Payot, Paris, 1937
L'histoire des Peuls du Fouta-Djallon n'a pas été faite d'une façon sérieuse jusqu'ici. Les synthèses récentes de Guébhard (1909), André Arcin (1907-1911) et Delafosse (1912) sont insuffisantes pour des raisons diverses : manque de connaissance des textes anciens, bibliographie insuffisante, grosses erreurs, etc. Nous nous flattons de donner ici pour la première fois une histoire détaillée, approfondie et complète des Peuls du Fouta-Djallon.
Les sources sont nombreuses et diverses, anciennes et contemporaines. L'on peut consulter en effet sur cette histoire:
C'est Gordon Laing (1822) qui a donné la première chronologie sérieuse du royaume Peuhl du Fouta-Djallon et actuellement, c'est encore sur cette assise de pierre inentamée que nous pouvons construire l'histoire du royaume Peuhl au XVIIIè siècle. Après lui, Hecquard (1853) est une des sources les plus complètes, les plus sérieuses, les plus approfondies qu'il y ait pour l'histoire du Fouta-Djallon. Lambert (1861) en revanche, est une source médiocre et pleine d'erreurs. Il faut consulter Noirot et Bayol, même Guébhard (1909) qui a recueilli des traditions détaillées de la bouche des Peuhls, mais dont la chronologie (toute d'imagination) est déplorable, toujours fausse et toujours en pleine contradiction avec les dates certaines que nous avons par le passage des grands voyageurs du XIXè siècle dans la Fouta. C'est André Arcin qui dans son Histoire de la Guinée Française (1911) a donné jusqu'ici la synthèse la meilleure, la plus détaillée et la plus exacte de l'histoire des Peuls du Fouta-Djallon. Dans sa Guinée Française (1907) il n'avait donné qu'un embryon confus de cette histoire qu'il a reprise, développée et améliorée en 1911.
La synthèse rapide que Delafosse a donnée en 1912 dans son Haut-Sénégal-Niger (tome 1er) de l'histoire des Peuls du Fouta-Djallon, en faisant l'histoire générale de cette race, est pleine en revanche d'erreurs énormes qui la disqualifient complètement. Evidemment, Delafosse ne connaissait pas bien le Fouta-Djallon et son histoire. En résumé, trois grandes dates pour l'histoire des Peuls du Fouta-Diallo
Madrolle (1895) ne vaut guère que par les citations abondantes qu'il fait des voyageurs venus avant lui.
Maintenant reprenons plus en détail tous ces voyageurs ou historiens, en commençant par le père Labat.
C'est dans le tome V et dernier de sa Nouvelle Relation de l'Afrique occidentale (1728, en 5 volumes) que le père Labat (chap. IX, p. 259) découvre les Peuls du Fouta-Djallon après avoir parlé des Zapas ou Bagas qu'il divise en Zapas vagabonds, Zapas volumes, Zapas râpés et Zapas foncés (actuellement encore on divise les Baga en plusieurs groupes). " Le plus à l'est de ces peuples, dit le Père Labat, sont les Foulis. C'est d'eux de qui (les Anglais de Sierra Leone) tirent le plus de captifs, de morphil (ivoire) et même d'or en assez bonne quantité. On ne sait pas encore si cet or vient de leur pays ou s'ils le tirent de plus loin par le commerce qu'ils font fort avant dans les terres. » (p. 260 et 261).
Evidemment, cet or était tiré par les Peuls soit du Bambouk seul, soit du Bambouk (au nord) et du Bouré (à l'est), le Fouta Djallon lui-même ne produisant pas d'or. D'autre part, le père Labat écrivait en 1728 et les renseignements sur lesquels il écrivait avaient été pris par Bru et autres directeurs du Sénégal de 1677 à 1725. Comme on le voit, dès cette époque, les Foulis ou Phouls ou Pouls sont dans le Fouta-Djallon. Cela confirme la chronologie de Gordon Laing que nous verrons tout à l'heure.
Après le père Labat, il faut aller jusqu'à Golberry qui résida en Afrique Occidentale de 1785 à 1787, mais ne publia ses renseignements qu'en 1802. Peut-être quelque autre auteur du XVIIIè siècle a-t-il parlé du Fouta-Djallon entre Labat et Golberry, mais, pour mon compte, je n'en connais pas. Des recherches minutieuses à ce sujet seraient du reste indiquées et donneraient peut-être quelque résultat.
Golberry (je cite le résumé qu'en fait Walkenaer dans son Histoire générale des Voyages (il s'agit des Voyages Africains, tome V, p. 416 et suivantes), dit :
« Une autre nation beaucoup plus célèbre est celle des Foulahs; elle est répandue depuis le quatrième parallèle nord jusque sur les bords méridionaux du Sénégal et elle a fondé plusieurs colonies qui sont devenues des royaumes. Sur les bords septentrionaux de la rivière de Mesurado, ces nègres sont connus sous le nom de Foulahs-Sousous ou Susos. On les retrouve encore sous le même nom dans les montagnes de la chaîne de Sierra Leone, sur les rives du Sherbroo, du Rio-Sestos aux caps de Monte et de Palmes, et au nord, c'est une colonie de Foulahs qui a fondé sur les bords du Sénégal le royaume des nègres qu'on nomme Foules ou Peuls et qui borde le fleuve sur une étendue de cent trente lieues.
« Mais le corps de cette nation, sous son nom propre de Foulahs, occupe un grand territoire, vers les sources du Rio-Grande sous le dixième parallèle nord et entre le cinquième et le douzième méridien oriental de l'Ile de Fer.
« Téembou (Timbo), ville très populeuse, située à quatre-vingts lieues au nord-est de la baie de Sierra Leone est la métropole de l'empire de cette grande nation qui a eu une existence importante et qui domine encore aujourd'hui une grande partie des contrées occidentales comprises entre le quatrieme et le onzième degré de latitude septentrionale.
« Les Foulahs de la grande nation sont de beaux hommes forts et braves; ils ont de l'intelligence, ils sont mystérieux et prudents, ils entendent le commerce, ils voyagent en marchands jusqu'aux extrémités du golfe de Guinée et ils sont redoutés de leurs voisins. Leurs femmes sont spirituelles et belles; la couleur de leur peau est d'un noir rouge; leurs traits sont réguliers et ils ont les cheveux plus longs et moins laineux que le commun des races nègres; leur langue est tout à fait différente de celle des nations parmi lesquelles ils se sont répandus; elle est plus belle et plus sonore.
« Les Foulahs du royaume de Téembou ont conservé en partie la religion des fétiches et la pratique de toutes sortes de superstitions; ils mêlent le fétichisme à la loi de Mahomet qu'ils ont reçue, mais qu'ils professent avec un grand mélange de croyances idolâtres et superstitieuses. Ceux des bords du Sherbroo ont conservé l'institution du Purrah, association de guerriers qui remonte à une très haute antiquité et que nous décrirons incessamment. »
Golberry passe ensuite aux Peuls du Fouta-Toron qu'il considère (à tort) comme une colonie de ceux du Fouta-Djallon. Il y a bien d'autres erreurs dans son récit; la confusion des Soussou ou Soso avec les Peuls qui les ont chassés du Fouta-Djallon, l'attribution du Pourrah (société religieuse secrète des Timéné) aux Peuls. D'une façon générale, Golberry fait de toutes les peuplades nègres à partir du cap des Palmes (4è degré de latitude nord) des Peuls alors que ce sont des Kroumen, des Dan ou Dio ou autres populations de la forêt dense.
