Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.
Dès sa prise de service, Noirot convoqua, le 17 juillet, tous les chefs de province, en conférence de prise de contact. Ce fut une grande assemblée, groupant tous les almamys, les chefs, les notables et les marabouts influents du pays.
L'ordre du jour fut fixé par Noirot comme suit :
A l'ouverture de la séance, Noirot expliqua à l'assistance que l'impôt de capitation, nouvellement créé par le gouverneur Ballay, était considérée comme « la reconnaissance de la souveraineté française de la part des indigènes, en même temps qu'il comporte leur coopération à l'œuvre de pacification entreprise par la France ». Le taux en fut fixé à deux francs par tête d'habitant, payable en espèces ou en produit d'exportation, notamment, le caoutchouc.
Le recensement de la population faisait défaut. Le paiement de l'impôt fut, cependant, exigé par case abritant cinq personnes, à raison de dix francs par case. Les exonérations étaient très limitées, mais, en retour, une remise de un franc par case sera versée à l'Almamy, un autre franc au chef de diiwal et deux francs au collecteur. Le reste, soit six francs, sera versé au budget pour assurer le protectorat, l'administration, la police, la voierie, l'instruction publique.
En plus de cet impôt, la fourniture de la main-doeuvre gratuite pour les chantiers des travaux publics, fut également instituée. Par contre, et pour soulager les contribuables, les charges et réquisitions des chefs non rétribuées et pesant lourdement sur les populations, furent interdites.
La question de l'esclavage abordée, Noirot donna aux chefs le conseil de cesser toute vente d'homme, en rappelant que le Coran prescrit à ceux des musulmans qui possèdent des captifs faits par la guerre, de les garder pour leur service et de bien les traiter.
En ce qui concerne la justice, les peines corporelles furent abolies. Une Cour d'Appel fut créée à Timbo avec trois juges dont le président serait le président du Conseil des Anciens.
Cette conférence causa beaucoup d'anxiété aux chefs, alors que la population en fut très satisfaite, notamment, en ce qui concerne les suppressions.
Mais, par la bouche du président du Conseil des Anciens, Alfa Ahmadou Wouri Sâman, les Chefs déclarèrent qu'ils acceptaient toutes les propositions du Résident, à l'exception de celle qui interdisait la vente des esclaves. Ce à quoi Noirot répondit :
« Achetez des marchandises avec des bœufs, des moutons et des produits de la terre, mais pas avec les hommes. Dieu ne le permet pas ».
En clôturant la conférence, Noirot déclara que les dispositions qui venaient d'être arrêtées et acceptées par l'assemblée, formeraient la Charte du Fouta-Dialô. Il en rendit compte au gouverneur intérimaire, Cousturier, qui refusa de l'approuver. Soumise à Ballay, gouverneur titulaire, à son retour de congé, celui-ci refusa, à son tour, d'apposer sa signature au bas du document. Noirot passa outre et mit sa charte en application.
Par la suite, Noirot se brouilla avec le capitaine Dédouis, commandant la compagnie militaire de Timbo. Il proposa, sans hésitation, au gouverneur, le renvoi du Fouta des militaires dont la présence, après les opérations d'occupation, ne semblait plus nécessaire. Satisfaction lui fut immédiatement donnée ; et la compagnie et son chef rejoignirent la base principale, sur la côte.
Noirot resta alors le maître absolu du pays et fit tout pour se maintenir à son poste avec le moins d'ennuis possible. A partir de ce moment, la maxime « diviser pour règner » trouva sa belle application dans le Fouta.
Le limogeage de l'Almamy Oumarou Bademba fut une belle occasion pour cette division. Tout d'abord, plusieurs provinces furent détachées de l'autorité de Timbo et devinrent autonomes, avec, à la tête de chacune, un commandant blanc sous les ordres de Noirot. Le nouvel Almamy qui remplaça Oumarou Bademba, n'eut plus sous son autorité directe que la province de Timbo et sa voisine, Bouria.
Cette division, à laquelle il ne fut pas étranger, donna satisfaction à Alfa Yaya qui réalisait ainsi son rêve d'indépendance. Il s'employa aussitôt à obtenir la nomination d'un résident à Labé. Avant la fin de 1898, le commis Valen était installé à côté de lui à Labé.
Au cours de l'année 1900, l'organisation du Fouta fut plus poussée. Deux Régions furent formées.
Chaque commandant des deux nouvelles régions dépendit directement de Conakry où une Direction des Affaires politiques et indigènes fut créée. L'administrateur Noirot qui représentait la France à Timbo , fut nommé directeur de ce service. Ainsi, bien placé, Noirot continua à avoir la main sur les affaires du Fouta et à conserver une étroite liaison avec certains chefs, tels que Almamy Baba Alimou et Alfa Yaya de Labé, auxquels il assura son appui indéfectible.
