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Islam


Paul Marty
L'Islam en Guinée : Fouta-Djallon

Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages


Chapitre XI
Pratiques Divinatoires

Rites, Pratiques et Survivances du Passé

1. Jours et mois fastes et néfastes

La pratique des jours fastes et néfastes est d'un usage courant au Fouta et à Dinguiraye. A cet effet, on consulte les manuels de divination et de cryptographie, d'origine et de langue arabes, dont plusieurs exemplaires sont répandus dans les bibliothèques du Fouta.
En outre, les Toucouleurs condensent en une formule de deux vers les jours néfastes du mois, en se servant de la valeur numérique des lettres:

Formule arabe jours fastes-nefastes

c'est-à-dire:

En traduisant la valeur des lettres, et en ajoutant devant les deuxième et troisième dizaines les chiffres 1 et 2 prévus, il vient:

3-5 (1) 3 — (1) 6 — (2) 1 — (2) 4 — (1) 6

Ce sont là les jours néfastes de chaque mois.
Parmi les jours de la semaine, les uns sont fastes, les autres sont dangereux.

Les mois sont indifférents dans l'ensemble, sauf Rebi,1 Redjeb et Ramadan qui sont fastes, surtout le premier, et Safar qui est tout à fait dangereux. On souffre d'un certain malaise pendant ce mois, et Dieu y fait tomber la plupart des malheurs de l'année. Il n'y a d'ailleurs aucun remède à cette situation.

2. Consultation du sort.

Pour la consultation du sort, ou istikhara arabe, on use couramment des ouvrages de l'Afrique du Nord et d'Orient qui traitent de la matière. Il est donc inutile de s'y appesantir ici.
Mais il y a aussi toute une section de la magie coutumière, qui s'occupe de l'art de la divination. Elle est entre les mains des sorciers et constitue une partie de leur tyoora ou recueil de recettes empiriques et magiques. En s'islamisant, les peuples du Fouta-Diallon n'ont pas rejeté ces survivances du fétichisme. Non seulement les sorciers Foula et Toucouleurs (ramli, timowo) continuent à pratiquer leur profession à côté des marabouts, et même quelquefois de concert avec eux, mais même les seleli malinké et bambara jouissent, au Fouta même, d'une grande considération magique.
C'est ainsi qu'ils peuvent lire l'avenir dans le sable, convenablement brouillé, puis tassé. Ils le lisent encore dans des combinaisons de petites pierres qu'ils placent devant eux par rangées de deux, sur six à huit de profondeur. Ils les brouillent ensuite rapidement, suivant certains procédés, puis étudient la disposition des pierres et, suivant la place des plus grosses et des plus petites, en tirent certaines conclusions. Un procédé que signalait déjà Hecquard, en 1850, consiste à jeter en l'air une poignée de coques d'arachides; quand elles sont retombées, le sorcier saura comprendre beaucoup d'événements futurs, d'après leur place et suivant leur position de chute.
En dehors de ces procédés et de maints autres qui sont le fait des spécialistes, il y a des présages qui sont à la portée de tout le monde. Ainsi un homme part un matin en voyage ; il peut connaître le succès de son entreprise d'après le sexe de la première personne qu'il rencontrera. S'il a un frère immédiatement cadet et qu'il rencontre un homme, c'est un présage de succès. De même, si c'est une soeur qui est sa cadette et s'il rencontre une femme, mais s'il y a interversion de sexes, si, par exemple, il rencontre une femme en sortant de sa case et qu'il ait comme cadet immédiat un garçon, le présage est des plus fâcheux, et il vaut mieux qu'il rentre.
Les mêmes pronostics peuvent être tirés par un père de famille. Si son premier enfant est une fille et qu'il rencontre une femme en premier lieu tout va bien; de même, si c'est un garçon et qu'il rencontre un homme; mais s'il a interversion de sexes, c'est que son entreprise est vouée à un échec. Il vaut donc mieux l'abandonner ce jour-là.
On tire encore certains auspices de la place et du vol des oiseaux, mais de ce procédé renouvelé des Romains, on tire des conclusions complètement différentes. Ici, c'est le côté gauche qui est le côté du succès. Un homme part, le matin, aux champs, pour commencer ses cultures. Au sortir du village, il aperçoit, perché sur un arbre à sa « sinistre », un petit oiseau qui tire son nom par onomatopée de ses jolies cascades de trilles (kunkakono, korenkono). L'oiseau chante en son honneur, puis s'envole. C'est un signe excellent et un présage d'abondante récolte. Mais si c'est à la « dextre » qu'on a aperçu l'oiseau, il vaut mieux remettre au lendemain le commencement des travaux.

3. Les nombres et les lettres

L'usage des nombres et des lettres dans les carrés magiques, est courant. On y trouve les combinaisons les plus fantaisistes, et cette pratique paraît être pour le karamoko, fatigué d'arides études juridiques et théologiques, une véritable « récréation intellectuelle ».
Il est classique de trouver dans une correspondance entre Foula et même Toucouleurs, tous les chiffres remplacés par les lettres possédant leur valeur numérique. Il y a là un petit air de mystère qui convient bien au caractère méfiant des Peuls. Les dates elles-mêmes de la fin des misiide sont très souvent en lettres et non pas en chiffres, c'est-à-dire que les chiffres sont remplacés par les lettres douées de la valeur numérique correspondante.
Cette valeur numérique est celle qui est donnée dans les ouvrages classiques arabes de cryptographie; il est donc inutile de la donner ici; mais les marabouts y apportent certaines modifications de leur cru, comme d'ailleurs la chose se fait aussi dans l'Afrique du Nord. C'est ainsi que les chiffres et les lettres ont, tantôt leur valeur absolue, et tantôt une valeur relative due à leur place et par la fantaisie du karamoko, ils conservent leur valeur absolue quand ils sont à la droite d'un autre chiffre ou lettre, et ils prennent une valeur relative et connue de lui seul, quand ils sont isolés. On rend ainsi les gris-gris complètement mystérieux, et ils restent indéchiffrables pour le fidèle qui aurait la tentation de vouloir les étudier de prés.
Les marabouts se servent encore de la valeur numérique des lettres pour créer des mots et des phrases imaginaires en qui sont condensées des prières qu'on doit réciter un grand nombre de fois. Ici, nous entrons dans le domaine de l'exploitation cléricale; le karamoko vend à bon prix au fidèle la possibilité de réciter plusieurs centaines d'invocations, en prononçant une seule fois une formule mystérieuse où elles sont toutes résumées.
D'une façon générale, on considère que les chiffres pairs sont bons, et que les chiffres impairs sont dangereux.

II — Pratiques médico-magiques

1. Le tanaa.

L'institution totémique est parfaitement connue au Fouta-Diallon. Le totem est désigné par les Foula sous le nom de tanaa, qui se rapproche du nténé de leurs voisins malinke et soussou. Les Toucouleurs l'appellent wodha.
Or, il est incontestable que le tanaa a, à peu près complètement, disparu de la société foula, et cela depuis fort longtemps. On pourrait croire que c'est à l'Islam, terrible destructeur des croyances qu'il ne peut assimiler, qu'est due cette disparition. Il n'en paraît rien cependant. Les Foula soutiennent que cette disparition a précédé leur islamisation, et que, même leurs ancêtres, n'ont jamais cru fermement aux tanaa. Il est à croire que c'est là la vérité, tant il est impossible de retrouver les vestiges, même anciens, de cette institution ; peut-être la chose s'expliquerait-elle par le fait que les Peuls sont, soit d'origine sémite, soit, en tout cas, Bruns-Hamitiques et que l'institution totémique, florissante chez les noirs et les rouges, n'a pas été pratiquée chez les blancs et ne l'a été que fort peu chez les Hamites. Cette conclusion reste à vérifier chez les autres groupements peuls de l'Afrique, mais il peut être versé, dès aujourd'hui, au dossier en faveur de cette thèse, que chez les Fulɓe du Sénégal et les Foula de Guinée, le totem n'est pas en usage.
Il semble bien que les rares fractions ou familles foula, chez qui on peut relever des traces de tanaa, auxquelles elles ne croient plus guère d'ailleurs, doivent ces notions et ces croyances à des infiltrations malinké et soussou dues, en grande partie à des unions matrimoniales et aux relations serviles. Le nom de tanaa lui-même semble provenir d'un emprunt à la langue de leurs voisins.
Il apparaît donc que le sens mystique, si développé, des Foula, a su les maintenir jadis dans la pureté de leurs doctrines et pratiques religieuses traditionnelles, et plus tard, et à partir de leur conversion, dans la voie d'un Islamique près orthodoxe. Les croyances et rites du tanaa, institution extra-religieuse et vestibule de la magie, n'ont jamais fleuri au Fouta-Diallon que dans l'élément captif emporte: et par les femmes et concubines qu'on en tirait, a pénétré, fort peu d'ailleurs, chez les fils de certaines familles foula.
Chez les Toucouleurs du Dinguiraye, au contraire, le wodha s'est conservé fort en honneur, encore que, dans leur esprit cette croyance traditionnelle soit battue en brèche par la réprobation islamique. Il faut remarquer que cette institution n'est pas originelle chez ce peuple. Ils l'ont apporté avec eux, il y a deux ou trois générations, du Fouta Toro; et les wodha des familles du Dinguiraye sont les mêmes que ceux des familles du Fouta sénégalais Les uns et les autres sont les mêmes que les totem (mbagne, etc.) des familles ouolof, sarakolle, sérères, etc., dont ces familles toucouleurs sont issues et dont elles portent la plupart du temps le nom. Dans le Dinguiraye d'ailleurs, comme dans les autres régions islamisées, la croyance au wodha perd, chaque jour, de sa force. Les karamoko la combattent ouvertement, comme n'étant pas d'origine révélée, par conséquent mensongère, ou tout au moins inutile. Dans la plupart des familles de lettrés, elle tombe en désuétude. Chez les autres, on se cache quelque peu pour pratiquer les rites totémiques et les informateurs n'en parlent qu'avec une pointe, déjà sensible, de scepticisme.
Il paraît utile de donner ci-après, à titre d'exemple, quelques-uns des wodha du Dinguiraye, et le seul tanaa, qui ait pu être relevé chez les Foulas (famille de Timbonke) ; et pour ce dernier, encore faut-il remarquer, qu'il ne remplit pas les conditions classiques du totem, et qu'il s'agit surtout d'une sorte de lien d'alliance fraternelle, dont l'origine est inconnue et que, seule, l'expérience a constaté.
La famille des Thiam a pour wodha le serpent python ou Thiamaba. Il est défendu à tout membre de cette famille de le tuer, de lui faire le moindre mal, et même d'en manger. Il y a, en effet, un lien de parenté entre Thiam et Thiamaba. Ils descendent tous deux d'un même ancêtre, mais Dieu, ayant fait du premier fils un homme, et du second un serpent, sépara leur vie, et donna au premier le village et au second la brousse et le marigot. Ils vécurent en bons termes ; l'ancêtre des Thiam, étant tombé malade, fut nourri dans sa case par Thiamaba, qui lui apportait du lait et d'autres aliments. Depuis, les enfants doivent se conserver cette amitié.
Les Sosoobhe ont pour wodha la vipère mouchetée (sôré). Ils la protègent, la respectent et mettent du lait caillé à son trou. En revanche, celle-ci ne mordra jamais un Soh. Il y a ici aussi un lien de parenté, Sosoobhe et Sôré ayant une origine commune.
Les Diop ont pour wodha le paon (kumarewal en foula, gelongal en poular toucouleur). C'est le même tanaa que celui des Diop wolofs. Les devoirs réciproques d'assistance et de protection, issus d'une ascendance commune, sont aussi de rigueur.
La famille des Chérif du Dinguiraye a pour wodha le lion (taktakri). Elle se devait, pour le moins, une explication islamique. C'est parce qu'ils descendent d'Ali qui était le « lion » de Dieu, et de sa mère qui était Fatimatou, , que leurs ancêtres ont pris le lion comme wodha, et entretiennent avec lui des relations qui comportent cette fraternité.
Les Timbonke ont pour tanaa la vipère cornue. Il n'y a ici aucun lien de sang entre l'homme et la bête ; c'est une simple fraternité qui fut découverte par la mère de leur ancêtre. Un jour où, étant allée dans la brousse, elle avait laissé l'enfant dans sa case. A son retour, elle constata avec terreur qu'une vipère cornue était enroulée à ses côtés. L'animal partit alors, comme si son rôle de bonne gardienne était achevé. Il revint par la suite. On en conclut qu'il était le protecteur de la famille, et on le respecta comme on le doit faire pour un tanaa.