De même il attribue aux Peuls toutes les populations de la côte ouest au sud des Bagas. Bref, il y a dans son récit beaucoup d'erreurs qui seront débrouillées par la suite, mais il y a aussi des traits intéressants à recueillir.
Matthews (voyageur anglais de 1785 a 1787, parti du Sierra Leone) parle à son tour des Peuls du Fouta-Djallon. Il dit d'eux (d'après Walkenaer, tome VII, p. 170 et suivantes) :
« Les Foulahs qui habitent au dela des montagnes de la côte semblent être une espece intermédiaire entre les Arabes et les noirs. Ils ont beaucoup de conformité avec les lascars des Indes Orientales. Ils ont la figure maigre, les cheveux noirs, longs et droits, le teint jaune et le nez aquilin. Mahométans intrépides, ils font, dans leurs guerres entreprises pour propager l'Alcoran, un grand nombre d'esclaves qu'ils vendent à la côte.»
Matthews, à la différence de Golberry, distingue fort bien les Sousou, Timené, Bulloms, etc. des Foulahs et il sait que le Pourrah, qu'il décrit du reste, ne leur appartient pas. La description du Peul physique est aussi meilleure et plus exacte que celle de Golberry.
Mungo-Park a aussi parlé des Peuls.
« Les Foulahs (dit Walkenaer résumant les observations de Mungo-Park) sont, ainsi que Mungo-Park l'a déjà observé, plutôt basanés que noirs et ont de petits traits et des cheveux soyeux. Après les Mandingues, c'est sans contredit la nation la plus considérable de cette partie de l'Afrique 1. Ils sont, dit-on, originaires du Fouladou, nom qui signifie le pays des Foulahs 2. Dans le royaume de Bondou et dans les autres états voisins du pays des Maures, ils ont le teint plus clair que dans les contrées méridionales. Ces Africains considèrent tous les autres nègres comme leurs inférieurs et, quand ils parlent des différentes nations, ils se rangent toujours dans la classe des blancs 3. A l'exception du roi, tous les grands personnages et la plupart des habitants du Bondou sont musulmans. Ils ne connaissent pas la persécution religieuse et ils n'ont pas besoin de la connaître; car la secte de Mahomet s'étend dans leur pays par des moyens efficaces. Ils ont établi, dans toutes les villes, de petites écoles où beaucoup d'enfants des païens, comme les enfants des Mahométans, apprennent à lire le Coran et sont instruits des préceptes du Prophète. Avec la loi Mahométane s'est introduite la langue arabe dont la plupart des Foulahs ont une légère connaissance. Leur langue naturelle est remplie de syllabes mouillées.»
Mungo-Park continue en donnant (pp. 19 et 20) quelques détails sur la vie économique des Peuls (qu'il appelle du nom mandé, Foulahs) : le lait, la fabrication du beurre, l'absence de fromage qu'ils ne connaissent pas, les chevaux, etc.
Mollien (1816-1818) qui a parcouru en partie le Fouta-Djallon (au nord-ouest) aurait pu nous donner des détails sur l'histoire des Peuls de ce pays, malheureusement il n'a rien recueilli à ce sujet. En revanche, ses données sur le Fouta-Toron et les Peuls de ce pays sont précieuses, mais elles ne nous intéressent pas ici. Notons cependant qu'il sait bien que c'est du Fouta-Toro que vinrent les Peuls qui occupèrent le Macina et le Khasso et plus tard le Fouta-Diallon. Au sujet du Fouta-Diallo, il parle d'abord des Diallonké qu'il caractérise assez mal en les disant rouges (ils sont chocolat foncé comme les autres Mandé). Puis il parle des Peuls du Fouta-Djallon, qu'il dit un mélange de Peuls et de Diallonké, opinion où il y a du vrai, car certainement les Peuls du Fouta-Diallo, venus du Macina, se mélangèrent jusqu'à un certain point à la population autochtone. Il caractérise d'une façon assez malheureuse, les mêmes Peuls en les disant laids, laborieux et très sobres, traits qui sont faux, sauf le dernier. Du reste, il confond les Peuls ou Foulahs proprement dits avec leurs captifs et gens de caste (Laobé, Waïlbé, menuisiers, forgerons, etc.) ce qui contribue à ses erreurs sur les caractéristiques des Peuls. Comme nous l'avons déja dit plus haut, il n'a rien recueilli sur l'histoire même de ce pays depuis l'arrivée des Peuls.
Gray et Dochard (1816-1821) furent envoyés par le gouvernement anglais pour continuer et compléter l'oeuvre de Mungo-Park. On leur doit des renseignements précieux sur les guerres du Kaarta Bambara avec les Toucouleurs, le Bondou, le Khasso, etc. (ceci vers 1818). Ce sont eux, les premiers qui nous ont donné en 1821 (leur voyage est de 1816 à 1821) une histoire du Fouta-Djallon, malheureusement erronée quant à la chronologie que devait établir peu de temps après Gordon Laing d'une façon exacte. Voici comment Walkenaer (tome VII, p. 159 et suivantes) résume les observations de nos deux voyageurs.
« La Fouta-Djallon qui a pour capitale la ville de Timbo (Téembo) est une vaste contrée située entre le Sierra-Leone 4 et la rivière de Gambie 5.
Tant qu'il resta dans la possession des aborigènes, les Djallonkés, elle porta le nom de Djallonke, qui fut graduellement changé en celui de Djallo, auquel on ajouta le mot de Fouta 6, les deux noms réunis signifiant les Foulahs de Djallo ou Fouta-Djallo. Les Djallonkés sont maintenant soumis aux Foulahs, qui vinrent faire la conquête du pays sous la conduite d'une famille du Massina. Au nombre des conquérants, il se trouva un marabout qui gagna bientôt une si grande influence sur les vaincus qu'il en convertit un grand nombre au Mahométisme et se les attacha étroitement par des libéralités.
« L'almamy qui régnait à l'époque du voyage du Major Gray descendait de ces premiers conquérants.
« Karamoko Alpha fut le premier almamy de Timbo et reçut le surnom de Moudou 'grand' en sa qualité de chef des émirs et défenseur de la religion.
« Son fils Yoro Paddé surnommé Sourie 7 lui succéda dans ses différentes charges et fut lui-même remplacé par Almamy Saadou qui, détrôné par Ali Bilmah et Alpha Salihou, tomba bientôt victime de leurs intrigues sanguinaires. Salihou, proclamé roi, signala son administration par des pillages et des incursions dans les Etats voisins. Son successeur Abdoullahi ba Demba fit saisir Ali Bilmah à la suite d'une dispute qu'il avait eue avec lui et l'envoya chargé de fers, dans le Bondou, croyant le mettre ainsi hors d'état de nuire, mais Ali Bilmah parvint à communiquer avec ses partisans et renversa son ennemi du trône qui échut alors à Abdoul-ghader. Une guerre s'engagea entre ce dernier et le monarque dépossédé qui s'était retiré dans le village de Fougoumba, à quelque distance au nord-ouest de Timbo, mais, trop inférieur en force à son adversaire, Ba Demba fut tué avec un de ses fils et Abdoul-ghader affermit sa puissance par cette importante victoire. Il régnait encore quand le major Gray visita le pays.
