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Islam


Paul Marty
L'Islam en Guinée : Fouta-Djallon

Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages


Chapitre VII
La Doctrine et le Culte

I —Croyances dogmatiques

Les doctrines qui suivent sont tirées de l'enseignement et du prêche des Karamoko et marabouts qui font le prône du vendredi et le catéchisme des autres jours dans les mosquées et écoles Foula du Fouta-Diallon ou Toucouleurs du Dinguiraye, soit que je les y ai entendues moi-même, soit que pour plus de discrétion la traduction m'en ait été faite, à la suite de la prière. Ce sont donc les doctrines et croyances répandues par le petit clergé local et orthodoxe et communément admises par le peuple.

Allah

Il est Un, Maître Suprême, Tout Puissant, Invisible dans Sa Personne, Visible dans Sa création et Prouvé par elle. On Le reconnaît à Son « travail » : la terre, les montagnes, les marigots, les arbres, etc. Il est très Grand. Celui qui se croit très grand est tout petit à côté de Lui. Il gagne toujours, mais sans fatigue. Il dit aux créatures: « C'est Moi qui donne tout. De vous Je n'ai besoin nul. Je veux seulement que vous Me reconnaissiez pour votre Seigneur. »
C'est Lui qui a imposé le travail aux hommes, à cause de la faute commise par leur père Adam dans le Paradis terrestre; mais au Ciel, on ne travaille plus.
Il ne mange pas, ne dort pas, ne cultive pas. Il a tout sans avoir besoin de cultiver. Il n'est pas marié, et n'a pas d'enfants. Il n'a pas de place fixe; Il est partout.

Le Prophète Muhammad

Il est le grand marabout envoyé par Allah pour annoncer la bonne nouvelle aux hommes, c'est-à-dire pour leur faire remise du Coran et leur apprendre le salam. C'est de lui qu'Allah a dit « Celui qui est avec lui est avec Moi, et celui qui est contre lui est contre Moi. »
Le Coran est la parole divine, transmise par l'ange Gabriel à Mohamed et que celui-ci répétait, après la révélation, à ses disciples, qui en prenaient note sous sa dictée).
Le Prophète a prononcé de lui-même un grand nombre de prescriptions, et « beaucoup de paroles ». Elles ont été rapportées par les traditionalistes.
Mohamed ne vécut pas d'accord avec les gens de la Mecque. Cette inimité des Mecquois était l'œuvre du Cheytan qui voulait ainsi faire obstacle à la mission prophétique. Ils mirent le Prophète dans une case et Satan se chargea lui-même de le garder; mais l'homme de Dieu mit de la terre dans les oreilles du diable. Celui-ci s'endormit et n'entendit rien. Mohamed put s'enfuir et cette année fut comptée comme première de l'Hégire.
Le Prophète mourut empoisonné par un Juif, qui est une sorte de Chrétien, dix ans plus tard. Il avait soixante-trois ans, et depuis lors, c'est presque un gage de salut de mourir à cet âge.
Le Nabi Mohammed est l'objet de la plus grande vénération au Fouta. Son culte est pratiqué avec ferveur, et ses louanges sont chantées tous les vendredis. De nombreux poèmes composés en son honneur par les Karamoko, circulent dans les milieux intellectuels. Le Ouali de Goumba, remerciant Tierno Atigou de Kindia de ses attentions, lui écrivait « Tu as pour tes amis le coeur du Prophète pour ses compagnons. »

Croyances eschatologiques

Dès la première minute du décès, l'ange de la mort interroge l'âme qu'il vient de ravir :
— « Connais-tu Allah ? Connais-tu le Nabi ? As-tu fait salam? etc. »
Et le fidèle doit répondre;
— « Dieu est un, le Nabi est son prophète; Ibrahima est mon père; le Paradis mon séjour, etc.; j'ai fait salam. »
L'espérance entre dès lors dans son coeur; et tandis que l'ange se retire, il commence, en attendant le jugement dernier, une vie de calme et de tranquillité dans son tombeau élargi, illuminé, transformé en séjour de joie.
S'il n'a pas bien répondu, les souffrances commencent aussitôt. Le tombeau se resserre, oppresse l'âme de l'infidèle, il est frappé et fortement tenaillé.
La fin du monde arrive: une première sonnerie du clairon angélique éclate et tout ce qui est vivant sur la terre meurt . Une deuxième et tous ressuscitent. Les tombeaux s'ouvrent, les âmes accourent au lieu du rassemblement, et attendent dans l'angoisse l'arrivée de Dieu. Mais celui-ci ne parait pas. Alors grands palabres. « Nous sommes fatigués d'attendre », disent les fidèles. Le conseil des prophètes se réunit et décide que l'un d'entre eux ira implorer la miséricorde de Dieu, mais tous se récusent successivement, se jugeant indignes de cette sainte mission: Adam, à cause de sa faute du Paradis terrestre; Noé, à cause de son accès d'ivresse; Moussa, parce qu'il a tué un homme en Egypte; Idrissa, parce qu'il est tombé à la mer (?); Issa (Jésus) parce qu'il a honte de paraître devant Dieu, depuis que les Chrétiens ont voulu le faire passer pour son fils. Mohammed finit consentir à cette démarche. A vrai dire, il est le seul qui soit sûr d'aboutir. Il demande grâce pour les vrais croyants d'abord; et Dieu accorde. Il va plus loin: il prie pour tous les hommes de bonne volonté; et Dieu se laisse apitoyer. Mais il exige d'abord le jugement.
Il apparaît aussitôt au rassemblement et on prépare la double épreuve que doit subir l'humanité; la balance, le pont.
La balance est apportée: on pèse le bien et le mal de chaque homme. Celui dont le plateau du bien l'emporte est sauvé. Quand les plateaux s'égalisent, le Karamoko de l'intéressé intervient, implore le Nabi; sur les prières de celui-ci, Dieu se laisse fléchir.
Un pont tortueux et étroit (Sirate) est construit sur une mer de feu. Les Ouali passent les premiers, suivis par leurs talibés et leurs amis; les autres suivent; les méchants tombent dans le feu. Les moutons qu'on a tués à la Tabaski se changeront ce jour-là en chevaux sûrs et vigoureux, sur lesquels on pourra passer le pont sans crainte. Celui qui en aura beaucoup pourra même en prêter à ses amis et disciples.
Le ciel (firdous, diannatou) est un grand pays fait de fumée, où l'on boit, mange et dort tout le temps. Jamais de travail, même pour porter les mets à la bouche. Ils viennent s'y placer d'eux-mêmes. Quatre grandes rivières de lait, de miel, de vin et d'eau pure (d'eau distillée, dit même un Karamoko plus affiné), coulent dans le Paradis et sont à la disposition des élus. Les femmes abondent. Chaque fidèle « gagne » des milliers de femmes, toujours vierges; on ne se fatigue jamais à les connaître, et leur contact n'apporte jamais de maladie. On croîtra sans cesse en force et en vigueur au Paradis, alors que sur la terre chaque jour amène son petit coefficient de décrépitude.
L'enfer (Diahanamiou) est un lieu de souffrances inexprimables et probablement éternelles. Le corps brûle dans un feu ardent, et quand il est sur le point d'être consommé, il renaît tout à coup de ses cendres. Le damné travaille sans arrêt. Il a faim et soif. Ni la mort, ni le retour sur la terre aux fins de repentir et de rachat ne sont accordés à celui qui les demande. Les infidèles qui ont touché de prés à l'lslam et ne se sont pas convertis sont destinés à l'Enfer,
L'Arafou est un petit village, une station intermédiaire entre les grands villages du Ciel et de l'Enfer. Elle est destinée aux enfants musulmans qui n'ont pas encore fait salam, ainsi qu'aux Chrétiens ou aux Juifs, dont la conduite envers les musulmans a été correcte, et aux infidèles qui n'ont jamais vu de marabout et dont la vie fut droite suivant la morale naturelle. L'Arafou, où on vit sans douleur, mais avec le regret des joies du ciel, disparaîtra après le jugement dernier, quand Dieu le jugera utile. Les habitants se partageront entre le ciel et l'enfer.

L'Imam

Il est le commandeur des croyants dans chaque pays. Il y a un Almamy du Maroc, un Almamy d'Egypte, un Almamy de Istanbul. Il n'y a plus d'Almamy en Guinée depuis la suppression de la charge par les Français tant à Timbo qu'à Dinguiraye. L'Almamy des Toucouleurs, Al-Hadj Omar, puis son fils Ahmadou Chékou, a été aussi supprimé au Soudan. Il n'y a pas de chef de la communauté musulmane. Le grand Chérif de la Mecque est le plus grand pontife. Ses instructions doivent être reçues avec piété, mais interprétées d'après les contingences locales et appliquées dans les mêmes conditions.

Le Mahdi

Il est un grand marabout qui viendra à la fin du monde pour faire entendre la parole de l'Islam au monde entier. Il sera Arabe et chérif, donc blanc. Tous les prétendus Mahdi de couleur noire sont des imposteurs. Ce sera un grand savant; il aura bouleversé tout le monde, avant d'arriver dans le Fouta. Venu de la Mecque et Médine, il y retournera pour combattre l'Antémahdi sur le point de s'emparer des deux villes saintes.
L'Antémahdi, venu immédiatement avant lui, sera un homme grand et gros, borgne, aux pieds plats, monté sur un âne qui peut faire en un jour l'étape ordinaire accomplie par un bon marcheur en un mois. Il sera vaincu et tué par le Mahdi
Issa apparaîtra alors pour apporter la bonne parole à tous les Chrétiens, ses enfants, et les convertir à l'Islam. Il rencontrera le Mahdi, lui rendra hommage, et la fin de leur entrevue sera la fin du monde.
Donc, résume un Karamoko, la mission du Mahdi est tout à fait sérieuse; et tout individu qui se proclame madiou doit immédiatement être arrêté et mis à mort, s'il ne confesse son erreur et son imposture.
En réalité, les lettrés n'ignorent pas que le Mahdi doit instaurer le règne d'Allah sur la terre, même au détriment des Chrétiens. Certains même fixent la date de son apparition, et Alfa Ibrahima Fougoumba avait l'audace, en 1897, à Timbo, au milieu d'un palabre avec les autorités françaises, de la prédire pour un nombre d'années égal à celui des grains qu'il comptait sur son chapelet. Et il s'arrêtait à cinquante. L'humiliation des Foula vaincus pouvait se bercer de cette espérance.
Quant à la foule et aux petits Karamoko, ils confondent facilement « madiou » et « massihou dadialou », et attribuent à l'un les qualités et caractère de l'autre et réciproquement.

