Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages
L'histoire du Fouta-Diallon est aujourd'hui connue. En des ouvrages d'inégale valeur, Hecquard, Madrolle, Bayol, Famechon, Machat, surtout Arcin — [lui-même revu et critiqué par Tauxier. Tierno S. Bah] —, ont traité la question, puisant des renseignements dans les auteurs anciens et modernes ou recueillant les traditions indigènes. Des inexactitudes, mais surtout nombre de constructions historiques purement imaginatives, se sont glissées dans ces travaux, remarquables d'ailleurs par divers côtés.
Il est de toute utilité de préluder à l'étude de l'Islam dans le Fouta par un rapide schéma où seront esquissées nos connaissances actuelles et vérifiées sur l'organisation politique et religieuse de l'ancien régime, son évolution au cours des deux siècles, où elle a subsisté, et ses transformations dans la société foula moderne. Ce croquis d'histoire politique et musulmane est indispensable pour relier le passé au présent et expliquer l'un par l'autre.
Au début du dix-septième siècle, le Fouta guinéen est peuplé par deux sociétés fétichistes: les Diallonké (rameau Soussou) qui paraissent être, sinon les autochtones, au moins les plus anciens habitants connus du pays, et les Pulli, descendants d'une invasion peule (tribu Uururɓe) qui remontait très avant dans la nuit du moyen âge. Les frères de ces Poulli subsistent encore à l'heure actuelle, à l'état très pur, dans le Ferlo sénégalais et dans tout le sud du Fouta Toro sous le nom de Fulɓe Diéri. Ces deux peuples étaient fétichistes.
[ Erratum. — Les Pulli étaient des monothéistes adorant Geno. — Tierno S. Bah ]
Dans le cours du dix-septième siècle, les migrations des Peul de la vallée du Niger et particulièrement du Macina, du Sahel et de Tichit, amenèrent quelques tribus de ces pasteurs sur les plateaux du Fouta. Ils y trouvèrent un accueil favorable, tant de la part des Soussou d'origine mandé, que de la part de leurs cousins les Poulli. Les Soussou les dénommèrent Foula et cette appellation leur est restée, bien qu'eux-mêmes se désignent sous le nom classique de Fulɓe. Ils croient en nombre, en richesses et en influence et se renforcèrent de familles de même origine, venues du Fouta sénégalais. Les quatre grandes tribus de la race peule:
étaient représentées dans ces migrations, et aujourd'hui il n'est pas un Foula qui ne se rattache à l'une ou à l'autre de ces tribus.
Les Foula étaient musulmans, en grande partie au moins. Aujourd'hui tous ne peuvent pas présenter une tradition de leurs origines islamiques, conforme à leurs désirs, mais certaines familles, comme les Nyoguyanke et Dimbalaaɓe, qui ont des représentants dans tout le Fouta, jouissent du prestige d'être venues du Macina en tête des invasions peules, et d'avoir les premiers fait briller dans le Fouta la lumière des vrais croyants.
Ces Foula se rattachaient à la bannière qadria des Kounta de Tombouctou, dont le prosélytisme s'était fait sentir depuis deux siècles dans la boucle du Niger. Disciples des Kounta dans leur première manière, ils étaient donc Qadrïa-Bekkaia.
Mais il y avait aussi, dit la tradition, quelques Chadelia parmi eux. On cite même un nom qui est d'importance: Modi Cellou, Alfa du Labé. Ce n'est qu'un peu plus tard, et par l'effet de prédications extérieures, que le Chadelisme devait briller d'un vif éclat au Fouta.
L'attitude des Foula immigrants fut d'abord des plus pacifiques, et ils paraissent avoir vécu avec leurs hôtes Soussou et Poulli en aussi bons termes qu'il est possible de le faire entre pasteurs et cultivateurs.
Le dix-huitième siècle est le siècle de l'islamisation parallèle des deux Fouta. Les groupements musulmans, riches, nombreux, fanatiques, prennent conscience de leur force. L'heure est venue de faire passer ces régions qu'ils occupent dans le Dar al-lslam, et de soumettre à la loi du Prophète et a leur propre domination ces peuples d'infidèles et de païens qui leur ont donné l'hospitalité.
Le prosélytisme ardent de tous les Karamoko amena l'unification politique et religieuse, sous l'égide de l'Islam, de toutes les tribus foula dispersées. Le plus célèbre d'entre eux, Ouali et pôle de son temps, Alfa Ibrahima Sambegu, plus connu sous le nom de Karamoko Alfa, prit la tête du mouvement. C'était un marabout thaumaturge, et un ascète mystique. Il résidait à Timbo, et était fils d'Alfa Nouhou, fils d'Alfa Kikala, se rattachant ainsi par la branche Sediyanke, à la tribu mère des Dayeeɓe. Il avait fait ses études islamiques chez les plus grands marabouts de son époque :
Sa vie publique fut précédée d'une retraite de sept ans, sept semaines et sept jours, passée tout entière dans la solitude, la continence et le jeûne.
Une assemblée plénière réunit les chefs de la guerre sainte près de Bomboli, vers 1725. On y arrêta le plan des opérations. Le pays fut partagé en sept provinces ou diiwe (sing. diiwal), et chacune fut pourvue de son chef, chargé de mener sur place le bon combat.
Karamoko Alfa, représentant de Timbo, conserva la direction spirituelle de la guerre sainte.
Il est hors de propos d'entrer dans le détail des multiples combats et escarmouches que les Foula musulmans livrèrent aux Poulli et Diallonké pour assurer leur domination. Le dix-huitième siècle est rempli tout entier des traditions locales, concernant ces faits divers. Il faut constater simplement que l'Islam ne remporte pas dans le Fouta-Diallon un succès aussi complet et aussi rapide que dans le Fouta Toro. Dès 1775 environ, celui-ci est soumis à la domination islamique des marabouts toroɓɓe. Sous la plume de nos vieux auteurs même, les « Poules fétichistes » disparaissent, sans même qu'ils s'en rendent compte, pour faire place aux Toucouleurs islamisés. La chose n'alla pas aussi facilement dans le Fouta Diallon; les Foula purent bien s'emparer du pouvoir politique et asservir leurs hôtes accueillants, ils n'arrivèrent jamais à les islamiser complètement.
D'ailleurs, dans la tradition même, la vie et l'uvre de Karamoko Alfa sont remplies de contradictions. C'est une grande figure aux contours imprécis, représentative de tout un siècle. Elle apparaît comme le résumé d'une époque et d'une grande oeuvre, et il est hors de doute qu'on a attribué à cette mémoire légendaire mille faits, et nombre de vertus qui émanaient de la collectivité. L'Ancien Testament et la chronique des premiers temps islamiques offrent maints exemples de ces types d'épopée. Karamoko Alfa est le prophète d'Israël venu secouer la torpeur de ses frères, réveiller leur foi somnolente et les lancer dans la voie des grands destins.
Le grand homme ne parait pas avoir eu les qualités du chef de guerre ni de l'organisateur politique.
Plus marabout que guerrier, et tombé avec l'âge dans les désordres de la folie mystique et convulsionnaire, il fut écarté du commandement par les chefs de diiwe. Son cousin Ibrahima Sori le Grand lui succéda, prit la tête du parti islamisé, détruisit l'empire de Kondé Bourama, chef commun des fétichistes du Fouta et des Malinké du haut Niger, et imposa son autorité au pays avec assez de force pour qu'on pût dès lors instaurer les prémisses du régime politique, sur les bases religieuses.
Les Foula étaient reconnus maîtres politiques et dominateurs du Fouta. Le pays était partagé en sept provinces ou diiwe:
Deux nouveaux diiwe Kolladhe (chef-lieu Kankalabé) et Koyin étaient presque aussitôt ajoutés aux sept premiers pour former les neuf diiwe classiques de la confédération foula.
Erratum: il y eut neuf diiwe à la fondation même de la confédération. Autant dire que Kolladhe et Koyin en furent des membres-fondateurs, et non des ajouts consécutifs. — T.S. Bah
Plus tard, des diiwe secondaires
devaient être créés, mais sans jouir à proprement parler d'une complète autonomie politique. Le cadre constitutionnel du Fouta ne comprenait que neuf diiwe.
La famille d'Alfa Kikala, qui par ses deux membres Karamoko Alfa et Ibrahima Sori, surnommé Mawdho, c'est-à-dire « le Grand », avait assumé l'effort suprême et la direction des conjurés islamiques, fut confirmée dans son commandement. C'est dans son sein et dans la descendance de ses deux grands hommes (Alfaya, fils du marabout; Soriya, fils du guerrier, que devront être choisis les Almamys, souverains de la communauté musulmane du Fouta. Cet Almamy sera en même temps chef du diiwal de Timbo (entre 1780 et 1790).
Dans les autres diiwe, le pouvoir sera exercé héréditairement par les fils des chefs de la première heure. Ils constitueront les grands vassaux de l'Almamy. Toutes ces familles subsistent aujourd'hui, et pour la plupart ont conservé leur commandement. Elles se sont partagées à leur tour en Alfaya ou Soriya, c'est-à-dire en partisans des almamys de l'une ou de l'autre des deux branches.
A l'intérieur du diiwal, la cellule politique était la misiide, mot qui correspond assez exactement à « paroisse », et qui était formée par les familles d'une même fraction après trois ou quatre générations; la misiide, grossie des clients et des captifs, constituait un village important, atteignant souvent plusieurs milliers de personnes. L'autorité traditionnelle du chef de fraction, installé au centre de la misiide, était respectée; et le vendredi, à l'issue du salam public qui réunissait tous les Foula libres à la mosquée de la misiide, son intervention se faisait heureusement sentir dans les règlements des affaires locales. Il était d'ailleurs assisté des chefs de familles.
La misiide se composait d'un nombre variable de fulasoo ou marga, sortes de hameaux, groupements de tous les membres d'une même famille globale. L'autorité du pater familias, père, juge et pontife, était incontestée. C'est lui qui présidait à la prière des jours ordinaires, sur le petit tippere, ou oratoire familial.
A côté des fulasoo, ou marga, on trouvait le runde, groupement de captifs, vivant et travaillant sous la surveillance d'un Satigui (Timbo) ou Manga (Labé); homme de confiance de l'Almamy ou du chef de diiwal ou de misiide.
L'histoire islamique du Fouta comporte deux cycles:
Les Almamys et leurs chefs de diiwe se ravitaillent main armée chez ces infidèles en esclaves, en grains et en bétail. Ils en arrivent très vite à imposer des contributions régulières aux peuples côtiers.
La fameuse lutte qui remplit tout le dix-neuvième siècle contre les Houbbous, insurgés politiques et dissidents religieux qui, retirés dans les montagnes du Fitaba, puis dispersés dans tous les repaires du Fouta méridional puis rassemblés une dernière fois, déjà fort réduits, sous la baraka du Ouali de Goumba, tinrent tête aux autorités traditionnelles du Fouta, et finirent par être décimés.