« Les Foulahs, suivant leurs propres rapports, sont en possession du Fouta-Djallon depuis soixante ans.
Suivent quelques remarques sur le gouvernement, la religion et le commerce.»
La dernière affirmation est évidemment fausse, si elle veut dire que les Peuls ne mirent le pied au Fouta-Djallon que soixante ans avant la visite de Gray (soit en 1758) car ils arrivèrent en fait au Fouta-Djallon vers 1694 et déclarèrent la guerre sainte aux Mande, Soussou ou Diallonké vers 1725. Si elle veut dire qu'ils n'eurent la possession définitive du pays qu'en 1758, elle est un peu plus exacte quoique les guerres contre le Souliman et le Ouassoulou se soient prolongées jusqu'en 1776 environ. En tout cas, Gray et Dochard ont le grand mérite de nous avoir donné les premiers une histoire succincte, mais une histoire du Fouta-Djallon.
Gordon Laing (1821-1822) est le premier auteur qui nous ait donné une histoire circonstanciée, et très exacte chronologiquement, du Fouta-Djallon. Ce qui est curieux, c'est qu'en réalité, il n'a pas étudié directement l'histoire des Peuls du Pouta, mais celle des Diallonka ou Diallonké du Soulimana ou Soliman, province importante située au sud du Fouta-Djallon. Actuellement, le Souliman est partagé entre la Guinée Française et le Sierra Leone anglais. La partie nord du Soliman est dans le cercle de Faranah et forme la province du Soliman. La partie sud (et la plus vaste) constitue le nord du Sierra-Leone et a pour capitale Falaba, ville fondée au XVIIIè siecle par nos Diallonké et qui devint alors la capitale de tout le Souliman.
Walkenaer (tome VII, p. 339 et suiv.) résume ainsi les dires de Gordon Laing : « Le major Laing, aidé d'un marabout du Fouta-Djallon qui connaissait l'histoire du Soulimana et celle de sa patrie, a recueilli dans les chants guerriers des djillis (diéli ou griots, mot mandé) une histoire des guerres de ce peuple à laquelle il a été à même d'assigner quelques dates certaines.
« Gima-Fondo, qui régnait vers 1690, fut le premier roi des Soulimas. Ils conservent tous la mémoire de son nom. Il fit une guerre continuelle au Kissi et au Limba. Mansong-Dasa, son fils, lui succéda en 1700. A la même époque, plusieurs milliers de Foulahs partirent du nord pour aller propager la religion de Mahomet et convertirent une partie du Djallonkadou 8. Vers 1730, Mansong-Dansa eut pour successeur son fils Yina-Yalla qui régna vingt ans et fut l'allié constant des Foulahs dans la paix comme dans la guerre. En 1750, Yella-Dansa, son fils, monta sur le trône et se joignit aux Foulahs pour combattre les Sangaras 9. La première année, on détruisit les villes 10 de Bantou, Setacota, Maradougo, Sandangkota et Manyerai et l'on s'empara d'un riche butin, de prisonniers et de bétail.
« L'année suivante, on rasa Saindougo, ville située à environ cinq journées de marche de Labi, près du pays de Goubo. Un an après, ils attaquèrent le Biréko, contrée située à l'est du Sangara 11 et revinrent avec un riche butin.
« En 1754, année de la naissance de Assana-Yira, roi actuel (du Solimana) la grande et populeuse ville de Farrabana 12, à deux jours de marche au sud du Bondou résista à un siège de trois mois. Dans le même temps, Yella-Dansa mourut et eut pour successeur son fils Tahabaïré. Farrabana fut de nouveau assiégée en vain en 1755. En 1756, les esclaves du Fouta-Djallon 13 se révoltèrent, se déclarèrent libres et se rendirent en grand nombre dans le Fouta Bondou où ils élevèrent la ville de Koundiah et firent respecter leur indépendance.
« En 1760 et 1761, les Soulimas firent différentes irruptions dans le Kissi, pays où le Djoliba (Niger) prend sa source. En 1762, ils se réunirent aux Foulahs et penétrèrent dans le Ouassoula (Wassula) d'où ils ne purent sortir qu'après avoir perdu deux batailles, l'une à Balia, l'autre sur les rives du Daimouko.»
Interrompons un moment Walkenaer pour dire que le Ouassoulou, pays Malinké jusqu'au XVIIè siècle, avait eté envahi au commencement du XVIIIè par des Peuls venus du nord et rénové par cette invasion. Les Peuls du Fouta-Djallon se heurtèrent donc là à des gens de leur race, belliqueux comme eux et plus redoutables que les Malinke usés et abâtardis de cette époque. Rien d'étonnant donc à ce que les Peuls du Ouassoulou aient résisté victorieusement à l'invasion conjointe des Peuls du Fouta et des Diallonké du Soulimana leurs voisins du sud. Du reste, cette alliance des Soulimana (qui sont des Diallonké) et des Peuls, qui avaient mis le joug sur les Diallonké du Fouta, était contre nature et ne résista pas à la défaite éprouvée, comme nous allons le voir.
« Quelques jours après cette défaite, dit en effet Walckenaer, les Foulahs firent trancher la tête à tous les chefs soulimas qui se trouvaient dans le pays 14. En 1764, ces derniers tuèrent à leur tour tous les Foulahs qui étaient dans le Soulimana, portèrent la guerre dans le Fouta-Djallon, brûlèrent Sacca et, s'avançant toujours à l'est, furent vaincus près de Saholia. L'année suivante (1765) leur chef Tahabaïré entra de nouveau en campagne et revint en triomphe, chargé d'un riche butin et traînant a sa suite treize cents prisonniers.
« En 1766, Moundia, Foulaba, Toumania, Harnaia et Bokaria tombèrent entre les mains du vainqueur.
« En 1767, il s'avança au delà de Timbo et attaqua Fougoumba (ou Fougoumba) ville où l'on couronne les almamy du Fouta, mais il fut battu. Dans sa retraite, il fit une invasion dans le Limba, brûla la ville de Bambouk 15 et revint avec 3.500 prisonniers qui furent vendus au comptoir du Rio-Pongo. C'est en 1768 que fut bâtie Falaba, capitale actuelle.
« Jusqu'en 1776, les Soulimas et les Foulahs se firent une guerre continuelle, mais, en 1778, les deux chefs Tabahire et Konta-Brimah, ayant succombé dans une action sanglante où les Foulahs obtinrent un succès complet, les Soulimas avouèrent leur inferiorité et n'ont plus tenté depuis de se mesurer en plaine avec leurs ennemis.»