II — La Prière

La prière, le Salam comme on dit vulgairement, le « julde » ou « juldugii » comme disent les Foula, est le critérium du vrai musulman. Faire salam, c'est se distinguer du païen, même si on n'est pas un parfait musulman de croyances et de pratiques, c'est entrer et être admis dans la communauté des fils du Prophète.
La prière est une prescription divine apportée par l'angeGabriel, et transmise aux hommes par Mohammed, à la suite d'une révélation. Le premier ordre de l'ange comportait d'abord cinquante prières journalières, et Mohammed allait s'appliquer bravement à les effectuer, quand au cours d'une entrevue mystique avec le Nabi Moussa, il en fut dissuadé par celui-ci. Moise lui fit remarquer qu'il était trop faible et qu'il ne pourrait tenir sa parole. Il lui conseilla de revoir l'ange et de lui demander une réduction. C'est ce que fit le Prophète. Le fait se renouvela plusieurs fois et, de réduction en réduction, le chiffre tomba à cinq prières par jour.
Le Nabi Moise trouvait que c'était trop encore, mais à ce coup, le Prophète déclara qu'il aurait honte de recommander une nouvelle démarche, et qu'il s'en tiendrait là.
C'est ainsi que les cinq prières journalières ont été fixées dans l'lslam.
Par la même occasion, Allah fixa l'orientation en révélant au Prophète: « Je suis partout, mais j'habite spécialement dans ma case de prédilection de la Mecque. Quand tu prieras, en quelque lieu que tu sois, tourne-toi vers moi. » Depuis cet ordre, les musulmans doivent se tourner vers la Mecque pour prier.
Les Foula qui, en leur qualité de pasteurs, vivant au grand air, ont des connaissances pratiques d'astronomie, sont fort adroits pour découvrir la bonne direction de l'Est. Les groupes des [étoiles] Pléiades (en poul-poullé « Dattiouki ») leur sert pour fixer leur orientation. On ne trouve pas chez eux ces erreurs de 90° auxquelles sont sujets les Malinké de la haute Guinée et surtout les Soussou de la côte. Au surplus, le Karamoko Foula dit que la chose est relativement peu importante, et que lors qu'on est perdu dans la brousse, derrière ses boeufs, et qu'on n'a pas pu repérer sa position, il suffit de se placer dans la direction approximative de l'Est.
Les cinq prières journalières portent les noms suivants :

  Foula et Toucouleurs Diakanké de Touba et dépendances
Prière de l'aurore Julde Subaha Néyatou Sokhoma
Prière du midi Julde Fanaa Sallifana
Prière de la mi-soirée Julde Alansaraa Khansara
Prière du crépuscule Julde Futuroo Fitiri
Prière du soir Julde Geeyhe Sakhafou

La prière doit être précédée des ablutions. Les ablutions se font avec l'eau en principe. Toutefois, quand il n'y a pas d'eau, quand on est malade, etc., on peut les faire avec du sable ou de la terre, ou même les simuler simplement. Il est à remarquer que, malgré que l'eau abonde dans le Fouta, où ruissellent partout rivières et cascades, les ablutions se font rarement avec de l'eau. On voit des caravanes entières de Foula campées sur les bords d'un marigot limpide, se frotter pieusement les mains, les bras et la figure avec un peu de sable, où plus simplement avec rien du tout, à deux pas de l'eau; la tolérance est entrée dans les moeurs. Il faut reconnaître au surplus qu'ils font bien la chose et qu'à cinquante mètres de là on croirait qu'ils s'inondent d'eau. Sanderval, dont les observations ne manquent pas de justesse, remarquait le fait:

Rien de curieux comme l'ablution mimée de ces musulmans à l'heure du salam. Ils se frottent les mains, les bras jusqu'aux coudes, la barbiche, le cou, les oreilles, comme s'ils étaient à la fontaine. D'eau, pas une goutte, mais les gestes sont d'une exactitude si parfaite qu'on croit la voir ruisseler tout le temps.

On doit, aussitôt après, se recueillir un moment, se mettre devant Dieu dans la position d'un captif devant son maître souverain, et commencer la prière.
Elle consiste dans la récitation coranique d'un certain nombre de formules et dans l'accomplissement d'un certain nombre de gestes.
Il n'y a rien de spécial à signaler sur ce point dans le Fouta-Diallon. Ce sont les mêmes attitudes, les mêmes litanies, les mêmes versets du Coran que partout ailleurs.
La prière coranique finie, il est bon d'y ajouter une prière surérogatoire qui porte le nom arabo-pular de « baqiyatou salihatou », c'est-à-dire « pieux complément ».
Il consiste en 100 invocations, se décomposant en:

33 Sub'han Allah Dieu soit béni !
33 Al-Hamdu lillah Louange à Dieu !
33 Allah Akbaru Dieu est le plus grand !
1 La ilah ill'Allah, Muhammadu Rasul'Allah Il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah et Muhammadu est son Prophète!

Aussitôt après les prières de l'aube et de la mi-soirée, les affiliés à la voie tidiania récitent les litanies de leur wird spécial.

Les Qadriyanke doivent les réciter en principe après chacune des cinq prières, mais ils sont autorisés à les couper par des conversations, des rires, l'absorption de nourriture.
Les Sadialiyanke les récitent, comme les Tidiani, après les prières de l'aube et de la mi-soirée.
En outre, les pieux Tidianianke se lèvent la nuit, après un premier somme pour réciter 20, 50 ou 100 fois, même plus, les litanies de leur ordre. Cette récitation supplémentaire a le don de purifier le coeur des fautes passées et de raffermir la volonté dans sa résolution de ne plus pécher.
Il n'y a guère qu'un petit nombre de pieux karamoko qui récitent régulièrement les cinq prières, leur complément, et les litanies de la voie. La majorité du peuple foula ne récite guère que deux prières par jour; celle du matin, qui n'est pas dite d'ailleurs à l'aurore, mais au lever de l'intéressé, et surtout celle du crépuscule, qu'on fait facilement en commun. Les Toucouleurs du Dinguiraye paraissent avoir plus de ferveur. Quant aux pasteurs foula (Fulɓe buruure) de la brousse, aux serviteurs, paysans et ex-captifs diallonké, malinke et bambara, il est avéré qu'ils ne pratiquent pas le salam, quand ils sont livrés à eux-mêmes. Seule la présence du maître, du patron, d'un pieux personnage les contraint, par respect humain, à faire leur prière ou tout au moins un semblant de prière.

Priere publique

Il n'y a pas de lieu fixe pour la prière. Le fidèle peut la faire en tout endroit qui lui est agréable, pourvu que cet endroit soit propre. Il suffit de nettoyer un coin du sol de toute immondice, urine ou fumier (excréments humains' et canins, crottes de volailles). La bouse des bovin et des ovins, le crottin du cheval et de l'âne, tous animaux herbivores, ne sont pas considérés comme des choses immondes, mais il vaut mieux toutefois en débarrasser le sol. Il n'est pas question ici des mosquées, petits sanctuaires et lieux de prières. Ils font l'objet d'un articulet infra.
L'assiduité dans la prière est considéré universellement comme une vertu. Il faut remarquer toutefois que les Foula n'apprécient pas une trop grande piété chez les enfants.
Ils disent qu'un enfant trop fervent meurt jeune, et c'est pourquoi ils refrènent les penchants à l'oraison chez les jeunes natures trop mystiques. Les Toucouleurs, toujours plus pratiquants, n'ont pas adopté ce curieux usage, et estiment qu'il ne faut jamais enrayer ces pieuses dispositions de l'âme enfantine. L'âge canonique pour le commencement du salam est sept ans.
Le chapelet (« kurus » toucouleur, « jikuruwol » foula, ce dernier mot d'origine arabe) est dans toutes les mains au Fouta-Diallon. C'est le chapelet ordinaire à cent grains (fait par les artisans locaux du bois du bani, du tyelèn , ou du tyimme, et plus souvent encore, acheté dans des boutiques, et d'importation européenne. Quelques pieux Karamoko ont d'interminables chapelets à mille grains, dont ils se ceignent volontiers, comme un franciscain. C'est sur le chapelet qu'on récite les cent litanies qui constituent le baqi calihatou ou « complément de la prière». On l'égrène encore en récitant les multiples invocations, connues dans l'Islam, chacun suivant sa dévotion.

III — Le jeûne

Le jeûne est dit d'une façon générale « Hoorugol » ou « Korka ». Le jeune du Ramadan est dit « Sumayee » chez les Foula; le mois en a gardé le nom.
On ne peut nier qu'il soit observé avec régularité, au moins dans l'élément libre, foula et toucouleur. On ne mange, ni ne boit, ni ne fume, ni ne touche à une femme pendant tout ce mois de Sumayee (Ramadan), de la première aube au crépuscule. Certains se permettent bien de priser et même de chiquer, mais les Karamoko le défendent.
Le Ramadan a son origine dans une prescription divine donnée à Mohammed.