Malgré les multiples évènements qui affectèrent le Fouta, l'administration de son territoire marcha normalement. Cependant, par arrêté du 5 mars 1902, le cercle de Timbi cessa de relever de Timbo pour dépendre directement de Conakry. Le chef-lieu en fut fixé à Koussi, près du fleuve Kakrima. A l'époque, ce centre était très peuplé de commerçants. De ce fait, Timbo n'avait plus sous ses ordres que les cercles de Ditinn et Koïn ; et ce dernier même, fut supprimé et son territoire rattaché à celui de Ditinn.
Pour diminuer l'autorité de Alfa Yaya qui était considérable, la région de Labé fut, par arrêté du gouverneur général du 12 juin 1903, divisée en cinq cercles :
Alfa Yaya resta quand même chef de diwal, mais étroitement surveillé par les commandants de cercle. C'est au cours de la même année que le gouverneur Frézouls remplaça le gouverneur Cousturier à Conakry. Dès sa prise de service, il désapprouva la politique de son prédécesseur en ce qui concerne le Fouta. Il supprima la Direction des Affaires politiques et indigènes et affecta Noirot à Beyla pour l'éloigner du Chef-lieu. Frézouls déplaça tous les administrateurs qui exerçaient dans le Fouta. Ce changement brutal avait pour but de proceder à un remaniement dans le commandement indigène.
C'est ainsi que, dès leur arrivée dans la région de Labé, le commandant de région et le chef de poste, se mirent à poursuivre Alfa Yaya, chef du diwal qui, pour eux, était un obstacle à l'exercice direct de leur commandement. A la suite d'enquêtes menées par eux, ils découvrirent que le chef du diwal avait une richesse énorme, que, malgré cette richesse, il continuait à piller la population et commettait des crimes impunis. La conclusion de leur enquête décida le gouverneur de la colonie à proposer au gouverneur général, la destitution de Alfa Yaya de ses fonctions de chef de diwal et son arrestation avec son premier fils, Modi Aguibou, ainsi que leur internement au Dohomey (actuel Bénin).
Avec la dislocation du diwal de Labé, l'administration française prit directement sous son autorité, le commandement du Fouta. L'organisation du pays en villages et districts suivit par étapes. Voici un extrait des instructions qui furent données à cet effet par le gouverneur aux commandants de cercles :
« J'ai pu remarquer, en examinant les rôles (d'impôts), que, dans certains cercles, on créait ou on admettait des provinces de quelques centaines de contribuables et des villages de trois à quatre cases. Cela est inadmissible, non seulement pour les raisons indiquées ci-dessus, mais encore parce que cela irait à l'encontre du projet d'organisation future que j'étudie en ce moment et qui consiste à créer, graduellement, une sorte de commune indigène, semblable, soit à la commune annamite, soit au fokolona de Madagascar. Cette institution est loin d'être incompatible avec les mœurs politiques des indigènes. Elle existe même en germe dans diverses parties de la colonie.
« En conséquence, vous ne devez jamais admettre comme villages, les simples daaka, marga, runnde, eussent-ils d'ailleurs une importance relative. Daaka, runnde, fulasso sont toujours, en réalité, rattachés à un village principal. Au Fouta, cela est très net et la misiide> qui était une des bases de l'organisation politique, avec un chef et ses notables, doit être, pour vous, l'unité principale de perception. C'est au chef de misiide que revient la part de 1% et c'est lui qui doit se préoccuoper de rechercher les contribuables dans les foulassos, roundés margas dépendant de la misiide qui est leur centre de vie politique et religieuse. Certaines misiides sont indépendantes comme celles de Broual-Tapé, Bantiŋel, toutes les misiides Kébou et, par suite, il n'y a de rôles actifs et de part à attribuer qu'à leurs chefs. Mais dans les provinces même qui ont un chef supérieur, vous ne devez pas vous écarter du principe que c'est la misiide qui est l'unité principale, l'unité de base, et vous ne devez pas vous laisser entraîner à multiplier le nombre de villages ».
L'organisation des cercles ne donna pas entière satisfaction. Il fallut revenir souvent sur les premières créations ou les notifier. Il fallut même fixer les compétences d'organisation. Ainsi, la création, la suppression ou la modification de ces cercles furent de la compétence du Gouverneur général. La création des postes, des districts, des villages, leur suppression ou modification restèrent sous l'autorité du gouverneur de la colonie. Comme nous le verront avec les textes organiques qui vont se succéder, l'organisation des cercles connut une sorte de tourmente.