Les Almamys du Fouta Diallon se sont succédés à Timbo, depuis la fin du dix-huitième siècle, choisis tantôt dans la branche Alfaya, tantôt dans la branche Soriya, suivant l'ordre du tableau suivant:
Cette dévolution du pouvoir, se fixant alternativement dans les deux familles, a donné lieu à d'interminables conflits. Vers 1840, deux Almamys de valeur, Oumarou et Ibrahima Sori Daara, trouvèrent, sous la pression des Karamoko et des notables, et sur les bons conseils d'un grand marabout foulas, Tierno Saadou, de Dalen (Labé) et, dit-on, d'Al Hadj Omar lui-même, alors de passage dans le Fouta, et non encore installé à Dinguiraye, la solution la plus théorique et la plus impraticable du conflit. Il fut convenu que chaque Almamy régnerait deux ans à tour de rôle. Avec lui arriverait naturellement au pouvoir dans chaque diiwal sa propre clientèle. Les dissensions plus vives que jamais ont surgi depuis ce jour, l'Almamy en cours, pas plus que ses vassaux des diiwe, n'entendant abandonner les rênes du pouvoir, à l'expiration de leurs deux ans, car ils n'étaient jamais sûrs de les reprendre deux ans plus tard.
Alors même que la règle était appliquée, les querelles intestines ne cessaient pas, car la cour de l'Almamy en instances devenait naturellement le centre de l'opposition contre l'Almamy régnant, et tout gouvernement sérieux était impossible.
Les Almamys eurent d'autre part à soutenir des luttes violentes contre leurs vassaux. Ceux-ci, vrais barons féodaux, furent souvent aussi forts, sinon plus forts que leur suzerain, ne lui prêtèrent pas toujours l'assistance requise contre les diiwe rebelles, contre les Houbbou ou contre les fétichistes. Ils portèrent même plus d'une fois les armes contre l'Almamy, et le forcèrent à composer.
D'ailleurs les exodes d'un camp vers l'autre étaient fréquents. C'est un des caractères du régime féodal qu'en face du groupement et de la hiérarchisation des individus, la liberté personnelle reprend ses droits par le perpétuel exode des guerriers, des clercs, des serfs et des captifs d'une société injuste ou trop fermée vers une autre collectivité plus accueillante. C'est ce qui s'est passé en grand dans le Fouta.
L'unité d'origine dans le diiwal, qui était réelle aux premiers jours, s'est rompue de bonne heure. Quiconque, noble foula ou Karamoko, homme libre, Pullo buruure ou captif, se trouvait malheureux parmi les siens, abandonnait son clan et son diiwal, et allait vivre dans le diiwal voisin. Il grossissait les clients du chef, faisait souche dans le pays, et ne conservait que des relations inamicales avec ses frères d'origine. C'est pour cette raison, jointe à celle du mariage avec des captives, d'extraction purement mélanienne, qu'on trouve une si grande diversité d'origines dans les cours des chefs de diiwe, et un si parfait enchevêtrement de toutes les familles peules dans les divers diiwe.
L'intervention des Français et des Anglais dans les affaires du Fouta allait mettre fin à son indépendance.
A partir de 1889, les ambassades des deux nations se succèdent à Timbo, apportant des subsides et des projets de traités. Les Almamys reçoivent toujours les premiers, et des deux côtés à la fois, puis signent ou ne signent pas les seconds, mais entendent bien, en tout état de chose, ne s'engager à rien du tout.
Le jour où l'autorité française voulut tenter réellement l'application de ce protectorat théorique, elle se heurta à une résistance acharnée de la part de l'almamy Boubakar Biro. Il fallut en venir aux armes, après des négociations interminables et harassantes, où excellait la diplomatie foula.
Abandonné par nombre des siens, par le clan adverse des Alfaya et par ses grands vassaux, notamment par Alfa Yaya, chef du Labé, et Alfa Ibrahima, chef du Fougoumba, il fut écrasé par les Français à Porédaka, le 14 novembre 1896.
Il prit la fuite, mais rejoint par le goum de Modi Amadou, frère d'Oumarou Bademba, il fut tué à coups de fusil.
Sa tête fut portée à l'administrateur de Beeckman, qui la fit enterrer avec celle de son fils, tombé à Porédaka, dans le quartier des Soriya, à Timbo.
Les deux chefs des clans Alfaya et Soriya revendiquèrent aussitôt la souveraineté:
Oumarou Bademba, chez les premiers, Sori Yillili, chez les seconds.
Ils avaient combattu avec acharnement Bokar Biro et avaient contribué, aux côtés des Français, à renverser sa domination. Ils furent donc reconnus tous les deux à la fois.
Le Gouverneur général Chaudié, séjournant à Timbo, en février 1897, signait avec les deux Almamys, assistés du chef du Labé, Alfa Yaya, d'Alfa Ibrahima, le grand pontife de Fougoumba et de tous les anciens du pays le traité qui plaçait le Fouta-Diallon, au moins dans le texte français, sous l'autorité et la dépendance de la France.
Dans le même document, « la France s'engageait à respecter la constitution actuelle du Fouta-Diallon. » Elle spécifiait en outre que les Almamys actuellement nommés et reconnus, exerceraient alternativement le pouvoir, conformément à la constitution du Fouta. Peu après néanmoins, et pour mettre fin à ces perpétuels conflits qu'entraînait la dualité des Almamys, le Fouta était partagé en :
Sori Yilili, assassiné en 1897, par Tierno Siré, qui vengeait ainsi le meurtre de son frère, Boubakar Biro, était remplacé comme Almamy Sori, puis comme Almamy de la région de Timbo, d'abord par son fils Alimou de 1897 à 1906, puis par son deuxième fils Bokar Biro de 1906 à 1912.
Oumarou Bademba, d'abord Almamy Alfaya, puis Almamy de la région de Mamou, est resté en fonctions jusqu'en 1912.
A cette date la charge d'almamy a été définitivement supprimée, de nom au moins; car de fait, il y avait déjà plusieurs années que l'autorité française avait pris en main l'administration du Fouta.
L'Almamy du Fouta-Diallon était nommé par un collège électoral restreint, composé des représentants des quatre groupes (Teekun) de Timbo, à savoir:
Ces groupes étaient constitués par les descendants des quatre personnages précités, qui étaient des compagnons de Karamoko Alfa et d'lbrahima Sori, au temps des grandes guerres pour la conquête et l'islamisation du pays. Les deux premiers appartenaient à la fraction des Yirlaɓe de la tribu Dialluɓe, les deux autres à la fraction des Sédianké, de la tribu Dayeeɓe.
En temps ordinaire, ces quatre représentants constituaient, sous la présidence du premier d'entre eux, le délégué du Teekun de Modi Maka, le grand Conseil des Almamys. On les nommait les Jagge (sing. Jaggal). Le président ou porte-parole du peuple foula était le Jaggal mawngal ou grand conseiller
L'élection de ces quatre représentants des groupes historiques du Fouta central n'étaient soumis à aucune règle positive. Quand l'un d'eux disparaissait, c'était l'un quelconque des membres du groupe, celui qui s'imposait par sa richesse, par sa puissance, son savoir, sa sainteté, ses intrigues, qui était porté en avant par ses contribules, et l'Almamy était contraint, ou peu s'en fallait, de le désigner
Dans les cas très importants, par exemple quand il s'agissait de porter la guerre chez les infidèles, l'avis du grand conseil ne suffisait pas, l'Almamy devait réunir à Fougoumba l'assemblée plénière des hommes libres du Fouta central. Elle se présentait en deux groupes : d'un côté, les Foula de Timbo, de l'autre ceux de Fougoumba, Bhouria et Kebali.
Ces cantons sont le coeur même du Fouta, le Hakkunde Maaje, « l'entre-deux-rivières »: la Tené, le Bafing.
Dans une deuxième réunion, où assistaient tous les Foula du Hakkunde Maaje et qui se tenait à Fougoumba, l'Almamy était définitivement désigné.
Quant à l'assemblée plénière des Foula de tous les diiwe, elle ne pouvait évidemment pas être convoquée à Timbo ou à Fougoumba. Aussi, le cas échéant, l'Almamy se contentait-il d'appeler à lui les chefs de diiwe et leurs principaux conseillers et chefs [de canton et] de misiide.
Avant la convention de 1840, le pouvoir passait successivement de la branche des Soriya dans celle des Alfaya et ainsi de suite. A dater de cette convention, il y eut toujours deux Almamys nommés et exerçant, en principe au moins, chacun à tour de rôle, deux ans, le commandement. A la mort de l'un deux, I'assemblée des Foula de Timbo lui nommait aussitôt un successeur dans sa branche.
Pour être élu Almamy, il fallait être de la descendance soit de Ibrahima Sori le Grand (Soriya) soit de Karamoko (Alfaya), c'est-à-dire qu'il fallait appartenir au cinquième groupe qui entrait dans la composition du diiwal de Timbo: le grand groupe ou « Teekun Mawɗo »; en traduction libre, la maison souveraine.
Avec le temps, la règle s'établit qu'il fallait avoir eu un ascendant Almamy. Avec une règle d'hérédité aussi large, les candidatures étaient nombreuses. Mais le collège électoral ne s'écarta jamais, dans ses désignations, des frères, fils et neveux de l'Almamy qu'il y avait lieu de remplacer.
Le lieu de la première assemblée électorale était Timbo, et l'on conçoit que les habitants de cette ville, tous présents et promoteurs de la chose, avaient bien plus d'influence dans l'élection que les Foula des trois autres districts. C'est pourquoi l'on s'était habitué à considérer leur groupement comme équivalent à celui de Fougoumba, Bhouria et Kebali.
Élu à Timbo, l'Almamy devait aller se faire consacrer et couronner à Fougoumba. Le collège suivait une marche traditionnelle par Douɓɓel, Bhouria, Porédaka, Sankarela et Fougoumba. Il devait camper au moins une nuit dans chacun de ces centres. Différentes raisons peuvent être données qui expliquent toutes, chacune pour leur part, la longueur de cette procession et l'inutilité de ces stations; d'abord le désir du collège électoral de faire voir, et reconnaître ouvertement l'Almamy. Cette publicité constituait dans l'élection un élément de forme, absolument indispensable. Ensuite, elle permettait à l'Almamy d'aider à cette reconnaissance officielle en faisant disparaître les frondeurs et mécontents. Ses fidèles partisans ne manquaient pas dans les divers villages de mettre à mal ou de convaincre de gré ou de force les gens de l'opposition. Enfin c'était une occasion de festin et de réjouissances, aux frais du nouvel élu, pour la foule des électeurs. Ses troupeaux de bufs et ses greniers de mil, de riz et de fonio y passaient en grande partie. Il est vrai qu'il ne tardait pas à se rattraper.