« Chaque année, tu feras le carême un mois. »

Le jeûne est obligatoire pour les hommes à partir de dix huit ans, pour les femmes après l'établissement certain des règles. Toutefois on commence à s'entraîner deux ou trois ans avant. Dès les premiers signes de la puberté, il est de bon ton de faire quelques jours de jeûne, pendant le Ramadan.
Il y a un certain nombre de licences: les enfants vieillards, les malades, les voyageurs, les femmes enceintes, les nourrices en bénéficient. La règle est que quiconque doit le jeûne et ne le fait pas, doit le faire par la suite, et l'obstacle disparaissant, un nombre de jours de jeûne égal à celui qu'il n'a pas observé. C'est le cas du malade, du voyageur, de la femme enceinte ou nourrice. Si la chose est impossible (vieillard, homme maladif, etc.), on doit la racheter par une aumône ou une pieuse libéralité.
Une licence moins canonique est celle que s'accordent les gens du commun, le petit repas du matin « suguli », qu'on fait, non pas à la dernière heure de la nuit, mais au lever du soleil et avant de sortir de la case, alors que le jour a déjà paru.
Certains ne peuvent pas résister à la tentation de voir leurs femmes pendant le jour. Ils doivent se racheter par la distribution d'une aumône de 60 kilos de maïs, de riz, ou de fonio. Ils doivent en outre un jour de continence à la fin du Sumayee.
Le jeûne est prescrit par Allah, mais il n'est pas ordonné, même au prix de violences. On ne doit donc pas frapper ou contraindre de quelque manière que ce soit, le captif ou le visiteur qui n'observe pas le jeûne. Il faut simplement attirer son intention sur cette négligence de la loi divine. Le mois de Sumayee amène avec lui une recrudescence sensible de ferveur islamique dans le Fouta-Diallon. Les prières sont faites plus régulièrement, les réunions à la mosquée plus nombreuses; les prêches plus abondants et plus suivis. On partage le Coran en trente fractions, et chaque jour on s'assemble chez le chef ou au « jarrudu » [ jangirdu, c'est-à-dire case de lecture ] et on assiste à la lecture d'une fraction. Les gens, fatigués par le jeûne, prennent des airs d'ascète, et semblent se renfermer dans une plus grande défiance que jamais vis-à-vis du Blanc.
En dehors du carême canonique de Sumayee, il est d'usage dans le monde maraboutique des Foula, ainsi que chez les Toucouleurs de Dinguiraye, de pratiquer des jeûnes surérogatoires dans le courant de l'année C'est ainsi que le jeûne de Achoura, et le jeûne du jour de chaque décade de chaque mois (soit le 1er, le 11 et le 21) sont recommandés. Les vieux et saints ascètes jeûnent Redjeb, Chaban, Ramadan et 10 jours de Choual. Ce sont les jours de jeûne « gatté », auxquels Allah a promis des bénédictions spéciales. En outre, en cas de faute grave dont le coupable repentant recherche l'expiation le Karamoko, directeur de conscience, impose un jeûne de un, deux ou plusieurs jours.

IV — La Zakka

La zakka ou l'aumône légale, est dite au Fouta-Diallon « diakka », « zakka » et « farilla » déformations évidentes de l'arabe « zaka » et « fardh ». Elle est dite « assaka » chez les Toucouleurs de Dinguiraye.
Elle consiste en principe dans le prélèvement du dixième sur les cultures (riz, mil, maïs, fonio...), du trentième ou du quarantième sur le croît des bovins, suivant que ce croît est mâle ou femelle; sur les bénéfices réalisés dans le trafic du numéraire commercial. A Dinguiraye, cette contribution sur les cultures vivrières peut être plus forte quand les lougans ont été arrosés ; elle doit être du cinquième. Les Foula s'en tiennent toujours au dixième. En revanche, les cultures maraîchères, ainsi que les arachides, le caoutchouc, etc., ne sont pas imposés. Il est vrai que tout n'est pas perdu, puisque le bénéfice réalisé par la vente de ces produits devra acquitter une « zakka » du quarantième.
Il n'y a pas de zakka sur les chevaux et les ânes, ni sur les captifs.
Tel est le principe de la zakka des Foula. Il s'en faut qu'il fût intégralement appliqué, même sous l'ancien régime des Almamys. Il était quand même partiellement observé. Les chefs et Karamoko intéressés y veillaient au nom de la religion et de leurs greniers.
Les contributions de basse extraction et notamment les Fulɓe Buruure (Pulli) devaient verser leur zakka au chef de village. Les Foula libres, notables, la versaient à qui leur semblait bon, en général à leurs Karamoko. Le chef de groupe, « teekun », de province ou de diwal centralisait la zakka de son territoire. La totalité en était versée théoriquement à l'Almamy, et pratiquement était déposée dans les divers greniers officiels, soit de Timbo, soit des capitales des diiwe, soit des chefs-lieux de misiide. Depuis le contribuable qui n'avait versé qu'une partie de cette dîme religieuse, jusqu'aux dépositaires qui en usaient souvent pour leurs besoins personnels, la dilapidation était générale.
Aujourd'hui la zakka a à peu près disparu ou plutôt tend à fusionner avec la sadaqa ou aumône ordinaire. Les fidèles ne demandent pas mieux que d'exercer la charité sans y être contraints par un taux déterminé, et les représentants de l'autorité des infidèles ne peuvent plus réclamer le versement de cette dîme religieuse. Ils ne l'osent même pas car l'administration française, distinguant mal entre ces contributions d'origine islamique et les cadeaux semi-volontaires par lesquels tout bon Foula cherche à se concilier les bonnes grâces de son chef de district, sévit durement et indistinctement contre ces sortes de transactions. Au surplus, elle-même s'étant substituée au pouvoir des Almamys, perçoit pour son propre compte un impôt, d'origine plus laïque, sinon de taux plus élevé, et ne tient nullement à voir ses prélèvements, non toujours faciles, se doubler d'un deuxième drainage pécuniaire, même religieux.
Les fidèles, qui entendent exécuter quand même ce commandement islamique, opèrent ainsi. Lors de la récolte du mil, du mais, du fonio ou du riz, et après l'égrènement on mesure les tas par calebasse, et on met de côté chaque dixième calebasse. C'est cette dîme qui est distribuée sans retard aux pauvres, aux malades, aux Karamoko. Pour le mil, on peut aussi opérer avant l'égrènement et par gerbes.
Chaque dixième gerbe est mise à part. La malice foula dit que les gens préfèrent cette deuxième méthode, car elle permet d'affecter au tas de la dîme les plus vilaines gerbes. On a tenté, dans quelques cercles et à certaines époques, d'utiliser cette coutume de la farilla pour la constitution de greniers de réserve. L'opération n'a pas réussi, par suite de la défiance des Foula tant vis-à-vis d'eux-mêmes que vis-à-vis de l'autorité peu orthodoxe qui préconisait cette mesure; par suite aussi de l'hostilité sourde des Karamoko qui préfèrent voir venir à eux les dons et en disposer sans contrôle.
Voici à titre de renseignement les statistiques de la farilla du fonio pour la misiide du Labé:

Nombre de paniers
1908 1909
Kubiya 43 20
Bassara 5 20
Busuraa 14 6
Soŋessa 9 9
Fafaya 10 10
Bassara 4 3
Sulunde 10 6

Pour la zakka du croit, on fait le décompte des petits au fur et à mesure de leur naissance, et chaque trentième ou, chaque quarantième génisse, âgée de deux ans, chaque quarantième ovin, âgé d'un an, est réservé. On le donne à un de ses parents sans fortune pour lui permettre de se marier ou de s'acheter des vêtements, à un voyageur pour qu'il puisse continuer sa route, à un Karamoko pour qu'il s'achète des livres ou fasse pèlerinage de piété ou étude.

V — Le pèlerinage

Le pèlerinage aux lieux saints de l'Islam, « hajju » hadiou n'est qu'une pratique surérogatoire. Trois raisons se sont opposées, aux yeux des Foula, à ce que cette réglée soit pour eux impérative :

  1. l'éloignement de leur pays, l'absence de routes et de sécurité, les maladies contagieuses qui sévissent perpétuellement en Orient
  2. la nécessité de capitaux considérables, et cette condition leur fait défaut
  3. la nécessité d'une excellente santé, et ils sont malades, dès qu'ils sortent de leurs montagnes.

On compte donc sur les doigts les « Hadji » du Fouta-Diallon. J'en ai repéré trois :