Le 14 janvier 1905, sur proposition du gouverneur de la Guinée, le Gouverneur général signa un arrèté réorganisant les cercles de la manière suivante :
Moins de six ans après, le lieutenant-gouverneur de la Guinée procède à une nouvelle réorganisation. Le Fouta est divisé en deux grandes Régions : la Région de Labé comprenant les cercles de Labé et de Yembering avec les postes de Kâdé et de Yembereng, d'une part. Et d'autre part, la Région du Fouta-Djallon comprenant les cercles de Timbo, Ditinn et Dinguiraye avec les postes de Toumânéah, Kollanguî et Missira.
Puis, pour raison de voisinage immédiat et d'éthnie, une nouvelle réorganisation est décidée par le gouverneur de la colonie :
En exécution d'un arrêté du Gouverneur général, la destitution de Alfa Yaya , chef du diwal de Labé, est effective depuis novembre 1905. Devant le Conseil du gouvernement de Dakar, le Gouverneur général, rendant compte de la situation générale de l'Afrique occidentale, déclare, en ce qui concerne la Guinée française:
« La situation politique de la Guinée française n'aurait donné lieu à aucun incident si, tout dernièrement, le lieutenant-gouverneur de cette colonie n'avait signalé les menées de Alfa Yaya, chef du Labé, qui avait abusé de la confiance que l'administration lui avait témoigné pour préssuriser les populations placées sous son autorité et chercher à s'affranchir de notre contrôle. Le chef a été arrêté et interné dans une autre colonie du gouvernement général, et cet exemple montre, une fois de plus, que s'il est une sage politique d'user dans l'administration de nos positions, du concours des chefs indigènes, il convient d'éviter soigneusement de leur confier un commandement trop étendu dont ils ne sont que trop portés à abuser ; et l'exercice ajoute, aux charges normales des populations, tout le poids des charges supplémentaires injustifiées ».
Alfa Yaya fut le dernier chef de diwal avec grande autorité. Avec lui, disparurent les grandes provinces et les districts étendus. Suivant les instructions du Gouverneur général , la politique suivie fut la création de villages indépendants ou de villages à faible densité.
D'ailleurs, au fur et à mesure que l'administration locale constate une lacune dans cette organisation terrtoriale, elle ne tarde pas à y porter le remède nécessaire.
C'est ainsi que l'on vit le poste de Kollangui qui était excentrique, transféré à Tougué, dans le Koïn. En 1908, le territoire du cercle de Ditinn-Koïn est divisé en deux cercles qui furent respectivement désignés sous les noms de cercle de Ditinn et cercle de Koïn. L'ancien diwal de Koïn retrouva ainsi son autonomie. La même année le cercle de Mamou fut divisé en deux : le cercle de Mamou proprement dit comprenant la province de Bouria et les villages indépendants de Téliko et de Kakoun'ya qui relevait de Kindia, d'une part ; et d'autre part, le cercle de Souarella constitué par les districts de Timbo et de Kolen. Mais ce dernier cercle ne vit jamais le jour.
En 1909, c'est le chef-lieu du cercle de Yembereng, précédemment fixé à Sigon et jugé excentrique, qui est transféré à Mali, sur le Mont Tangué.
Par arrêté du 16 avril 1919, le poste de Toumanéah est transféré à Bissikrima qui est une gare du chemin de fer Conakry-Niger. Le 21 juin 1910, le cercle de Télimélé est créé par arrêté du Gouverneur général, tandis que le 20 janvier 1911, le gouverneur de la Guinée crée le poste de Dabola, gare voisine de Bissikrima.
Après tous ces remaniements, il fallut fixer les limites entre ces circonscriptions administratives. Un arrêté genéral daté du 21 juillet 1911, consacra, sauf cas exceptionnel, la délimitation coutumière fixée par les chefs des diiwe. Ces limites sont encore les mêmes de nos jours.
Puis, de création en création, de modification en modification, de suppression et de réorganisation en réorganisation, l'administration arrêta définitivement, quelques années plus tard, la liste des cercles du Fouta de la manière suivante :
La délimitation de ces cercles fit perdre au Labé, le canton de N'Dâma qui passa au cercle de Youkounkoun, les Bowé qui passèrent au cercle de Télimélé, et enfin les Bowé-Guémé qui furent transférés au cercle de Boké. Par ailleurs, la délimitation franco-portugaise avait déjà soustrait au Labé, toute la région ayant appartenue autrefois au Kâdé et comprenant le Dandoun, le Kankéléfa, le Foréyah etc... Egalement, la délimitation avec le Sénégal enleva au Labé tout le Firdou à l'ouest et le Niokolo à l'est.