2. Les interdits tabou.

Mais si les traces du tanaa semblent avoir disparu depuis longtemps déjà de la société foula, il n'en est pas de même des interdictions générales, familiales ou personnelles, qui portent le nom de kitatum, et correspondent exactement au tabou des primitifs. Elles ont subsisté jusqu'à nos jours, et la plupart d'entre elles sont encore en vigueur. Il semble pourtant que, dans certains milieux, elles tombent aussi en désuétude. Certains indigènes font les esprits forts, et affectent de ne plus tenir compte de leurs kitatoum. Chez d'autres, c'est simplement par l'effet de la négligence et du relâchement de la morale qu'ils s'estompent.
La plupart des chefs foula, et l'Almamy notamment, ne devaient jamais traverser une rivière à l'endroit où l'eau coule sous terre. Il fallait qu'il en remontât ou en descendit le cours, jusqu'au point où l'eau est visible dans son lit pour pouvoir la franchir soit au gué, soit en pirogue, soit sur un pont. L'infraction à cette règle entraînait sa destitution prochaine et souvent sa mort.
L'almamy ne devait jamais pénétrer dans les deux villages de Sumbalako Mawnde et de Sumbalako-Tokosere. Les bandes d'un almamy non dénommé, étant jadis entrées dans ces deux centres, y avaient commis les plus grands dégâts. Le karamoko du lieu les maudit, ainsi que leur chef. La maladie se mit alors dans leurs rangs; ils furent obligés d'évacuer le pays, et peu après, l'Almamy fut renversé. Depuis ce jour, les Almamys ont admis que, sous peine de révocation et de mort, ils ne devaient plus entrer dans ces deux villages.
La même interdiction s'étend au village de Diré, dans le Maci. L'Almamy s'en approchait avec ses troupes, quand un bouc et un singe vinrent à son devant et lui dirent:
— « Bonjour, Almamy. Retourne sur tes pas. »
L'Almamy fit mettre à mort les insolents. On les ouvrit, pour voir d'où ils tenaient ce don de la parole. Du corps du bouc sortit un cabri, et de celui du singe un taureau. Ce prodige fit comprendre à l'Almamy qu'il ne fallait pas s'aventurer dans un village aussi mystérieux, et il fit demi-tour. Depuis ce jour, ses successeurs ne sont jamais entrés dans Diré.
Les chefs du Labé ne devaient jamais entrer dans les villages maraboutiques de Koula et de Karantagi. On explique que c'est par respect pour les karamoko; il y avait d'autres façons de les honorer. De nombreux cadeaux, par exemple, eussent été les signes plus appréciés d'excellentes relations. Mais de fâcheuses traditions d'empoisonnement et d'envoûtement qui subsistent encore aujourd'hui, et qui rappellent des cas analogues en pays maures et noirs, expliquent mieux cette abstention prudente. L'origine du kitatum n'est pas toujours aussi apparente.
Le village de Parabana, à la lisière du Fouta, est kitatum pour tous les Foula. Al-Hadj Omar marchant contre les gens du village, qui refusaient de faire leur soumission, vit toutes ses bandes foula faire défection, et ils en donnèrent comme raison, dit, M. Delafosse, qui rapporte cette tradition, que « l'accès de ce village leur était interdit depuis le temps de leurs ancêtres, et que toute armée du Fouta-Diallon qui s'y serait rendue, aurait été anéantie ». Privé de ces contingents, le grand conquérant toucouleur dut céder et remettre sa conquête.
Le contact des peaux de mouton (guri baali) est interdit à la famille Balbhe, de la tribu Uururbhe. Toucher une peau de mouton ou être touché par elle équivaut pour un membre de cette famille à une mort certaine.
Le contact de la chèvre (mbeewa) est interdit aux Kalidiyabhe. Ils n'en ont jamais dans leurs cases. Leur en donner une équivaut à une injure, qu'un membre de cette famille se croira obligé de punir de la mort
Il est tout à fait dangereux d'épouser une femme qui a un épi sur le front. Cet épi est en réalité une grande aiguille, qui reprend sa forme naturelle la nuit, et pique l'homme. Cette piqûre entraîne la mort.
Il est dangereux encore d'épouser une femme qui a les yeux cernés ou des tâches sous les paupières. Cette conformation indique qu'elle est vouée aux larmes et par conséquent qu'elle aura à pleurer avant longtemps la mort de son mari.
Dans le Dinguiraye, la femme toucouleure qui a un petit enfant, ne doit pas passer devant l'arbre ɓeyɗo-moƴƴo. Si elle s'en aperçoit trop tard, elle arrachera un morceau de son pagne et l'attachera à l'arbre. Sinon, l'enfant est exposé aux plus graves maladies. Il est vrai que les vieilles femmes savent conjurer ces maladies par un traitement homéopathique. Elles pilent les feuilles, mêlent la poudre à l'eau, et en lavent l'enfant, ou lui font boire cette mixture. Le malheur est que la mère passe à côté de l'arbre, sans le reconnaître et sans y prendre garde, et que, par la suite, l'enfant étant malade, on ne sache pas en discerner les causes.
A certaines familles toucouleures, le poisson est prohibé.
A d'autres, il est interdit de sortir le soir avec une torche allumée, mais depuis l'arrivée des Français, une interprétation libérale s'est produite et ces indigènes peuvent sortir avec une lanterne.
Les grands trous d'eau dans les rivières, les puits, les cavernes humides et sombres sont le refuge des mauvais génies; s'en approcher est toujours quelque peu dangereux, car ils peuvent vous saisir par votre ombre et vous entraîner ; mais y venir la nuit, à l'heure où ils sont rassemblés, est une indubitable contamination à mort. De même, un enfant ne doit jamais regarder dans un puits ; le génie du lieu pe manquerait pas de l'attirer par le vertige. Les grandes personnes elles-mêmes n'en sont pas exemptes, et il n'est pas bon du tout de s'approcher du propre puits de son gallé, le soir.
Il est interdit de varier la couleur des boubous de deux enfants jumeaux (funeeɓe). Si non, l'un des deux mourra.
Il est interdit à la femme qui a perdu successivement tous ses enfants de raser son dernier enfant. Il ne doit pas toucher le fer, jusqu'à ce qu'elle en ait un second, sinon il mourrait.
Certaines femmes ne doivent jamais se coiffer le dimanche. L'infraction à cette règle entraîne la mort du mari.
Il y a un certain nombre d'animaux (bovins, ovins, caprins), qu'il est tout à fait dangereux de garder dans son troupeau (tchina), ou dont il est tout au moins impossible de tirer parti.
Le mouton à cou et à avant-corps gris, la chèvre tachetée (panta), sont des animaux dangereux; car celui qui les saignerait mourrait dans l'année.
La vache qui a des cornes recourbées est destinée à être mangée par l'hyène ; mais il faut se garder de vouloir prévenir cette perte en la faisant égorger, car l'opérateur devient fou ou meurt. On la confie à des enfants qui la tuent de loin à coups de fusil ou de flèches, ou bien encore, on en fait don à un grand et vieux karamoko dont la baraka parait supérieure au tabou, et qui, au surplus, étant sur la fin de ses jours, peut, sans risquer grand-chose, égorger et manger la bête. Rien n'empêche d'ailleurs de boire le lait de cette vache. Il ne faut pas garder dans son troupeau une vache quatre fois tachetée sur les omoplates et les fesses. Son maître restera un jour sur sa couche gravement malade. On la vend donc le plus tôt possible à un Diallonké ou à un Malinké fétichiste, qui ne paraît pas soumis aux interdictions qui atteignent le Foula islamisé.
Il ne faut pas monter sur un cheval dont la robe, au cou et sur la croupe, est ornée de petites mèches de poil recourbées ou retournées. Le cavalier est sûr de tomber et de se tuer.
Il y a une multitude d'autres interdictions qu'il est toujours dangereux d'enfreindre, au moins pour la race, la caste, la famille, le sexe ou l'individu qui y est soumis. D'autres sont plus générales et s'appliquent à tout le monde indistinctement.
Dans ce domaine encore, il apparaît bien que ces tabous sont d'origine magique, les unes antérieures à l'Islam, les autres nées depuis l'islamisation du Fouta, mais toutes dérivant des croyances et des rites de la magie, et complètement en marge de la religion proprement dite. Le Foula sait très bien qu'il n'est pas ici dans le domaine de la morale religieuse. Quand involontairement ou de son plein gré, il enfreint une interdiction qui lui est propre, il sait qu'il ne commet pas de faute proprement dite, mais qu'il s'expose à un danger, et, s'il y périt, il n'est pas plus coupable que celui qui, ne sachant pas nager, a commis l'imprudence de s'aventurer dans un marigot profond pour le traverser. D'ailleurs les kitatum et leur traitement, quand on les a enfreints, relèvent du sorcier ou du médecin de sorcier. Elles n'ont rien à soir avec le karamoko, et celui-ci même, de par sa baraka, en est généralement exempt. Plusieurs karamoko qui paraissent s'être assez bien assimilé la spiritualité de l'lslam, prêchent même que ces survivances du passé n'ont aucune valeur et qu'il ne faut pas en tenir compte. D'autres, moins dégagés de la tradition, ou plus pratiques, déclarent et croient vraisemblablement, que le marabout a autant de pouvoirs que le sorcier, et qu'une amulette coranique est aussi efficace qu'un gri-gri magique pour détruire les fâcheux effets de ces interdictions.

