait en outre, comme tributaires, selon René Caillié, les Landoumans et les Nalous (Machat, p. 285-286).

Machat continue ainsi:

“ Chacune des relations de voyages postérieurs, jusqu'à l'établissement du protectorat français au Fouta-Djallon (1888 et définitivement 1896-1897), permet d'enregistrer de nouvelles étapes de la conquête foulahne... D'après Hecquard, c'est en 1840 que les Foulahs “ aidés par les Mandés musulmans” 24 commencent à soumettre les “ Sonninquais” fétichistes de la Casamance 25. Et lors de sa mission (1851 ) il constate que les Bauvés étaient devenus des provinces du Fouta-Djallon, que l'almamy avait des représentants auprès des chefs Tyapis (dont le pays était pour lui un terrain de razzia et un lieu de passage), que les Foulahs protégeaient les villages mandingues entre les rivières Mana et Koli, que Kade était devenu tributaire, que l'almamy avait même des résidences dans les “foulacoundas” fondés sur la Gambie et sur la Casamance, a côté des écoles tenues par les marabouts foulahs 26. Vers la même époque (1842) Cooper-Thomson venu à Timbo par le sud, englobe dans le Fouta-Djallon certains pays Soussou, le Tamisso, le Kinsam et fait aller le royaume de Timbo jusqu'au Benna (Thomson dans Journal de la Société Royale de Géographie, 1846, p. 131-132) Aimé Olivier trouve (en 1879-1880) le Foreah conquis et des Foulahs deja installés au Rio Nunez et M. Ie Dr Bayol (1881) présente tous les pays Soussou comme tributaires. D'un autre côté, le Dinguiraye où beaucoup de Foulahs avaient émigré de la Haute Falémé (Firia) fut cédé en partie à El-Hadj Omar 27.
“La nomenclature des provinces (ou “ diouals”) 28 du royaume foulah faite par M. Bayol en 1881 et celle donnée par le lieutenant Plat (1887-1888) présentent des différences assez sensibles: le second compte treize subdivisions, le premier onze seulement, (tandis que le Dr Fras en trouve treize aussi). On voit, d'autre part, qu'il y aurait lieu de distinguer, comme dans l'empire de Charlemagne, les pays directement gouvernés et ceux qui ne sont que les vassaux des almamys ou protégés par eux (tributaires). Mais l'important pour une étude géographique est d'établir quelles étaient à peu près alors les limites de la race foulahne, c'est-à-dire les établissements d'émigrés foulahs... partis du Fouta-Diallon sous la conduite de chefs musulmans” (p. 287).

Machat parle ensuite du Bondou, royaume peuhl et musulmanisé, qui fut toujours indépendant du Fouta-Djallon et qui mérite une histoire a part (elle a été faite, du reste, du moins en partie). Puis il parle du Dinguiraye (Dialonke, Peuls et Toucouleurs de El-Hadj-Omar) enfin des extrêmes établissements peuls au sud et à l'ouest (p. 287 à 289). Ensuite vient l'histoire des Houbbous qui est du reste erronée au point de vue chronologique (la prise de Timbo par les Houbbous est de 1859 et non de 1850. Hecquard, en 1851, ne connait pas les Houbbous et ils n'existaient pas encore), et même au point de vue historique, car Machat met à tort, suivant Lambert en cela, sur le dos d'El-Hadj-Omar (qui avait d'autres chats à fouetter et d'autres conquêtes à faire) la création de la secte des Houbbous. Comme Bayol l'a expliqué avec soin (Voyage en Sénégambie, p. 106 à 107) Lambert s'est trompé sur ce point et c'est Modi Mamadou Djoué, marabout peuhl vénéré, qui a créé cette secte des Houbbous qui, s'étant révoltés, comme nous l'avons vu, contre l'autorité d'Omar, pilla Timbo en 1859. Machat a donc tort ici de suivre Lambert et une étude un peu plus sérieuse des textes que nous possédons l'eût préservé facilement de cette erreur.