Ici, interrompons un moment Walckenaer pour dire que Konta-Brimah ou mieux Kondé-Birama était le chef, non des Diallonkés du Soliman, mais le chef des Ouassoulonkés, leurs alliés et, ce qui faisait la force de cette coalition contre les Peuls du Fouta-Djallon, c'étaient non pas les Diallonkés du Souliman, mais les Peuls du Ouassoulou qui venaient de s'établir dans cette région. Quand Kondé-Birama, le redoutable adversaire des Peuls musulmanisés du Fouta-Djallon, eut été vaincu et tué avec Tabahiré, son allié, la coalition se trouva dissoute et les Peuls du Fouta-Djallon définitivement vainqueurs.
« Dinka, frère puîné de Tahabahiré, continue Walkenaer, fut proclamé roi à sa place. Ce chef porta la guerre dans le Kouranko 16 et détruisit Kellima et Soubaya. L'année suivante, on se dirigea sur le Limba 17 et on en revint avec un grand nombre de prisonniers après avoir incendié Dangkang. Vers 1795, Alfa-Salou 18, roi des Foulahs, assiégea en vain Falaba. Dinka mourut en 1800; le pouvoir échut à Assana-Yira, fils de Tahabiré. Ce prince commença son règne par une expédition contre le Limba. Les habitants de Kori et de Mori furent vendus comme esclaves aux marchands mandingues. En 1805, Ba-Demba, roi du Fouta-Djallon, porta la guerre dans le Soulimana et fut enfin repoussé par la bravoure du roi et de son frère Yarradi. Depuis cette époque, les Soulimas et les Foulahs ont vécu en bonne intelligence jusqu'en 1820, époque où ces derniers attaquèrent en vain Sangouia 19.
« En 1822, Yarradi fut fait prisonnier dans une expédition contre la ville 20 de Boto située dans le Limba et ne dut la vie qu'à la générosité de ses ennemis.
« Telles sont à peu près toutes les guerres remarquables de cette nation belliqueuse. Leurs autres entreprises guerrières, qui ont pour but le pillage et les esclaves, présentent presque toutes les mêmes circonstances et amènent rarement de grands changements dans la forme du gouvernement ou dans l'étendue du territoire des peuples rivaux.»
Telle est cette remarquable histoire où Gordon Laing, voulant nous parler du petit royaume Diallonké méridional du Soulimana, nous donne en réalité les indications les plus précieuses sur l'histoire et la chronologie du Fouta-Djallon au XVIIIè siècle. On voit les Peuls du Fouta-Djallon devenus maîtres de ce pays, se liguer d'abord avec le Soliman contre le Sankaran et le Ouassoulou (1762). A la suite d'une défaite où les Diallonké du Souliman trahirent sans doute les Peuls, la guerre éclate entre les deux peuples et les Soulimans s'allient à leurs adversaires d'hier, les Ouassoulonké. Avec leur aide, ils tâchent de détruire le Fouta-Djallon par des expéditions annuelles et, en 1767, ils pénètrent jusqu'à Fougoumba, ville sainte des Peuls. Mais en 1778 (ou plutôt en 1776, comme nous le verrons plus loin) ils sont définitivement écrasés avec le Ouassoulou dans une bataille décisive, et cette fois, laissent les Peuls tranquilles. Vingt ans après (1797) c'étaient les Peuls qui devaient reprendre l'offensive contre Falaba, capitale du Soliman.
En résumé, Gordon Laing a été le premier historien et chronologiste sérieux du Fouta-Djallon. Et c'est, avec ces données, que l'on peut encore le mieux établir l'histoire du Fouta-Djallon au XVIIIe et au commencement du XIXè siècle.
Ajoutons quelques détails supplémentaires, très importants, tirés du texte même de Gordon Laing.
Tels sont les détails donnés par Gordon Laing qui quitta Falaba le 17 septembre 1822 et arriva à Sierra-Leone en Octobre. En résumé, on peut, sur les indications de Gordon Laing, résumer ainsi la chronologie des Peuls du Fouta-Djallon au XVIIIè siècle et au commencement du XIXè :
Mohammadou Saidi | vers 1700 |
Mousa-Ba ou Mousah le Grand | vers 1715 |
Alifa Ba ou Alpha Ba ou Alpha Karamokho 21 | de 1726 à 1751 |
Ibrahim Sori (ou Souri ou Seuri) | de 1751 à 1784 |
Invasion du Ouassoulou par les Peuls et les Diallonké | 1762 |
Peuls et Diallonké sont battus | 1763 |
Ouassoulonké et Diallonké réconciliés envahissent le Fouta | 1764 à 1775 |
Victoire décisive des Peuls a Hériko | 1776 |
Saadou devient almamy | 1784 |
Alpha Salihou lui succède. Il attaque en vain Falaba | 1797 |
Ba-Demba devient almamy. Il attaque en vain Falaba | 1805 |
Abdoul-Ghader almamy du Fouta-Djallon | 1813-1825 |
Il attaque en vain Falaba | 1820 |
(Nous reviendrons plus loin sur cette chronologie pour la compléter ou la modifier.)
Après Gordon Laing, cette grande et décisive date de l'histoire du Fouta-Djallon, il faut en venir au yoyageur français René Caillé (1827-1828). Né en 1800, il avait la passion des voyages et il part pour le Sénégal en 1816. Il y revient en 1824 et va d'abord chez les Maures, puis part pour Freetown et Kakondy. Il voit les Landoumans, les Nalous, alors tributaires des Peuls, puis les Baga. Il part de Kakondy le 19 avril 1827 et arrive chez les Peuls de l'Irnanko. Il apprend la mort de l'almamy Abdoul-Gadri (ou Abdoul-Ghader ou Abd-el-Kader) et les luttes de ses successeurs 22. Il passe par Foukouba (Fougoumba) et Digui. Il évite Timbo et l'almamy. Au chapitre VIII, il parle de la déposition de Yayaye comme almamy du Fouta. Boubakar le remplace. Un peu plus loin (p. 328 à 332) René Caillié fait le portrait physique et moral des Peuls ou Foulahs, puis il parle de leurs cultures, de leur commerce, de leur armement, de leur habillement, de leur ameublement, enfin des femmes Peuhles, puis passe au Kouranko et au Sankaran (pays Malinkés) divisés alors en petits cantons indépendants. Enfin, il sort du pays Peul et arrive à Kouroussa (canton d'Amana) où il rejoint le Niger.
Au fond, René Caillié donne peu de renseignements sur l'histoire du Fouta-Djallon. Nous savons seulement par lui qu'au milieu de l'année 1827, Abd-el-Kader, le dernier almamy, était mort et que ses successeurs se disputaient le pouvoir. Yayaye, battu, est déposé (1827) et Boubakar le remplace.
Quant à Anne Raffenel qui voyagea dans l'Afrique occidentale, d'abord en 1843-1844 (son volume est de 1846) puis de nouveau, surtout dans le Kaarta en 1846-1848 (le volume est de 1856), il n'a pas voyagé dans le Fouta-Djallon et en dit peu de chose. Dans son premier volume, il en parle un peu (p. 301-302) et dans le second (tome II) il parle seulement des légendes concernant l'origine des Pouls (comme il dit) et des Laobé (p. 309 a 315). Bref, il ne nous apporte rien sur l'histoire du Fouta-Djallon.