3. Superstitions.

Il n'est pas question ici de faire l'exposé général des croyances magiques et superstitions venues se greffer en marge de la religion. Il n'est pas toutefois inutile, pour mieux déterminer le coefficient d'emprise de l'Islam sur l'âme foula, de faire connaitre quelques-unes des superstitions ou croyances populaires qui ont subsisté à côte de la religion, ou même qui, s'attaquant à elle, l'ont déformée.
A l'égard des Français d'abord, ou plutôt des Blancs, une prophétie maraboutique est très répandue dans le Fouta. Elle annonçait leur arrivée dans le pays et leur suprématie ; elle fixe, comme durée de leur occupation, une période de cent ans, après quoi paraîtra le Mahdi. Alfa Ibrahima Fougoumba s'en faisait écho, quand, dans un grand palabre, où assistaient des chefs blancs, il égrenait sur son chapelet le nombre des années de leur commandement.
Cette légende a, d'ailleurs, une portée plus générale. Elle donne les quatre cycles qui doivent clore l'histoire du Fouta.

On retrouve là un condensé touffu des traditions bibliques et coraniques, des récits apocalyptiques et des légendes locales, dont il suffit d'avoir signalé l'existence.
Vis-à-vis de l'Islam même, les peuples du Fouta-Diallon se sont permis un certain nombre de libertés, accommodant à leur façon certains de ses renseignements ou lui en superposant d'autres. Voici, par exemple, cette croyance générale que le Tidianisme est la quintessence de l'Islam et son expression la plus parfaite. Les Tidianïa sont pleins de mépris pour les Qadria. A côté des Tidiania, les Sadialia (Chadelia) constituent une petite confrérie aristocratique et fermée, qui, avec le temps, les rigueurs du sort, et le succès des voies adverses, a perdu dans le peuple son prestige d'antan, mais qui s'est renfermée dans son orgueil de petite antique chapelle. La solidarité de ses membres va si loin que certains karamoko déclarent être plus intimement liés à leurs frères dans la voie qu'aux membres de leur famille.
D'autres prétendent aux affiliations les plus fantaisistes, et trouvent des gens pour le croire, c'est ainsi que, à Timbi-Medina, Tierno Balla, fils de Mo Salihou, prétend se rattacher à la voie d'lbrahima Tamimi, par ce personnage mythique de l'Islam, qui porte le nom d'Al-Khadir. Mo Salihou aurait reçu son initiation d'Al-Khadir lui-même.
On a pu constater, dans certains groupements diallonké, de singulières déformations de l'Islam. On les désigne sous le nom de Batouta, sans qu'il soit possible de déterminer, vu le mystère dont s'entourent les intéressés, si ce nom de Batouta s'applique aux rites eux-mêmes ou à ceux qui les pratiquent. Les indigènes feraient la prière, la figure tournée vers le couchant et accroupis sur des peaux de chien. Ils s'abstiendraient de fumer, l'usage du tabac étant un des plus graves péchés, etc.. Bref, les karamoko qui ne sont pas très au courant eux-mêmes de ces coutumes, les considèrent comme des rites du paganisme, introduit très répréhensiblement dans la loi sainte.
Les grands karamoko sont à l'abri des blessures provenant du fer. Leur chair ne peut être entamée par le sabre ou le couteau. C'est pourquoi l'almamy Ibrahima fut tué par les Houbbous à coups de bâton.
Il est admis universellement que les plus pieux d'entre les marabouts ont souvent des révélations divines. Le Ouali de Goumba, par exemple, en avait souvent; au cours de ses entretiens avec la divinité, il disparaissait et ne revenait sur la terre que pourvu, non seulement de renseignements sur les événements, mais même de forces intellectuelles et physiques nouvelles. Ces révélations se produisent plus spécialement dans les nuits qui précèdent les deux grandes fêtes islamiques: Julde Suumayee et Julde Donkin. A cette époque, il n'est pas de karamoko qui ne veuille, sous la forme de singe ou sous toute autre forme, avoir eu quelque communication avec Allah. On y prédit la pluie et le beau temps, l'état des futures récoltes, les vaches grasses succédant aux vaches maigres et réciproquement, etc. Cette pratique tourne quelquefois à l'exploitation et au chantage. C'est ainsi qu'au début de décembre 1910, un marabout de Labe-Dheppere, Tierno Mamoudou, habitant le foulasso de Hasanhere, annonçait à ses élèves que la case de l'interprète de Labé brûlerait bientôt, à moins que ce dernier ne prévint le malheur, en donnant à l'école une vache laitière, à titre de donation pieuse. L'interprète ne s'étant pas exécuté, sa case brûla, en effet, une nuit de la fin de décembre. Tierno Mamoudou expia en prison ses relations trop documentées avec Allah.
D'autres fois, ces révélations servent à faire entendre des choses qu'on n'ose pas dire ouvertement. C'est ainsi, par exemple, que Tierno Atigou, de Kindia, n'ayant pas la hardiesse de donner certains conseils à son maître, le Ouali de Goumba les lui présente sous la forme suivante. On trouvera en annexe la lettre arabe, spécimen de son écriture et type du genre :

« Voici ce que j'ai vu, cette nuit, en songe. Un cheikh vénérable, à la barbe chenue, à la peau blanche, m'est apparu et m'a dit : « Dis à ton maître, « ô Atigou, de prier deux rachat :
Pendant la première rakat, il récitera la sourate. »

Suivaient plusieurs prières que le Ouali devait réciter, moyennant quoi sa guérison était assurée. Et Tierno Atigou de s'excuser :

— « O mon Cheikh, il ne faut pas m'en vouloir de mon manque d'éducation. Je ne sais pas si cette révélation est vraie ou non; car vision et songe s'entremêlent. Si l'apparition est celle d'un homme pieux, ses dires étaient véridiques ; si c'est celle d'un homme méchant, comme moi, il n'y a pas lieu d'y ajouter foi... »

Le don des miracles n'est pas le fait des Karomoko foula, et fort peu ont joui de la réputation de thaumaturge. Encore, ces prodiges étaient-ils tout à fait accidentels. C'était le cas du Ouali de Goumba. Un miracle, connu dans tout le Fouta, est celui qu'accomplit, au cours du neuvième siècle, Karamoko Alfa. Au cours de l'agression qui l'amena à Timbo, Kondé Birama, chef des Wasulunké, voulut atteindre les Foula dans leur affection pour le grand pontife. Il fit ouvrir le tombeau où Karamoko Alfa reposait depuis un siècle, et lui fit couper la main gauche. A cet instant même, le sang jaillit miraculeusement, et Kondé Birama fit refermer précipitamment la tombe.
On retrouve épars de nombreux vestiges d'animisme ou de naturisme. Les arbres touffus, les fourrés épais de la brousse, les trous profonds des marigots sont hantés par les génies. Les croyances aux esprits des eaux sont assez répandues dans ce Fouta, noeud hydrographique de l'Ouest africain. Des djinn protègent les sources de la Gambie, du Rio Grande, du Konkouré, du Bafing.
Les esprits sont, en général, partagés en deux catégories :

Beaucoup de gens croient à l'influence des étoiles sur la destinée et les événements humains, les unes apportant d'heureux, les autres de néfastes présages. Les chutes d'étoiles, les étoiles filantes (jowlol nyanne) annoncent de nombreuses morts parmi les hommes. On établit certains rapprochements entre les aérolithes et la foudre. Un morceau d'aérolithe dans une case en écarte le tonnerre.
Le petit oiseau, moloturu, appelé aussi sous sa forme arabe tyolel al-janna (l'oiseau du Paradis ), protège les cases où il installe son nid. Il est, d'ailleurs, très irrégulier dans son choix, et ce choix constitue pour le maître de céans un brevet d'honnêteté et de vertu. Le moloturu ɓaleru, petit oiseau noir à bec blanc et ongles rouges a, au contraire, une influence funeste. Le Foula n'aime pas du tout qu'il fasse son nid dans sa case, car c'est un présage de malheur et un brevet de moralité douteuse. La petite tourterelle, mariama, est l'objet d'un culte spécial en l'honneur des visites qu'elle rendait au Prophète réfugié dans sa caverne. Son nid est un présage de bénédiction. Cette zoolâtrie ne comporte, d'ailleurs, aucun culte du bœuf, comme on l'a dit à tort. Les troupeaux de bovins constituant la principale richesse et la plus grande affection du Foula, pasteur par excellence, il est naturel que celui-ci les honore sous toutes ses formes, les entoure des soins les plus tendres, mais il n'y a là aucun indice de boolâtrie, et il ne faut pas que le désir de rattacher à tout prix les Foula aux Fellahs égyptiens et les raisons scientifiques diverses qu'on peut avoir à établir cette thèse, sans doute vraie d'ailleurs. conduisent à des rapprochements ou conclusions exagérés.
Entendre les cris du caïman le matin, présage que la journée apportera des nouvelles. Elles peuvent être indifféremment bonnes ou mauvaises.
Entendre le croassement d'un corbeau de passage présage aussi des nouvelles pour la journée, mais la plupart du temps mauvaises.
L'hyène, ici comme chez la plupart des peuples noirs, est un animal qui inspire une certaine crainte superstitieuse, encore qu'on ne lui confie pas le soin de faire disparaître les cadavres, mais peut-être est-ce un souvenir du passé. Sa cervelle et ses intestins sont des objets des plus dangereux qu'il faut bien se garder de toucher. Celui qui en mangerait deviendrait fou ou mourrait. Aussi, c'est le poison couramment employé dans les maléfices. Quand on en tue une, ou qu'on rencontre un cadavre de hyène dans son champ, il faut l'entourer d'un tas de bois et le consumer tout entier. De plus, les cris de la hyène dans la nuit présage des nouvelles qui seront vraisemblablement mauvaises.
Les Foula croient volontiers que de parler d'un événement futur, et surtout de le prédire, peut amener sa réalisation. Cette croyance est répandue aussi dans les milieux arabes de Mauritanie et de l'Afrique du Nord. Quand un lettré narre les hauts faits d'un marabout, doué pendant sa vie du don de seconde vue, il a soin de bien spécifier que ce n'est pas par suite des prédictions du saint homme que les événements annoncés se produisirent, mais bien parce qu'il les avait vus inscrits au livre du destin.
Au Fouta, l'arc-en-ciel (yaroowol ndiyan) n'est pas aimé parce qu' « il gâte la pluie ». On lui attribue en effet le don d'arrêter la pluie. Mais les gens sensés pensent que « ce sont surtout les paroles des hommes, concernant l'arc-en-ciel, qui gâtent la pluie ». De même pour les semailles.
Un homme va semer ; il voit les nuages, il sème. S'il voit l'arc-en-ciel, il dit: « La pluie ne viendra pas », et il ne sème pas. Il a tort. Ce sont ses paroles qui ont empêché la pluie de venir.

