Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.
Peu de temps après, Alby reçut l'orde de monter à Timbo auprès des Almamys, car on s'étonnait à Paris du résultat négatif de la mission de Beckmann. Au cours de son séjour, il avait également la mission d'étudier une plainte du gouverneur militaire du Soudan qui reprochait aux Almamys de ne pas obéir à ses ordres. Or, l'Almamy Ahmadou s'était, de son côté, plaint des divers ordres qu'il recevait de ces militaires qui ne passaient pas par la voie hiérarchique de Conakry ou de Dubréka dont le protectorat du Fouta dépendait. Ces ordres concernaient, notamment, la fourniture de bœufs et de moutons aux troupes stationnées a Kouroussa. Il devait enfin obtenir l'autorisation d'installer un résident à Timbo.
Alby arriva à Timbo le 9 mai 1893. Salué seulement par les notables de la ville, il demanda aussitôt à s 'entretenir avec le souverain. Celui-ci refusa tout d'abord de le recevoir. Mais sur l'insistance d'Alby, il le reçut finalement.
Alby exposa au souverain les griefs qu'on lui reprochait, à savoir :
La dénégation de l'Almamy fut catégorique. Il rappela à Alby que les routes du Fouta sont libres, que les personnes circulent librement dans le pays ; que les sofas de Samory se réfugient dans les Rivières du Sud et non au Fouta, et que , d'ailleurs, lui-même a été victime de leur pillage. S'agissant de la création d'un poste de Résident à Timbo, et à la suite de l'insistance d'Alby, il répondit qu'il est prêt à consentir à tout sauf cela.
Alby proposa alors à l'Almamy un projet de convention. Celui-ci approuva tout, à l'exception de l'abandon des droits du Fouta sur les petits Etats soussous de la frontière. Alby se retira donc sans succès. Les entrevues se multiplièrent, toujours sans succès.
Se plaignant du mauvais état de son logement au souverain,, celui-ci répondit qu'il n'était pas aussi riche que les soryas, amis des Français. Alby retorqua que pour eviter cela, on devrait le laisser construire une maison pour y habiter quand il viendrait à Timbo. Cette habileté ne changea en rien la position d'Almamy Ahmadou qui s'obstina dans son refus et lui fit savoir que pour rester amis, il vaut mieux qu'Alby habite loin de Timbo.
Malgré cette attitude ferme, Almamy Ahmadou promit de signer la convention si son collègue Soriya, Almamy Bocar Biro accepte de faire autant. Il ajouta que si Alby se convertit à l'Islam de suite, il la signerait immediatement.
Le 1er mars 1893, Alby est chez Bocar Biro qui habitait Kunta près de Sokotoro. A la première séance de travail avec lui, Bocar Biro déclare qu'il trouve naturel que son collègue qui n'aime que les Anglais ait si mal reçu l'envoyé des Français. Il l'informe également que des Européens de Freetown sont souvent chez son collègue et qu'ils sont toujours bien reçus. Il ajoute que lorsqu'il reprendrait le pouvoir, il accepterait un Résident à Timbo.
Malgré cette déclaration, Bocar Biro refuse de signer la convention estimant qu'elle ne servait à rien puisque tout était déjà convenu. Pour la construction de la route devant relier la côte au Fouta, il estime nécessaire de consulter le Conseil des Anciens.à Fougoumba, seul habilité à se prononcer. Cependant, il promet à Alby de le faire accompagner d'un représentant, Mamadou Saïdou, pour signer la convention à sa place, si son collègue alfaya la signe. A Timbo, Almamy Ahmadou dit à Alby : « les vrais amis aiment à se revoir ; à bientôt ».
Il se retira ainsi, sans avoir rien obtenu.
Mais le soir même Almamy Ahmadou changea d'avis et avisa son hôte qu'il était décidé enfin à signer son « papier », mais refuse de reconnaître la mention dans la convention du terme « protectorat ». Après ces multiples démarches et tractations, la convention fut signée par Almamy Ahmadou, le représentant de Bocar Biro , et du côté français par Alby, Gaetan et Laurence, le 23 mai 1893. Après la signature de cet acte conventionnel, Alby quitta Timbo pour rejoindre sa base.
Cette Convention reprenait, dans ses grandes lignes, les dispositions de la Convention du 14 décembre 1891 signée avec de Beckmann.
Sur son chemin de retour, Alby fut attaqué par les pillards du Maci qui le dévalisèrent. Pour eux, rien ne devait changer dans la vie du pays que les Français parcouraient dans le but de l'occuper.
Arrivé à Démoukoulima où le commerce français s'installait, Alby fit construire un poste pour affirmer la présence française dans la région. Malheureusement, il n'eut pas la précaution de prévenir le suzerain du pays de son intention. Dès son départ du lieu pour Dubréka, le poste fut détruit par le feu. Dans les environs de Démoukoulima, le pillage des caravanes de produits était fréquent. Cette situation lui donna à réfléchir.
Pendant son séjour à Démoukoulima, Alby reçut la visite de plusieurs chefs soussous, voisins du Fouta, qui lui demandèrent de signer le « papier » (protectorat) qui était devenu le symbole de la liberté pour le pays.
Par suite du profond désir de l'administration militaire du Soudan d'englober le Fouta dans son rayon d'action et les maladresses avec lesquelles elle s'y prit, les Foulas devinrent plus hostiles que jamais aux Français. Malgré le voyage d'Alby à Timbo et malgré la convention dont il obtint la signature, aucun changement ne s'opéra dans la position des Almamys qui s'opposèrent à toute installation de poste à Timbo et à la rénonciation à leurs droits à la souveraineté.
Jusqu'à présent ils avaient fait des promesses afin d'éviter la rupture brutale. Mais, en vérité, ils n'avaient aucune intention de céder.