Il faut donc en venir au voyageur français Hecquard (1851) qui visita le Fouta-Djallon. On sait qu'il alla d'abord au Gabon où nous venions de nous installer (sur un point de la côte), puis à la Côte d'Ivoire (établissement français à Assinie en 1843) dans le but de remonter vers le nord et d'atteindre Ségou sur le Niger. Mais ne pouvant passer par la Côte d'Ivoire par suite de l'hostilité des Agni, il s'embarqua pour la Gambie (mai 1850) et gagna ainsi le petit royaume de Diagara (Mandingues Sonninquais, ce qui veut probablement dire Mandingues fétichistes). Il note que Mamali Sonko a été attaqué par les Peuls du Fouta-Djallon en 1848. Il arrive enfin au Fouta où la guerre civile venait de s'embraser. Ibrahim ou Ibrahima (il s'agit d'Ibrahima Sori II dit de Dara, capitale des Alphaya) s'etait levé contre l'almamy régnant Omar ou Oumarou (l'almamy Soria) et Hecquard rencontra la colonne du prétendant. Il fut reçu par celui-ci et assista au couronnement d'Ibrahima à Fougoumba le 19 janvier 1851. Mais le 24 janvier, sous Timbo, l'almamy Omar écrase Ibrahima et le met en fuite (évenements que nous reverrons plus loin avec plus de détails). Le 6 février 1851, Omar arrive vainqueur à Fougoumba et prend à son tour Hecquard sous sa protection. Il l'emmène à Timbo, capitale ruinée alors par la guerre civile, puis à Sokotoro et lui permet de visiter les sources du Bafing, rivière principale du Sénégal (2 avril 1851). Ensuite, il l'envoie auprès d'Ibrahima à Dara, capitale particulière des Alphayas, pour obtenir la soumission définitive de son rival malheureux. Les Alphayas en avaient assez de la guerre et la soumission d'Ibrahima (Oumar fut du reste très amical et très courtois envers le vaincu) eut lieu le 6 juin 1851. Plus tard, en 1859, le danger des Houbbous devait réconcilier les deux anciens adversaires et Omar reconnut alors Ibrahima Sori Dara comme son collègue dans le gouvernement du Fouta Djallon. Pour le moment, Omar eut le tort de favoriser le mouvement religieux, puritain, démocratique, de ces Houbbous qui devaient lui causer plus tard de si graves ennuis (mais tout cela n'eut lieu qu'après le départ de Hecquard).
Au chapitre VIII 23, Hecquard donne l'histoire détaillée de l'almamy Omar (ou Oumarou) depuis sa naissance qu'il place vers 1815. Il raconte sa jeunesse et son séjour chez Boubakar Saada, l'almamy du Bondou qui fut un maître en science politique pour le jeune homme. Omar revient ensuite au Fouta (vers 1836).
Généreux, il dépense ses biens patrimoniaux avec la jeunesse noble du pays qu'il s'attache et un jour, par malheur, il tue le fils de l'almamy Bou-Bakar, qui avait insulté une de ses femmes. Bou-Bakar réclame réparation, mais Omar lève l'étendard de la révolte et livre à son adversaire une bataille terrible sous les murs de Timbo. Au moment où il va être vainqueur, la mère d'Omar intervient et obtient de l'almamy Bou-Bakar que tout soit pardonné à son fils et qu'il soit reconnu comme le successeur légitime au détriment d'Ibrahim ou Ibrahima Sori (le matinal), deuxième du nom, fils de Bou-Bakar. Le vieil almamy Bou-Bakar accepte ces conditions et meurt quelques mois après en 1837.
Averti de cette mort qu'on voulait lui cacher, par ses espions, Omar se rend rapidement à Timbo et prend le pouvoir après avoir fait le salam lui-même sur le cercueil du vieil almamy. Il convoque du reste Ibrahima Sori Dara et, devant les anciens, s'engage à lui céder le pouvoir dans trois ans, à condition qu'Ibrahima Sori, après avoir régné lui-même pendant deux ans, lui rétrocède le pouvoir, et ceci ad infinitum. Donc, en 1840, Omar, fidèle à sa promesse, cède le pouvoir à Ibrahima Sori qui, circonvenu par les Alphayas, ses partisans, tente tout de suite un coup de force contre Omar qui se rendait à Socotoro. Mais le coup de force échoue et Omar qui peut regagner sa forteresse de Tsain, battit ensuite complètement son adversaire, si bien qu'en 1841, il était de nouveau le maître de Timbo.
Il ne faudrait pas croire du reste que cette victoire ait été écrasante et définitive puisque dix ans après, au commencement de 1851, quand Hecquard arrive dans le Fouta, la guerre est de nouveau allumée entre Omar le Soria et Ibrahima Sori II l'alphaya. En effet, quand Hecquard arrive à M'Beri (p. 248) il apprend que le prétendant Ibrahim est en marche pour venir attaquer l'almamy régnant. Puis il arrive à Broualtapé où le bruit se confirme. Le cousin d'Ibrahim l'Alphaya arrive lui-même à Broultapé et en fait partir notre voyageur (chap. VII, p. 254 et 255). Celui-ci suit de force l'armée du prétendant et est même reçu par celui-ci à Fougoumba (p. 259 à 260). Dans cette ville, les partisans d'Omar avaient déserté à l'approche de l'armée d'Ibrahim pour rejoindre leur chef. Le 19 janvier, Ibrahima se fit couronner solennellement à Fougoumba comme almamy du Fouta-Djallon. On appela à parler les contradicteurs, mais naturellement, ils ne se présentèrent pas (ils avaient rejoint Omar à Timbo) (p. 263). Le dimanche 20 janvier 1851, l'armée se mit en marche. Ibrahima était rayonnant et assuré de la victoire. Malheureusement, il commit la faute de s'arrêter à Bouria pour y attendre de nouveaux renforts au lieu de marcher directement sur Timbo où l'almamy Omar n'avait presque personne autour de lui. Cependant, celui-ci, dit Hecquard, p. 265, profitant des lenteurs de son adversaire avait envoyé de tous côtés des cadeaux aux chefs encore incertains sur le parti qu'ils devaient suivre ou qui voulaient rester neutres. Il avait appelé à lui tous ses partisans et réuni ainsi une armée moins nombreuse, mais mieux aguerrie et plus dévouée que celle d'Ibrahim. Le 24 janvier, il sortit de Timbo et marcha à la rencontre de son adversaire qu'il joignit dans la plaine qui s'étend sous cette ville.
L'affaire s'engagea à dix heures du matin, mais les hommes d'Ibrahim et ceux de ses frères combattirent seuls. La tourbe qu'il traînait avec lui n'était là que pour profiter de la victoire, et peu confiante d'ailleurs dans le succès de ses armes, ne voulut pas combattre et resta spectatrice de la lutte, afin d'obtenir plus facilement son pardon de l'almamy Omar. Dès ce moment, l'issue de la journée ne pouvait être douteuse.