4. La thérapeutique.

Vivant très près de la nature, en suivant attentivement et en subissant tous les phénomènes, le Foula a fini par croire — ce qui n'est pas un tort — que tout ici-bas, dans le monde animal, végétal ou minéral, jouit de vertus apparentes et de propriétés cachées. Plus avancés, plus méthodiques, nous étudions avec plus de soin ces manifestations des forces naturelles et nous les sérions. L'indigène n'est coupable dans son erreur que d'un manque de discernement, et, par suite, d'applications erronées et de créations fantaisistes. Il a constaté — et c'est exact — que certains produits animaux, minéraux, végétaux, sont des poisons, des vomitifs, des purgatifs, des digestifs, des diurétiques, etc., etc.; il a constaté — et sa généralisation fut fausse parce que le rapport de causalité fut mal discerné — que l'emploi d'autres produits amenaient la pluie, favorisaient les récoltes, écartaient les dangers, etc.; sa foi lui enseigne que telle pratique par la toute-puissance et les promesses divines, peuvent protéger et assister le croyant: par la magie traditionnelle, il sait que tels rites bien connus peuvent éloigner de lui l'action néfaste des esprits mauvais, ou lui attirer l'aide des bons génies. Toutes ces forces, toutes ces propriétés naturelles ou extra-naturelles constituent un monde de puissance, à portée de sa main, qu'il peut utiliser pour assouvir ses besoins et ses passions, et où il ne fait aucune distinction.
C'est cette utilisation des forces mêlées qui nous entourent, et où entrent la baraka de la religion, les pratiques de la magie et de la sorcellerie, les procédés de la science, et les enseignements de l'expérience, notamment ceux de l'empirisme médical, qui sont désignés ici sous le nom de thérapeutique. L'étude de cette thérapeutique ne vise pas à être complète: elle sortirait des cadres du sujet. Il ne peut y être question que de celles de ses parties qui sont nettement d'origine islamique, ou de celles qui, par suite de survivances du passé ou d'infiltrations de voisins fétichistes, constituent de curieux alliages islamo-paganiques.

Les amulettes

L'amulette désignée, soit sous le nom arabe de harz ou de hijdb, soit sous l'appellation coutumière de talkuru (grigri) est d'un emploi extrêmement courant au Fouta-Diallon. C'est le petit papier écrit que le Foula, Toucouleur ou Diallonké porte en grand nombre sur lui dans des cornes, des sachets de cuir ou des boîtes de métal, et dont il fait usage dans toutes les circonstances et à tous les âges de sa vie, comme curatifs, préventifs ou préservatifs.
« Les provisions ne font pas la route mauvaise, » dit le proverbe foula.
Au surplus, les coupeurs de grands chemins n'hésitaient pas, tels des bandits calabrais, à dépouiller leurs victimes de tous leurs talismans, et les ayant dévotement baisés, les revêtaient avec une pieuse ardeur.
On peut classer les fins que poursuit l'amulette foula de la manière suivante :

La première fin est la plus courante, et c'est ordinairement dans le but de voir ses désirs se réaliser qu'on recourt à la vertu de l'amulette. Les désirs sont généralement d'ordre terrestre: acquérir du bien une femme réussir dans une entreprise, avoir de bonnes récoltes, faire une bonne cueillette de caoutchouc mener à bien une affaire, un voyage être heureux en ménage obtenir une place de chef de garde, d'interprète être heureux et surtout heureux en amour avoir des enfants, etc., etc.
Ils sont quelquefois d'un ordre plus relevé et visent à l'acquisition des biens de l'autre vie ou de la sagesse intellectuelle:
s'attirer les bénédictions divines mener une vie vertueuse entrer en Paradis être en état de grâce quand le Mahdi apparaîtra acquérir parfaitement la connaissance du Coran, de la Sunna, etc.
Pour mettre fin à un mal existant, le Foula a plutôt recours au traitement du mbileejo, à la fois maître-mire et médecin contre les maléfices du sorcier. Quelquefois pourtant, il a recours à la science du karamoko qui lui délivre un talisman écrit.
L'amulette reprend tous ses droits quand il s'agit d'écarter un mal éventuel ou même simplement possible. Or, tout est possible et elle justifie pleinement ici son sens étymologique de « préservatif ». On lui demandera :

Il n'y a pas de formule spéciale pour la composition de l'amulette foula.
Les unes, et c'est le petit nombre, sont empruntées aux manuels classiques de cryptographie arabe, qu'on ne trouve d'ailleurs au Fouta-Diallon qu'en copies manuscrites fragmentaires. Ce sont les Mojarrabat, la Mi'aat al-Faïda, la Khazinat al-Assar al-Koubra, les Fouaïd al-Qoran et enfin les deux Chems al-Maarif. On trouve quelquefois ces ouvrages chez les boutiquiers marocains ou syriens
Les autres sont dûs à l'imagination des karamoko Foula et se composent ordinairement :

  1. D'une formule de prière à Allah et au Prophète.
  2. du but de l'amulette nettement exprimé par exemple; « Talisman capital contre tout mal terrestre, provenant de la lance, du sabre, du couteau, de la pierre, du bois, du sultan et des sultans musulmans ou infidèles, mâles ou femelles, tous sans exception. Que personne ne craigne Mamadou Daï. Aucun mal de ce bas monde ne l'atteindra jamais. Par la permission de Dieu Très-Haut, et par la vertu de la cavale Bouraq et du Coran sublime. »
  3. Du tableau-cage classique, dont chacun des petits carrés renferme une lettre ou un chiffre, représentant les mauvais génies, les maladies, les dangers, etc., qui se trouvent ainsi définitivement emprisonnés. Ici, I'imagination du karamoko se donne libre cours, et sa fantaisie est sans limites.

Dans l'amulette déjà citée, et qui est donnée en annexe, l'auteur, Mamadou Daï a tracé au milieu du carré magique un petit cercle qui est censé représenter la tête de la cavale Bouraq et a inscrit à l'intérieur son propre nom, en croix. Quand il s'agit d'une amulette dont le but est d'attirer du mal sur un individu, il faut inscrire son nom et sa filiation dans le carré, afin qu'il soit retenu captif avec les djinn néfastes et reste sous leur action. Par filiation, la magie entend toujours le nom de la mère, qui est la seule des parents, dont on soit assuré de l'authenticité. La cage est ordinairement gardée par les bons anges. Les Foula semblent, en effet, professer une dévotion extraordinaire à l'égard des esprits célestes, qu'ils considèrent comme des alliés naturels et des amis dont on peut implorer le secours. Par leur intervention, on peut écarter les dangers éventuels qui vous guettent de la part des mauvais esprits et des sorciers. Il est curieux de constater que l'amulette islamique est considérée comme un des grands préservatifs contre les maléfices des agents du fétichisme, ce qui implique donc la croyance à la puissance de ces agents et à la réalité de leur action, tant religieuse que magique.

Ces considérations démontrent clairement combien s'entremêlent dans l'esprit des noirs les croyances et les rites du passé et les enseignements de la foi nouvelle, et comment les uns et autres sont honorés encore d'une égale dévotion. Les quatre anges les plus communément invoqués sont :

Le trône d'Allah est porté par huit esprits célestes :

Il est admis que celui qui peut retenir de mémoire leurs noms et les invoquer souvent sans défaillance entrera au Paradis.

Il existe toute une série de bons anges, soit authentiques et connus — ce sont ceux dont parlent les livres révélés — soit imaginaires et créés de toutes pièces par les karamoko Foula, et dont la puissance est souveraine contre les artifices des esprits de l'enfer ou contre les charmes et les maléfices des sorciers. Ces anges ont été envoyés ou sont censés avoir été envoyés à toutes les grandes figures des trois Testaments (l'Ancien, le Nouveau, le Dernier, celui de Mohammed). Chacune d'elles a son correspondant céleste, qui le visitait de par la volonté divine et lui enseignait la bonne parole, nécessaire aux contingences de l'époque. Ces anges sont donc tout à fait au courant des besoins de l'humanité; ils l'ont préservée en tout temps des dangers qui la menacèrent; leur assistance est un gage de sécurité. Aussi est-il expédient d'user d'une amulette où Dieu est invoqué par la vertu de ses anges — missionnaires, — et des saints personnages auxquels ils furent envoyés .

Specimen d'amulette fuutanienne
Specimen d'amulette fuutanienne

  1. 4. L'amulette comprend enfin un nombre plus ou moins abondant de textes coraniques, de phrases poul-poullé [Pular], et de mots en abracadabra. Elle est souvent appelée in fine talkuru, qui est le nom du gris-gris traditionnel, et placée sous le vocable d'un saint marabout local, ou simplement sous celui du karamoko rédacteur.