En définitive, la synthèse de M. Machat (1906), au sujet de l'histoire des Peuls du Fouta Djallon, est très sujette à caution. Les Peuls du Fouta-Djallon ne sont pas venus de Ghana (ou Ghanata) du XIIIè au XVè siècle et à cette époque, le Fouta-Djallon était Dialonké après avoir été Baga, Landouman ou Tenda. La première invasion peuhle dans l'ouest du pays est celle de Koli Tenguéla ou Galadio qui est de 1534 (date que nous savons par les Portugais). La grande immigration des Peuls musulmanisés est venue du Macina vers 1694 (les Peuls du Macina venaient eux-mêmes anciennement du Fouta-Toron vers 1400, mais, dans le pays riche et gras du Macina, ils se multiplièrent vite, et le Macina devint rapidement un centre d'expansion et d'émigration pour les Peuls). Vers 1725, les Peuls du Fouta-Djallon commencèrent la guerre sainte contre les infidèles et, d'abord vainqueurs, ils subirent ensuite de graves défaites quand ils se heurtèrent aux Dialonké du Soliman, aux gens du Sankaran et aux Peuls du Ouassoulou. Karamokho-Alfa, battu, devint fou et mourut en 1751. Ibrahima Sori, après des luttes terribles, où Timbo fut même pris par les coalisés (1763), triompha enfin définitivement de la coalition en 1776. Voilà l'histoire réelle des Peuls du Fouta-Djallon pour les origines et non le méli-mélo de M. Machat. Il est vrai qu'à partir de 1830, Machat connaît extrêmement bien les faits et les sources. Néanmoins, sa synthèse, dans son ensemble, doit être rejetée comme fantaisiste.

Nous arrivons maintenant à Guébhard (1910) et à André Arcin (1911). Ces deux auteurs ont donné chacun une histoire complète du Fouta-Djallon que nous allons examiner en détail.


Notes
1. Ici commence la citation même de Hecquard.
2. Nos établissements de la Faléme étant des forts touchant au Boundou, nous avons des relations avec l'almamy du pays auquel nous payions une redevance.
3. Manteau (on dit plutôt coussabe)
4. Dans le Grand Conseil du Fouta.
5. Il s'agit du Ba-Fing, la haute branche de Guince du Sénégal.
6. Ce fut le traité que Bayol et Noirot firent signer, en 1881, à Ibrahima Sauri-Donhol-Pella (c'est-à-dire Ibrahima le Matinal de Donhol-Fella, capitale particulière des Soria comme Dara était celle des Alphaïas) Il fut ratifié en 1882 pr la France.
7. Bou-Bakar-Biro, qui devait avoir, contre les colonnes françaises, la fin tragique que nous verrons plus loin, était le fils du grand Almamy Omar et par conséquent le neveu d'lbrahima Sori Donhol-Fella ou Ibrahima Sauri III, frère d'Omar, auquel il succéda en 1889 Madrolle, qui écrit en 1895, dit qu'ayant commandé de 1890 à 1892 et l'almamy Alphaïa de 1892 à 1894, Bou-Bacar-Biro commande encore pour la période 1894-1896.
8. On avait envoyé les lieutenants Plat et Levasseur pour faire exécuter enfin le traité de protectorat (1881) puis, pour intimider les Peuls, on envoya sur leurs traces le capitaine Audéoud avec l00 tirailleurs.
9. Cet almamy était encore Ibrahima Sauri lll (1872-1889).
10. Remarquez que le traité de protectorat propose par le lieutenant Plat fut signé le 30 mars. Il est très probable que la nouvelle de la mise en marche de la colonne Audéoud le 25 mars 1888, bien vite connue des Peuls, ne fut pas étrangère à cette conclusion si longtemps retardée.
11. Journal de route du lieutenant Radisson (Tour du Monde).
12. Il s'agit du colonel Gallieni qui taisait remettre ces cadeaux a l'almamy du Fouta-Djallon par le capitaine Audéoud. C'est l'éternelle politique du sucre et de la cravache administrée tour à tour.
