webFuuta
Bibliothèque


Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


b. Politique intérieure.

Autant la politique extérieure de cette époque a été brillante par les victoires remportées par tous les Almaami et principalement par Almaami Umaru, autant la politique intérieure a été troublée par des révoltes : celle des Hubbu d'une part et celle de Modi Iliyaasu (ou Iliyaasa) d'autre part.

La révolte Hubbu

Sous le règne des Almaami Umaru et Ibrahim Sori Daara, vivait à Laaminiya dans la province fédérée de Foode Hajj, un maître d'école ou marabout nommé Alfa Mamadu Juhe. Il avait fait ses études au Fuuta Tooro et chez les Maures du Gannar (Mauritanie) comme tant de Peuls du Fuuta Dyalon de son époque. Après un séjour d'une dizaine d'années, il revint dans son village natal. Il commença à enseigner et à prêcher. Il eut de nombreux disciples qui venaient du Fuuta et d'ailleurs. Ils prirent le nom de Hubbu 1. Plus les disciples augmentaient plus les incidents se multipliaient. C'est au cours de ces incidents que fut tué le chef du Baylo (ou Bayillo) un village-mosquée (misiide) dépendant de Timbo. L'Almaami régnant fut informé de cet incident. Il se mit en contact avec son rival pour le mettre au courant de la situation. Les deux souverains s'entendirent pour demander au Fuuta une armée contre les Hubbu. L'Assemblée fédérale de Fugumba se montra réticente parce qu'elle ne pouvait pas, en tant que gardienne des institutions de l'Etat, donc de la religion, envoyer des soldats musulmans combattre d'autres musulmans. C'était là commettre un sacrilège 2.
Les Almaami eurent très peu de soldats fédéraux, force leur était de recruter dans leur province de Timbo : hommes libres et esclaves furent conviés. Les combats, les escarmouches et les embuscades commencèrent à se multiplier. Les Hubbu étendirent leur influence en direction du sud-est du Fuuta. Le Fitaba au nord de la région actuelle de Farana devint leur principal centre d'activité. Au cours des engagements entre les armées des Almaami et celles des Hubbu, ces dernières eurent la victoire à plusieurs reprises. Une fois même les Hubbu pénétrèrent à Timbo et les deux souverains prirent la fuite, le soriya à Koyin et le alfaya à Kebaali 3. Les Hubbu furent les maîtres de Timbo pendant deux mois au cours desquels mourut Alfa Mamadu Juhe 4.

Un jeune frère de l'Almaami alfaya nommé Bademba apprit la nouvelle de l'occupation de Timbo par les Hubbu en revenant de Jihaadi (guerre sainte) au Ngaabu (haute Casamance). A marche forcée, il rentra à Nunkolo dans sa résidence et se prépara à attaquer les Hubbu. Vaincu une première fois, il leur infligea une sévère défaite près d'un village appelé Teliko. Il les chassa et envoya des messages invitant les deux Almaami à rentrer à Timbo. Cependant les Hubbu vaincus à Teliko n'avaient pas été anéantis. Quelques annees plus tard, ils devaient infliger des défaites sanglantes aux armées des Almaami. Le frère de Bademba, Almaami Ibrahima Sori Daara fut l'une de leurs principales victimes dans la bataille que celui-ci livra contre eux à Bokeeto en 1873 5.

Almaami Ibrahima Donhol Feela qui avait succédé à son frère Almaami Umaru décédé, demanda une aide à Samori (Almaami Saamuudu) en lui offrant de nombreux cadeaux et en lui promettant des chevaux pur-sang, afin de débarasser le Fuuta des Hubbu. Samori envoya des armées qui assiégèrent Bokeeto plusieurs mois. Elles finirent par vaincre le fils et successeur d'Alfa Mamadu Juhe, Mahmuudu, plus connu sous le nom de Karamoko Abal 6. Tué dans les combats, sa tête fut rapportée à Samori et une de ses jambes coupée fut envoyée à Almaami Ibrahima Donhol Feela 7.

Dans le Timbi Madiina (province de Timbi) éclata une révolte sous la direction d'un certain Iliyaasu (ou Iliyaasa). Le chef de Timbi-Madina fut tué par trahison. Iliyaasu en quittant la province de Timbi, tua plus de soixante-dix personnes : il s'enfuit dans le Kinsi dépendant de la province de Labe, où il prêcha la révolte aux gens du Fuuta. Cette révolte d'Iliyaasu, qui s'était produite au moment même où les Almaami luttaient contre les Hubbu, inquiéta tout le Fuuta. Ne pouvant envoyer leur armée rétablir l'ordre, les Almaami recommandèrent au chef de la province de Timbi de faire appel au chef de Labé pour mater la révolte. L'alfa de Labé envoya un détachement armé contre Iliyaassu qui fut tué et ses partisans dispersés 8.