Il est fait usage de l'amulette foula ou toucouleure de diverses manières.
Le mode d'emploi le plus simple est de les porter suspendues au cou, soit en collier, soit en paquet. On les porte aussi en bracelet au poignet ou à la cheville, au bras ou à la cuisse, cousues dans ses vêtements ou nouées à la ceinture.
L'absorption de l'eau d'amulette, nasi, qui équivaut au safara sénégalais est général aussi. Souvent même, elle accompagne le port. Mais la foule distingue mal ces modes d'emploi et ne suit que fort irrégulièrement les instructions du karamoko. On porte ce qu'on doit absorber; on absorbe ce qu'on doit porter; et si, par hasard, le papier du karamoko est une véritable ordonnance médicale, qu'il convient de lire, de faire préparer et d'exécuter, comme celle-ci :

« Mélangez du gingembre avec du miel, du sel, du piment et du poivre de Cayenne. Faites cuire avec de l'eau et de la viande. Cette potion arrête le flux et les maux du ventre! »

On la porte pieusement à son cou, ou bien on en fait diluer l'écriture et on absorbe le nasi. Au fait, le résultat n'en est peut-être pas changé.
Ce n'est pas sur la seule personne humaine qu'on utilise les amulettes. On en fait porter aussi aux animaux, ou on leur fait boire le nasi. On en accroche aux arbres; on en enterre dans le foin et au milieu des champs, ou on y verse le nasi à certaines heures et dans des conditions déterminées.
Pour préserver, par exemple, son champ des sauterelles, on se fait donner un talisman par le karamoko soit en un, soit en quatre exemplaires. Dans le cas de l'exemplaire unique, on l'insère dans un bambou que l'on plante au milieu du champ. Dans le cas de quatre exemplaires, on en enterre un dans chacun des quatre coins du champ.
Avant de bander un tabala, on insère dans la caisse une amulette afin qu'il ne résonne que pour annoncer ou célébrer de bonnes choses.
On inscrit encore des formules de bénédictions et des charmes protecteurs sur ces petites rondelles de soie blanche que les araignées ou guêpes plaquent aux murs dans les cases.
Quelque temps avant les événements qui devaient ensanglanter la misiide de Goumba, le Ouali fit sacrifier un boeuf, lui bourra le mufle et les naseaux de gris-gris et d'amulettes préservatrices contre l'action des Blancs, et lui fit couper la tête. Cette tête fut jetée dans un trou d'eau de la rivière Mafing.
Aux amulettes il faut joindre ces pieux objets d'inspiration religieuse que les pèlerins rapportent des Lieux Saints, et qu'ils débitent par la suite en quantité invraisemblable: poils du Prophète, gravures pieuses, chapelets orientaux; morceaux d'étoffe ayant touché la Kaaba, eau de Zemzen, terre sacrée de la Mecque ou de Médine; bagues en argent, de titre peu élevé, portant un chaton, une pierre coloriée, qu'on a la prétention de faire passer pour des copies de la bague du Prophète, etc. Au dire des vendeurs, ces pieux objets ont l'efficacité parfaite de l'amulette, et sont utiles pour toutes les circonstances de la vie. Les coryphées de la magie moderne des grandes capitales européennes diraient qu'ils renferment des a secrets géorgiens pour réussir en tout ».
Il reste à signaler des mandements maraboutiques qui circulent à intervalles plus ou moins rapprochés dans le Fouta, et qui importent des prédictions diverses, de pieuses admonestations, et des prescriptions à la prière, au jeûne, à l'aumône et au retour à Dieu. Bien que ces mandements ne soient pas signés, on peut les attribuer en principe à Chérif Younous ou à Cheikh Mahfoud, de Casamance. Ils s'en défendent d'ailleurs vivement. Les karamoko les recopient plus ou moins textuellement et se les font passer sous le manteau de la cheminée. Ces documents n'ont, d'ailleurs, rien de subversif. Ils ne présentent quelques dangers que par l'émotion et l'inquiétude qu'ils peuvent semer dans les populations, en annonçant des dangers effroyables pour punir la tiédeur des croyants.

Gris-gris et traitement médical.

La religion et la magie se coudoient perpétuellement dans la société noire et font le meilleur ménage A côté de l'amulette, qui est l'arme de défense islamique, le gris-gris ancestral, instrument de la magie et de la thérapeutique traditionnelle, le talkuru, a continué de subsister et, avec le temps, en est arrivé à fleurir aussi bien à l'ombre de la mosquée que dans la case du sorcier et du médecin de sorcier [guérisseur]. Il consiste en drogues de racines, d'écorces ou de feuilles, en produits animaux : cornes, ongles, poils, dents, morceaux de peau, yeux, etc.; en matières minérales: pierres, sable, eau, etc.
Il poursuit le même but que l'amulette ; rôle de préservation et de défense surtout, et aussi réalisation de désirs et de projets. Et au même titre que l'amulette, il est beaucoup plus prisé que les oraisons ordinaires qu'on demande au karamoko parce qu'il constitue une « prière permanente », et un bouclier qu'il suffit de ne pas dépouiller pour être à l'abri des coups du sort.
Les cheveux de Blanc ont toujours été considérés par les noirs comme des porte-bonheur de premier ordre. Mollien l'avait constaté en 1818, remarquant avec étonnement qu'un marabout « s'était emparé avec empressement de ses cheveux comme d'un excellent talisman pour préserver des maux de tête ». Après quelques scrupules, il avait fini par se laisser faire. Hecquard en fit la découverte à Poredaka en 1851, et par la suite, quand il manqua de vivres,

« il m'arriva plus d'une fois, dit-il spirituellement, de dépouiller ma tête au profit de mon estomac ».

Boubou, le cuisinier un moment célèbre de Noirot, voulant « gagner sur les traces de son maître », mettait subrepticement ses cheveux en vente et il fut à la mode vers 1900, dans le Ditin, d'agrémenter tous les sachets à amulettes d'un poil du commandant de Castel-Français. Cette utilisation de cheveux de Blanc est toujours en honneur. On en a trouvé dans les papiers du Ouali de Goumba et de ses principaux talibés. Lors de l'affaire de la Misiide, en mars 1911, quand on put rentrer en possession des cadavres des deux officiers, assassinés, il leur manquait la plupart de leurs cheveux. Et enfin, chaque fois que, de nos jours, un marabout est mis en état d'arrestation et que ses sacoches à gris-gris sont confisquées, on y trouve plusieurs cheveux ou poils de blanc. L'explication de ce culte est évidemment celle qu'en donnent les sociologues: le cheveu, comme d'autres parties du corps humain, est représentatif de l'être vivant tout entier, et par le cheveu, on peut atteindre son maître lui-même. Mais en pays noir, il faut toujours tenir compte du grand prestige que le blanc possède aux yeux de l'indigène, et il est certain que le noir qui est détenteur d'un cheveu d'Européen espère que cette propriété fera passer en lui quelque chose de la supériorité de la tête du blanc.
Quand une femme perd tous ses enfants en bas âge, elle doit interrompre le mauvais sort dont elle est victime en accrochant un anneau spécial a son oreille droite; dès qu'elle est mère à nouveau, l'enfant vivra. Les orangers qui se trouvent devant la mosquée de Bhouria (Mamou) jouissent de la propriété de rendre fécondes les femmes stériles.
Un morceau d'aérolithe dans une case en écarte la foudre. Mis dans la calebasse où on trait les vaches, il fait venir un lait abondant. Les Foula et Toucouleurs ont une crainte particulière de la foudre, qui tombe souvent, et cause de nombreuses morts et de multiples incendies. Pour s'en préserver, on attache au sommet intérieur de la case une amulette islamique et un talkuru traditionnel consistant en une bouteille renfermant du miel et divers ingrédients. La foudre tombe bien pourtant sur les cases ainsi protégées, mais on s'en console en pensant qu'il aurait pu arriver pire. Alfa Mamadou Thiam, de Tamba (Dinguiraye), malgré toutes les précautions de la loi et de la coutume, vit trois fois de suite la foudre tomber sur sa case, en briser les armes et les meubles, l'incendier entièrement, projeter dans un coin une vieille femme, qui fut grièvement brûlée, et resta sourde un mois. Comme on mettait en doute l'efficacité de ses gris-gris, il protesta énergiquement, assurant que, sans eux, l'incendie se serait propagé dans le village, que la femme eût été tuée, etc.
L'écorce de l'arbre, frappé par la foudre, a une efficacité particulière. On la fait brûler, et au dessus du foyer, on présente le canon d'un fusil, de façon que la fumée y pénètre. Ce gri-gri assure un tir impeccable au chasseur.
Pour avoir la pluie, on commence par une cérémonie publique à la mosquée: prière en commun et distribution par les vieillards aux pauvres du village des aumônes par les fidèles: arachides, maïs, fonio, cotonnade, pagne, bonnet), etc. Mais les Foula, comme les Toucouleurs, ne manquent pas de faire exécuter par leurs servantes bambara et malinké, leurs cérémonies traditionnelles. Les unes complètent les autres. Les femmes partent, la nuit venue, les unes ceintes de leur pagne simplement roulé autour des reins, les autres toutes nues. Le tam-tam accompagne leur procession. Elles se frappent les cuisses et offrent leurs parties sexuelles vers le ciel. Elles clament:

« O Dieu! Voilà mon sexe ; il souffre de la soif, je ne veux pas mourir. Mon mari a soif, il me délaisse. Donne-lui à boire. Les champs ont soif, donne-leur à boire. »

Après avoir fait le tour du village, et trois fois le tour de la mosquée, elles rentrent dans leurs cases vers minuit. La scène est des plus correctes, et aucun homme ne doit se mêler à la procession.
Les gris-gris pour la guerre étaient jadis nombreux et l'objet d'un art méticuleux. Ils avaient en partie disparu, ces temps derniers, mais notre recrutement les a remis en honneur.
Les gris-gris contre les maladies subsistent et fleurissent toujours. Le traitement de toutes les affections physiques ou morales se fait par des gris-gris magiques et médicaux, qu'il est impossible de distinguer entre eux, et qui ne le sont probablement pas, visant les uns et les autres à une double efficacité. C'est ainsi que sont soignées les maladies les plus ordinaires du Fouta-Diallon:

Le traitement au beurre de karité alterne avec celui des amulettes et des talismans de la coutume, et parmi les innombrables poudres d'écorce et de feuilles utilisées, le médecin de sorcier est seul capable de distinguer, et encore rien n'est moins sûr, celles que la pratique médicale et l'art vétérinaire ont révélé être un remède proprement scientifique, et celle que l'expérience a fait connaitre comme un charme souverain, toutes les deux étant également nécessaires.
Leur science proprement médicale était d'ailleurs minime. Ils ne connaissaient même pas la variolisation et faisaient soigner leurs malades par des captifs qui ne manquaient d'être atteints eux-mêmes par la maladie. A la suite de quoi, on brûlait tout, cases et gens Aujourd'hui le progrès est sensible, et les varioleux sont soignés, soit par des individus déjà variolisés, soit par des vaccinés.
Il est inutile de s'étendre ici en exemples plus nombreux. Ceux-ci suffisent au cadre du sujet traité.

Les ceefi (conjurations).