13. Bayol, Voyage en Sénégambie, p. 67.
14. Idem, Voyage en Sénégambie, p. 76.
15. Il y a du vrai dans ce jugement de l'administration. L'histoire d'Olivier de Sanderval est une histoire à la fois lamentable et comique. C'est l'histoire d'un homme énergique, mais vaniteux, s'obstinant à une besogne dont on ne voulait pas, contre un adversaire plus puissant (l'Etat français) qui devait finir, naturellement, par l'évincer. L'idée de Sanderval en 1880 semble avoir été celle-ci : conquérir le Fouta-Djallon, le donner à la France; pour récompense, être une espèce de vice-roi, un haut gouverneur du pays jusqu'à sa mort, bref, faire au Fouta ce que Savorgnan de Brazza faisait au Gabon.
Malheureusement, au moment où Aimé Olivier faisait ce rêve, la France avait déjà jeté son dévolu sur le Fouta-Djallon, la France, c'est-à-dire le ministère de la Marine, remplacé bientôt par le ministère de la Guerre, remplacé à son tour et définitivement par le ministère civil des Colonies. La France, représentée successivement par ces trois ministères, l'administralion française en un mot, voulait conquérir directement le Fouta, ne le devoir à personne, y être maitresse et maitresse absolue, avoir ses coudées tranches, faire du pays ce qu'elle voudrait, y construire son chemin de fer à elle, etc. Et ce vouloir est très net chez l'administration française dès 1881 (Mission Bayol-Noirot).
Là-dessus, imaginez ce gêneur que voici (Aimé Olivier devenu comte de Sanderval par la grâce du Portugal) qui veut conquérir le pays lui-même — pour l'offrir à la France ! — qui veut construire son chemin de fer lui-même, pour l'offrir à la France ! On sent que l'administration, la sacro-sainte administration, est excédée et qu'elle se retient pour ne pas crier à tue-tête au gêneur : Mais fichez-moi la paix ! Je conquerrai bien le pays moi-même ! Je le mettrai bien en valeur moi-même ! (Hum!), je construirai bien mon chemin de fer moi-même ! Si vous voulez coloniser, allez dans une île inconnue du Pacifique et colonisez-la à votre aise. Tout vous est ouvert, tout le vaste monde, sauf justement le Fouta-Djallon (et les autres endroits sur lesquels l'administration française a jeté son dévolu).
Et, en définitive, toute l'histoire de M. Aimé Olivier est là. Il s'obstine à faire le bonheur de l'adminigtration malgré elle et celle-ci, excédée, le récompense en mauvais procédés, et finit par le mettre à la porte.
Qui a tort? Qui a raison dans cette histoire ? A la base de la conduite de M. Aimé Olivier, il y a un manque certain de jugement : lui-même raconte que tous les officiers de marine, tous les coloniaux qu'il rencontra, lui repétaient : Le Fouta-Djallon ? chasse gardée ! allez chasser ailleurs ! Le conseil était simple et bon, mais Aimé Olivier avait peu de jugement et une vanité de nègre; il s'obstina contre l'évidence et fut écrasé.
Lui-même ne dit-il pas (p. 52) que le secrétaire d'Etat en 1888, le reçut 147 fois (je dis cent quarante-sept fois !)? Quels sentiments pouvait bien nourrir in petto le secrétaire d'Etat de l'époque pour un aussi sinistre raseur? Non seulement, il s'obstina pendant des années à faire la mouche du coche au Fouta-Djallon, autour de ce coche administratif qui lentement et péniblement (de 1881 à 1896) gravissait les étapes (de plus, cette mouche du coche était en réalité une guêpe batailleuse qui chargeait sans se lasser contre l'administration) mais encore Aimé Olivier joua dans une circonstance mémorable le rôle de l'ours de la salle, précipitant un pavé de taille sur la figure de son amie, l'administration locale. L'aventure est trop drôle pour ne pas être rapportée. Nous la verrons plus loin, à son heure, en décrivant les péripéties de la fin du Fouta-Djallon.
16. Il vaudrait mieux dire chef, car le Labé dépendait en principe du royaume peuhl, c'est-à-dire de Timbo sa capitale.
17. Ce fut ces têtes que le Dr Miquel rapporta en 1896 de Timbo en France et que le Dr Verneau étudia ensuite dans un travail devenu célèbre pour l'anthropologie peuhle en 1899. Remarquons que Bokar Biro était un métis de Peuhl et de Soussou, fils du grand Almamy Omar et d'une princesse Soussou.