Il n'y en a certainement pas cinq au total.
Dinguiraye n'en possédait qu'un: Al-Hadji Amadou de Sokoboli; il est mort en 1904. Il n'y a pas eu un seul départ depuis 1912.
Les lettrés discutent gravement sur le point de savoir si un personnage fortuné ne peut pas faire faire le pèlerinage par un tiers, en lui en fournissant les moyens. La bénédiction retomberait ainsi sur les deux individus, et Dieu seul en quelle en serait la proportion. La majorité penche pour la réponse affirmative.
Le pèlerinage conserve tout de même son attrait. Dès qu'un individu a pris la résolution de l'effectuer, il sollicite l'autorité de ses parents et particulièrement de sa mère. Si celle-ci fait défaut, il ne partira pas; sa pieuse pérégrination serait sans valeur. Il vise ensuite à ramasser des capitaux qu'on estime à 2.000 francs environ. Il vend ses boeufs, fait le dioula, va travailler pendant plusieurs années dans un comptoir européen, et finalement complète la somme par des quêtes auprès de ses proches et amis. Chacun tient à lui donner quelque chose, lui demandant en revanche de prier pour lui aux lieux saints. Cette période préparatoire dure plusieurs années.
Le pèlerinage n'est réglé en Afrique Occidentale, et par conséquent dans le Fouta Guinéen, par aucune prescription administrative. Pratiquement le candidat pèlerin fait sa demande au commandant de cercle, comme il la faisait jadis à l'Almamy; celui-ci lui faisait un cadeau, tiré ordinairement des greniers de zakka, et la coutume ne se perd as, puisque certains administrateurs, pleins d'admiration pour cette ardeur religieuse qui arrache le Foula à ses montagnes, lui octroient quelques subsides.
Le Commandant de cercle transmet les renseignements nécessaires (état-civil, moralité, facultés pécuniaires, etc.) au Gouverneur de la Guinée. Si le principe du pèlerinage a été admis cette année-là par le Gouverneur général (et il l'est a priori quand aucune raison d'épidémie ou de guerre ne s'y oppose), le Gouverneur accorde l'autorisation.
Le pèlerinage est considéré à peu près comme une condamnation capitale. Le pèlerin prend ses dispositions testamentaires, distribue son bien, paye ses dettes, se réconcilie avec ses ennemis, fait une retraite, « un pèlerin pour la Mecque est un homme mort » dit une maxime foula. C'est évidemment une tradition du siècle dernier où on avait peu de chances de revenir d'un voyage de dix ans, après avoir fait deux fois la traversée de l'Afrique à pied.
Aujourd'hui les risques sont insignifiants, mais on ne le sait pas.
Le départ a lieu dès la fin du Ramadan, dans la semaine qui suit la célébration de la rupture du jeûne. Quelquefois on part un mois ou six semaines plus tôt, et l'on fait Sumayee à Tanger ou en Egypte.
Le pèlerin est libre dans le choix de sa route. Jadis on prenait la route de terre par Dinguiraye, Ségou et Bandiagara, ce qui permettait de faire, en passant, visite aux centres toucouleurs et aux chefs du Tidianisme omari, puis on piquait vers l'Est par le Haoussa, l'Adamaoua, le Ouadaï, le Darfour et le Soudan égyptien. On traversait la mer Rouge d'une rive à l'autre, et on débarquait à Djedda.
Maintenant, on vient simplement à Conakry pour s'embarquer pour Dakar là on se joint aux pèlerins sénégalais plus avertis, mieux au courant des usages européens, et on part en bande.
L'ihram, ou boubou sans couture, dont le port est nécessaire à la validité canonique de la visite aux lieux saints est revêtu dès que le navire double la presqu'île du Sinaï. L'ihram foula ne se compose ordinairement que d'une vaste pièce d'étoffe, dont on s'enveloppe, suivant les règles prescrites par les auteurs.
Dès l'arrivée à Djedda, on se met entre les mains d'un motawwar, guide du pèlerinage, qui, pour une somme déterminée, conduit le pèlerin jusqu'à la Mecque, et lui fait accomplir toutes les obligations rituelles. Ce serait un nommé Abd Al-Ouahid, Arabe de la Mecque, qui est chargé officiellement de recevoir, héberger et surveiller les pèlerins noirs de l'Afrique Occidentale.
De la Mecque à Médine, il y a au moins dix jours de route par terre, dangereux pour tous à cause des pillages Bédouins, mais particulièrement pénibles pour un noir, en qui les Arabes voient presque toujours un captif présent, passé ou futur; de plus le mode de locomotion par chameau et sans eau n'est pas familier au Foula. Les pèlerins ne parlent pas de cette route avec sympathie. Plusieurs l'ont fait en felouque de Djedda à Yambo.
Le pèlerinage lui-même laisse dans l'ensemble un excellent souvenir à ses auteurs Ils y retrempent leur foi, sont heureux de boire aux sources même de l'Islam à côté de plusieurs centaines de mille de leurs frères, représentant la communauté des vrais croyants, et puisent dans la fierté de l'avoir effectué un réconfort spirituel et des avantages matériels. Ils n'omettent pourtant pas d'en signaler les déboires; injures et pilleries des Bédouins, et surtout vols de toutes natures dont leur confiance ou leur crédulité est victime à la Mecque et à Médine. Pour sauvegarder l'honneur des villes saintes, ils affirment d'ailleurs que les citadins sont étrangers à ces rapines et que les coupables sont les aventuriers qu'attirent là la foule des pèlerins et les occasions de mal faire. Les Turcs leur produisent peu d'effet. Ils voient en eux des sortes de fonctionnaires européens, à peine musulmans, et des militaires chargés de défendre les lieux saints. L'escorte turque leur semble toutefois une bonne chose.
Le pèlerin est l'objet d'une grande considération dans le Fouta-Diallon. Encore faut-il qu'il soit revenu, car Al-Hadji Mamadou Alimou se plaignait, dès son retour, qu'on aurait profité de son absence pour lui voler son troupeau de boeufs confié à un voisin. Il est vrai qu'il était absent depuis dix ans. Le pèlerin tient boutique de pieux objets: eau de Zemzem, livres, roseau à écrire, terre sacrée, chapelets, pagnes qui ont touché la Kaaba, bagues, etc. Ils montrent, moyennant paiement, de pieuses images représentant les sandales du Prophète, ou son cheval Bouraq, qu'on peut à la rigueur trouver dans les boutiques des Syriens locaux, mais qui ont le mérite de sortir des galeries du temple de la Mecque. Certains prétendent même posséder des poils de la chevelure ou de la barbe du Prophète, soit que leur bonne foi ait été surprise en Orient, soit qu'ils soient simplement de mauvaise foi. Mais on comprend qu'il y a là un excellent et lucratif filon.
Il faut remarquer d'ailleurs que leur pieux trafic dure des années, et qu'ils arrivent ainsi à vendre des quantités invraisemblables d'eau de Zemzem ou de sable de l'enceinte sacrée, ce qui laisse supposer que ces matières viennent simplement du marigot voisin ou d'une dune locale; mais le pavillon de Hadji couvre la marchandise.

VI — La Guerre Sainte

Le jihadi des Foula (déformation du Djihad arabe) est « la bataille des vrais croyants, contre les fétichistes voisins qui, informés des lumières de la religion d'Allah, refusent de les accepter ». La guerre sainte doit être précédée des efforts du prosélytisme. Il faut éclairer l'infidèle, lui mettre, de cent façons sous les yeux, cette vérité que le Coran proclama « évidente » en maints endroits. Quand le païen refuse de se rendre à cette évidence, c'est qu'il est finalement de mauvaise foi, et la guerre est légitime, qui le convertira de vive force ou le réduira en captivité.
La guerre sainte ne pouvait être conduite que par l'Almamy de Timbo, l'Almamy de Dinguiraye ou le chef du Diiwal du Labé: toutes les incursions des chefs locaux contre leurs voisins infidèles, même si elles étaient animées de pieuses intentions n'étaient pas « jihadi ». C'étaient des « goubali », des « courses ». La guerre sainte n'est pas envisagée ici contre les Chrétiens. Les Karamoko s'en défendent, peut-être bien par déférence ou par crainte, mais aussi en s'appuyant sur des raisons canoniques, qui, à l'occasion, pourraient servir à notre politique: « Les Chrétiens, disent-ils, sont des gens du Livre, puisqu'ils ont l'Evangile. Ils croient en Dieu, font leur salam, ont eu les premiers prophètes, ont reçu la première révélation, n'épousent pas la mère et la fille ensemble, ne mangent pas de charogne, etc. » Au surplus, le prestige du blanc est indéniable, et il est constant que le noir islamisé n'a pas à notre égard l'hostilité de son coreligionnaire de l'Afrique du Nord ou d'Orient.
On ajoutera comme dernier argument que la tradition de la guerre sainte aux Chrétiens ne s'est jamais établie dans le Fouta-Diallon. Les relations furent purement commerciales pendant les deux derniers siècles, puis l'occupation politique est survenue assez brusquement par un jeu de traités de protectorat et d'intrusion aimable, qui n'a pas laissé place à la lutte armée. Le tempérament du Foula est d'ailleurs peu belliqueux.
Les Karamoko qui pratiquent la mystique et font profession de soufisme expliquent que le jihadi n'est autre chose que le « haɓude hoore mun », c'est-à-dire, pour parler comme les mystiques chrétiens, « le combat intérieur ». La vraie guerre sainte est celle qui, par le jeûne, les veilles, les macérations, les pratiques pieuses, détruit les mauvais penchants de l'homme, purifie et rapproche de station en station l'âme fidèle de la béatitude céleste et de l'extase divine. Tout combat à main armée est, au même titre que toutes les choses terrestres, pure illusion. On peut le voir par l'exemple des Almamys de Timbo qui, sous prétexte de jihadi, ne cherchaient qu'à affaiblir les chefs de diiwe à piller leurs voisins fétichistes. On le voit encore par l'exemple d'Al-Hadj Omar qui, bien parti, finit par se transformer en un sultan ambitieux, qui n'hésita pas à batailler contre ses frères en Allah, les Fulɓe du Macina et d'ailleurs. La vraie guerre sainte est la lutte quotidienne contre le désir humain, et la vraie victoire est l'anéantissement en Dieu par l'extase.

VII — Les Mosquées, Sanctuaires et Lieux de prière

Il y a diverses sortes de mosquées:

Le « jaamiu » ou « hippunde », ou « juuloore-juma » en poul-poullé; [Pular] le « juma » à Dinguiraye (de l'arabe Djâma) qui est la mosquée paroissiale ou cathédrale. C'est là que les fidèles doivent, en principe au moins, venir faire prière en commun, le vendredi.
Sa construction exige certaines conditions: d'abord l'autorisation de l'Almamy, et depuis sa disparition, autorisation du Commandant de cercle. Les indigènes admettent très bien que l'autorité laïque soit juge de l'opportunité de la construction d'une mosquée-cathédrale, car il ne faut pas que les édifices de ce genre soient trop répandus, et que leur rivalité vienne jeter le trouble et la zizanie dans la population d'une ville. Il ne peut donc y avoir qu'une jaamiu dans un centre ou dans une misiide. Le « jaamiu » doit se composer d'une chambre carrée bâtie en terre et mortier. La hauteur est fixée entre 7 et 10 coudées, soit de 3 m. 50 à 5 mètres. La longueur du côté n'est pas déterminée canoniquement: on la fixe d'après le chiffre éventuel des fidèles. La mosquée de Dinguiraye a 10 mètres de côté; les mosquées de Timbo, de Fougoumba, et Labé sont un peu moins larges.
Un immense dôme de chaume enveloppe et cache la chambre carrée. Il vient reposer jusqu'à terre, ou peu s'en faut, constituant ainsi une belle galerie intérieure qui cour tout autour de la chambre. Ce dôme est quelquefois d'une seule pièce (Pita, Timbo); quelquefois composé de volants de chaume, s'étageant les uns dans les autres comme les volants d'une jupe de femme et surplombés d'une sorte de coupole en chaume également ( Labé, Dinguiraye).
Le « jaamiu » est construit après entente entre les notables du village, réunis par le chef et les Karamoko. La décision est prise à la suite de plusieurs palabres animés, et après que l'imam a été désigné. C'est lui qui exerce la surveillance canonique sur l'édification matérielle. Le chef du village embauche un maître-constructeur qui dirigera ou fera lui-même le travail. Les matériaux sont apportés par les fidèles. Chacun doit y participer pour sa part et dans la mesure de ses moyens: la règle est formelle. Les ex-captifs: Malinké, Bambara, Diallonké, apportent les matériaux de poids; poutres, planches, poteaux, pierres, terre. Les Foula, moins robustes, apportent les cordes, les gerbes de paille. Les femmes apportent l'eau, et les vieillards et les enfants pétrissent le mortier. Il n'y a en somme que l'architecte-constructeur et ses aides dont le travail doit être rémunéré. Aucun salaire ne doit être versé. Le chef leur donne trois ou quatre bœufs, à l'issue de la construction, et leur assure leur nourriture pendant toute sa durée. Les notables d'ailleurs ont à honneur de participer à ces dépenses, et offrent souvent des calebasses de riz ou de mil et des kolas aux travailleurs.
L'inauguration de la mosquée s'accompagne, comme les diverses phases de sa construction, de bruyants tam-tams et de sacrifices de bœufs, dont la chair est distribuée à tout le village. Il n'y a pas de consécration religieuse spéciale.
La réfection d'une mosquée détruite ou tombant en ruine s'effectue dans les mêmes conditions, et il est tout à fait plaisant de voir les notables et graves Foula, ennemis jurés de tout travail servile, apporter à pied d'œuvre dans une attitude tout à fait sacerdotale leur petite gerbe de brindilles de paille. Chaque notable doit égorger au moins un boeuf en cet honneur.
C'est, en général, dans le premier trimestre de l'année, quand les graminées « tinté » abondent dans les champs, et que les travaux agricoles sont suspendus, qu'on procède à , construction ou à la réfection des mosquées.
Depuis notre occupation, une sensible décentralisation religieuse se fait sentir, et les mosquées « jaamiu » s'élèvent en plus grand nombre. Jadis les Almamys et chefs de diiwe ne toléraient pas cette autonomie. Le jaamiu se trouvait au centre politique de la misiide et celle-ci, véritable « paroisse » du moyen Age ou « diocèse » de l'époque gallo-romaine, était la cellule administrative du Fouta-Diallon. Elle ne devait renfermer en principe qu'une seule mosquée-cathédrale, et c'était une obligation autant religieuse que civile de venir y assister à l'office du vendredi et d'y recevoir, avec la bonne parole de l'imam, les prescriptions du pouvoir temporel.
Les principales mosquées du Fouta sont renommées par leur architecture, leur ancienneté et leur fréquentation.

Dans le Labé proprement dit

On y compte près de 200 mosquées : Labé Diountou, Diawia, Labe-Dheppere, Dalen, Kompanya, Sannou, Teliwel, Daralabe, Popodara, Ndantari, Donguidaɓe, Tarambali, etc.,

Dans le Mali-Kollangii :

Mali, Misiide-Yamberin, Toulel, Samantan, Kérouané, Paré.

Dans le Koole :

Misiide-Koyin, Kona, Kollangii Fello, Kune Kirfi Sumpura Hoore-Koole

Dans le territoire de Koumbia :

Gileeji, Dara-Boowe, Medina-Boowe, Bouli, Kinsi, Kambora, Gunguru, Touba, Busuraa, Bendané, Medina, Badiar, Oulangui, Kaade, Kirimane, Samba-Pullo, Gumbanbel, Daara

Dans le Timbi-Tunni :

Timbi-Tunni, Sintalli, Burkadia, Pita, Kahel, Kalilamban

Dans le Timbi-Medina :

Timbi-Madina, Sonke, Sentu, Longuewi, Teliko, Sodio, Fanta

Dans le Bomboli :

Bomboli, Bambeto, Gongore-Heerire

Dans Buruwal-Tappe :

Buruwal-Tappe, Lémélé-Wambéré, Bendugu

Dans le Bantiŋel :

Bantiŋel qui, dans la région de Pita, passe avec ses vastes dimensions, sa grande cour, ses beaux orangers pour la plus belle mosquée du Fouta, Bantiŋel-Tokosere, Meli-Kansa, Kokulo, Misiide-Hinde

Dans le Maasi :

Sukili, Tyehel, Peti, Bouma, Ndantari, Doŋol, Demukolima

Dans la région de Télimélé :

Kebo, Kassa, Hoore-Weendu, Beli, Turukun, Nyalal-Kendo, Sempeti, Bullere, Konsotami, Bambaya

Les quatre mosquées si connues du district du Kollaadhe:

Kankalabe, Booje, Mombeya, Gali, ainsi que celles de Kebaali, Kalaba, Dalaba, Seefure. Mollien remarquait déjà, le 15 mars 1818, la mosquée de Seefure.

Fougoumba

Celle-ci célèbre, comme il a été dit, par sa qualité de métropole religieuse du Fouta, où étaient consacrés les Almamys (Ditin).

A Timbo:

Il n'y eut d'abord et pendant dix ans que le modeste « ngeru » de Karamoko Alfa. On en montre encore aujourd'hui les pierres dans l'enceinte extérieure de la mosquée. Maître du pays. il fit édifier en 1160 de l'Hégire, la belle mosquée que l'on voit aujourd'hui et qui a d'ailleurs été restaurée de fond en comble, au moins une douzaine de fois, par suite d'incendies ou d'accidents dc vétusté.
A la mosquée de Timbo, il faut ajouter dans la région, celles de : Heeriko, Sokotoro, Niagara, Saarebowal, Lambu-rufuga, Diolake, Kukutamba, Heeriko-Jumel, Kaba, Bokeeto.

Dans le territoire de Mamou :

Daara, Bulliwel, Alfaya, Sumbalako, Telikoo, Nonkolo, Bhuriya, Sori-Jaawoya, Sankarelaa.

La mosquée de Dinguiraye :

Appelée également « mosquée d'Al-Hadj Omar » comme on l'appelle dans toute la Haute-Guinée, compte parmi les plus belles du Fouta. Elle a été construite en 1850 sur les ordres du grand conquérant par son maître-architecte, Samba Ndiaye, Ouolof, qui l'accompagna toute sa vie. Vers 1862, elle brûlait presque tout entière, et fut reconstruite sur le même modèle. Un autre incendie l'a fortement endommagée vers 1904; elle a été réparée facilement.
Elle compte à la circonférence une cinquantaine de mètres. La hauteur de la chambre de prière est de 5 mètres; la hauteur totale au centre de l'édifice est de 15 à 16 mètres.
A l'intérieur de la chambre, quatre rangées de quatre piliers, plus un gros pilier central, soutiennent l'édifice. Dix portes percent la muraille: une du côté de l'Est, et trois sur chacun des trois autres côtés.
Après la mosquée de Dinguiraye viennent, par ordre d'ancienneté, les mosquées de : Diawia, Totiko, Hansaŋere-Doŋelɓe, Balani-Umaya, Duɓɓel, Kansato, Lufa, Kamba-Maasi, Fogo, Niaria, Jobori

Le « Tippere » ou « togorure », ou « misikun » (diminutif de « misiide »)

C'est la mosquée ordinaire du petit village foula. Elle est tirée à plus d'un millier d'exemplaires dans le Fouta-Diallon. Le Dinguiraye en compte plus d'une centaine. Rien ne la différencie des cases-paillotes communes. Tippere veut dire: qui n'a pas de plafond et d'angle bâtis.

Le ngeru

C'est le maqam des maures. C'est un emplacement de quelques mètres carrés, entouré de grosses pierres ou de madriers, quelquefois de branchages ou de petits paquets fichés en terre. Souvent une enceinte d'orangers forment au ngeru un cadre parfumé et pittoresque. Le sol est tapissé de cailloutis ou de gravier, beaucoup plus rarement de sable.
On remarque quelquefois un grand poteau au milieu du ngeru. C'est simplement le pilier central de la future case qu'on a projeté d'élever au-dessus du ngeru et qui doit la transformer en misikun; mais la construction se fait attendre, et le mât reste planté sans objet et pourrit sur place.
Tout hameau foula, toucouleur, diallonké, diakanke qu'il soit foulasso, marga, roundé ou gallé, a son ngeru. C'est là que se réunissent, à la tombée de la nuit, pour la prière en commun la demi-douzaine de notables qui composent l'élément patriarcal du petit groupement. Beaucoup de carrés même ont leur ngeru où les membres de la famille se réunissent pour prier, manger et palabrer. Il y en a plusieurs milliers dans le Fouta-Diallon.

L'oratoire familial

Il reste enfin à signaler le petit oratoire, si ce mot n'est pas trop prétentieux, et qui consiste en un fer cheval d'un à deux mètres d'ouverture. La périphérie est faite d'une douzaine de grosses pierres, l'intérieur est tapissé de petits cailloux. C'est le juurlirkun où le chef d'une famille vient faire son salam, aux heures où il ne veut pas aller à l'oratoire commun.
On rencontre aussi de ces petits juurlirkoy et même des ngeruuji, le long des pistes fréquentées, auprès d'un marigot, sous un bel acajou, ou au passage d'un col, en un mot, un point précis, où une halte paraît s'imposer dans l'étape On en rencontre aussi à la porte des chefs, sorte d'antichambre où les visiteurs attendent en priant et devisant. Les ngeruuji furent édifiés par la piété, soit d'un pèlerin, soit simplement du Karamoko du village voisin et servent au salam des caravanes et des dioula. Quelquefois c'est un simple lieu de repos, où on entre avec piété, mais sans acte de dévotion. Ce sont là en somme les seuls sanctuaires, et, comme on le voit, simples oratoires, du Fouta-Diallon.

