webFuuta
Bibliothèque


Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


3 Le déclin du système et la fin de l'indépendance(1888-1896).

A la mort de cet Almaami [Ibrahima Donhol Feela], une grave crise éclata au sein du parti soriya entre les enfants d'Almaami Umaru 1. Selon le principe de primogéniture, Alfa Mamadu Paate (photo 7, planche III) devrait être l'unique candidat de la famille et de son parti. Or Moodi Bubakar dit Bakar Biro voulait lui aussi le pouvoir 2. Le parti soriya se divisa en deux clans : tous les vieux lettrés et avec eux les "Anciens" du Fuuta, des différentes assemblées villageoises, provinciales ou fédérales prirent fait et cause pour Alla Mamadu Paate, doux et affable.
Moodi Bakar, en revanche, apparaissait à travers les chroniques comme le type de guerrier par excellence : brutal et courageux. Il était d'une taille colossale ce qui s'explique, sans doute, par son sang maternel. Sa bravoure était proverbiale 3. Les Anciens du Fuuta connaissaient Bakar Biro et se méfiaient de lui. Ils l'avaient vu à toutes les expéditions organisées contre les Hubbu, aussi bien en compagnie des soriya que des alfaya. Les Anciens le craignaient et appréhendaient de se le donner comme Almaami. L'année 1888 fut consacrée aux luttes entre les deux candidats soriya. Comme aucun d'eux n'arrivait à se faire élire, Almaami Ahmadu (alfaya) continua à régner seul, évitant de s'immiscer dans les querelles intérieures du parti adverse. Au début de 1889 Moodi Bakar triompha de son frère Alfa Mamadu Paate qui fut tué dans les combats 4. Il prit le pouvoir avec le titre d'Almaami. Bakar Biro 5 (1889-1896) régna en alternance avec Almaami Ahmadu (alfaya) sans difficulté. De 1890 à 1892 et de 1894 à 1896, Bakar Biro fut l'Almaami régnant à Timbo, les autres années correspondent à celles de son rival alfaya


Notes
1. Almaami Almami Umaru :

Alfa Mamadu Paate était de mère peule de la famille de Badikoya alors que son frère rival était de mère Susu ou Temene. Etait-elle une prisonnière de guerre ou simplement un "don" des princes alliés pour consolider leurs relations avec le souverain du Fuuta ? Ce qui est certain c'est qu'elle n'etait pas peule, on dit alors que c'est une taara.
2. Les jeunes gens firent même des chansons sur les deux frères ennemis, le refrain de l'une d'elles, disait ceci :
Texte peul :

Kaari e Khayraati hino qaldi
Ɗi nyawdi haa nyalli, Kaari talli
Barke Alla e Biro mo Ndungu.

Traduction littérale:

Le jeune homme et le vieillard se sont combattus
Ils se sont affrontés toute la matinée.
Le jeune triompha Grâce à Dieu et à Biro fils de l'hivernage.

Khayraati : désigne ici les vieux, partisans d'Alfa Mamadu Paate ; ce terme est à rapprocher de daal'i-al khayrât : "guides de bonnes ouvres" titre d'un petit livre arabe, sorte de bréviaire que les Peuls d'un certain âge portaient souvent en bandoulière
kaari (ma fanson) désigne les jeunes : partisans de Bakar Biro : ceux qui se vantent d'accomplir tel ou tel exploit mo Ndungu, fils d'Almaami Umaru, était le surnom de ce souverain
qaldi = gerdude : s'affronter, se combattre, se disputer, se quereller.

La traduction courante donnerait ceci, d'après Gilbert Vieillard :

Jeunes gaillards et Vieux bigots se sont disputés.
Les Jeunes ont vaincu les Vieux.

ou encore

Serments de guerriers et Vieux bouquins à prière se sont disputés.
Les vieux bouquins ont été roulés.

Cf. Fonds Vieillard, docum. hist., Cahier no. 40.
3. L'on disait souvent : Biro, fils de l'Hivernage (Umaru) représente à lui seul une armée : Biro mo Ndungu tun ko Konu. Toutes sortes de légendes circulaient au Fuuta sur la bravoure exceptionnelle de ce souverain. Cf. Paul Guébhard dans un discours de Bakar Biro qui aurait dit : Mon nom tout seul vaut toute leur armée ; il s'agissait de l'armée des partisans de son jeune frère Abdullaahi, o. c., 1910, p. 53.
4. Les péripéties de cette guerre civile ont été largement rapportees par Guébhard, 1910, p. 47 à 50 et par Tauxier. Il n'est donc pas nécessaire de s'étendre là-dessus.
5. On trouve souvent Bokar à la place de Bakar : c'ect une forme Mandeng semble-t-il car dans tout le Fuuta la contraction de Bubakar (arabe: Abu-bakr) est bahar au lieu de bokar.