18. Cette mouche du coche était aussi, à l'occasion, nous l'avons déjà dit, l'ours qui décoche un pavé sur la figure de son ami pour lui rendre service. Nous avons vu tout à l'heure que quand Bocar Biro berna en 1896 nos envoyés en mettant au bas du traité de protectorat la formule “Bismilaï” au lieu de mettre son nom, Aimé Olivier fut tout de suite averti de la supercherie. Le mieux était de ne pas la voir. Au lieu de cela, Aimé Olivier s'empressa de souligner et de mettre bien en évidence le tour qui nous était joué en passant un traité avec le chef du Labé et en l'envoyant par courrier ultra-rapide, par marches forcées, à Kayes, en faisant connaître qu'ainsi, si Bokar Biro nous avait joué, lui, Aimé Olivier de Sanderval, réparait l'affront en nous offrant un traité tout neuf et celui-ci bien authentique et bien revêtu de tous les sacrements. On voit d'ici la tête de l'Administration à Kayes et à Saint-Louis! Celle-là n'a pas dû être pardonnée à Olivier de Sanderval, pas plus que ses 147 visites de 1887-1888 au Sous-Secrétaire d'Etat à Paris. Ajoutons encore que les malheurs d'Aimé Olivier vinrent surtout de sa vanité énorme et puérile (par exemple son titre de comte de Sanderval acheté en Portugal) Il rêvait non seulement d'une vice-royauté au Fouta-Djallon et dans toute l'Atrique occidentale française (considérée par lui comme une annexe du Fouta-Djallon) mais encore il rêvait de lever 300 000 hommes (Peuls et nègres) avec lesquels il s'embarquerait à Bizerte, conquerrait l'ltalie (Les Italiens ne nous haïssent pas... dit-il, avec une tranquilité ineffable, et par conséquent seront bien contents d'être conquis par nous ! propos qui aurait éte mieux placé dans la bouche de Bonaparte en 1796 lorsqu'il entrait à Milan), rejoindrait les Alpes et pénétrerait en Allemagne. Là, l'Allemagne battue et conquise, il nous aurait restitué l'Alsace et la Lorraine ! Voilà quels étaient les projets et rêves d'Olivier, comte de Sanderval! (Et que l'on ne croie pas que j'invente : tout ceci est dans son livre : Le Soudan Français, Kahel,1893, p. 424 et 425). Naturellement, la France n'aurait pas pu faire autre chose que de confier ses destinées à ce nouveau Napoléon, flanqué de ses 300.000 Peuhls et nègres (et le moins nègre dans tout cela n'était certainement pas notre homme). Donc, un manque complet de bon sens, une vanité formidable, voilà les graves défauts qui firent le malheur d'un homme par ailleurs riche et actif. Il fut écarté irrésistiblement par l'Administration exaspérée de voir perpétuellement ce demi-fou sur son chemin et voulant faire ce qu'elle se réservait, elle, de faire à son heure, avec ses hommes et ses moyens tout-puissants. Pour entendre toutes les cloches et tous les sons, mentionnons, dans une note plus sympathique à Olivier de Sanderval, un article de M. Jourdier dans la Dépêche Coloniale du 18 novembre 1913. En tout état de cause, on devait tout de même à ce vieil explorateur du Fouta la croix de la Légion d'honneur et une indemnité pécuniaire pour sa fortune perdue.
Encore une remarque. Aimé Olivier ne connaît rien à l'histoire de ce Fouta dont il s'est tant occupé et qu'il croit avoir conquis. Il ne connaît pas Gordon Laing, le véritable historien du vieux Fouta-Djallon, ni Gray et Dochard. Il cite bien René Caillié, mais c'est pour célébrer seulement en lui “les mérites éminents de l'initiative privée !” Il cite Hecquard et Lambert, mais il n'a sans doute lu ni l'un ni l'autre car il écrit toujours Hecquart avec un t final alors que Hecquard s'ecrit avec un d final. De même, il place le voyage d'Hecquard dans le Fouta-Djallon en 1852 (alors que c'est en 1851 que Hecquard se trouva dans le pays). - Pour tout cela, voir sa Conquête du Fouta-Djallon, p. 12). Enfin, il croit, dur comme fer, que les chefs du Fouta descendent des rois de la Mecque (p. 37) et même possèdent le sabre du Prophète ! Ce seraient donc des Arabes à son avis, que les Peuls du Fouta-Djallon, l'aristocratie tout au moins. Quelle candeur ! et pourrait-on croire qu'Aimé Olivier a vu réellement les Peuls ! et pourtant, il s'est promené dans le pays, de 1880 à 1896, au cours de plusieurs voyages. De même, pour l'histoire peuhle au Fouta-Djallon, il dit que Karamokho-Alfa, fils du roi du Macina, a été le premier roi ou almamy Peuhl du Fouta-Djallon. Bref, il ne connaît rien à I'histoire d'un pays qu'il a pourtant voulu conquérir !