Le culte extérieur des saints

Il n'est pas en honneur. On n'y retrouve aucune de ces abondantes manifestations d'anthropolâtrie qui fleurissent en Berbérie.
A citer toutefois une manifestation cultuelle de ce genre sur la route de Dinguiraye à Tamba, à 2 kilomètres de Dinguiraye . Al-Hadj Omar partant en guerre contre les fétichistes y fit une halte sous l'ombrage d'un petit arbre-savon, « gobi ». L'arbre a crû, il est entouré aujourd'hui d'une enceinte de pierres, à laquelle les passants ajoutent petit caillou, une branche ou quelques feuilles. Il est bon aussi de s'y arrêter quelques minutes. La baraka du grand marabout est toujours là et pénètre le visiteur.
Quant aux tas de pierres qu'on rencontre sur les routes dans le Fouta-Diallon, ils ne paraissent pas renfermer une portée religieuse. C'étaient les haltes classiques des chefs et des Almamys, et pour perpétuer la tradition, les gens s'y reposent volontiers encore.
Une curieuse coutume est celle qui assimilait le salam de l'armée, en marche ou en station, à celui fait dans une mosquée. L'Almamy lui-même, entouré de ses chapelains, présidait à la prière de toutes les troupes au milieu du camp, et pour une fois ce souverain politique recouvrait ses antiques pouvoirs sacerdotaux. C'était le prêtre-roi d'Israël.
Il n'y a pas d'autres mosquées dans le Fouta, notamment pas de mosquées de pisé ou de banco, comme on en trouve tant dans le Soudan et jusqu'au pied du Fouta. Mollien dit en avoir vu une à Mali le 3 avril 1818. Elle n'existe plus et on n'en a pas gardé le souvenir.

Les accessoires et mobilier cultuels

Ils sont des plus simples; le « mihrab » ou niche-panneau qui devient ici simplement le « mihrabu ». Il indique, comme on sait, la direction de l'est et c'est devant lui que vient se placer l'imam pour dire la prière. Il est creusé ou plaqué sur le mur de la mosquée-cathédrale, « jaamiu ». Dans le misikun, il consiste simplement en deux piquets perpendiculaires, plantés dans la paroi de chaume et au pied desquels est étendue une petite natte.
Dans le ngeru, on le remarque à une légère rotondité de celui des quatre côtés qui regarde l'Orient. Dans le juurlirkun, c'est naturellement la convexité du fer à cheval, tourné vers l'est qui est le mihrabu.
La « chaire » ou gangunal consiste en une petite estrade d'un mètre carré de surface et de 0 m. 80 de hauteur. C'est sur cette sorte de table que vient se placer l'imam du « jaamiu » pour prononcer sa pieuse allocution. ll n'y a pas de gangunal dans le misikun, le ngeru et le juurlirkun; aucune décoration intérieure ne vient relever la nudité des murs du jaamiu. La stricte règle islamique est ici observée. Quant aux misikoy, leurs parois de chaume ne se prêtent pas à l'ornementation. A peine" voit-on une petite lampe fumeuse, et, les soirs d'oraison quelques chandelles de cire locale apportées par les fidèles eux-mêmes.
A l'extérieur des mosquées jaamiu et misikoy s'élève un petit minaret (sarro) d'où le muezzin (salli) appelle les fidèles à la prière. C'est également une estrade sans prétention, sorte de mirador découvert, et la plupart du temps sans garde-fou, à laquelle on accède par une échelle ou par un petit escalier de bois. Sa hauteur varie de 1 à 3 mètres. A Dinguiraye, il est plus perfectionné et consiste en une petite bâtisse sur la terrasse de laquelle grimpe le salli.
Le sol des mosquées est ordinairement garni de nattes. Les vieilles femmes qui, ici comme en tout pays noir, remplissent le rôle de sacristain, relèvent les nattes, balayent le sol, déroulent à nouveau les nattes, changent l'eau des ablutions dans les vasques et canaris. Elles brûlent des plantes parfumées, telles le urde et le hammont. Elles y ajoutent quelquefois un peu de benjoin ou d'encens. Tous les deux mois, elles blanchissent à la chaux l'intérieur des murs.
A côté de la mosquée, et généralement dans son enceinte, quelquefois pourtant au dehors, s'élèvent deux ou trois petites cases appelées jaarirdu ou jarrdu ou jangirdu. C'est une annexe du temple, l'équivalent des salles de pieuses réunions et de patronages. On se réunit là avant et après l'office, pour palabrer sur les événements jour, pour recevoir les communications laïques de l'imam ou du chef, pour entendre la récitation du Coran, pour y faire en commun la lecture d'un passage des hadith ou des « Dalaïl al-khaïrat ». C'est dans ces cases que les Sadialiyanke chantent leurs jaaroje dans la nuit du jeudi au vendredi. Le marabout de passage y donne ses conférences religieuses et le Karamoko du cru vient y faire quelquefois le coranique.
Il n'y a pas de vêtements sacerdotaux; il est toutefois recommandé à l'imam d'endosser le vendredi un boubou blanc immaculé, et à Dinguiraye, si possible, une chéchia entourée d'un turban blanc.

Le personnel des mosquées foula

Il est réduit. Il n'y a guère que l'imam qui soit quelque peu titularisé dans ses fonctions. C'est l'Almamy misiide. Il est élu, à la majorité des voix, par les notables qu'a réunis le chef du village.
C'est un homme savant, pieux, et, si faire se peut, de bonne mine et d'extérieur agréable. Il doit être pris, autant que possible, dans la même famille: à Timbo, les Diolake, etc.; à Labe, les Seleyanke... Il ne reçoit pas de rétribution fixe, mais les fidèles se font un devoir de lui apporter quelques présents aux grandes fêtes : calebasses de mil où de maïs, quartiers de viande, etc. Jadis les Almamys de Timbo et de Dinguiraye, ainsi que les chefs de diiwe devaient donner, par une sorte d'obligation traditionnelle quelques charges de grain et deux ou trois boeufs à l'Almamy misiide de leur paroisse, aux deux grandes fêtes de Sumayee et de Donkin.
C'était une sorte de casuel, ou plutôt de prébende, à leur aumônier.
Quand un marabout de quelque renom est de passage dans la localité, les fidèles viennent lui demander de présider à la prière et de faire le prône; l'Almamy misiide lui cède volontiers la place et le voyageur dirige l'office jour-là.
Jadis, quand tous les chefs de diiwe étaient réunis par l'Almamy, à Timbo, c'était le chef de la prière de Labé qui devait présider à la prière de la mosquée de Timbo devant tous ces chefs assemblés, sauf toutefois les vendredi. Ces jour-là, c'était le Karamoko de l'Almamy qui reprenait ses droits.

Le Salli

C'est le muezzin des mosquées arabes. Il n'est pas spécialisé dans ses fonctions. Cet office est rempli par toutes les personnes du village qui y sont poussées par leur piété. Il y a toujours au moins une demi-douzaine de Salli par « jaamiu » ou « misikun ». La plupart des « ngeruuji » ont un salli, encore qu'il n'y ait pas de minaret. Il vient se placer à droite du ngeru et monte sur une grosse pierre. Le Salli ne reçoit pas non plus de rétribution fixe; on lui donne pourtant quelques cadeaux. Il est autorisé par la coutume à faire des quêtes après la prière.
Il ne reste plus à nommer dans le personnel des mosquées que les vieilles femmes déjà citées qui balaient et nettoient l'édifice. Il n'y a ni professeurs, ni lecteurs.
Il n'est pas inutile de signaler ici ces pieux ascètes qui vivent de longues années et quelquefois toute leur existence, à l'ombre de certaines grandes mosquées du Fouta. Ce sont de vrais moines contemplatifs, dont la vie est tout entière consacrée à Allah et détachée des choses de ce monde. Quelques-uns ont fait voeu de ne jamais sortir de l'ombre de Ia mosquée ou même des murs intérieurs du sanctuaire. On peut citer pour ce dernier cas l'ascète de Timbo, qui en est devenu aveugle. Ces moines jouissent de la plus grande considération religieuse, et leurs rares paroles sont accueillies avec une entière soumission. Certains ont eu des révélations, que personne n'a mises en doute. A ce titre, ils méritent une surveillance particulière. Un temps de troubles, des agitateurs politico-religieux ne manqueraient pas de les utiliser, même à leur insu, comme de précieux facteurs de guerre sainte.
Les fidèles de la mosquée se composent des seuls hommes de la localité. Les enfants n'y sont pas admis, à cause de leur dissipation. Les adolescents eux-mêmes n'y pénètrent qu'à 18 ou 20 ans, deux ou trois ans après qu'ils ont commencé à jeûner ou qu'ils ont été circoncis.
Les femmes n'y doivent pas paraître. La défense du Prophète est formelle, car leur contact est dangereux et détournent les hommes de leur ferveur. Qu'elles fassent salam chez elles. Seules les vieilles femmes sont admises. Encore ne doivent-elles pas pénétrer dans l'édifice, mais se tiennent-elles groupées dans les galeries extérieures, ou encore dans les petites cases, « jarrudhi ».
Le musulman voyageur participe aux prières communes sans avoir à justifier de son identité.
Le fétichiste qui se permettrait de se mêler au salam, à moins que ce ne fût dans une louable intention et par une pieuse attirance, doit être chassé et battu.
On peut faire salam, c'est-à-dire réciter les prières rituelles à la mosquée, tous les jours et aux cinq moments canoniques. Pratiquement, toutefois, il n'y à guère que la prière du crépuscule et assez souvent celle du matin, qui soient suivies à la mosquée. Celle du matin, « subaka » passe pour être la plus fertile en bénédictions, probablement parce qu'elle exige l'effort, toujours dur pour un Foula, de se lever de grand matin.
Pendant l'hivernage, à cause des pluies qui tombent la nuit et transforment les rues en marécages, on a coutume de réunir en une fois les prières du crépuscule et du soir.
Dans ce cas, le Salli ne monte pas sur le minaret, mais sur le toit intérieur de la mosquée jaamiu. A son appel, on reconnaît qu'il a changé de place et qu'il y aura jonction de prières. Les deux prières sont récitées, l'une après l'autre, après un petit intermède, consacré à l'appel fait à voix basse par le Salli et pour la forme, puisque l'assistance est déjà là.
Pour le Tippere, le Salli vient, dans le même cas de jonction de prières, simplement lancer son appel de l'intérieur de l'édifice.
La prescription de l'assistance à l'office du sallifana (mi- journée) du vendredi est beaucoup plus rigoureuse. Quand il y a un « jaamiu » dans la localité, les fidèles sont tenu d'y venir, sous peine d'une faute, dont la gravité n'est d'ailleurs pas évaluée.
La prière est précédée de l'appel par le Salli. C'est l'idzân classique. Il est toujours récité en arabe au Fouta-Diallon, chez les Foula comme chez les Toucouleurs et les Diallonké.
Voici sa teneur:

Allah Akbar (deux fois sur le ton le plus élevé).
Dieu est le plus grand
Achhad an laa ill-Allah il'Allah (deux fois à voix basse)
je témoigne qu'il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah
Achhad an' Mohammed rassoul Allah (deux fois à voix basse)
je témoigne que Mohammed est le Prophète de Dieu

Les deux mêmes invocations sur le ton le plus élevé :

Hayya ilat'ss-salat (deux fois sur le ton le plus élevé)
venez à la prière
Hayy ila'l-falah (deux fois sur le ton le plus élevé)
venez au bonheur
Allaahu Akbar (deux fois sur le ton le plus élevé)
Allah est le plus grand
Laa ilah ill-Allah
il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah

L'appel est identique pour tous les jours et pour toutes les prières de la journée, sauf à la prière du subaka, où le salli intercale entre le « Venez au bonheur » et le « Dieu est le plus grand » cette invitation à secouer la torpeur des paresseux:

As Salatou khaïrun min an-naoumi
la prière est meilleure que le sommeil

A l'aube naissante, de foulasso en foulasso, les voix des Salli se font écho, proclamant la grandeur de Dieu, appelant les fidèles à la prière; et cette gamme de voix proches et lointaines, troublant seules le silence de la nuit, et où l'on sent parfois un accent de vraie foi, est pleine d'émotion pour l'infidèle chrétien. Mais les Foula pelotonnés dans leurs boubous et couvertures savourent la tiédeur de leurs cases bien closes, n'accordent qu'une pensée somnolente à l'appel du salli et attendent pour paraître au jour que le soleil ait dissipé avec le brouillard, les tardives fraîcheurs matinales. René Caillié remarquait déjà, en 1827, que le marabout chez lequel il logeait l'emmenait au temple à trois heures du matin pour rendre grâce au Seigneur.

« Nous nous trouvions seuls à la mosquée, quoiqu'il s'épuisât à appeler les fidèles. »

Répondant à l'appel du Salli, les gens arrivent, font leurs ablutions, si la chose n'a pas été déjà faite chez eux et se placent dans la mosquée. Le vendredi, à la sallifana, un appel supplémentaire et solennel est fait par trois salli qui montent sur le minaret et crient l'idzân, chacun à son tour, aux échos de l'horizon. Aussitôt descendus, l'office commence. L'Almamy entre toujours par une porte latérale, sise dans le mihrabu, ou tout à côté. Les jours de semaine, il commence immédiatement la prière. Le vendredi, il monte sur l'estrade, saisit son bâton qui lui sert tant à se maintenir, sans choir, sur le minuscule et raboteux tablier de bois, qu'à se conformer aux instructions du Prophète et commence le prône ou khutubatu.
Le prône porte sur des sujets ordinaires de morale et de catéchisme islamiques. Il dure de 5 à 20 minutes. La moyenne est d'un quart d'heure; au Fouta-Diallon, il est toujours dit en arabe par l'imam, et traduit par lui-même phrase par phrase, en la langue populaire: toucouleur à Dinguiraye, diakanke à Touba et dépendances; poul-poullé [Pular] partout ailleurs. Chacun prétend d'ailleurs avoir le monopole de cette traduction sacrée et trouve que les autres n'ont pas le droit d'en faire autant.
Il est débité en général de l'abondance du cœur. Toutefois l'imam qui ne se sent pas sûr de lui, prend soin d'apporter son papier tout préparé, ou même se munit tout simplement d'une sorte de sermonnaire ad hoc dont il lit et traduit un passage approprié. Aussitôt après, il descend de sa chaire, et récite une dernière fois, sur le ton ordinaire, l'appel à la prière: c'est une façon de laisser arriver les retardataires et d'inviter les gens présents au recueillement. Il finit par ces mots :

Qad qamat as-salatu
voici que la prière est commencée

Puis il se place devant le mihrabu et récite la prière rituelle, la même ici qu'ailleurs.
Il n'y a pas d'invocation spéciale en l'honneur de l'Almamy ou du Khalife. On n'a même pas souvenance, à Timbo, pas plus qu'à Dinguiraye, qu'il n'y en ait jamais eu. En cas de guerre pourtant, on disait une petite prière pour le succès des armées foula. On récitait, par exemple, trois fois de suite la Fatiha après la prière. A cet effet, l'Almamy ou le chef de diwal envoyait une vache dans les principales mosquées du Fouta, et les Karamoko intéressés faisaient le nécessaire. La guerre européenne [1914-1918] a provoqué sur quelques points de pareilles manifestations de loyalisme envers la France.
On voit dans le Journal de René Caillié que, le 27 mai 1827, à Kambaya, au sortir de la mosquée, le marabout donna lecture d'une lettre-circulaire qu'un courrier de Timbo venait d'apporter et dans laquelle était annoncée la déposition de l'Almamy Yaya et son remplacement par l'Almamy Boubakar qui « se déclarait protecteur de l'Islamisme ». Le chef fit une prière et des voeux pour le règne ; du nouvel Almamy.
La cérémonie terminée, l'imam se retire par la petite porte et les fidèles se dispersent. Les plus pieux vont encore réciter quelques louanges en l'honneur du Prophète ou lire un passage du Çahil dans la jarrudu. Quand le chef politique ou l'imam ont une recommandation d'ordre temporel à faire aux fidèles, ils profitent de leur réunion pour la leur faire entendre au jaarirdu, qu'il s'agisse de routes, d'impôts, du recrutement, de la construction d'une mosquée, de l'aide à apporter à un Karamoko, etc.
Le salli-fana du vendredi, à la mosquée jaamiu, est de moitié plus court que les prières des autres jours. Il ne comporte que deux récitations au lieu de quatre. On en donne deux raisons:

  1. la première est d'origine prophétique Mohammed dirigeant la prière, un vendredi, à la Mecque, fut abandonné par ses fidèles qui, apprenant qu'une caravane de grain venait d'arriver, s'empressèrent d'aller faire leurs achats. Plein de pitié pour la faiblesse humaine, il déclara que ce jour-là, la prière serait réduite de moitié.
  2. La deuxième et purement locale. On trouve que l'office, précédé de la khutubatu, est trop long, et qu'il y a lieu de l'amputer de deux récitations.

En dehors des jaamiu, la prière du sallifana doit être complète.

VIII — Les fêtes religieuses.

Les fêtes islamiques sont célébrées en grande pompe au Fouta-Diallon, surtout la fête de la rupture du jeûne, « Julde-Sumayee » et la fête du sacrifice, « Julde-Donkin ». L'achoura, « Jombente », est moins important. Le mouloud qui n'a même pas de nom spécial, l'est encore moins.

  1. Julde-Suumayee des Foula, Julde-Korka des Toucouleurs de Dinguiraye est la fête par laquelle les Musulmans célèbrent la fin du Ramadan (Aïd Saghir). On s'y prépare huit jours à l'avance par la réparation, le lavage et la reteinture de ses vêtements, par l'acquisition de boubous neufs, par le nettoyage des cases et des rues du village, notamment de celles qui conduisent à la mosquée, par l'astiquage des bijoux et des armes. A Dinguiraye, les femmes préparent le henné, « pouddhi » dont elles s'enduisent les mains jusqu'au poignet, les pieds jusqu'à la cheville. Dans le Fouta-Diallon, les Foula ignorent l'usage du henné.
    Le dernier jour du Sumayee, on procède à des cérémonies purificatoires au marigot voisin. Le matin de la fête, on revêt ses beaux habits ; on se coupe et se nettoie les ongles; on répand sur son corps les plus forts parfums, indigènes ou européens.
    Les réjouissances publiques ont commencé, dès l'apparition de la lune. L'astre est salué par des coups de fusil, et par un tam-tam assourdissant. Aussitôt, on y répond de tous les villages. Dans les régions où la population est quelque peu dense et les villages nombreux, ce spectacle est tout à fait impressionnant.
    Le tam-tam et les danses durent toute la nuit dans les villages sarakollé et malinké du Fouta, toucouleurs de Dinguiraye. Les Foula libres qui réprouvent la danse, se contentent des accents du « tabala ». Des calebasses de lait caillé et de miel mélangés, auxquels on a ajouté un parfum de farine de riz, circulent parmi les groupes.
    Au matin, on se prépare pour le grand salam où tout le monde, même les femmes et les enfants, seront admis. La tabala résonne sans arrêt. On se rend, en dehors du village, dans un endroit débroussaillé et convenablement aménagé. L'imam dirige la prière à laquelle tous participent avec foi. On doit rentrer par un autre chemin. Les Foula appliquent ainsi à la lettre la tradition prophétique qui prescrivait aux premiers croyants de faire la prière hors de la mosquée, pour n'y être pas surpris par les infidèles, et de varier les chemins pour faire croire à un important cortège de peuple. Toutefois, s'il pleut, on se rend à la mosquée.
    Le tam-tam et les réjouissances durent toute la journée. On se rend visite, on se congratule. L'afflux des gens des environs à la misiide centrale provoque une animation considérable. A Dinguiraye, les enfants vont de maison en maison, quêtant de menus cadeaux: kolas, sous, pagnes, mouchoirs, poules, et souhaitant aux gens de voir une nouvelle fête. Ils chantent en l'honneur des généreux donateurs:Lamɓe, lembe yo, lembe lembe dale mayo reo c'est-à-dire « Donnez, donnez pour notre maître, comme donnent les gens du nord de la rizière. » Ce qui semblerait indiquer que cette coutume a été importée du Fouta-Toro, et par suite des pays maures. Dans le Fouta, ces processions d'enfants n'ont pas lieu pour le Julde Suumayee, ni pour Julde-Donkin. On ne les trouve que pour Achoura [Julde-Jombente]. A Timbo toutefois, elles ont lieu le 27 du mois de Suumayee, avant la fête même du jeûne. Les enfants chantent devant chaque carré :
    Yaa Allaahu, Yaa Rahmanu, salli alaa Mouhammadina
    « O Dieu, ô miséricordieux, bénis notre Mohammed. »