Les ceefi (au sing. ceefol), sont des formules conjuratoires très usités dans les deux Fouta (Djallon et Toro). Ils complètent l'amulette islamique qui est un document écrit, et le gri-gri traditionnel qui est un produit de la nature. Ils consistent en formules et charmes, qui sont quelquefois en arabe, souvent en poul-poullé et la plupart du temps en abracadabra, où seuls les initiés peuvent découvrir un sens, si tant est qu'il y en ait un. Cet abracadabra s'entremêle d'ailleurs souvent de mots poul-poullé, poular ou malinké, ce qui dénote la facture originelle et commune des artisans magiciens de toutes les races du Fouta-Diallon.
Ils sont, disent les Foula, l'apanage particulier des chasseurs, des bergers et des cultivateurs.
Avant de se mettre en campagne, le chasseur prend des feuilles d'arbre, les fait macérer dans l'eau, puis les retire, les frotte les unes contre les autres en prononçant le tiefol suivant, entremêlé de mots incompréhensibles:

« Antilope, viens.
Je vais faire sortir le mauvais sang qui coule dans ton corps.
Sinon, les mauvaises mouches te tueront. »

Il recommence l'opération à plusieurs reprises, et finalement se lave la tête avec la mixture. Ce tiefol est souverain pour la capture des antilopes et biches de toute espèce.
Pour que ses vaches ait un nombreux croit, le berger prononce le tiefol suivant, toujours entremêlé d'abracadabra :

« Dieu fait du bruit dans le ciel.
Mes vaches font du bruit sur la terre.
C'est moi, qui m'appelle X.
Je suis celui qui gagne des vaches.
Penda, toi qui trais les vaches,
viens traire inlassablement les miennes.
Le vent est violent et vient de l'Est.
Mes vaches sont nombreuses et viennent de l'Ouest.
Elles viennent, elles boivent à tous les marigots.
C'est là que j'ai pris beaucoup de génisses,
les génisses que mes vaches mettent bas.
C'est Dieu qui me les a données.
Le Prophète aussi me les a données.
Grâce à Dieu, j'ai gagné. »

C'est au moment où on fait lécher la boue salée à son troupeau (tuppal), tous les trois mois environ, dans la petite tapade ad hoc, qu'on doit prononcer ce tiefol.
Pour avoir une bonne récolte de mil, le cultivateur prononce l'incantation suivante:

« O chef mekké, ô chef mekke.
Terre, prends le mil.
Mil, laisse la terre et viens chez moi.
Que de mil ! A qui donc est-il ?
Il est à moi.
Tous les oiseaux s'en rassasient.
Mais mon mil est plus que jamais abondant et n'en souffre pas.
Et moi, j'en donne à tout le monde.
Et j'en ai, malgré tout, de plus en plus.
J'ai gagné du mil; il est comme ma femme
(id est, nous sommes intimement unis).
La disette est ma belle-mère
(id est, nous n'avons pas de relations). »

Pendant ce temps, l'opérateur lave et remue son mil de semence dans une calebasse, et y crache quelquefois.
Ces quelques exemples de tiefi suffisent à faire comprendre le mécanisme de l'institution, qui est incontestablement d'origine fétichiste, mais qui, comme on a pu le voir pour l'un d'entre eux, s'est particulièrement islamisé avec le temps.

Le sacrifice.

Le sacrifice « comporte, comme l'a défini Salomon Reinach, l'usage d'un corps, d'une matière que l'on abandonne ou que l'on détruit ». Ces deux formes de l'offrande et du sacrifice proprement dits sont connues et pratiquées au Fouta-Diallon. Elles se présentent comme des institutions du passé, mêlées aujourd'hui de certains rites et de certaines formules de l'lslam.
Mais elles lui sont incontestablement antérieures, et il est certain que c'est la volonté des karamoko qui, impuissants à supprimer des coutumes populaires, ou même peu désireux de le faire, s'est employée à en éliminer tout ce qui était trop manifestement païen, et à les rendre orthodoxes en les islamisant.
L'offrande des prémices de la récolte est générale. Cet hommage rendu, soit à Allah, soit aux génies agraires, soit confusément à tous les deux, comporte, ici, le don à un karamoko, ou aux pauvres du village ; plus loin, le dépôt dans un coin du champ ou sur un arbre, de quelques épis de fonio, de maïs ou de mil.
Les ensemencements s'accompagnent aussi de rites agraires, assez mal définis et variant d'ailleurs des Foula aux Diallonké, mais il semble bien qu'il y a offrande de quelques grains à celui qui permettra aux autres de croître et de se multiplier.
Il y a ensuite les offrandes expiatoires: le Ouali de Goumba ordonnait à tel ou tel de ses fidèles, et les autres karamoko font comme lui, d'offrir un panier de mil ou de fonio, un pagne, un boubou, une chéchia, pour racheter ses fautes et obtenir l'indulgence divine. Il n'y touchait pas personnellement, mais il faisait recueillir ses présents par un talibé et les faisait commencer par ses visiteurs ou par son entourage Sentant que ces pratiques pouvaient paraître répréhensibles, il écrivait à Tierno Atigou de Kindia, son homme de confiance, chef de ses talibés et prunelle de son oeil, de représenter la chose comme licite aux yeux du commandant. Ces aumônes et pieuses libéralités, qu'il appelle islamiquement « sadaqa », sont entremêlées de pratiques qui sentent le fagot. Il écrit à un de ses talibés:

« Fais un sacrifice et une aumône. Tu donneras de l'or, sept haches, un sabre et un pagne blanc. L'or à un aveugle, les sept haches à une vieille femme, le sabre à un étranger de passage et qui sera votre invité, le pagne à un vieillard de la localité. Ces dons propitiatoires auront lieu un jeudi sans faute. »

Un usage, assez généralement répandu au Fouta, est d'offrir, pour apaiser la colère divine, un bouc rougeâtre aux dioula de passage, qui représentent les types par excellence du voyageur.
Mais le sacrifice le plus courant est celui qui consiste dans l'immolation d'une victime animale, dans la distribution de ses différentes parties à toutes les catégories des gens du village, suivant un rite déterminé, et dans la communion générale de la chair de cette victime. C'est la forme la plus parfaite du sacrifice.
La victime est la plupart du temps un boeuf, animal propitiatoire par excellence aux yeux des Foula. C'est quelquefois aussi un mouton ou une chèvre.
La bête est égorgée avec le Bismillah et les rites de l'Islam, puis elle est répartie suivant le rite traditionnel :

Tout le monde a eu ainsi sa part et, par conséquent, tous participent à la vertu de l'immolation et à la fin poursuivie par l'impétrant, décuplant ainsi la valeur de son sacrifice et le renforçant de toutes les énergies du village.
Ces sacrifices rituels, qu'on retrouve chez beaucoup de peuples noirs et aussi chez les tribus maures, se reproduisent fréquemment. Ils sont amenés par le désir d'obtenir

Des fins moins honnêtes, comme la disparition d'un ennemi, le changement du commandant, etc., interviennent quelquefois aussi. Les victimes pascales de Julde Suumayee et Julde Donkin sont réparties suivant le rite déterminé ci-dessus.
A plusieurs reprises, à des moments où les Foula pouvaient craindre des mouvements de troupes dans le Fouta, on a signalé des sacrifices d'un genre spécial dans certains milieux maraboutiques. On immolait un boeuf dans les eaux même du Koukouré, et tout le monde venait tremper ses gris-gris dans les eaux ensanglantées. Ces rites devaient avoir pour but d'interdire le passage de la rivière aux tirailleurs.
Les sacrifices totémiques, destinés à renouveler le pacte d'alliance entre l'homme et l'animal sont inconnus, ici. Ils seraient même tout à fait contraires à l'idée générale qu'on se fait du tanaa, car celui-ci ne doit jamais être consommé ni recevoir le moindre mal de son « parent humain » fût-ce dans le but élevé d'union dans le sacrifice et de renforcement des liens d'alliance.
Les pratiques symboliques, sacrifices partiels de la personne humaine, tels que les tatouages, les scarifications, les kéloïdes, les dents taillées ou limées, les déformations de lèvres, etc., si répandus dans l'Afrique noire, sont inconnus ici.