Le couronnement avait lieu à Fougoumba, devant la porte de la grande mosquée, en une cérémonie solennelle qui attirait des milliers de spectateurs, de tous les points du Fouta. Tous les diiwe y étaient représentés, soit par leurs chefs, soit par des délégués spéciaux. Il consistait dans le rite d'enturbanner la tête de l'Almamy. Celui-ci revêtu de boubous neufs tenait en main une canne noire à pomme d'argent et piquet de fer, symboles de son autorité. Ces insignes royaux (vêtements et sceptre) étaient fournis traditionnellement par le chef de Bhouria. Le marabout, chef de la famille des clercs de Fougoumba, s'approchait de l'élu assis et, tournant autour de lui, lui ceignait sa tête d'un turban, qui devait avoir sept tours: un tour pour chaque diiwal. Ainsi couronné symboliquement de tous les fleurons de son empire, l'Almamy avait désormais seul le droit de porter le turban blanc, la queue retombant sur le côté droit de la poitrine.
Pendant ce temps un bruyant tam-tam (tabalde) faisait retentir les échos du voisinage. Puis l'Almamy faisait sa profession de foi, vantait ses ancêtres, célébrait ses propres exploits, annonçait les grandes choses qu'il avait l'intention de faire, promettait de soutenir fermement la religion du Prophète et de prendre la défense du parti clérical. Un vieux Karamoko s'approchait alors et prononçait une allocution où s'entremêlaient de judicieux conseils à l'Almamy et des réflexions morales pour la foule.
L'Almamy rentrait ensuite dans sa case et faisait une retraite de silence, de jeûne et de continence pendant sept jours. Pour porter bonheur au nouveau règne, les gens venaient subrepticement jeter quelques graines de riz, de mil ou de fonio dans la case où il était enfermé. Cette coutume signifiait:
« Souhaits de prospérité pour l'Almamy et pour tous les Foula, que les greniers soient pleins et que les arts de la paix fleurissent. »
Chaque matin, le Karomoko officiant pénétrait dans la case et lui enlevait un tour de son turban. Il sortait enfin au milieu des réjouissances et la cérémonie était finie.
Il rentrait sur le champ à Timbo et inaugurait son commandement en appelant auprès de lui les chefs des diiwe. Ceux-ci arrivaient suivis des candidats à leur succession et des hommes libres de leur province. L'Almamy, sur l'avis des électeurs, nommait alors au commandement du diiwal, les chefs appartenant à son parti Soriya ou Alfaya. C'est ce qu'on appelait « donner le turban aux Alfa ». Ils portaient en effet le nom d'Alfa, sauf les chefs des diiwe de Timbi-Touni et de Maci, qui étaient appelés Tierno. Ces nominations se reproduisent d'ailleurs automatiquement tous les deux ans, lors de la prise de pouvoir par le nouvel Almamy.
Rentrés chez eux, les chefs de diiwe procédaient dans les mêmes conditions à la désignation de chefs [de canton] et de misiide. On ne citait que quelques exceptions pour Kala et Diambouriya (diiwal de Fougoumba), dont le chef recevait directement le turban de l'Almamy de Timbo. En d'autres circonstances, le chef de diiwal de Fougoumba pouvait procéder à leur nomination, mais après entente avec l'Almamy. Il en était de même pour le chef de Kébou, dans le diiwal de Timbi-Medina; pour le chef de Sankarela, dans le diiwal de Bhouria, de Mombeya dans le diiwal de Kankalabé, et pour les chefs de Kompéta et de Mali dans le diiwal de Labé.
Peut-être sera-t-il permis ici d'exprimer quelque admiration pour cette élégante organisation du Fouta-Diallon en une « république de camarades ». On pourrait même dire que cette constitution était supérieure à celle que Jouvenel a décrite humouristiquement, puisqu'elle prévoyait la régularité dans les changements des équipes au pouvoir, et que tout conflit aurait été écarté, si la règle avait été observée. Il n'en était pas malheureusement ainsi.
Les clans des Almamys Soriya et Alfaya avaient leurs villages d'origines et d'habitat, où ils vivaient ordinairement quand les fonctions d'almamy ne les appelaient pas à Timbo. C'étaient
Quant à leurs cases et appartements de Timbo, ils restaient vides sous la garde de captifs. La ville de Timbo même était mixte. Mais les marga des alentours étaient surtout peuplés par les Diafounabe, ou fils des premiers Poulli.
Quoique retiré du pouvoir, l'Almamy en instance ne se désintéressait pas des affaires publiques. Lors même qu'il ne faisait pas d'opposition, ainsi qu'il a été dit plus haut, il entendait que l'Almamy régnant ne prit aucune décision qui engageât l'avenir. Cette obstruction pouvait être gênante pour l'exercice du commandement, mais elle était parfois des plus utiles. Quand l'Almamy régnant ne voulait pas prendre une mesure de quelque importance, il se concertait avec son collègue en instance, et alléguait alors qu'il ne pouvait pas faire ce qu'on lui demandait, parce que son collègue s'y opposait et ne manquerait pas de détruire dès sa prise du pouvoir, ce que son prédécesseur avait instauré malgré lui. Se rendait-on auprès de l'Almamy en instance pour obtenir son avis conforme, celui-ci se retranchait derrière la discrétion qui convenait à sa situation d'attente, et refusait de donner une réponse, qui, quelle qu'elle pût être, aurait été un abus d'autorité et une véritable injure à l'Almamy régnant. C'est ainsi que, de 1891 à 1896, alors que l'autorité de Conakry voulait faire accepter à à' l'Almamy un représentant du Gouvernement Français à Timbo, les deux Almamys, celui qui était au pouvoir et celui qui l'attendait, se renvoyaient tour à tour la balle pour éluder les propositions françaises. Et de fait, et jusqu'au jour où l'autorité militaire s'y installa en maîtresse, il fut impossible d'avoir un agent à Timbo.
Quand les circonstances changeaient, la diplomatie changeait aussi. Le grand principe était alors qu'un Almamy ne pouvait considérer comme valable que ce qui avait été institué par ses prédécesseurs du même clan Alfaya ou Soriya.
La cour des Almamys comprenait une clientèle nombreuse d'aventuriers Foula de tout poil. Il y avait d'abord cc qu'on appelait les « fils et neveux de l'Almamy », qui avaient une parfaite réputation de détrousseurs de caravanes. Profitant de la quasi-impunité qui leur était assurée, ils tombaient sur les dioula isolés comme sur les convois, pillaient tout ce qui leur tombait sous la main, et massacraient ceux qui résistaient. Leurs expéditions s'étendaient souvent au delà des lisières du Fouta, et plus d'une fois les villages Soussou ou Malinké de la périphérie eurent à subir leurs déprédations.
Chacun d'eux avait une petite bande d'amis et de serviteurs, recrutés tant parmi les Foula libres, que les étrangers, surtout Toucouleurs, et les captifs, et qui de paisibles lazzaroni de Timbo se muaient, les jours de razzia, en véritables bandits. C'étaient les hommes à tout faire des Almamys. Quand ceux-ci en prenaient la direction et que, sur leurs ordres les bandes des chefs de diiwe venaient se joindre à eux, ces expéditions avaient alors un véritable caractère fédéral, et l'unité foula apparaissait si vivante que beaucoup de rebelles firent leur soumission devant cette simple manifestation. Les fétichistes du Gabou, du haut Niger ou de la côte, y étaient évidemment moins sensibles.
On y voyait encore des étudiants de toutes les races guinéennes, et surtout de toutes les tribus de la diaspora peule, venus chercher l'instruction islamique et la civilisation foula auprès des Karamoko en renom et savants de ce gouvernement constitué. Le même fait se produisait à Labé, dont les chefs jouissaient de la réputation de souverains éclairés et généreux.
Les Almamys avaient autour d'eux quelques conseillers, aux attributions mal définies de vizirs. Le seul qui compta véritablement était celui qui était chargé des relations extérieures, celui qu'on a appelé le « grand ministre ». Fodé Billo, « grand ministre » des derniers Almamys indépendants, de 1880 à 1896, a laissé la réputation d'un homme habile et vénal. Il faisait le marabout à l'occasion, et voilait même, sous le manteau de la piété, les marchandages auxquels Français et Anglais tentateurs exposaient sa fragile conscience.
Parmi les personnages les plus intéressants de l'entourage des Almamys étaient les Karamoko chargés de l'instruction des affaires judiciaires. Si l'Almamy, souverain de la communauté musulmane, était théoriquement son grand juge, il s'en remettait, dans la pratique, à des lettrés et notables, vrais cadis sans le nom, à la fois magistrats du droit islamique et jurisprudentes du droit coutumier.
La compétence de ces juges s'étendait à la matière civile comme à la matière pénale, aux affaires du premier degré, c'est-à-dire à celles intéressant le diiwal de Timbo proprement dit, comme aux affaires d'appel, c'est-à-dire à celles traitées d'abord par les tribunaux des chefs de diiwe et dont pourvoi était interjeté devant l'Almamy.
A côté de ces juges officiels qui étudiaient les litiges et préparaient les sentences de l'Almamy, il y avait dans certaines régions du Fouta des Karamokos, qui s'étaient imposés par leur science et leur piété et que les Almamys du chef de diiwal consultaient dans les cas épineux. C'étaient des sortes de muftis. Parmi ces docteurs éminents, on citait à la dernière époque de l'ancien régime,
Les Almamys tiraient leurs principales ressources des cadeaux des chefs de diiwe et de misiide, et des revenus de leurs hameaux de cultures.
Ces cadeaux des chefs locaux étaient pour ainsi dire obligatoires; c'étaient de véritables tributs, d'une régularité assez variable, mais toujours très élevés; ils consistaient en boeufs, moutons, grains, vêtements, et même numéraire et métal.
Les récoltes des runde ou villages de captifs des Almamys constituaient un revenu plus fixe et plus assuré. Ces runde étaient sous la direction d'un intendant nommé par l'Almamy et qui portait le nom de satigui dans le Timbo, ou de manga dans le reste du Fouta. Le satigui, captif lui-même, était le maître absolu et le pater familias du runde; il dirigeait les cultures, tranchait les contestations et mariait ses gens. Dans le Timbo, pourtant, l'usage s'était établi que c'était l'Almamy qui mariait lui-même les captifs de ses runde, ceux-ci venaient le trouver avec un coq et une natte. Le coq était pour l'Almamy, la natte représentait la dot de la femme. A chaque récolte, le satigui faisait parvenir à l'Almamy une petite botte de roseaux dont le nombre de tiges était égal au nombre de charges de grains. C'est par cette méthode bien simple que cet intendant illettré communiquait avec son maître directement et sans l'intermédiaire d'un Karamoko indiscret qui aurait dévoilé aux quémandeurs la fortune de l'Almamy.