Après une vive fusillade de part et d'autre, l'armée du prétendant commença par se débander et finit par prendre la fuite. Alors Ibrahim descendit de cheval et, entouré de quelques hommes seulement, il soutint bravement le choc afin de couvrir la retraite de ses frères. Dédaignant les conseil de ses courtisans, il ne voulait pas quitter le champ de bataille et il cherchait à se faire tuer plutôt que de subir une seconde défaite. Mais l'almamy Omar, qui l'avait reconnu dans le groupe des derniers combattants, envoya leur oncle près de lui pour le prier de se retirer, ne voulant pas, dit-il, qu'il périt de la main d'un Peuhl et lui promettant d'empêcher qu'on ne le poursuivit.
Ibrahim céda enfin aux instances de son oncle, vieillard vénérable. De son côté l'almamy Omar ordonna aussitôt la retraite, fit cesser le feu et défendit d'inquiéter les fuyards, puis il rendit la liberté à trente personnes qu'on venait de lui amener et dont ses partisans demandaient la mort à grands cris 24. Pendant toute la journée, les débris de l'armée d'Ibrahim traversèrent Foucoumba pour retourner dans leurs foyers...
Le 5 février, l'almamy Omar entra à Fougoumba et prit sous sa protection Hecquard. Nous verrons plus loin, en citant les extraits de Hecquard que donne Madrolle, que Omar envoya Hecquard à Dara, capitale des Alphayas pour obtenir d'une façon définitive la soumission de son cousin battu. Cette soumission, obtenue le 6 juin I851, mit fin a la guerre civile du Fouta-Djallon dans laquelle Hecquard était malencontreusement tombé.
Après ces évenements contemporains, dont quelques-uns seront rapportés plus en détail un peu plus loin, Hecquard passe à l'histoire ancienne du Fouta-Djallon (chap. VIII, p. 307). "Les Sidrianques 25 dit-il, sont venus dans le Diallonqué, sous la conduite d'une famille du Massina. Après des mariages et des progrès religieux, ils commencèrent la guerre sainte contre les Diallonkés qui furent refoulés au Tenda ou à la mer 26. Le conseil des marabouts de Fougoumba gouverna d'abord et se rendit tyrannique. Ibrahima Seuris, célèbre par ses nombreuses victoires, songe à le renverser. Le conseil le cite à la barre. Ibrahima Seuris marche sur Fougoumba, fait décapiter ses ennemis et se fait décerner le pouvoir souverain sous le nom d'almamy (El. Iman).
Il laissa subsister l'ancien conseil qu'il peupla de ses partisans (dit Hecquard, p. 316) en augmentant le nombre de ses membres et le transfera à Timbo 27. De cette époque date la prospérité du Fouta-Djalon. Ibrahim porta la guerre à l'extérieur, soumit à son empire les districts du Labé, du Koïn et du Kolladé, auxquels il imposa sa religion.
Son fils, Karamoka-Alpha lui succéda et, imitant la politique de son père, il fit de nouvelles conquêtes 28 mais, à sa mort, la division naquit dans le royaume. Ce prince laissait deux fils également ambitieux et qui, tous deux, aspiraient au trône. L'aîné, appelé Yoro-Paddé, surnommé Seuris, s'empara le premier du pouvoir, mais, ayant fait une absence pour aller combattre les infidèles, il fut supplanté par Ali-Alpha. Or, ces deux compétiteurs donnèrent leurs noms respectifs aux deux partis qui divisent encore le Fouta-Djallon, les Souria et les Alphaias. Ali-Alpha succéda à l'almamy Sada qui fut détrôné par l'almamy Yaya, lequel resta peu de temps sur le trône et eut Ali-Bilmah pour successeur. Cinq ans après, Salihou montait sur le trône et signalait son règne par l'adjonction à son royaume des provinces du Tangué et du Sarréia. Après ce chef vint Badimba qui conquit le Koli et qui, à la suite de plusieurs batailles contre l'almamy Abd-el-Kader son compétiteur, succombait, ainsi que son fils aîné, dans un dernier combat livré dans les plaines de Quétiguia. Abd-el-Kader, père de l'almamy Omar, après avoir réuni le Niocolo à son royaume et rendu tributaire une partie du Cabou 29 fut détrôné à son tour par l'almamy Boubakar, père d'Ibrahima Seuris 30 et nous avons vu plus haut comment sa couronne était échue en partage à l'almamy Omar, souverain actuel du pays » (p. 316, 317).
Ces renseignements d'Hecquard ne sont pas de tous points exacts, nous le savons. Il met Karamokho Alfa (en réalité cousin et prédécesséur d'Ibrahima Sori) après celui-ci. Puis il parle d'un Yoro Paddé surnommé Seuris qui est probablement un doublet d'Ibrahima Sori le Grand, puis il parle d'un Ali Alpha qui est peut-être lui aussi un double (mais cette fois de Karamokho Alpha). Enfin, il en vient à Sada où nous retrouvons le Saadou de Gordon Laing, vrai successeur probablement d'Ibrahima Sori le Grand, puis vient Yaya qui le détrône et reste peu de temps almamy. Ensuite, Ali Bilmah, puis cinq ans après Salihou. Or, nous savons par Gordon Laing que Alfa Salihou attaqua le Soliman en 1797. Si nous plaçons la mort d'Ibrahima Sori vers 1784, nous avons donc à peu près, en ne tenant compte que de ce qui est bon dans ces renseignements et en les ajoutant à ceux tirés de Gordon Laing :
Ibrahima Sori le Grand | 1751-1784 |
Saada | 1784-1792 |
Yaya | 1792 |
Ali Bilmah | 1792-1797 |
Alfa Salihou | 1797-1804 |
Abdoullahi-Ba-Demba (ou Badimba) | 1805-1813 |
Abd el-Kader (ou Abdoul Ghader) | 1813-1825 |
Yayaye | 1825-1827 |
Boubakar | 1827-1837 |
Omar | à partir de 1837 |
Une autre erreur de Hecquard, c'est de prétendre que Abd-elKader fut détrôné par Boubakar. D'après les renseignements, en effet, de René Caillié qui passa lui-même dans le pays en 1827, Abdoul-Gadiri était mort depuis un certain temps a cette époque et ses successeurs se disputaient le pouvoir. Ainsi il faut mettre Yayaye entre Abd-el-Kader (ou Abdoul Gadiri) et Boubakar.
Pour en finir avec Hecquard, disons que ce voyageur quitta le Fouta-Djallon pour revenir à Saint-Louis du Sénégal le 24 juin 1851 et passa par la plaine où Abd-el-Kader avait vaincu et tué Ba-Demba. Il parle ensuite (p. 359) de la révolte des Landoumans contre les Peuls en 1841. Ils égorgèrent alors les Peuls qui étaient dans leur pays 31. Il note aussi une opinion peuhle curieuse sur les blancs. " Ceux-ci sont les maitres de tout, parce qu'ils ont le bonheur de posséder le nom de la mère de Moise !» Il note plus loin (p. 373) que le Niokolo, peuplé de Malinkés, était, à cette époque, tributaire du Fouta-Djallon. Après avoir passé apr le Tenda, Le Gamon (ou Kaman) et le Bondu, Hecquard rentre en France le 28 décembre 1851.