5. Sorciers et médecins de sorciers

Les sorciers et les médecins de sorciers fleurissent dans toute l'Afrique noire et on est très porté à les confondre sous le vague nom de « sorciers » ou de « féticheurs ».
Le sorcier (nyanne en foula, sukunia en poular de Dinguiraye) est le ministre de la magie néfaste et l'artisan du mal. Par ses relations avec les esprits ennemis, par ses connaissances spéciales, qu'il met au service des criminels, par sa pratique des maléfices, par son pouvoir de s'excorporer la nuit, comme un serpent se dépouille de sa peau, et de vaguer dans la campagne et dans les villages, mangeant le coeur et suçant le sang des hommes, il est la terreur du menu peuple.
Le contre-sorcier ou médecin de sorcier (mbileejo en poul-poullé et en poular) est au contraire le ministre de la science et de la magie bienfaisante et l'artisan du bien. Sa première fonction est de neutraliser les maléfices du sorcier, mais il est aussi exorciste, charmeur, faiseur de pluie, devin, souvent médecin guérisseur, et même juge d'instruction à sa façon. C'est celui, comme le dit spirituellement Mgr A Le Roy, entre les mains de qui « on dépose les plaintes contre inconnu ».
Toute la science et toute la magie du Fouta-Diallon (et des autres pays noirs) reposent sur ces deux personnages, mais la difficulté est que leurs rôles respectifs ne sont pas dans la pratique aussi rigoureusement séparés qu'il vient d'être exposé, et que le sorcier rend bien parfois des services utiles, tandis que le mbileejo, sachant et pouvant bien des choses, se laisse aller à employer ses connaissances pour le compte des personnes nourrissant des desseins criminels.
Il suffit de s'en tenir au schéma de l'institution. Quand donc un individu est malade physiquement, intellectuellement ou moralement, on appelle le mbileejo. Celui-ci fait son diagnostic. Il examine le patient, I'interroge et juge si le cas est du ressort de la médecine ordinaire ou de la thérapeutique magique. Il peut donc, soit donner des potions de poudre d'écorce ou de feuilles, ordonner des bains et des massages, des purgatifs ou des vomitifs, le chaud ou le froid, appliquer un gri-gri, ou faire faire une amulette arabe, quand il ne la fait pas lui-même, prononcer des incantations, etc.; soit reconnaître qu'il y a maléfice de sorcier et que, par conséquent, le traitement doit tout simplement viser à la découverte du nyanne, et à sa mise en demeure de faire cesser le mal. Dans ce but, il contraint le malade soit par un charme ou un filtre magique, soit par une potion plus médicale, à dire lui-même le nom du sorcier qui l'a mis à mal. La chose ne va pas sans difficultés, mais finalement le malade suggestionné, ou tombé sous l'influence des drogues qu'on lui fait absorber, finit par lâcher un nom de sorcier plus ou moins connu. Il ne reste plus qu'à faire venir cet agent du mal, soit par l'intermédiaire du chef, soit par la pression populaire, et lui faire avouer son maléfice. Le sorcier fait souvent les plus grandes difficultés pour se reconnaître coupable, mais souvent ici, et bien qu'il ne soit pour rien dans le cas d'espèce, il avoue, suggestionné ou par habitude, que c'est en effet son double, ou le génie pervers qui habite en lui, qui s'est échappé de son corps, une nuit, et a mangé le cœur ou bu le sang du malade. Quand il ne veut pas faire des aveux, on l'y contraint par un philtre, une incantation ou une potion médico-magique. Généralement, on le place alors devant le malade et on le touche avec une queue d'éléphant. Agité, troublé, il cherche à fuir, souvent même y réussit; mais il est toujours ramené au chevet du malade, et finalement fait les aveux réclamés.
La cause du mal est désormais connue. Il ne reste plus qu'à contraindre le sorcier à rendre le coeur mangé et le sang bu, ou à détruire l'effet de ses maléfices. Il s'exécute, et le malade guérit ou ne guérit pas, mais toutes les formes de l'art ont été respectées et l'insouciance indigène, doublée du fatalisme islamique, s'en remettent désormais au Maître suprême.
Jadis, on poussait les choses plus loin, et on inférait de ce que le malade ne guérissait pas ou mourait, que le sorcier y mettait de la mauvaise volonté, et on le frappait ou on le mettait à mort. Ces faits deviennent de plus en plus rares aujourd'hui, quoique l'an dernier encore un Foula était poursuivi devant les tribunaux pour avoir tué à coups de bâton une sorcière qui lui avait été signalée par son fils infirme, comme étant l'auteur de son mal, et qui, résistant à toutes les supplications, avait déclaré ne pas savoir ce dont il s'agissait.
Les crimes d'empoisonnement et d'envoûtement, qui seraient surtout le fait des femmes qui veulent se débarrasser de leur mari, sont pratiqués avec une drogue qui se compose d'écorce pilée de l'arbre teli macérée dans l'eau, et de diverses autres poudres, mais on s'en sert particulièrement pour détruire les hyènes et les charognards.
L'envoûtement n'est connu que sous la forme de gris-gris maléficients, pratiqués à distance, et sans grande portée, semble-t-il, car les indigènes eux-mêmes n'y attachent qu'une foi très limitée. Jadis, on mettait aux fers le sorcier qu'on supposait se livrer à l'envoûtement. Quelquefois on les exécutait. Il y a une vingtaine d'années, l'almamy de Dinguiraye, Maki Tal, fit mettre à mort un karamoko entre les mains de qui on avait trouvé un gris-gris cage, où étaient inscrits les noms de l'Almamy et des principaux notables avec cette mention
« Qu'ils meurent et je serai heureux. » Il fut fusillé, avec les fusils Gras même que le gouverneur Grodet venait d'offrir à l'almamy.
Aujourd'hui, surtout dans le monde des lettrés arabes et des indigènes qui nous approchent, on affecte une certaine indépendance d'allure vis-à-vis des sorciers, mais au fond on n'est pas encore très rassuré sur leur compte. Quant à la foule, elle a gardé ses croyances de jadis. Aussi ne prononce-t-on le nom du sorcier qu'avec une certaine crainte, et encore mieux vaut-il ne pas le prononcer. Quand un indigène menace quelqu'un du nyanne, il est aussitôt déféré devant les tribunaux. Et si quelqu'un s'avise de crier à son adversaire: « Je te mangerai le coeur, » c'est qu'il est sans doute sorcier et l'a avoué sous l'empire de la rage; les chefs en prennent note aussitôt, afin de le surveiller pour l'avenir. Quant au délinquant, il est amené de vive force à la mosquée et contraint de jurer sur le Coran s'il est ou n'est pas sorcier. Si, par hasard, il faisait un faux serment, il mourrait quelques jours après.
La qualité de sorcier est, la plupart du temps, à charge à ceux qui la portent. Beaucoup, surtout à l'heure actuelle, ne demanderaient pas mieux que de voir oublier ce triste privilège. Ils disent qu'il « fait bon » habiter dans les villages de marabouts ou près des autorités françaises, parce que les karamoko les défendent contre les accusations de maléfice, se moquant de ceux qui profèrent ces accusations, et disant que Dieu seul est le maître de la vie et de la mort et que les secondes, n'ajoutant pas foi à ces traditions foula, les protègent contre leurs calomniateurs.
Il y a, en général, une famille de sorciers par village. Ils peuvent être indifféremment hommes ou femmes. Ils sont connus par les populations, et vivent au milieu d'elles, sans que rien d'extérieur ne les distingue. Mais il y aussi nombre de sorciers que l'on ne connaît pas et qui ne se connaissent pas eux-mêmes souvent. Ce n'est que par leurs maléfices qu'on les découvre avec le temps.
Il y a aussi dans tous les villages une ou plusieurs familles de médecins de sorcier. Ce sont les hommes seuls qui jouissent de cette qualité.
Plusieurs sorciers et médecins de sorciers se sont acquis parmi la génération qui disparaît, une réputation considérable dans la plus grande partie du Fouta ou du Dinguiraye. Le nom de la sorcière Hawa Doussou est célèbre dans tout le Fouta oriental. Demma Awa était respectée dans l'ensemble du Dinguiraye à l'égard d'un karamoko du plus haut rang.
La qualité de sorcier se transmet exclusivement par les femmes, suivant certaines règles qui sont identiques à celles que j'ai exposées dans l'lslam au Sénégal pour les sorciers de cette colonie et qui paraissent être communes aux sorciers de tous les peuples noirs de l'Ouest Africain.
La qualité de médecin de sorcier se transmet au contraire par la tige paternelle.
Le sorcier se fait payer ses pratiques maléficientes, quand il les met au service du public; et dans ce domaine c'est évidemment lui qui impose sa volonté. Un certain usage s'est au contraire imposé pour la rémunération des bons offices du médecin de sorcier. On lui donne des boeufs, du grain, des pièces d'étoffe, de l'argent même, mais il ne touche son salaire que lorsque le malade est guéri.
Un des traits les plus curieux de la mentalité foula, étant donnés l'orgueil de race de ce peuple et sa méfiance instinctive, est sa grande crédulité à l'égard des sorciers d'origine malinké. Ceux-ci le savent et exploitent cette crédulité au delà de toutes les bornes de la vraisemblance. Il y a quelques années, un de ces imposteurs parcourut plusieurs cantons du Fouta, vendant des gris-gris et des charmes, au nom même de l'administration, annonçant l'arrivée d'un détachement de tirailleurs, et pour bien prouver qu'il était un grand chef et qu'on devait lui apporter, tous les soirs, un cabri ct des calebasses de fonio, faisait débroussailler des kilomètres de route, ce qui est évidemment tout à fait « manière de Blanc». En 1913-1914, un autre malinké, Amadou Sanokho, complètement lettré, put opérer pendant plusieurs mois dans 3 ou 4 cercles du Fouta.
Il débitait d'invraisemblables amulettes arabes, des gris-gris de toute nature et les médicaments les plus divers. Il se faisait passer pour un grand marabout qadri, fils de l'Almamy Ibrahima Sori Daara, tué par les Houbbou. Il recherchait simplement la province du Fouta, qui lui agréerait le mieux, le gouvernement lui ayant promis un commandement et lui en laissant le choix. D'abord assez discret dans ses propos, il finit, comme tout noir, par se perdre par sa faconde. Il déclara un jour, à Kankalabé, en février 1914, qu'une grande guerre venait d'éclater entre les Français et les Anglais, et qu'en attendant les événements, il ne fallait plus payer d'impôt aux Français. Ce propos suspect attira l'attention du chef de Kankalabe, qui l'arrêta. On trouva dans ses bagages plusieurs malles de gris-gris extraordinaires et d'innombrables flacons de liquides aux couleurs et aux odeurs indéfinissables. Condamné à 18 mois de prison, il s'enfuit peu après à Sierra-Leone, d'où on le verra revenir un jour prochain pour recommencer ses exploits. Les mystifications religieuses ne sont pas toujours l'œuvre d'imposteurs malinké. Il y a peu de temps, deux jeunes Foula du Labé n'ayant pas reçu dans le Mamou l'hospitalité qu'ils désiraient, écrivirent une lettre anonyme où, avec force imprécations, le Prophète ordonnait à tous ses fidèles de jeûner deux jours. La lettre courut dans les mosquées et tout le monde s'exécuta. Heureux de leur mauvais tour, les garnements s'en vantèrent et les vieux karamoko ne le leur pardonnèrent pas.
Les Blancs ont aussi une grande réputation de pouvoir magique au Fouta Diallon, et en général dans les pays noirs. Les Maures le savent bien et en abusent dans leurs tournées pastorales. Les explorateurs des générations précédentes, manquant souvent des choses les plus nécessaires et assaillis de demandes d'intervention magique par les indigènes, firent plus d'une fois, comme Mollien en 1918-1919, et « profitèrent, sans le demander, de la crédulité des Nègres ». Mollien n'hésitait pas, sur la requête de son hôte de Courbari, à lui délivrer un gri-gri « pour gagner fortune sans travailler ».
Nombre de petits marabouts Foula, que leur profession de karamoko ne suffit pas à faire vivre, font quelque peu aussi les médecins-rebouteurs, devins et marchands de gris-gris. Ces agissements en marge de la religion les déconsidèrent quelque peu, et on les dénomme karamokoyagal , c'est-à-dire marabouts pervertis.
Il est intéressant de signaler à côté du mbileejo cet artiste lyrique, baladin, troubadour et jongleur qu'est le wagejo (nyamakala). Il erre dans les villages foula, donnant des sortes de représentations théâtrales, et de mimes, et accomplissant ses tours de force. ll supplée à l'occasion le mbileejo, soignant les malades, prédisant l'avenir, faisant tomber la pluie et arrêtant le cours des mauvais sorts. Les wageebhe sont d'ailleurs peu nombreux.