L'Almamy était représenté au chef-lieu de chaque diiwal par un délégué, nulal, dit aussi nabhoowo bhataake, c'est-à-dire « porte-lettres ». Cette représentation appartenait de droit à un groupe ethnique; par exemple
Ces familles avaient, en quelque sorte, le monopole de ces relations diplomatiques de l'Almamy avec les chefs de diiwe. Elles servaient officiellement d'intermédiaire entre l'un et les autres, et quand les chefs de diiwe venaient à Timbo, c'est encore des bons offices des membres de ces familles qu'ils usaient pour leurs relations politiques ou privées avec le souverain.
Telle était, dans ses grandes lignes, l'organisation du Fouta-Diallon. C'était une confédération de petits États sous une suzeraineté d'origine religieuse, rapidement transformée en pouvoir politique.
La dualité de ce pouvoir, les intrigues cléricales des Fougoumba, l'esprit d'indépendance des grands vassaux, empêchèrent les Almamys, même les plus grands, malgré leur valeur et leurs efforts, d'arriver à l'intégration politique du Fouta. Il n'en est pas moins intéressant de constater la solidité et la vigueur de cette organisation constitutionnelle et de classer la confédération foula en tête des trois seuls États, tous à forme féodale, qui ont fleuri, ces deux derniers siècles, sur la côte occidentale d'Afrique:
Les Almamys, surtout ceux de la branche des Soriya, n'ont jamais passé pour des personnages pieux. Ils étaient surtout des souverains et des chefs politiques, et n'hésitaient pas à persécuter, jusqu'à Ia mort incluse, la gent maraboutique qui lui faisait de l'opposition.
Ils furent fidèles à l'affiliation qadria de leurs ancêtres jusque vers 1860, date où le Fouta-Diallon, subissant lentement l'influence des succès religieux et politiques des Toucouleurs de Dinguiraye et du Fouta Toro, passent au Tidianisme d'Al-Hadj Omar.
Les Almamys sont contraints de suivre le mouvement et reçoivent à leur tour le wird (wirdu) tidiani omari.
Les Almamys ont disparu. Les grands partis politiques Alfaya et Soriya, n'ayant plus de sens maintenant, tendent à disparaître aussi. Mais les personnes restent, et c'est évidemment parmi ces représentants des familles princières qui, deux siècles durant, ont présidé aux destinées princières, qui, deux siècles durant, ont présidé aux destinés de la confédération foula, que l'autorité française choisit aujourd'hui ses chefs de districts et de villages.
On trouvera ci-dessous les principales personnalités, en vie à l'heure actuelle, et qui ont joué un rôle politique ou religieux ou bénéficient de quelque influence de cette nature.
La traditionnelle répartition entre Alfaya et Soriya est observée.
Oumarou Bademba, que les administrateurs de la génération précédente ont délégué sous le nom de Modi Oumarou, est le dernier des Almamys alfaya. Né vers 1860, c'est aujourd'hui un vieillard fatigué. Il est borgne, des suites d'une blessure reçue dans sa jeunesse. Il a pris part à tous les événements qui se sont succédé depuis un quart de siècle, et ont amené la disparition de l'ancien régime et l'établissement de la domination française. Ce n'est pas à dire pour cela que ses sympathies ne fussent pas entachées de la duplicité foula. On a retrouvé dans la correspondance de Samory des lettres d'Oumarou Bademba faisant appel à son intervention pour aider les Foula à chasser les Blancs infidèles du Fouta-Diallon.
C'est lui qui fit tuer l'Almamy Boubakar Biro, après la bataille de
Il se fit aussitôt couronner à Timbo même, par exception, par
Alfa Ibrahima, de Fougoumba, le 18 novembre 1896. L'autorité française sanctionna cette désignation, et le nouvel Almamy fut reconnu au nom des Alfaya sur le front des troupes à Timbo, le 10 décembre 1896.
Lorsqu'intervint le partage du Fouta, l'année suivante, Oumarou Bademba fixa sa résidence à Mamou, comme Almamy de cette région.
Ses exactions sans nombre, ses abus du pouvoir, ses cruautés furent tels, qu'il fallut le déposer en 1900. En 1905, il est nommé chef de Daara, Téliko et Palé Saré; il ne sut pas davantage se maintenir en fonctions. Il fallut l'écarter définitivement de tout commandement en 1912.
L'Administration lui verse, en échange de l'abandon volontaire de ses prérogatives, la magnifique pension annuelle de 2.000 francs.
Après avoir été longtemps président du tribunal de province de Mamou, Oumarou Bademba est aujourd'hui premier assesseur du tribunal de cercle.
Deux de ses cinq fils adultes méritent une mention particulière:
Sur ses vieux jours, l'Almamy Oumarou Bademba tourne au marabout. Il jeûne toute la journée et ne mange que la nuit, sauf toutefois les jours de fête. On dit qu'il observe ces pratiques depuis Porédaka (1896). Il accomplit sans omission toutes les prières islamiques et se fait remarquer par les démonstrations extérieures d'une grande piété, notamment par une perpétuelle récitation du chapelet. Ses ennemis disent que « le repentir l'a enfin saisi », car il a tellement tué et pillé de gens, qu'il est assuré de se voir refuser le ciel s'il ne fait pas pénitence.
Il faut remarquer d'ailleurs que la branche des Alfaya s'est toujours signalée par ses tendances maraboutiques et religieuses, tandis que celle des Soriya représentait
au contraire en quelque sorte le parti libéral, moderniste et laïque.
Oumarou Bademba est tidiani de l'obédience d'Al Hadj Omar. Il ne veut pas dire de qui il tient son affiliation.
Son fils, Modi Sori, chef du canton de Mamou, tidiani aussi, a été affilié à cette voie par Al Hadji Ibrahima de Hériko, marabout local qui avait fait le pèlerinage de la Mecque et y avait reçu le wird.
Alfa Oumarou, fils de l'Almamy Ahmadou et cousin d'Oumarou Bademba, est chef du district de Timbo depuis le 14 novembre 1912. Il a quatre femmes et une vingtaine d'enfants. Héritier de son père l'Almamy Ahmadou ( 1895) il jouit de la plus grande fortune de Timbo; il possède treize runde et trois à quatre cents serviteurs, avec la plupart desquels il a conclu des traités de métayage.
A la suite de la bataille de Porédaka, il a été mis en résidence obligatoire à Conakry, où il est resté six ans (1896-1902).
C'est un disciple tidiani de Tierno Mamadou Gobiré.
Les enfants de Bappaté Youssoufou, cousins de l'Almamy Oumarou Bademba et craignant les effets de sa haine, ont été en grande partie s'installer à Sierra Leone, où leur frère est mort à la fin du siècle dernier. Quelques uns sont revenus dans la province du Houré, au village de Himaya. Ils y font les cultures du riz, du mil sur une grande échelle. Leur mouvement de retour s'accentue tous les jours. L'aîné, Modi Bemba, né vers 1875, est le chef de la famille.
L'Almamy Ibrahima Sori Daara a été tué en 1875 avec plusieurs de ses fils, dont Mamadou et Bappaté Issaga, dans la guerre contre les Houbbou. Un autre de ses fils, Abdoulaye Foula, décédé récemment, a laissé un fils, Modi Mama, né vers 1869 et qui est chef de Boulliwel. Les autres fils de l'Almamy Ibrahima Sori Daara, encore en vie et résidant à Timbo sont : Alfa Nouhou, Modi Yaya, Alfa Dian, Modi Salmana et Modi Hassana.
De la branche voisine, se rattachant par Modi Ibrahima à l'Almamy Abdoulaye Bademba, il n'y a à signaler que Alfa Al Asseïni, d'abord chef de Sillaya, puis chef de la Kaba depuis 1913. C'est un homme intelligent, énergique et dévoué. Son père ayant fait de nombreuses plantations de kolatiers et d'orangers, Alfa Alseyni se trouve être à la tête de revenus assurés, qui font de lui un des hommes les plus riches du Fouta.
Soriya. Les descendants des Almamys Soriya, méritant une mention particulière à l'heure actuelle se rattachentà : Almamy Saadou et Almamy Abdoul Qadir tous deux fils d'lbrahima Sori le Grand, premier Almamy du Fouta.
Dans la première branche (Almamy Saadou) : Alfa Ibrahima, fils d'Alfa Mahadiou, est aujourd'hui chef du village de Nefadié.
Les fils de l'Almamy Sori Yilili, tué en 1897, par Tierno Siré, frère de l'Almamy Boubakar Biro. Ces fils sont :
L'aîné, Baba Alimou, a été nommé Almamy de Timbo en 1900. Il est mort en 1906.
Le deuxième, Boubakar Biro, dit Bokar Biro, est né à Téré vers 1880. Il est grand et fortement noir. Fils d'une Malinke, il a pris le type de sa mère et n'a rien du physique du Foula. Élève de Karamoko Dalen de Timbo, il a de bonnes connaissances d'arabe, et a reçu en 1900 le titre de « Tierno ». Il parle assez couramment le français. Il est affilié à l'ordre tidiani.
Bokar Biro fut nommé almamy de Timbo, à la mort de son frère aîné, Baba Alimou, le 10 décembre 1906. D'un caractère faible et irrésolu, il fut la victime des sollicitations de son entourage, qui avec la complicité de l'interprète du cercle, Seydou Touré, put commettre toutes sortes de crimes et abus. Il avait partagé le cercle en fiefs et apanages qu'il distribuait à sa famille et à ses suivants. On se serait cru revenu aux beaux jours de la féodalité foula.
En 1912, il fut reconnu qu'il y avait lieu de supprimer la fonction d'Almamy, chef unique de la région de Timbo, et de diviser le cercle en dix districts autonomes. Ce nouveau régime facilitait l'administration en rapprochant le commandement de cercle des indigènes et mettait fin aux exactions. C'est ainsi que disparaissait définitivement le dernier vestige d'un régime qui avait duré deux siècles et fait la grandeur relative du Fouta.
Ces districts, remaniés depuis cette date, sont à l'heure actuelle.
Trop jeune pour être réduit à l'inaction, Bokar Biro était compris dans la nouvelle organisation. Il était nommé chef de district de Téré. Depuis cette date, sa conduite a paru irréprochable, et il reporte toute son activité sur le développement de la station agricole de Konsoudougou.
A la suppression de ses fonctions d'Almamy, la générosité administrative a alloué à Bokar Biro une pension annuelle de 2.000 francs.
Il reste à signaler les fils intéressants de l'Almamy Sori Yillili:
Alfa Oumarou Bagou est né vers 1889, à Mankouta (Timbo); c'est un frère consanguin de Bokar Biro, avec lequel il est d'ailleurs dans les plus mauvais termes. Il est chef du district de Kolen. C'est un bon lettré arabe, qui a reçu le wird tidiani de Karamoko Kolen. Il comprend suffisamment le français et parait très dévoué à notre cause. Il a rendu des services signalés.
Modi Arbaba Bari, né vers 1885, frère du précédent, est chef du canton de la Bouka-Fodé Hadji. Il a suivi plusieurs années les cours de l'école de Timbo, et parait y avoir acquis une certaine instruction française et de la sympathie pour nos idées. Il a libéré lui-même les captifs de son canton et facilité leur transformation en métayers. Il se consacre avec zèle aux travaux agricoles.