Pourquoi toutes ces révoltes ? Quelles furent leurs causes ? Les Hubbu trouvaient-ils la religion officielle mal pratiquée ? Si un problème religieux est à la base de leur révolte, dans ce cas il faudrait croire qu'il s'agissait d'un mouvement mystique, dans la mesure où ils prétendaient être en communion avec Dieu, grâce à leur amour passionné pour son Envoyé. Mais les reproches que leur faisaient les Almaami n'étaient pas d'ordre religieux, il s'agissait de pillages de caravane et d'esprit ou de vélléité d'indépendance Selon eux, les Hubbu ne reconnaissaient plus l'autorité du pouvoir établi. Ils craignaient que d'autres ne prennent cet exemple pour diviser le Fuuta en petits Etats indépendants qui ne tarderaient pas à se détruire entre eux ou à être la proie des ennemis de l'Islam.
En fait le problème des Hubbu est complexe. Deux mois durant, ils furent les maitres à Timbo. S'ils voulaient le pouvoir il leur était possible de s'en emparer et Alfa Mamadu Juhe pouvait se faire nommer soit à Timbo soit à Fugumba. S'ils désiraient des réformes sur le plan religieux ou moral, ils pouvaient les imposer. Que voulaient-ils au juste ? Entrait-il dans leurs intentions de se constituer un petit Etat indépendant du Fuuta 9.
Durant les deux mois qu'ils passèrent à Timbo, ils n'ont fait que piller les biens des Almaami et des grandes familles en fuite. Toutefois, ils n'ont touché ni aux femmes ni aux enfants des habitants de la capitale ; toutes les chroniques concordent sur ce point 10. Avec les seuls documents dont on dispose actuellement, il n'est pas possible de connaitre les véritables raisons de la révolte hubbu.

Quant à la révolte d'Iliyaasu, elle est encore plus inexplicable. Iliyaasu, n'était ni un maitre d'école, ce qui aurait fait de lui un réformateur religieux, ni issu d'une famille régnante pour qu'on puisse lui attribuer des ambitions politiques.
Aucune chronique ne fournit un renseignement précis de quelque nature que ce soit sur ce qu'il voulait. Peut-être la révolte s'inscrivait-elle dans le cadre des dissensions entre la province de Timbi (capitale Timbi-Tunni) avec ses principales cités (Misiddaaji Mawɗi) : Timbi-Madina, Bomboli, Maasi, et Bantinhel 11.
Il est difficile de lier les deux phénomènes puisque d'autres provinces avaient connu, vers la même époque, des événements semblables sans qu'ils aient été suivis de révoltes individuelles. Seules des recherches, des manuscrits inédits, pourraient permettre, avec l'aide de la tradition orale, de poursuivre cette analyse. A la fin du règne de Ibrahima Donhol Feela 12 de nombreuses difficultés commencèrent à surgir pour sa succession.


Notes
1. Hubbu Rasûl-Allâh : ceux qui aiment l'envoyé de Dieu ou ceux qui ont l'Amour de l'Envoyé de Dieu. Ce nom de Hubbu fut-il pris par les disciples du Marabout ou bien leur fut-il donné, parce qu'ils aimaient chanter des louanges au prophète Mahomet chaque fois qu'ils se déplaçaient ?
2. Les Almaami répondaient à cet argument religieux par un argument économique et politique en disant que les Hubbu étaient des pillards, des détrousseurs de caravanes, des bandits, des rebelles qui voulaient disloquer la communauté musulmane. Cf. Guébhard, Au Fouta Djalon, Paris, 1904, p. 41.
3. Certaines sources indiquent Labé ou Bantinhel comme lieux de refuge du souverain alfaya. Cf. Tauxier, Les Peul du Fouta Dyalon, in Moeurs et histoire des Peuls, Paris, Payot, 1937, p. 252 et suiv., Fonds Vieillard, docum. hist., Cahier no. 6.
4. Cf. F. V. docum. hist., Cahier no 6.
5. On connait la date exacte de cette bataille à cause d'un poème sur Bokeeto écrit en souvenir de ce desastre : Fonds Vieillard, docum. hist., Cahier no. 51.
6. Karamoko en peul signifie : maître d'école. C'est un titre religieux d'origine mandeng du Soninke : Karan, enseigner ou lire, mokho (ou moxo) maître. On trouve la même racine dans Karanden lire, den : enfant, c'est-à-dire l'enfant qui apprend à lire d'où l'élève (renseignement oral par Abdulaye Bathily : un Soninke technicien à l'IFAN).
7. Cf. Karamoko Dalen auteur d'un récit intitulé : Comment les Hubbu se manifestèrent au Fouta Djalon, écrit en 1913 et publié par Henri Gaden en 1929 dans la Revue Outre-Mer. Une réédition de ce texte avec une nouvelle traduction améliorée a été faite par Alfa Ibrahim Sow dans son ouvrage : La femme, la vache, la foi , Paris, Julliard, 1966, p. 222 à 229. Collection "Les classiques africains".
8. Cf. F. Vieillard, docum. hist., Cahier n° 6.
9. Les Almaami le laissaient entendre dans leur accusation et des auteurs européens l'ont écrit: Cf. Guébhard 1910, p. 41 et 42, Tauxier 1937, p. 250 et suivantes.
10. Cf. F. Vieillard docum. hist. Cahiers nos. 1, 6, 7, 39, 48, 51. Dans le Cahier 39, il est précisé que les chefs des Hubbu, Alfa Mamadu Juhe et son fils Karamoko Abal étaient de la tribu des Ururɓe (Ba) et de confrérie Qâdriya ou Qaadiriyanke. Les Almaami et la majorité du Fuuta avaient abandonné cette confrérie pour celle des des Tiijaani (tidjani) d'introduction récente et propagée surtout par Al-Hajj Omar (photo 11, planche IV). Serait-ce une des raisons de la révolte des Hubbu ?
11. Mission du Dr. Bayol au Fuuta Dyalon en 1881. cf. Bayol, Voyage en Sénégambie, o. c. ; Noirot : A travers le Fouta et le Bambouk, o. c. Une brève étude a été faite sur cette mission par nous en 1964 : Mémoire annexe d'histoire d'un diplôme d'Etudes Supérieures (dactylographié p. 60). A la même année le Fuuta avait signé un traité de commerce et d'amitié avec l'Angleterre (mission Goldsbury qui précéda de 6 mois celle de Bayol).
12. Vers 1887/88, la date exacte étant donnée en année musulmane (hégirienne).