Passons maintenant à Lambert qui visita le Fouta-Djallon en 1861.
« Il n'y a pas plus d'un siècle 32, dit Lambert, que les Foulahs vivaient à l'état de tribus sous de simples chefs héréditaires dans le pays des Djallonkés. Ils y étaient venus d'un lieu fort éloigné du côté du soleil levant (la terre de Faz suivant les uns, de Sam suivant les autres). Quelques unes de ces tribus, réunies sous un chef du nom de Séri, s'étaient établies sur le territoire de Foucoumba, quelques autres autour de Timbo. Séri permit à son frère Séidi 33 de prendre le titre d'alpha ou chef suprême, à condition que les alphas seraient toujours élus par les habitants de Foucoumba, privilège qu'ils ont gardé jusqu'à ce jour. Séri mourut sans enfants et Séidi transmit à son fils Kikala son titre et sa puissance. Le titre d'alpha fut ensuite porté successivement par les deux fils de ce dernier, Malic et Nouhou, qui ne se départirent pas à l'égard des Djallonkés idolâtres des procédés de douceur et de persuasion employés par leurs ancêtres. Le fils de Malic, Ibrahima, fut le premier à ériger en système la conquête et la conversion à main armée. Cet Ibrahima, élevé par un marabout, son parent, avait, dit-on, un tel respect pour son précepteur qui, entre autres choses, lui avait appris l'arabe, que lorsqu'il pleuvait (ce qui arrive dans ce pays six mois de l'année sur douze), il montait pieusement sur la case du saint homme et la couvrait de ses vêtements, pour que la pluie ne pénétrât pas jusque dans l'intérieur. Aussi, disent les Foulahs, Dieu récompensa Ibrahima de cette piété vraiment filiale en bénissant toutes ses entreprises.
" Le nombre des Foulahs, ses sujets et des musulmans qui lui étaient soumis s'étant accrus peu à peu, il prit le titre d'almamy 34 et commença la conquête de toute la contrée qui porte aujourd'hui le nom du Fouta-Djallon. Cette conquête fut, du reste, l'oeuvre de toute sa vie; il eut à repousser aussi les attaques des peuples païens qui vinrent d'au delà du Niger au secours des Djalonkés. Il vainquit, dit-on, dans plus de cent rencontres et ne tua pas moins de 174 rois ou chefs de tribus. On prétend même qu'en une seule fois, il en mit à mort 34 sur 35 qu'il avait en face de lui et encore n'épargna-t-il le dernier champion que parce que celui-ci était une femme, une véritable amazone n'ayant conserve qu'un sein, ni plus ni moins que les héroïnes qui combattirent sur les bords du Thermodon 35.
Vainqueur des idolâtres de l'Est, Ibrahima se tourna vers le Nord, força Maka, roi des Bondous, à embrasser l'Islamisme et à prendre le titre d'almamy; puis il passa la Falémé et le Sénégal et porta ses armées victorieuses jusqu'à Kouniakari au coeur du Kaarta 36, à cent soixante lieues de Timbo. La rapidité de cette expédition et de ses succès lui valut le surnom de Sori (le matinal) que la tradition lui a conservé.»
Il y a dans ces notes de Lambert, des choses très intéressantes et aussi des confusions. Ce qui est intéressant, c'est la notion de Séri, frère aîné de Mohammadou Saidi ou Seidi. Ce Séri peut être placé vers 1694. C'est aussi la mention de Kikala 37 fils de Saïdi et de ses deux enfants Malic et Nouhou dont le premier, (ou le second, on ne sait pas) correspond sans doute au Moussa-Ba de Gordon Laing, qui, d'après celui-ci, aurait converti les Dialonkés, mais seulement par la douceur. Lambert parle ensuite d'Ibrahima Sori qui aurait été le premier à employer la force contre les Dialonkés, qui aurait repoussé les Ouassoulou et les Dialonkés (du Sud), qui aurait terminé enfin sa vie par une expédition au nord contre le Bondou et le Khasso. Mais il y a certainement, au début de ce qu'il dit sur Ibrahima Sori, une confusion entre Karamokho dont il ne parle pas justement et Ibrahima Sori. Disons en passant que Karamokho Alfa ou Alifa Ba s'appelait de son vrai nom Ibrahima Moussou, Karamokho-Alfa-Ba ne signifiant pas autre chose que le grand roi savant (Alpha = roi, chef, ba = grand et Karamokho = maitre d'école, lettré, savant). Et en effet les faits de piété envers son précepteur qui lui avait appris le Coran et l'Arabe, appartiennent à la légende d'Ibrahima Moussou, alias Karamokho Alfa. Ce sont les victoires qui appartiennent à son successeur, Ibrahima Sori, qui, après avoir subi l'assaut des Ouassoulonkés et des Dialonkés du sud ou Soulimana, finit par dompter et écraser ses ennemis et porta la guerre bien au nord du Fouta-Djallon dans les dernières années de sa vie. Notons du reste que les cent soixante-quatorze rois qu'aurait exterminés Ibrahima Sori sont tout au plus des chefs de village ou de canton. A part cela, ce fut un grand guerrier.
En résumé, Lambert a enrichi l'histoire du Fouta-Djallon de quelques données importantes. Mais ce qu'il y a de plus intéressant chez lui, ce sont ses détails sur les premiers chefs des Peuls du Fouta-Djallon. Réformons donc ainsi la chronologie donnee plus haut :
Séri | vers 1694 |
Mohammadou Saidi | - 1700 |
Kikala | - 1710 |
Malic et Nouhou (dont l'un est le Moussa-Ba de Gordon Laing) | 1715 à 1735 |
Ibrahima Moussou (ou Karamokho Alfa Ba) | 1735 à 1751 |
Enfin Ibrahima Sori | 1751 à 1784 |
Ajoutons que la division des rois du Fouta en Alphaya et en Souria date de Karamokho-Alfa et d'Ibrahima Sauri, Karamokho ne portant que le titre d'Alpha (ou Alifa) et ayant ainsi donné naissance aux Alphaya, Ibrahima Sori ou Sauri portant le titre d'Almamy et ayant donné naissance, par son surnom (Sori ou Sauri le matinal) aux Sauria ou Soria. En résumé, les Alphaya étaient les pieux, les religieux, et les Soria les guerriers et cavaliers matinaux. C'est donc de la mort d'Ibrahima Sori (vers 1784) que date la division de la royauté, chez les Peuls du Fouta-Djallon, en deux branches rivales se faisant souvent la guerre et se disputant le pouvoir. En principe, un Soria devait succéder à un Alphaya après deux ans de règne et vice-versa.
Notes
1. Il s'agit
de l'Afrique occidentale.
2. S'il s'agit du Fouladougou des cercles de Baroulabé et de Kita, l'opinion est fausse car ce Fouladougou n'a été peuplé par les Peuls qu'au commencement du XVIIIè siecle. S'il s'agit d'un mot général signifiant (en mandé) pays des Peuls, évidemment les Peuls sont originaires de leur pays d'origine.