Dans la deuxième branche (Almamy Abdoul-Qadiri); :
Les clercs de Fougoumba et les Almamys de Timbo descendent
d'une même souche
. Les premiers, dits Seriyanke, sont les fils de Fodé Seri.
Les autres dits Sediyanke sont les fils de Fodé Sedi.
Seri et Sedi sont ou seraient les deux fils d'un Maure, Mamadou Moktar, venu de Tichit
(Sahel) dans le Kissi, puis dans le Kouranké, et enfin au Fouta-Diallon vers
le seizième siècle. Il est probable qu'il faut entendre cette paternité de
Mohammed Al Mokhtar comme une ascendance lointaine.
Ce Maure, ou plus vraisemblablement ce Poulli, descendait, dit la légende, de Sekou Abbana, venu d'Orient aux âges des invasions islamiques. Il se rattachait par une chaîne, qui n'est pas restée, à Hossein, fils d'Ali et de Fatima [fille du Prophète Mohamed], et était donc Chérif.
A sa mort, qui, suivant une autre tradition, serait antérieure à son arrivée au Fouta, ses deux fils se partagèrent ses clients Peul et serviteurs Malinke et devinrent chefs de groupes, l'un Seri, à Fougoumba et l'autre, Sedi, à Timbo.
On a vu au chapitre précédent que, deux siècles plus tard, le cinquième descendant de Sedi, Karamoko Alfa, allait devenir le chef de l'insurrection islamique du Fouta, et que de ce fait sa descendance et celle de son cousin Sori Mawdho, devenue les Sediyanke, allaient fournir la maison des Almamys du Fouta.
Les fils de Seri, ou Seriyanke, du diiwal de Fougoumba, prirent une part active à la rénovation musulmane du dix-huitième siècle. C'est à Fougoumba que se tinrent les conciliabules et les retraites religieuses des conjurés et c'est de là que partit le signal de l'insurrection. Alfa Sadio, père des gens de Fougoumba, marabout respecté et chef de bandes de valeur, mena vigoureusement le bon combat dans son diiwal. Mais, lors du partage des prérogatives du commandement, il ne put faire prévaloir ses ambitions. Il reçut le commandement du diiwal de Fougoumba, et se confina dans la cléricature. Il fut désormais reconnu que Fougoumba était la ville sainte du Fouta-Diallon, et que sa mosquée, nouvelle cathédrale de Reims, était le sanctuaire où les Almamys recevraient l'investiture spirituelle, se traduisant par le couronnement par le turban à sept ou neuf tours. Au Karamoko, chef des lévites de Fougoumba, appartenaient de droit les pouvoirs de consécrateur.
Il était aussi en quelque sorte le gardien suprême de la loi, veillant à ce que rien dans la vie politique ou sociale du Fouta ne se fait en contravention des prescriptions religieuses. Ces pouvoirs mal définis constituèrent une arme redoutable dans les mains du chef et des anciens de Fougoumba, et leur servirent à assouvir bien des rancunes et à faire tomber bien des têtes.
En même temps le territoire de Fougoumba, était neutralisé. II était absolument interdit d'y faire tout acte et même tout préparatif de guerre; cette trêve permanente d'Allah fut toujours observée.
Les Seriyanke, ou marabouts du Fougoumba paraissent avoir beaucoup vécu sur leur réputation de sainteté et de science. Il ne semble pas qu'ils aient fourni de grands hommes de vertu ou de science islamique. On voit au contraire surgir parmi eux de remarquables intrigants, qui pratiquant le cléricalisme, avant le nom, c'est-à-dire tirant le plus grand profit possible du temporel à l'aide de leurs facultés spirituelles, s'entremettent dans l'élection des Almamys, intriguent avec art, et provoquent des dissensions intestines entre Alfaya et Soriya, chaque fois que la situation n'est pas à leur gré.
Les Almamys par ailleurs ne se gênent pour les déposer ou plus exactement pour leur enlever leur commandement du diiwal de Fougoumba, ce qui en principe les fait choir de leur siège spirituel.
Le plus beau type de genre est Alfa Ibrahima, le dernier des Fougoumba de l'ancien régime. De 1880 à 1900, on le trouve mêlé à toutes les intrigues et à toutes les révolutions du Fouta. En 1890, il assure envers et contre tous l'élection de son candidat, Boubakar Biro, premier du nom. Les Foula se sont prononcés, en grande majorité, à Timbo, pour son frère Alfa Mamadou Paté. Mais Boubakar se précipite à Fougoumba, et couronné par Alfa Ibrahima, fait sa retraite, et marche contre son frère qu'il met en fuite et fait tuer peu après. L'indépendance de caractère dont fait preuve Boubakar Biro déplaît au pontife de Fougoumba, qui arrête de le remplacer par le troisième frère, Modi Abdoulaye. Mais Boubakar Biro prend les devants, dépose Alfa Ibrahima Fougoumba et le remplace par Alfa Mamadou Aliou, petit-fils aussi de Modi Makka. Il lui enlève par surcroît sa femme préférée. C'était peu connaître le génie d'Alfa Ibrahima. Tout déposé qu'il est, il suscite à nouveau la candidature de Modi Abdoulaye, le consacre Almamy; et marchant contre Boubakar Biro, tous deux le battent à Bantinhel
Boubakar Biro prenait sa revanche quelque temps après en infligeant une sanglante défaite aux deux alliés et en tuant son frère Modi Abdoulaye. Il ne devait pas pourtant avoir le dernier mot, car Alfa Ibrahima lui suscitait par la suite la candidature de l'Alfaya Oumarou Bademba. La politique de ce dernier, l'entrée en scène des Français et diverses autres circonstances amenaient comme on l'a vu, la chute et la mort de Boubakar Biro en novembre 1896.
Alfa Ibrahima devait clore sa vie d'intrigues et d'aventures par une fin non moins tragique. Il avait toujours fait montre envers les Français de sentiments hostiles. C'est ainsi qu'en présence même des autorités du Fouta et des chefs indigènes, il égrenait son chapelet annonçant que la domination dans le pays des Français ne durerait pas un nombre d'années supérieur aux grains comptés. C'est aussi encore que par les renseignements qu'il fournit au Tierno de Ndama, il fit échouer l'expédition Noirot. Révoqué en 1900 par l'administration française, il ne tardait pas à se compromettre dans des machinations assez mal ourdies d'ailleurs, pour l'incendie du poste de Ditin. Il fut aussitôt arrêté, mais deux de ses fils, Boubakar et Ansoumana, arrêtèrent à leur tour, à la mosquée même de la ville, le chef de Fougoumba, Alfa Ahmadou successeur et dénonciateur de leur père, le mirent, peu de temps après, à mort, ainsi que plusieurs de ses partisans dont son cousin et conseiller Modi Mamadou Karomoko. Comme représailles, Alfa Ibrahima fut traduit avec ses fils Modi Aliou, Amadou, Oumarou et Abdoulaye et un certain nombre de ses partisans, notables foula, Tierno Moussa Lelato, Modi Koloun, Tierno Malik Koloun de Kébali, devant une assemblée judiciaire locale. Ils furent condamnés à mort et fusillés aussitôt (septembre 1900). Boubakar tint quelques semaines encore la campagne, puis sur le point d'être pris, se tua d'un coup de revolver. Quant à Ansoumana, il se réfugia à Sierra Leone, où il est mort vers 1905.
Le diiwal de Fougoumba était aussitôt partagé en un grand nombre de misiide autonomes et rivales, où toute tentative de rébellion n'avait aucune chance d'aboutir.
Ce n'est que quelques années plus tard qu'il a été reconstitué administrativement dans sa forme actuelle.
La liste des Alfa, chefs politiques du diiwal de Fougoumba et grands pontifes du Fouta s'établit ainsi : (Voir aussi la généalogie complète)
Adossée à un contrefort verdoyant, Fougoumba étale à son aise dans la plaine la
multitude de ses fulasoo et hameaux de culture. Le pays est riche et peuplé. Sans doute son prestige de ville sainte,
et la sécurité relative dont elle a joui, par suite et de son éloignement de toute agression extérieure et de la neutralité dont elle bénéficiait dans les dissensions intestines, y ont-ils jadis contribué. Son emplacement avait été merveilleusement choisi par les premiers chefs Foula. C'était le vrai centre géographique du Fouta-Diallon, sis à moins d'une étape, pour un bon marcheur, de la capitale de tous les autres diiwe.
En revanche, les circonstances politiques changeant, Fougoumba perd de jour en jour la considération spéciale dont elle jouissait au Fouta. Voilà déjà vingt ans qu'on n'y a plus couronné d'Almamy, et on n'en couronnera plus désormais, puisque la charge est supprimée. Les pouvoirs à la fois spirituels et politiques du chef des clercs de Fougoumba ne seront bientôt plus qu'un souvenir légendaire.
La grande mosquée elle-même, au pied de laquelle se
sont déroulés maints événements historiques, ne jouit plus de l'antique et universelle vénération des Foula. Ce n'est plus le sanctuaire, en quelque sorte national, du Fouta-Diallon. Elle est réduite au rôle de temple local: C'est la principale mosquée du diiwal de Fougoumba. Elle est beaucoup moins fréquentée que jadis, et même dans le domaine matériel, entretenue avec moins de soin. L'ensemble des fulasoo et hameaux qui constituaient le centre de Fougoumba est peuplé par les quatre familles Seriyanke:
Le pouvoir appartenait aux Dibayanké dans leurs deux branches. Les personnalités Fougoumba, qui méritent de retenir l'attention, à l'heure présente sont:
Des fils d'Alfa Ibrahima, le fusillé de 1900, n'émerge aujourd'hui, aucune personnalité marquante. Les plus notoires d'entre eux sont :
Le diiwal de Labé couvrait une superficie de cinquante mille kilomètres carrés environ. Le chiffre de sa population a varié avec le temps. Il atteint aujourd'hui près de 500.000 habitants. Comme étendue et comme population, ce diiwal était égal à l'ensemble des huit autres qui composaient avec lui la confédération du Fouta-Diallon. Il a formé, sous la domination française les cercles de Labé (districts de Labé, Tougué et Mali) et de Koumbia (districts de Koumbia et Kadé).
Les populations du Labé comprennent, comme toutes celles du Fouta, les éléments diallonké et peul, ceux-ci divisés en poulli de la première invasion, et foula de la deuxième.
C'est de ces derniers qu'est sortie l'aristocratie peule du Labé. L'ancêtre Kalidou (de l'arabe Khalid) a donné naissance aux Kalidouyaɓe ou Kalidouyanke qui ont fourni au diiwal et à tous les groupements du Labé ses chefs, et ses notables.