19. P. 276 et suivantes.
20. Mais la citation de Madrolle par M. Machat est inexacte. En fait, p. 299 de son gros volume : En Guinée, Madrolle dit que les Peuls se soulevèrent contre les idolâtres (Diallonké) en 1775 et que dès le milieu du XVIIIè siècle (donc 1750) ils étaient assez nombreux pour former quelques villages indépendants. C'est donc vers 1750 et non vers 1650 que Madrolle place l'arrivée au Fouta-Djallon des Peuls du Macina. En fait, cette arrivée se fit à la fin du XVIIè siècle (vers 1694).
21. Maclaud dans Revue Coloniale, 1899, p. 450 et dans Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris, 1899, p. 517.
22. Tout ceci est de la haute fantaisie. Le Fouta-Djallon fut d'abord peuplé de Bagas, Landoumans, etc. Au XIIIè siècle, les Sousou-Dialonké chassés par les Malinké de la vallée du Niger (Soundiata) s'y refugièrent et prirent le pays, refoulant Bagas et Landoumans sur la côte. En 1534, les “Foulacounda” de Koli Tenguela vinrent du Fouta-Toron s'établir à l'ouest du Fouta-Djallon et vers 1694 eut lieu enfin la grande immigration du Macina qui devait constituer l'empire Peuhl du Fouta Djallon entre 1694 et 1775.
23. Pays Mandé.
24. Ces Mandés musulmans sont les Mandingues de la côte c'est-à-dire des commerçants, d'origine Malinké, assez analogues aux Mandés - Dyoula du pays de Kong et de la Haute Côte d'lvoire et musulmanisés comme eux.
25. Il ne faudrait pas croire que les populations de la Casamance sont des Sonninké. Ici le terme “Sonninquais” péjoratif, désigne les fétichistes (de races diverses) du pays, les buveurs de dolo ou de vin de palme. Le mot Sônninké, pris dans son mauvais sens, remonte loin, à la prise de Ghana par les Almoravides (1076) sur les Sônninke fétichistes.
26. On sait que les Tyapis sont les Landoumams de l'Est. En définitive, dès l'époque de Hecquard, les Peuls du Fouta-Djallon avaient mis la main sur tout le pays Landouman. (Tyapis de l'est et Landoumans de l'ouest ou Landoumans proprement dits) puisque Kadé était devenu tributaire. De même, les anciens Peuls du pays (ou Foulacoundas) étaient devenus aussi sujets.
27. Machat place à tort la venue d'El-Hadj-Omar au Dinguiraye en 18491 alors qu'elle est antérieure à 1837. D'autre part, il cite un auteur portugais récent, Vasconcellos qui dit que “depuis 1863, les Foulahs établis dans la Guinée portugaise s'étaient révoltés contre les Mandés, les Biafades et les Balantes. Ils formèrent ensuite par croisements les groupes autonomes des Foula-Pretos, des Fouta-Foulahs, etc...” C'est toujours le même système : les Peuls essaiment d'abord par petits groupes, reconnaissant la suzeraineté des chefs autochtones du pays, puis, quand ils se sentent assez nombreux et assez forts, ils se révoltent et établissent leur domination ou tout au moins leur indépendance. Mais cette immigration en Guinée portugaise, toute individuelle et privée, n'a rien à voir avec la colonisation guerrière des almamys du Fouta, sauf que ces Peuls ou Foulahs sortaient aussi du Fouta et faisaient partie par conséquent de la grande poussée foulahine.
28. On dit géneralement “diwal”.

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