3. Ou des métis de blancs et de nègres.
4. Au sud.
5. Au nord.
6. Le mot de Fouta est Peul et désigne tout établissement Peul : Fouta-Toro, Fouta-Djallo, Fouta-Damga, etc. Ce sont les Peuls qui ont appelé le pays dont il s'agit Fouta-Diallon.
7. Ce Yoro Paddé surnommé Sourie, est évidemment Ibrahima Seuri ou Sori surnomme Maoudo (le grand). Mais Karamokho-Alfa n'était pas son père, son cousin seulement. Du reste, Karamokho-Alfa, vaincu et devenu fou, ne fut jamais surnommé le grand, mais seulement son cousin et successeur, Ibrahima Sori, ou le matinal, qui lui succéda et le vengea. Nous reverrons, du reste, en détail, toute cette histoire plus loin.
8. En réalité, il y a eu un certain intervalle entre la venue des Peuls du Macina au Fouta-Djallon et la guerre sainte déclarée aux autochtones, peut-être un intervalle de quarante ans (1694-1725).
9. C'est la province du Sankaran peuplée depuis longtemps de Malinké, dès avant le XIIIè siècle de notre ère.
10. Lisez: villages.
11. Setacota est probablement le village de Sitacoto, situé à l'est du cercle de Faranah dans le Sankaran occidental. Saindougo est peut-être le Sandougou actuel à l'ouest de Faranah. Quant au Bireko, située à l'est du Sankaran, c'est peut-être le pays de Beyla.
12. Ou Farabana, toujours existante à l'ouest du cercle de Faranah.
13. Il est probable que ces esclaves du Foutah étaient les autochtones Dialonkés restés dang le pays et mis sous le joug par les Peuls, devenus serfs de la terre (Rimaibé), etc. Ils se révoltent et se réfugient au Bondou, pays Peul cependant à cette époque.
14. Il y avait peut-être eu, dans le Ouassoulou, une trahison des Soulimana contre les Peuls, leurs alliés.
15. Peut-être le Bambaia actuel à l'ouest extrême du cercle de Faranah. Il s'agit peut-être aussi d'une incursion dans le Bambouck, bien au nord du Fouta-Djallon.
16. Province située à l'ouest du Sankaran et peuplée de Malinkés fétichistes. Le Kouranko avait 24.000 habitants en 1907.
17. Autre province à l'ouest du Soulima et du Kouranko.
18. Ou mieux Alfa-Salihou.
19. Il s'agit évidemment du gros village de Soungouya-Tounkouro situé à l'ouest du cercle de Farana sur la frontière franco-anglaise.
20. Lisez village.
21. Karamokho veut dire en peuhl: maître d'école, lettré savant. On appelle généralement cet almamy Karamokho Alfa
22. P. 285, 286. Journal d'un voyage à Tombouctou et à Jenné dans l'Afrique Centrale, par René Caillié, 1830.
23. Voyage sur la côte et dans l'intérieur de l'Afrique occidentale, par Hyacinthe Hecquard, 1 volume, 1855.
24. Cet Almamy Omar etait un personnage remarquable, bien superieur aux autres Peuls, et dont Hecquard fait le plus grand éloge. Fort de corps, adroit a tous les exercices, vaillant, heroique, il etait également clément et toujours politique. Ce fut certamement le plus grand almamy du Fouta-Djallon avec Ibrahima Sori Maoudo (le grand) mais aussi vaillant, il était moins cruel. Il n'aurait pas fait tuer, comme Ibrahima Sori, les marabouts de Fougoumba.
25. Ou mieux Sidianke.
26. Ceci est un résumé emprunté à Madrolle de ce que dit Hecquard, p. 314. Remarquons que pour les origines Peuhles lointaines, Hecquard, reproduisant ce que les Peuls lui dirent, en fait des blancs venus de l'est, qui se mélan. gèrent aux nègres et finirent par arriver dans I'Ouest africain (p. 314).
27. En réalité Ibrahima Sori le Grand ne créa pas Timbo comme on l'a dit à tort, mais en fit la capitale du Fouta-Djallon qui, avant cette époque, etait Fougoumba. Cependant, Timbo était déjà une ville importante du Fouta. C'est vers 1780 (probablement) qu'elle devint capitale.
28. Dans ce Kramaka-Alpha, il nous faut reconnaitre le nom défiguré de Karamokho-Alfa, cousin d'Ibrahima Sori (et non son fils) qui avait régné avant lui en réalité. Karamokho-Alpha mourut, nous le savons, en 1761 et la guerre fit rage contre Ouassoulonké et Dialonké du Soliman de 1751 a 1776, époque de la victoire definitive d'Ibrahima Sori sur les troupes coalisées. Comme on le voit, Hecquard ignore complètement Gordon Laing et multiplie ainsi les erreurs sur la vieille histoire du Fouta-Djallon qu'il ne connaît que fort imparfaitement.
29. Ou Gabou vers la Gambie.
30. C'est-à-dire d'lbrahima Seuris II dit Dara, le rival malheureux d'Omar.
31. En 1841, c'est la lutte entre Omar et Ibrahima Sori Dara pour la possession du pouvoir. Ibrahima rate son coup de traitre contre Omar et est battu. Les Landoumans ont pu profiter de cette guerre civile.
32. Erreur de Lambert, car il aurait dû écrire : il y a un siècle et demi environ. La terre de Sam, c'est la Syrie, la terre de Faz, c'est peut-être Fez, mais alors ce n'est plus le soleil levant. Dans tout cela, nous retrouvons des erreurs et des prétentions maraboutiques de Peuls convertis à l'Islam. L'indication du soleil levant est sans doute ici la plus ancienne et la seule sérieuse, les Peuls venant d'Ethiopie.
33 Sans doute, le Mohammadou Saïdi de Gordon Laing (1700).
34. Emir-el-Mouménin : Commandeur des croyants, en arabe. Almamy est une déformation peuhle et nègre de ce mot.
35. D'après d'autres renseignements, plus sûrs que ceux de Lambert, cette amazone n'était que la femme du chef Ouassoulonke Konde Birama ou Konde Ibrahima et s'appelait Awa (ou Eve), Awa Birama. Les idolâtres de l'Est, au delà du Niger, dont parle ici Lambert, sont des Ouassoulonké ou Peuls du Ouassoulou restés fétichistes.
36. Il y a ici une erreur de Lambert: Kouniakari (ou mieux Koniakari) était alors un des villages principaux du pays Khassonké au nord du Sénégal (et l'est du reste toujours). Comme ces exploits d'Ibrahima Sori datent sans doute de la période qui va de 1776 à 1780, Kouniakari était alors aux mains des rois Khassonkes et la guerre d'Ibrahima Sori fut donc conduite contre les Khassonkes. Les Bambaras du Kaarta ne s'emparèrent de Koniakari qu'au commencement du XIXè siècle.
37. Kikala pourrait être placé vers 1710, Malic et Nouhou entre 1710 et 1735.