Kalidou, de la tribu Diallouɓe-Yirlaaɓe, était originaire du haut Sénégal: Boundou ou Khasso. C'est là que son ancêtre Ibrahima Diabé, Marocain notable de Fez, dit la légende, s'était établi vers le quinzième siècle et avait fait souche. A la tête de bandes Yirlaɓe il pénétra dans le Fouta septentrional, dans le courant du dix-septième siècle et s'établit dans la région, qui par la suite prit le nom de Labé.
Une autre légende déjà signalée par Paul Guébhard, fait de Kalidou un esclave d'origine Mandé-Sérère, qui fut acheté au Bhoundou par une famille Yirlaɓe-Poulli du Fouta, et qui, s'étant fait remarquer par son intelligence et ses services, fut affranchi, épousa une femme Yirlaɓe, s'incorpora à la tribu et devint même chef de fraction.
Quoiqu'il en soit, Kalidou était musulman, et c'est sans doute son prestige maraboutique qui lui assura un plein succès dans ces lieux fétichistes. C'est un exemple qu'on voit se renouveler tous les jours.
Au siècle suivant, les fils et petits-fils de Kalidou renforcent leurs groupements d'islamisés de tous les fugitifs peul du Fouta Toro qui, en lutte avec les fétichistes, et d'abord vaincus, viennent chercher un refuge chez leurs frères du Fouta-Diallon.
Au dix-huitième siècle, les deux Fouta s'enflamment parallèlement sous l'active propagande des marabouts. Les fétichistes sont vaincus, écrasés et passent sous la domination de leurs amis ou clients de la veille, les musulmans. Leur propre islamisation n'est, d'ailleurs, moitié par contrainte, moitié par esprit d'imitation, qu'une affaire de deux ou trois générations.
Dans les conciliabules qui précédèrent, au Fouta-Diallon, l'insurrection générale des Foulas musulmans contre les Poulli et Diallonké fétichistes, ce fut Modi Cellou, descendant de Kalidou, qui fut appelé à représenter le Labé et à diriger le mouvement dans sa province.
Quand le grand marabout [Karamoko Alfa] prit la direction d'ensemble de l'insurrection, et réunit, près de Bomboli, le concile islamique d'où devait sortir l'unification du Fouta-Diallon, et le gouvernement des sept membres, représentant les groupements du pays, ce fut encore Modi Cellou qui entra dans ce comité d'exécution, au nom du Labé.
Modi Cellou conduisit avec vigueur pour sa part les opérations contre les fétichistes du Labé. Il eut même l'occasion de venir plusieurs fois en aide à ses voisins et alliés, moins heureux dans leurs pays. Aussi, lors de la réorganisation du Fouta qui suivit le triomphe définitif de l'Islam, fut-il reconnu sans peine comme chef du diiwal de Labé, sous la suzeraineté de l'Almamy central à Timbo (vers 1760).
Modi Mamadou Cellou prit alors le titre dynastique d'Alfa Mamadou Cellou, sous lequel il est plus connu.
Alfa Cellou mourut vers 1813. Il laissait deux fils :
Mamadou Dian, confirmé à la tête du Labé par l'Almamy du Fouta, Sori le grand, embrassa son parti, à l'heure où se formaient dans le Fouta les deux grandes fractions rivales des Soriya et Alfaya. Son frère Souleyman, entra, comme il convenait, dans le parti Alfaya.
Les chefs du diiwal de Labé seront dès lors choisis, suivant l'ordre politique du Fouta, alternativement ou à peu près, dans ces deux partis Soriya et Alfaya. La branche de Mamadou Dian fournira quinze chefs Soriya du Labé; la branche de Modi Souleyman, dix chefs Alfaya. En ajoutant à ces nombres le fondateur de la dynastie on obtient un total de vingt-six chefs du Labé.
Dynastie des Kaliduyaɓe du Diiwal du Labé 1760-1905
Les chefs de Labé, tout en suivant de près les affaires du Fouta, eurent moins l'occasion que les autres chefs de diiwal de se mêler aux luttes civiles qui déchirèrent sans cesse les pays. Ils consacrèrent surtout leurs efforts à dompter les populations côtières pour s'ouvrir un débouché direct vers l'Océan et à guerroyer contre les fétichistes de la Guinée portugaise et de Casamance
Sur la côte, de nombreux Foula s'établissent chez les Landouman, qui doivent leur fournir des captifs et payer tribut au représentant du chef de diiwal. On perçoit ici l'origine de ces relations qui se sont maintenues jusqu'à nos jours Elles ne furent pas toujours cordiales d'ailleurs, puisqu'en 1840, Sara, chef des Landouma, mit à mal les Foula de son pays.
Contre les fétichistes du Gabou et de la haute Casamance, le Labé ne cessa jamais de porter les armes. C'était pour lui le pays des captifs et des razzias.
Avec l'aide d'Alfa Ibrahima, Alfa Molo devait s'y tailler un État vassal du Labé, auquel il donne le nom de Fouladou. Son fils Moussa Molo, allié du Labé tant qu'il eut besoin de son concours et de sa protection, se posa en souverain indépendant, vers 1880, et soutint un peu plus tard de nombreuses luttes contre Alfa Gassimou et Alfa Yaya. Les Français, alliés de Moussa Molo et amis d'Alfa Yaya, ne réussirent pas toujours à faire agréer leurs bons offices de médiateurs.
Alfa Ibrahima (branche de Mamadou Dian) contemporain et émule de l'Almamy du Fouta, Ibrahima Donghol-Fella, a laissé comme chef de diiwal de Labé la réputation d'un grand prince. Dans son long règne de 26 ans (1855-1881), il avait fortement assis l'influence de sa maison et conquis à peu près son indépendance vis à vis du pouvoir central à Timbo, de sorte qu'à sa mort, le pouvoir passa, après un court espace de temps, entre les mains d'Alfa Gassimou et d'Alfa Ibrahima Bassanya, des Alfaya, à son fils aîné Aguibou.
Aguibou ne tarda pas à périr, assassiné par son frère cadet Alfa Yaya, que l'ambition dévorait, et devant qui s'inclinèrent tous les frères (1883). Par la suite, en 1891, Alfa Yaya mettait à mort, sur l'ordre des deux Almamys Ahmadou et Bokar Biro, le chef Alfaya du Labé, Alfa Gassimou, révolté contre le pouvoir de Timbo, et accusé de vouloir livrer le pays aux Français. Il restait désormais le seul maître.
Modi Yaya, fils de Alfa Ibrahima, chef du diiwal de Labé, et de Koumantio, fille d'un chef tiedo du Gabou, était né vers 1850.
Son instruction islamique fut des plus négligées. En revanche, il se signala de très bonne heure dans les expéditions que dirigèrent son père, puis son frère aîné Aguibou et enfin lui-même, comme un guerrier et un diplomate de grande valeur.
L'assassinat d'Aguibou le laissa maître du Labé en 1891. Il paraît, dés la première heure, avoir embrassé la cause des Français, qui était d'ailleurs la sienne propre. Il trouvait en eux des alliés naturels contre ses suzerains, les Almamys du Fouta, contre ses rivaux, les chefs et marabouts voisins, et contre les peuplades fétichistes de Guinée et de Casamance.
Il refusa énergiquement de marcher avec l'Almamy Bokar Biro, qui le pressait de se joindre aux Foula pour combattre l'envahissante domination française dans le Fouta.
Le frère d'Alfa Yaya, Modi Mamadou Salihou, répondit à l'appel de l'Almamy, et se mit en guerre contre les Français, au nom du Labé indépendant dont il se proclamait le chef, sanctionné d'ailleurs par Bokar Biro. Alfa Yaya marcha aussitôt contre lui et, faisant comme toujours coup double, supprima un concurrent pour lui et un ennemi pour les Français, en le faisant tuer au début de 1897, après la défaite de l'Almamy Bokar Biro, à Porédaka.
En récompense de ses bons offices et de son attachement à la France, Alfa Yaya prenait part comme cosignataire au traité de protectorat de la France sur le Fouta-Diallon, de février 1897, et était reconnu « chef permanent du Labé, du Kadé, et du Gabou ». Il conquérait du même coup et pratiquement son autonomie politique vis-à-vis des Almamys de Timbo.
Maître absolu du Labé, n'ayant rien à craindre des
Français ses amis, son ambition s'accroît démesurément; il annexe à ses territoires le Ndama et le Badiar, étend ses vues sur le Timbi, le Bandaya et le Lisso, et, sans doute possible, vise à supplanter l'Almamy de Timbo, et à rétablir à son profit avec ou sans l'appui des Français l'antique domination sur le Fouta
Pendant ces deux ans où Alfa Yaya fut le maître incontesté du Labé, il se fit un réputation de tyran et de bandit couronné qui a peut-être été exagérée. Comme tout potentat africain, Alfa Yaya n'hésitait pas à faire couper les têtes et à mettre la main sur les biens de ses victimes, mais il instaurait en même temps l'ordre et la tranquillité dans le pays, encourageait les cultures, et maintenait la guerre hors de ses frontières. Ces procédés d'une justice sommaire, qui n'était pas d'ailleurs arbitraire, mais le produit même de l'organisation féodale du Fouta, doivent être juges avec l'indulgence du milieu.
Au surplus, de 1898 à 1903, la France était représentée dans tout le diiwal par un fonctionnaire qui vit, de par l'activité d'Alfa Yaya, ses recettes d'impôt passer en cinq ans de 50.000 francs à un million. On se loua fort de ses résultats financiers et on ne chercha pas du tout à connaître de quels moyens, parfois vigoureux, la perception de cet impôt s'accompagnait.
Alfa Yaya était resté féodal du temps des Almamys. A mesure que l'administration française prenait possession du pays, elle exigeait plus d'ordre, plus de justice, et avait tendance à s'offusquer de l'allure d'indépendance de ce seigneur du haut Fouta; celui-ci incapable de s'adapter au nouvel état de choses, considérait toujours les Français comme ses alliés, et, si l'on veut ses protecteurs, mais pas du tout comme ses maîtres. La transformation de cet Almamy indépendant en un chef quelconque, à la solde des Français, était fatale avec notre système politique. Obstinément rejetée par Alfa Yaya, et peut-être maladroitement conduite en quelques circonstances par les Français, elle a échoué; et c'est de cet échec qu'est sorti l'incident Alfa Yaya et la disparition de son autorité et de sa dynastie.
C'est en 1905 que se produisit la rupture.
Depuis l'installation des Français dans la région, la capitation avait été organisée et perçue régulièrement, mais l'autorité devait se contenter d'encaisser le montant par l'intermédiaire d'Alfa Yaya qui recevait, à titre de remise de perception, un dixième de la somme brute. Il avait ainsi touché
Les agents collecteurs d'Alfa Yaya recevaient aussi une certaine part. Le chef du Labé avait toujours prétendu s'approprier cette part et en fait se l'était appropriée, alléguant que « l'argent gagné par ses captifs lui appartenait » et que c'était à lui à les rémunérer de leur travail. A la défense formelle que lui fit le Gouverneur Frézouls de continuer ces errements, I'orgueilleux potentat répondit nettement qu'il n'obéirait pas. Ce fut la première cause et la plus lointaine de la mésentente.