III
Circoncison et excision

1. Circoncision.

La circoncision est communément pratiquée chez tous les peuples du Fouta-Diallon: Foula, Toucouleurs, Diallonké, Malinké, Diakanké. Elle parait bien antérieure à l'Islam, car elle est en usage chez ceux de ces peuples, tels les Diallonké et Malinké qui sont à peine islamisés, et même quelquefois fétichistes. D'ailleurs chez ces derniers qui sont teintés d'Islam, certaines coutumes particulières à la circoncision fétichiste d'antan ont survécu dans la circoncision islamique, et notamment l'âge avancé auquel l'opération est pratiquée. De plus, la circoncision est tant chez les islamisés que chez les fétichistes la plus grande fête de l'année, encore que chez les premiers elle tende à céder la place à la fête du mouton (Donkin).
On l'appelle universellement sunningol ou suuwugol, mais les Toucouleurs disent encore par euphémisme hormingol.
C'est vers l'âge de 5 ans que les enfants Foula et Toucouleurs sont circoncis. La loi ordonne, en effet, dit le karamoko, de la faire avant 18 ans; passé cet âge, on ne doit plus pratiquer cette opération. On la fait néanmoins puisque les jeunes Diallonké et Malinke ne sont circoncis qu'à 20 et même 22 ans.
C'est en janvier ou février qu'est pratiquée la circoncision. Le temps est frais à ce moment, et la guérison rapide. Plus tard, la chaleur humide fait envenimer les plaies et retarde leur cicatrisation. Quand on peut le faire, on choisit de préférence les derniers jours de lune.
Il n'y a pas de jour spécial chez les Toucouleurs, quoique le mercredi et le vendredi soient en honneur. Les Foula préfèrent le vendredi. L'heure choisie est ordinairement le lever du soleil. Quelquefois pourtant on attend 4 heures du soir.
La circoncision est commune à tous les enfants du village; ou pour un centre important à tous les enfants d'un quartier ou d'un groupement familial. C'est une grande fête qui s'accompagne de tam-tam et de chants.
Pendant toute la nuit qui précède l'opération, les adolescents sont réunis autour d'un tam-tam assourdissant et il leur est interdit de dormir et de se reposer. Il semble qu'on veuille les fatiguer le plus possible pour les insensibiliser. Au matin, de bonne heure, on se rend en groupe dans la brousse, en un endroit préparé à l'avance. Les intéressés prennent un bain, puis, tandis qu'ils s'approchent du lieu du sacrifice, les griots chantent les louanges de leurs pères ou de leurs parents. Ils interpellent le jeune homme:
— « Foula, fils de Foula, fils de lion, sais-tu ce qu'a fait ton père ? Il mettait en pièces les fétichistes incirconcis, il était le plus brave .. » Et lui de répondre:
— « Me voilà, croyez-vous que j'aie peur. Coupez-moi le bras, coupez-moi la jambe, je suis plus fort que mon père... »
Et le griot chante les louanges d'un garçon aussi brave. Dans certains villages, l'emplacement choisi est dans l'agglomération même à l'intérieur d'une tapade.
Autrefois, on faisait asseoir le patient sur un mortier renversé. Aujourd'hui il reste debout et soulève son boubou. L'opérateur tire le prépuce, l'attache solidement avec une ficelle pour le dégager du gland, et le tranche rapidement avec un couteau effilé, ou même avec un rasoir. Les coups de feu éclatent, le tam-tam résonne. Le patient n'a pas bougé. Le griot, en face de lui et les yeux dans les yeux, le surveille, prêt à jeter aux échos son manque de courage. Et de fait, il est très rare qu'un de ses adolescents, au moins chez les races énergiques, comme les Toucouleurs, se laisse aller, non pas à pleurer, mais même à pousser un gémissement. Chez les Foula, qui sont moins robustes devant la souffrance, les enfants se mettent quelquefois à geindre. Le proverbe dit que si un enfant écoutait sa douleur au point de pleurer, son père devrait le tuer. On n'en arrive pas là évidemment, mais on a vu des jeunes gens qui, n'ayant pas pu supporter cette opération avec le stoïcisme nécessaire ont perpétuellement été abreuvés de moqueries, refusés en mariage, et contraints de s'expatrier. Il faut croire tout de même que la souffrance est grande, puisque le dicton foula proclame qu'on peut tout « oublier dans sa vie, mais pas le jour de sa circoncision ni celui qui vous a circoncis ».
L'opération achevée, les jeunes circonconcis (betiiɓe) laissent tomber leur boubou à leurs pieds et en revêtent de nouveaux, longs et fermés, quelquefois teints en jeune ou en rouge. Ils prennent aussi en main la longue canne foula (baral).
La plaie est soignée chez les Toucouleurs avec du sable brûlant. Il peut pleurer à ce moment-là. C'est à la douleur de la brûlure qu'il est censé pleurer et non à celle de la plaie. Cette application de sable chaud se renouvelle, matin et soir, pendant huit jours, et l'enfant porte sa verge sur une petite fourchette de bois, attachée à la ceinture. Le huitième jour, il se rend à la cascade voisine et se fait laver par le fil de l'eau; il est pansé ensuite avec une pièce de coton, enduite de beurre frais. Un pansement de poudre d'écorce (pellé-toro) achève la guérison.
La médication des Foula est plus simple.
Ils font macérer des feuilles et des lanières d'écorce de caïlcédrat, et de cette mixture se font un pansement humide matin et soir. D'autres y appliquent des feuilles de gobi et des poudres d'écorce.
Une intervention religieuse se produit aussi: on lit en commun un chapitre du Coran, et on se fait délivrer par le karamoko un gri-gri spécial qu'on doit, soit porter sur son corps, soit délayer dans l'eau, pour s'en laver la verge.
Ce mois de convalescence et de retraite se passe en réjouissances, en visites, en promenades dans la campagne. Les divers parents et amis reçoivent tour à tour les opérés. Ils égorgent en leur honneur un boeuf ou un mouton et leur offrent un festin. Les jeunes gens doivent rentrer tous les soirs à la case spéciale, qu'on leur a construite et où ils vivent en commun, sous la surveillance d'un homme âgé (baho). Ils peuvent y recevoir des visites et des cadeaux, mais les femmes sont exclues de leur vue.
Le mois écoulé, les circoncis abandonnent leurs boubous spéciaux et en revêtent de neufs. C'est le yhawtugol. Ils mettent aussi pour la première fois un pantalon. Ils brisent leurs cannes et en jettent les morceaux dans le marigot. Ils changent de nom: le bilakoro Toucouleur devient juuli, comme le soliijo foula devient nduuguse. Ils sont hommes et peuvent dès lors se marier et prendre part aux expéditions armées. Il apparaît donc qu'ici, comme en tout pays noir, la circoncision est le rite de passage de l'adolescence à la virilité.
L'opérateur n'est pas spécialisé dans ses fonctions. Chez les Foula, c'est un parent, un ami, un voisin, quelquefois le karamoko. Chez les Toucouleurs de Dinguiraye l'opérateur est généralement un forgeron; c'est aussi quelquefois un captif, serf ou griot de la famille. Il reçoit pour son salaire un morceau de savon, une pièce d'argent ou quelques calebasses de grains. Il ne paraît pas jouir d'une considération spéciale et l'on retrouve au Fouta-Diallon ce proverbe courant chez la plupart des peuples noirs:

« Tu peux faire du tort à ton circonciseur, mais non à ton coiffeur. »

On a, en effet, toujours besoin de ce dernier; quant au premier l'opération faite, il n'est plus utile.
Le prépuce n'est l'objet d'aucun soin: on le jette tout simplement, ou on l'enterre.
La communauté de circoncision crée une véritable camaraderie de promotion entre les jeunes gens (yirde). Ils se doivent conseil et assistance toute la vie.
L'épithète de bilakoro ou incirconcis ou de bhii-soliijo « fils d'incirconcis » est une très grave injure au Fouta. Elle ne s'oublie pas et donne lieu à des querelles et à des rixes qui entraînent des morts d'hommes. Il serait donc tout à fait opportun que certains chefs de poste aient le bon goût de l'écarter de leur vocabulaire administratif à l'usage des Foula.
On cite plusieurs exemples de personnalités assez marquantes qui, traitées de bilakoro par le « commandant » et se trouvant dans l'impossibilité d'en tirer vengeance, ont quitté le pays pendant plusieurs années. Cette grave injure est d'autant plus ridicule, que s'il y a un incirconcis dans la discussion, c'est bien le Blanc.
Depuis l'occupation française, il semblerait que la circoncision n'est plus aussi fidèlement pratiquée qu'autrefois. Ce ne sont d'ailleurs que des cas isolés. Des adolescents s'expatrient dans les villes: Kindia, Konakry, Kankan, etc. Ils se mettent au travail, sont obligés de revêtir le pantalon avant le rite, ne trouvent pas ou laissent passer l'occasion de subir l'opération. Rentré au Fouta à un âge avancé, ils n'osent plus avouer qu'ils n'ont pas été circoncis et se soumettre à ces pratiques qu'en esprits forts beaucoup jugent déjà puériles. Ils se taisent ct restent incirconcis. Les premiers temps, la chose s'est sue et a fait scandale. Aujourd'hui, dans les grands centres, Timbo, Labé, Dinguiraye, où ces cas se rencontrent plus fréquemment, on finit par accepter cette situation et les vieillards et les karamoko accusent, comme chez nous, la perversité et les pernicieux exemples des villes.

2. Excision.

L'excision est une institution universellement pratiquée dans le Fouta-Diallon. Elle paraît antérieure à l'lslam; elle est en effet en honneur tant chez les islamisés que chez les fétichistes; et chez les islamisés eux-mêmes, les lettrés reconnaissent que leurs pères la pratiquaient, bien avant que la vérité révélée eut été prêchée parmi eux.
L'âge auquel la fillette est excisée est des plus variables; de 2 à 8 ans, chez les Toucouleurs du Dinguiraye; de 10 à 12 ans, dans l'ensemble des Foula; de 14 à 15 ans, chez les Diallonke et Malinké.
L'opération, assez anodine chez les Maures et pratiquée au surplus au lendemain de la naissance, est accomplie ici avec la brutalité coutumière des pays noirs. Les fillettes sont conduites dans la brousse et remises à la femme d'un forgeron qui tranche d'un coup de canif ou de petit couteau l'extrémité du clitoris. Il n'y a ni tam-tam, ni griot, et les opérées pleurent à chaudes larmes. La plaie est soignée par des lavages d'eau chaude et des infusions ou décoctions d'écorces spéciales. On applique le plus tôt possible un pansement de beurre frais.
Quel est le but de l'excision? Chez les intéressés, les avis sont partagés. La plupart assurent que le clitoris est une vilaine chose, et qu'il est bon de le faire disparaître, car l'homme pourrait être piqué au moment de la copulation. Il est de fait que l'extraordinaire développement du clitoris chez la femme noire le fait déborder des grandes lèvres ct que le spectacle n'a rien d'agréable, de même que le contact est assez gênant. Quelques autres assurent que leur répulsion n'a pas de causes esthétiques, et que l'excision est nécessaire pour la facilité de la copulation.
Quoi qu'il en soit, il est certain que pour le Foula et le Toucouleur le coït avec une femme non excisée n'est pas du tout apprécié. Un exemple illustrera la thèse. En mai-juin 19166, un certain nombre de marabouts et chefs du Fouta-Diallon et de Dinguiraye vinrent saluer à Dakar le gouverneur général Clozel. On leur fit visiter les « attractions » de la ville ; et ils voulurent eux-mêmes épuiser la coupe des jouissances intellectuelles et profanes, en étudiant de près le mécanisme des maisons d'illusion de Dakar, institution inconnue au Fouta. Quelle ne fût pas leur surprise en constatant que les femmes Wolofs et Leboues, qui en faisaient l'ornement, n'étaient pas excisées. Ils se retirèrent sans avoir eu le courage physique de pousser l'expérience jusqu'au bout, et l'un d'eux, qui a quelques connaissances de français, résumait, le lendemain, la situation en ces mots : « Quand j'ai vu ça, mon coeur s'en va. »
Il arrive quelquefois que l'excision est pratiquée sur des femmes d'un âge avancé. Il s'agit des femmes fétichistes qu'épousent des musulmans foula. On les confie à des vieilles matrones qui leur font subir l'opération et les gardent enfermées six semaines dans une case de leur galle. Elles ne doivent voir aucun homme et même le moins possible de femmes pendant cette période de retraite.