    Ils sont partagés en groupes, et chacun parcourt son quartier. Les avares reçoivent des bordées d'injures :

    Soro Yam maayo Nous nous sommes promenés pour rien
    Soro Yamma Soro Yamma
    Pullo mo okkataa Pullo qui ne nous donne rien
    Soro Yamma Soro Yamma
    Yo yaadu e lewru ndun Passe, comme est passé le mois de Ramadan
    Soro Yamma Soro Yamma

    De grands festins terminent la fête. La tradition veut que tout le monde y participe et dans une proportion déterminée. Le chef de famille aisée doit faire des distributions de grain, aux pauvres et aux Karamoko, à raison de 2 kilogrammes pour chacun des siens, même les enfants à la mamelle. C'est le « muudo », dont l'origine est vraisemblablement le « moudd » arabe, ou mesure de grain, usité en Mauritanie et ailleurs. Le « muudo » est obligatoire, mais rien n'interdit de faire en dehors de ce don religieux, des aumônes plus considérables, et c'est ce que pratiquement se fait.
  2. Julde-Donkin des Foula, Julde-Taske des Toucouleurs de Dinguiraye, est la plus grande fête du Fouta-Diallon. C'est la fête connue des sacrifices, « Layya ».
    Les préparatifs sont identiques à ceux du Julde Suumayee, mais commencent plus tôt. Dès le 1er du mois de Donkin (12e mois lunaire), on se met aux nettoyages, lavages et fourbissages; on prépare le kohol pour les yeux. Les Karamoko et gens pieux font jeûne le huitième jour, en l'honneur d'Arafatou, localité voisine de la Mecque où se déroulent, ce jour-là, des cérémonies classiques dans l'lslam.
    Le deuxième jour, qui est le jour de la fête, tous les propriétaires de moutons sont tenus de faire jeûne jusqu'au meurtre [immolation] de la bête. Celui qui n'a pas de mouton n'y est pas tenu.
    Le mouton, acheté plusieurs mois à l'avance et soigneusement engraissé, doit avoir de un à trois ans. Pour être parfait, il doit être mâle, et pourvu de belles cornes. A défaut, on se contentera d'un bélier sans cornes, puis d'une brebis, puis d'un bouc bien encorné, et enfin d'une simple chèvre. La plupart des Fulɓe Buruure, qui n'ont que des troupeaux de bovins, égorgent, comme bête sacrificielle, un taureau, un bœuf, ou enfin une vache
    Dès l'aurore, la tabala résonne, et les coups de fusil éclatent. De huit heures à dix heures, un grand salam réunit les fidèles, en dehors de la ville, et dans les mêmes conditions que le salam du Julde-Suumayee. Chacun a apporté son mouton, le sunna, comme l'appellent les Foula, le layya (dérivation probable de dhayya) comme disent les Toucouleurs et aussi les Foula. Il a été soigneusement lavé au savon, et fait jeune depuis la veille au soir. Quelquefois, surtout à Dinguiraye, on lui a trempé les sabots dans le henné. Souvent aussi, on le fait boire un peu d'eau avant de l'égorger.
    Dès que le salam est fini, un coup de tabala avertit que l'imam sacrificateur se prépare; un deuxième coup que la bête est égorgée. Aussitôt, chacun tranche le cou de son mouton. Dans beaucoup de villages foula, les gens n'apportent pas leur mouton au salam, C'est le fait de l'imam seul. Rentrés chez eux, ils égorgent leur bête, chacun dans leur carré.
    A Timbo, c'était l'Almamy et dans les misiide, capitales des diiwe, c'étaient les chefs de diwal, qui devaient égorger la bête les premiers. L'imam de la mosquée n'opérait sur sa bête qu'en second lieu. Cette tradition s'est encore conservée, et c'est le chef politique de Timbo, Labé, Fougoumba, Maasi, etc., qui donne par son exemple le signal des sacrifices. Les femmes, chefs de famille, à qui il est interdit de verser le sang, laissent cette charge à un membre de la famille ou à un ami. Elles doivent mettre la main soit sur l'épaule du sacrificateur soit même lui tenir vigoureusement l'avant-bras pendant l'opération. Le couteau n'est l'objet d'aucun rite spécial; le sang est abandonné à terre, et ne donne lieu à aucune pratique. Les chiens qui mangent le sang de la « sunna », de Julde-Donkin, deviennent enragés.
    On rentre au village par un autre chemin que celui par lequel on est venu, toujours en vertu de la tradition précitée.
    Dés que le mouton est dépecé et partagé, on fait griller le foie et on le donne au chef de famille. C'est par ce premier aliment qu'il doit rompre le jeûne. Les quartiers de viande sont mangés par toute la famille, et on en distribue aux miséreux qui n'ont pas pu tuer de mouton. A Dinguiraye, le sang, mêlé à l'eau, est utilisé comme médicament pour les maux d'oreille. Partout, la tête et les pieds sont gardés pour l'Achoura. La peau est nettoyée, tannée et apprêtée, et devient le « salli-gourou » des Toucouleurs, le « juldugii » des Foula, c'est-à-dire la peau de la prière.
    Les festins commencent, et durent plusieurs jours. Le mouton ou son succédané n'est que la bête sacrificielle, la victime pascale, celle par laquelle tous les musulmans doivent commencer. Mais en dehors du mouton, on égorge plusieurs boeufs, on fait d'innombrables calebasses de riz, de mil, de maïs, et de fonio; on se gorge de lait frais, de lait caillé et de beurre.
    La fête ne dure qu'un jour en principe, mais souvent se répercute pendant plusieurs jours. Le tam-tam résonne; les gens se font visite et se complimentent; les réconciliations se produisent sous l'empire des bons sentiments qui dominent ou par la pieuse pression des amis.
    A Dinguiraye, les enfants, à l'instar de ce qui se passe dans beaucoup de régions de l'Afrique du Nord, et même dans certains pays chrétiens, passent dans les maisons, quêtant de menus cadeaux, bénissent les donateurs et leur souhaitent un autre Julde-Donkin, injuriant ceux qui les repoussent, ou ne se montrent pas assez généreux. Dans le Fouta, les enfants des familles aisées réunissent chez eux leurs petits camarades; on leur sert des calebasses spéciales.
  3. Achoura, Julde-Jombente ou fête de l'année nouvelle, est le Jombente foula, le Harran des Toucouleurs.
    Elle entraîne pour les pieux Karamoko un jeûne d'un de deux ou de trois jours (le jour même, la veille et le lendemain). Le commun ne jeûne que le jour même de la fête, et même souvent pas du tout.
    L'Achoura s'accompagne de toute une série de rites symboliques, destinés à amener la prospérité dans l'année nouvelle. Grands festins de nuits d'abord, la veille et le soir de la fête. Il faut manger abondamment, aller même au delà du rassasiement, et il faut manger de tout: viande, lait frais et caillé, grains de toute nature, fruits, légumes, etc. Cette pratique doit provoquer une abondance de victuailles dans le courant de l'année. Il faut se laver le corps à plusieurs reprises et très soigneusement: cette cérémonie purificatoire doit préserver des maladies. Il faut s'enduire les cils et les sourcils de kohol, pour éviter le mal aux yeux. Il faut se rogner soigneusement les ongles des pieds et des mains; on se débarrasse ainsi de toute souillure passée et on acquiert des forces pour ne plus retomber dans le péché. On fait venir les petits orphelins, on leur frotte doucement la tête avec la paume de la main et on leur fait de petits cadeaux; on éloigne ainsi la colère divine et on s'attire sa miséricorde spéciale. Il faut enfin faire visite aux Karamoko les plus réputés et leur demander leur bénédiction; il convient même — chose remarquable — de faire un pèlerinage au tombeau d'un saint marabout et de prier pour lui. Il priera en revanche pour son fidèle et obtiendra que Dieu répande sur lui ses faveurs. Enfin dans les régions où il y a des chevaux, et notamment à Dinguiraye, il est bon de faire une promenade montée, à travers les champs et les rues des villages. Cette pieuse pérégrination doit faire descendre les bénédictions divines non seulement sur les lieux parcourus, mais encore sur le cheval et le cavalier
    Enfin, au cours du festin, le soir de l'Achoura, on fait bouillir la tête et les pieds du mouton de Julde-Donkin, et chacun doit venir manger une petite parcelle de viande.
    Aux enfants, et aux pauvres qui n'ont pas égorgé de mouton, on fait boire un peu de bouillon. Ce rite relie l'année nouvelle à l'année écoulée et attire sur la première les bénédictions du sacrifice de Donkin. Il sert aussi à faire faire la Pâque à ceux qui étaient en voyage ou malades au jour de Donkin et qui n'ont pas pu prendre part au sacrifice commun.
    Dès que la nuit est complètement tombée, les enfants se promènent dans les rues du village allant de carré en carré et demandent de petits cadeaux.
  4. Mouloud, fête de la naissance du Prophète, connu sous son nom arabe de « Maouloud », n'est pas célébrée par le peuple. C'est une fête purement cléricale qui entraîne pour les plus pieux d'entre les Karamoko un jour de jeûne et des prières surérogatoires, surtout nocturnes.