La deuxième était les « exactions » qu'on reprochait à l'Almamy. Celui-ci, qui continuait à percevoir comme par le passé les droits coutumiers:
Il ne comprit jamais l'iniquité de ces impositions, que les Français prétendaient lui démontrer. Et, il lui apparut que les Français ne visaient à supprimer le passé que parce que c'était lui qui en bénéficiait, et qu' ils ne voulaient instaurer une nouvelle organisation que parce que c'était à leur profit qu'elle serait établie. Il lutta donc tant qu'il put pour sauvegarder ses droits et l'armature du passé, avec ou sans exactions, comme disaient les Français.
La troisième était l'indépendance administrative et politique que le chef du Labé et de Kadé entendait garder dans son commandement. Elle s'était manifestée à plusieurs reprises soit par des destitutions de chefs fidèles à notre cause, soit par des nominations, faites contre toutes les instructions de l'administrateur. C'est ainsi qu'à la dernière heure (août 1905), il nommait encore un homme à lui comme chef du district de Yambéring, alors que l'administrateur du Labé venait, sur le vu des populations, d'en nommer un autre. Ses émissaires, venus pour s'opposer par la force à l'installation du candidat des Blancs, durent être mis en prison.
Elle se manifestait encore par l'entretien d'une garde fidèle, composée d'un millier d'hommes bien armés, auprès desquels les quelques miliciens du Commandant faisaient piètre figure. Cette force redoutable faisait du chef du Labé le maître effectif du pays et l'induisait encore, en 1905, en de fâcheuses tentations d'agression sur ses voisins.
Enfin l'exécution des traités avec les chefs du Badiar et du Ndama qui consacrait l'indépendance de ces deux provinces vis-à-vis du Labé et leur rattachement à la France, l'exécution de la convention avec le Portugal, qui amena des rectifications de frontières et fit passer sous l'autorité de nos voisins les districts de Dandoum et de Kankéléfa, sur lesquels le chef du Labé exerçait son commandement (octobre 1905) et qui par le fait lui échappaient, furent les dernières causes qui amenèrent la rupture. Il rassemble ses fidèles à Kadé sous le prétexte de se défendre contre les attaques possibles du chef du Gabou, Ansoumana, que les Portugais venaient de rétablir à Kankéléfa. Il envoie dans tout le pays des émissaires pour répandre des bruits tendancieux, troubler les populations, et provoquer le mécontentement contre les Français.
Quels étaient les projets d'Alfa Yaya ? Espérait-il vraiment soulever le pays dans une insurrection ouverte contre les Blancs, et les rejeter brutalement à la mer ? Ou bien voulait. il simplement faire montre de sa puissance, les impressionner par l'agitation des esprits , et les amener à composition ? La seconde solution serait peut-être la plus vrai semblable. Alfa Yaya n'ignorait ni la force des Français aux cOtés de qui il marchait depuis vingt ans, ni sa propre faiblesse par suite des nombreux ennemis, dont tous les clans des Alfaya qu'il comptait dans son sein.
Toujours est-il qu'on résolut, à Conakry, de mettre un terme à cette situation, en transportant hors de Guinée un chef dont la seule présence, même à défaut d'agissements tendancieux, rendait impossible tout apaisement et toute évolution.
L'Alfa prenait d'autre part ses précautions. Sous le prétexte d'envoyer ses troupeaux en pâturage, il leur fit passer, en fin septembre 1905, la frontière portugaise, ainsi qu'à ses captifs et qu'à ses femmes. Puis il fit faire des achats d'armes en grande quantité. Les constatations douanières établirent que du 5 juillet au 30 septembre 1905, plus de 1.000 fusils, dont 81 armes de guerre, furent introduits dans les cercles de Boké et des Timbi.
Alors, accompagné de 200 gardes armés, il descendit, en grand seigneur, de Labé sur Conakry, où l'appelait le Gouverneur.
L'entrevue fut quelque peu orageuse, puis Alfa Yaya finit par revenir à sa déférence accoutumée. Mais la situation était trop tendue.
L'avenir n'offrait aucune solution. Le retour d'Alfa Yaya à Labé ramènerait les mêmes difficultés Son arrestation fut donc décidée. Elle fut conduite avec habileté; toutefois le geste manquait de quelque élégance. Appelé en visite de courtoisie, l'Almamy était appréhendé et expédié en exil, non sans prendre en l'occurrence l'apparence d'une victime.
Modi Aguibou, fils d'Alfa Yaya, avait été placé par son père et sous ses ordres à la tête du Labé. Ce jeune chef était considéré comme particulièrement dangereux. Il avait en effet assassiné, en 1898, son frère, unique alors, Sori, pour enlever à son père Alfa Yaya toute velléité de le déshériter. Celui-ci, furieux de ces procédés, renouvelés pourtant de lui, marcha de Kadé contre son fils. Ce furent les marabouts de Touba qui les réconcilièrent, alors qu'Aguibou, sans attendre l'attaque de son père, se portait en armes à sa rencontre.
L'arrestation d'Alfa Yaya et son transport hors de la Guinée ayant été résolus et effectués, il convenait de faire partir de Labé Modi Aguibou qui, dans sa fureur, pourrait se laisser aller à un coup de main sur le poste. Il fut donc invité à aller remplacer son père à Kadé, où au surplus, un peloton de tirailleurs avait été envoyé de Youkounkoun, mais il s'y refusa obstinément. Le chef fidèle, Modi Cellou, fils d'Alfa Gassimou, assassiné en 1897 par Alfa Yaya et doyen des Alfaya, accourut aussitôt avec ses guerriers à Labé. Modi Alimou, chef du village, se déclara aussi en faveur des Français. Aguibou, isolé et apprenant le sort de son père, se porta, dans un élan de fureur, à un attentat sur le commandant de cercle. Il se serait jeté sur lui, en tentant de le frapper de son sabre, mais fut désarmé à temps.
Arrêté et enfermé au poste, il fut, par la suite, dirigé sur Timbo, puis sur Kouroussa, non sans précautions, car de Conakry Alfa Yaya avait envoyé des hommes sûrs, chargés d'assassiner les deux chefs fidèles et de délivrer Aguibou dans une embuscade sur la route de Labé à Kindia.
Alfa Alimou fut choisi, non comme successeur du chef de diiwal a la tête du Labé, mais simplement comme intermédiaire entre l'administration locale et les populations du Fouta. Il montra quelque temps beaucoup de bonne volonté, mais ce zèle ne dura pas, et dès 1908 il manifesta des velléités ambitieuses qui ne tendaient rien moins qu'à faire revivre l'ancien pouvoir d'Alfa Yaya avec tous ses avantages. Il se créait des intelligences dans le Kadé, s'attachait par de nombreux cadeaux les familiers d'Alfa Yaya, se livrait à de nombreuses exactions.
Les avertissements et punitions disciplinaires restant sans résultat, et ses exactions croissant, il fut poursuivi pour faits de traité répétés, brigandages à main armée, etc., et condamné par la Cour d'assises de Conakry aux travaux forcés à perpétuité (1912).
Interné à Fotoba, il y est mort peu de temps après.
Avec lui disparurent les derniers vestiges de l'organisation féodale des Almamys. Le diiwal du Labé fut partagé en les trois territoires administratifs de Labé proprement dit, siège du Commandant du cercle, Mali et Tougué.
Une autre portion du diiwal fut rattachée au cercle actuel de Koumbia.
Le district de Labé fut disloqué en 22 provinces du canton, dont les chefs relèvent directement de l'autorité française.
L'arrêté du Gouverneur général, en date du 23 novembre 1905, prononçait contre Alfa Yaya, chef du Labé, la peine de la destitution et un internement de cinq ans à subir à Abomey (Dahomey).
Le 29 novembre 1910, la peine d'internement expirait. Dans l'état actuel de la législation, il était difficile de prolonger cet exil d'Alfa Yaya, puisqu'aucun fait ne justifiait cette aggravation de la peine. Et cependant, il était certain que son retour allait avoir un gros retentissement dans le Fouta et provoquer de nouveaux malaises.
Dès août 1910, l'Almamy avait écrit aux siens pour annoncer sa prochaine arrivée, interdire à ses captifs de se déplacer jusqu'à nouvel ordre et exprimer son mécontentement de n'avoir pas été tenu au courant de certains faits survenus dans le pays.
Si les Kalidouyaɓe restent tranquilles, il n'en est pas de même dans les groupements foula de Labé et de Kadé (Guinée française), de Dandoun (Guinée portugaise) où l'on perçoit les symptômes d'agitation. L'arrivée prochaine de l'ex-chef est considérée par une partie de la population comme un événement qui doit modifier la situation politique du pays. On s'imagine que l'ancien chef du Labé va être remis en possession du pouvoir.
Dans le Labé, les notables du parti l'Alfa Yaya se réunirent en novembre 1910, à Runde-Boowel, chez son cousin Modi Seydou, fils d'Alfa Mamadou Aliou Bendiou. Dans ce conciliabule, qui dura plusieurs jours, on étudia les moyens de rendre aux Kalidouyaɓe le pouvoir qu'ils avaient perdu.
C'est que ce retour préoccupait non seulement la famille d'Alfa Yaya, mais aussi l'aristocratie du pays tout entière, qui l'envisageait avec la plus grande satisfaction. Les Foula voyaient dans leur ex-chef une puissance qu'ils pouvaient utiliser pour faire contrepoids à notre autorité. Pour ses parents et amis, c'était un défenseur éventuel. Les notables espéraient avec son retour le rétablissement de la captivité; les marabouts, malgré leur soin à dissimuler leur opinion, lui étaient favorables, et il est certain que c'est en s'appuyant sur eux, que le parti d'Alfa Yaya tenterait de recouvrer la souveraineté. Pour toutes ces classes privilégiées, c'était le retour à l'ancien régime.
Telle est la situation que Alfa Yaya trouva en débarquant, le 30 novembre 1910, à Conakry avec une partie de sa suite. Dès son arrivée au chef-lieu, il reçut maintes visites et pendant plusieurs jours il se montra inquiet sur son sort à venir, attendant avec impatience de connaître les intentions de l'Administration.
Le 4 décembre 1910, une audience lui était accordée, au cours de laquelle le Gouverneur général, assisté du chef de la colonie et entouré d'officiers et fonctionnaires, lui signifiait les actes de bienveillance pris à son égard :
Alfa Yaya se montra dans cette entrevue déférent et humilié, il fit sa soumission complète et prêta devant le Karamoko Silla, le serment suivant :
« Je jure sur le Coran que jamais je ne trahirai les Français je ne quitterai pas le territoire français pour aller en Guinée portugaise ou à Sierra-Leone; si je me parjure, je serai maudit. Que Dieu me mette dans l 'impuissance de violer mon serment. »
La sagesse de l'Alfa ne fut pas de longue durée.
Après le 7 janvier 1911, on apprenait qu'Aguibou avait fait de violents reproches à son père au sujet de son serment et menacé de mort le Karamoko Silla, qui s'était prêté à cet acte. A la suite du mécontentement exprimé par son fils, Alfa Yaya fit demander à un autre marabout: Karamoko Billo Cissé, Malinké de Timbo, résidant à Conakry, s'il n'y aurait pas un moyen de le délier de ce serment. Le Karamoko Billo répondit qu'à condition d'accomplir un sacrifice sur le Coran et moyennant un fort présent, il pourrait lui rendre ce service.
C'est alors qu'Alfa Yaya se décida à tenter de reconquérir par la force le pouvoir et en prit aussitôt les mesures. Sa remarquable activité se déploie en tous sens: il attirera à lui le parti maraboutique; il recrutera ses hommes; il achètera des armes; il amassera des fonds; et c'est de Conakry même, sous les yeux du Gouverneur, que son action ose se développer sans répit.
Les émissaires d'Alfa Yaya se mettent aussitôt en route vers les principaux marabouts de la région.
Les uns vont en Guinée portugaise; d'autres (Kourtouba) Sierra-Leone chez l'imam Nour, de Taouya. Kourtouba est en outre chargé de pressentir le Gouvernement anglais pour savoir dans quelles conditions l'Alfa pourrait se retirer chez lui; un troisième, Ali Thiam, employé licencié de chemin de fer, dans la Haoussa, un quatrième chez Chérif Mahfouz, à Binako (Casamance). A Cheikh Bou Kounta, de Tivaouane (Sénégal), il dépêche son suivant Dabo avec une somme de 1.000 francs, et le prie de lui prêter son concours pour la réalisation de ses desseins. A Saad Bouh (Mauritanie) il envoie Alfa Mamadou Ciré, avec un cadeau de 3.000 francs.
Les Karamoko du Fouta ne sont pas non plus négligés.
C'est en première ligne au Ouali de Goumba qu'il s'adressa, et ce dernier, dont la situation devient de jour en jour plus délicate et ressemble singulièrement à celle d'Alfa Yaya, devient pour lui un allié naturel. Il envoie en outre des cadeaux
Aguibou de son côté avait adressé, en décembre 1910, son suivant, Diouldé Nafou, avec une grosse somme d'argent à Saad Bouh (Mauritanie) qui bénéficiait, aux yeux des indigènes hostiles de l'attitude anti-française de son frère (Ma al-Ainin) et de ses neveux du Sahara septentrional.
Tous ces émissaires avaient l'ordre de rendre compte de leur mission à Kadé, où Alfa Yaya devait établir son quartier général.
Un des premiers soins de l'ambitieux fut de rechercher activement ses anciens captifs et de recruter le plus grand nombre de partisans. Ses envoyés parcourent en tous sens le pays, donnant l'ordre aux uns (Kindia, Tabili, Landouman, Nunez) de se diriger sans retard sur Kadé, prescrivant aux autres (Conakry, banlieue, Médina, etc.) de gagner le campement d'Alfa Yaya au chef-lieu même et de se tenir prêt à partir pour le Fouta. Il se faisait en même temps livrer les femmes, les enfants, les troupeaux, l'argent, et, sous l'influence de cette contrainte, les personnes asservies acquéraient la certitude que, pour sauvegarder leur vie ou une chose qui leur était chère, elles se trouvaient dans la nécessité de se mettre en état de révolte contre les Français.
Ce n'était pas seulement sur les biens de ses captifs de la veille qu'Alfa Yaya constituait son trésor de guerre. Il prélevait d'office des sommes importantes sur les chefs et notables, et ceux-ci reprenaient le joug sans protestation. Il empruntait, à tous taux et par tous les moyens, de fortes sommes d'argent à tous les notables indigènes de Conakry. Il se faisait consentir de fortes ouvertures de crédit par les maison européennes de Conakry. Il avait même l'audace de demander au Gouverneur des avances de fonds sur sa pension de 25.000 francs.
Dans le cercle de Kadé, où la contrebande des armes est rendue facile par la proximité de la frontière, de véritables dépôts d'armes de toute nature, de poudre, de munitions étaient constitués. Par la Gambie anglaise, par la Casamance, par la Guinée portugaise, par les escales de Boké et Boffa, la traite des engins de guerre prenait une extension inquiétante.
On découvrait des sachets de poudre cachés au fond des sacs de sel, et des capsules dissimulées dans des poches spéciales cousues aux pantalons des porteurs. A Conakry même, Alfa Yaya tentait des achats de fusils de guerre et de chasse auprès des Européens qu'il connaissait personnellement. Dans le Labé, les Foula, signe des temps, vendaient leurs boeufs pour acheter des fusils; et la poudre, dont le prix courant était de 2 francs à 2 fr. 50 le kilo, avait atteint 10 francs. En Guinée portugaise, les deux centres de Dandoun et de Medina, peuplés de créatures d'Alfa Yaya, étaient signalés comme de très importants dépôts de capsules de guerre, pierres à fusil et poudre.
Le « roi du Labé » comme il se faisait appeler à ce moment et signait même ses lettres, se préparait de toute évidence à lever conjointement l'étendard de la guerre sainte et celui de la révolte politique et des revendications du passé.
Leur arrestation fut dès lors pressentie. Elle fut effectuée le 9 février 1911, au matin, et ne donna lieu à aucun incident. Elle fut même acceptée avec une certaine joie secrète par les anciens Almamys et leurs clans de Timbo et de Mamou. On n'y oubliait pas, en effet, que les coups d'Alfa Yaya et sa proclamation d'indépendance du Labé avaient gravement atteint, de 1890 à 1897, l'ancien régime sur son déclin.
Oumarou Koumba, conseiller de l'Alfa et son mauvais génie fut arrêté en même temps.
Par arrêtés du Gouverneur général en date des 21 juin et 30 octobre 1911, Alfa Yaya, son fils et son conseiller étaient internés à Port-Etienne pour une durée de 10 ans. Une pension annuelle de 6.000 francs, d'ailleurs remboursable sur ses biens, était allouée à l'ex-chef du Labé.
Alfa Yaya, très affaissé souffrit, dès les premiers jours, du climat. Il décédait le 10 août 1912, des suites du scorbut.
Modi Aguibou et Oumarou Goumba subissent à l'heure actuelle leur peine à Port-Étienne.
L'annonce officielle de la mort d'Alfa Yaya ne causa aucune émotion dans le Fouta. Quelques indigènes manifestèrent tout au plus leur étonnement, car l'ex-Alfa était encore dans la force de ses vieux jours. Les membres de sa famille firent les sacrifices d'usage et participèrent sans éclat aux repas funéraires, prescrits par la coutume.
Seul, Alfa Moktar, frère cadet de l'Alfa, alors chef de district de Labé-Wolarɓe, et doyen de la branche cadette des Kalidouyaɓe, se montra, quoique ennemi du défunt, très affecté de cette mort soudaine. Il croyait comme le bruit en avait couru, que son frère avait été abandonné aux mains des Maures, et que ceux-ci l'avaient fait périr. Cette nouvelle fantaisiste fut démentie.
Le partage des biens de l'Almamy a été effectué par le Tribunal de province de Kadé entre les membres de sa famille, conformément aux prescriptions de la coutume islamisée.
Des douze fils d'Alfa Ibrahima, huit sont morts aujourd'hui, mais la descendance des uns et des autres s'est répandue dans le Fouta, la Casamance et la Guinée portugaise.
Alfa Yaya avait trois fils et six filles.
Ses six filles ont épousé soit leurs cousins, soit des chefs Kalidouyaɓe. A signaler entre autres:
On compte encore une douzaine de femmes d'Alfa Yaya dispersées dans la région du Labé, Kadé, Timbo, Kindia, dans le Gabou, et à Tabadiara en Guinée portugaise.
Alfa Moktar, sixième fils d'Alfa Ibrahima, né vers 1855, a été chef de Singueti (Koumbia) puis de Wolarɓe (Labé). Il est aujourd'hui le doyen d'âge de la branche Soriya et réside en notable et cultivateur à Labé. Ses fils et filles sont dispersés dans les villages de la région: Koubia, misiide Labé, Simili Bamba (Labé), Singueti (Kadé).
Son fils aîné, Modi Aliou, a commandé le Singueti après son père. Il a été révoqué et emprisonné en 1911, à la suite de plaintes portées contre lui par ses serviteurs. C'est un homme ouvert et intelligent, ancien élève de nos écoles et parlant bien le français. Il habite actuellement Labé.
Deux de ses filles, Taïbou et Hawlatou, ont épousé des fils de Tierno Ndama, résidant en Guinée portugaise.
Modi Madiou, de Niakaya (Labé) est mort en 1907. Il était un des rares frères d'Alfa Yaya qui ait vécu constamment en bons termes avec lui.
Son fils aîné, Sori Diallo, est chef de Niakaya. La plupart de ses autres fils y résident.
Un autre, Yaya, est en dissidence en Guinée portugaise.
Bokar Biro est mort vers 1903. Ses fils sont des notables de Labé (Mali).
Les quatre derniers fils d'Alfa Ibrahima sont encore en vie:
En dehors de la Guinée française, il existe un centre important de Kalidouyaɓe; c'est Dandoun, sur la frontière portugaise, refuge des derniers serviteurs et partisans d'Alfa Yaya. Dandoun, gros village passé à la Guinée portugaise à la suite de la délimitation de 1902-1903 était un des greniers de réserve de l'Alfa. Il en avait confié le commandement à son gendre, Mamadou Dian, ex-chef de Teliwel. Celui-ci, émigré en 1905, lors de la première arrestation d'Alfa Yaya, attira à lui les Kalidouyaɓe fidèles à sa famille, et constitua une force prête à franchir la frontière, quand l'heure serait venue.
Le mouvement parut opportun en janvier 1911, lors du retour du Dahomey d'Alfa Yaya, et on perçut alors dans cette région une active contrebande de guerre et une très grande agitation. Mondiourou, chef des Foulakounda, bien armé, puissant dans un pays où les Portugais n'avaient aucune influence, avait promis son concours, au moins dans une certaine mesure. L'arrestation d'Alfa Yaya mit fin à ces mouvements: Dandoun y gagna un certain nombre de dissidents que ces événements, ainsi que ceux de Goumba et de Touba, incitèrent à la fuite. Après avoir exercé quelque temps, à partir de 1905, le commandement de la région de Mali, il fut condamné à deux ans d'emprisonnement, prit la fuite entre Mali et Labé et se réfugia au delà de la frontière. Il est chef de partisans au compte de l'autorité portugaise.
Bon nombre des dissidents sont revenus depuis 1910, et Dandoun paraît n'être plus que très partiellement le foyer d'intrigues qu'il a été dix ans. La région est toujours sous le commandement, officiellement reconnu par les Portugais, de l'almamy Foulakounda, Moundiourou.