Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages
Quand on observe avec un certain recul, les institutions politiques du Fuuta ancien, on est frappé par leur originalité et leur souplesse. Originalité parce qu'on ne trouvait nulle part ailleurs des institutions semblables permettant aux gouvernants d'exercer leur pouvoir dans un cadre aussi harmonieux. Souplesse aussi, car elles facilitaient la succession au pouvoir en donnant une chance à tous les partis, suivant des règles bien précises avec la ferme intention d'éviter les affrontements ou des effusions de sang inutiles. Si malgré tout, le sang a été versé, on ne peut que l'imputer au manque de sagesse des hommes 1. Ne dit-on pas souvent que l'institution la plus parfaite ne vaut que par ce que valent les hommes ?
En ce qui concerne le Fuuta, un certain nombre de questions se pose. Comment les institutions se sont-elles modifiées dans la pratique ? Ou mieux comment ont-elles évolué ? Que faut-il retenir de tout cela ? Mais avant d'essayer de donner une réponse à ces questions, il y a lieu de noter l'existence de quelques difficultés à surmonter.
D'abord, comment faire la distinction entre le pouvoir a exécutif » (Almaami, chefs provinciaux ou villageois) et le pouvoir « législatif » (Assemblées et Conseils des Anciens) dans un État comme l'Imaamat du Fuuta qui ignorait la séparation des pouvoirs ? Mais faut-il faire une telle distinction ? En tout cas, elle semblait inconcevable pour les gens de l'époque puisque l'origine, la source du pouvoir était unique. Elle provenait exclusivement de la souveraineté divine et les hommes apparaissaient alors comme de simples exécutants, des instruments.
Ensuite la rareté des détails sur les institutions et le silence de certains documents incitent à la prudence. Or faute de documents écrits ou oraux en abondance, il n'est pas possible de pousser très loin l'analyse de ces institutions sans risquer de se perdre en conjectures. Si les quelques sources disponibles permettent tout au plus de s'en faire une idée, elles n'autorisent pas à tirer une conclusion précise et nette.
Mais enfin, pour éviter un constat de carence, on est obligé de faire le point avec les documents actuellement disponibles. Ce qui conduit à des limites dans l'appréciation de la question. Or il n'est pas aisé d'isoler le problème peul de son contexte, c'est-à-dire de son milieu environnant, surtout lorsqu'on ignore presque tout de l'histoire des peuples voisins et de leurs institutions. Nul doute qu'une comparaison entre les institutions du Fuuta-Dyalon avec celles du Fuuta-Tooro, du Bundu et du Maasina, pour ne citer que ces trois États les plus proches, se révélerait fructueuse. Elle montrerait leurs traits communs et l'originalité de chacun d'eux. Les deux premiers étaient organisés en Imaamat comme le Fuuta Dyalon avec leur Almaami, leurs conseils et leurs assemblées. Le troisième, bien que ne portant pas le nom d'Imaamat, avait néanmoins une organisation presque identique : un chef (Amiiru au lieu de Almaami), un conseil et une puissante assemblée (la Diina) avec la division du pays en provinces comme pour les autres 2.
Mais toutes ces institutions des États peuls ou de langue peule (les Hal-pularen ou Toucouleurs) n'étaient-elles pas inspirées du même modèle oriental, arabo-islamique ?
Quoiqu'il en soit, les institutions du Fuuta pour leur part, ont eu leurs admirateurs et leurs détracteurs C'est parmi les auteurs européens que se recrutaient les uns et les autres. Si certains ont formulé les critiques les plus véhémentes, d'autres ont eu des réactions plutôt favorables, même si par ailleurs ils rejoignaient les premiers dans leur condamnation.
Ainsi Paul Marty, après avoir critiqué l'influence néfaste, selon lui, du Grand Conseil de Fugumba qui refusa l'intégration politique souhaitée par les Almaami, n'a pas hésité à montrer les mérites des institutions du Fuuta 3. André Arcin lui aussi vanta la sagesse de la constitution qui instaurait le système d'alternance à la mort du deuxième souverain 4.
Et Paul Guébhard, qu'on ne peut accuser ni de faiblesse ni de tendresse envers le régime de double almaami, considérait ce système ingénieux 5.
A l'opposé de ces opinions favorables, il y avait celles des autres. Et parmi eux, d'abord Louis Tauxier qui dans sa réponse à Arcin condamnait le principe même de l'alternance des deux souverains à la tête de l'État 6. Ensuite Guébhard, malgré un jugement favorable sur certains aspects positifs, déclarait que le désordre et la division étaient les traits dominants de l'ancien Fuuta 7. Enfin Demougeot va encore plus loin dans sa critique. Il s'en prend, non seulement au système que ses prédécesseurs s'accordaient à condamner, mais encore à l'histoire même de l'Imaamat durant le siècle dernier 8.
Une telle exagération de sa part n'est guère surprenante puisqu'il voulait simplement démontrer que les populations du Fuuta souhaitaient l'instauration du régime colonial 9.
Que faut-il penser de toutes ces critiques ? Chacune d'elle mériterait une longue réponse pour montrer ce qu'elles ont de positif ou de négatif. Mais la place d'un tel développement manque, aussi faut-il se contenter de simples remarques, des mise au point.
Mais auparavant il convient de reconnaître que le système « bicéphale » décelait des faiblesses certaines. La brièveté de leurs règnes (deux années) et leurs rivalités constantes empêchaient les Almaami de coordonner leurs activités. Chacun appliquait la politique de son parti sans se soucier de celle de son prédécesseur immédiat. Comme aucun d'eux ne pouvait garder le pouvoir durant deux mandats de suite, c'est-à-dire deux « mandats successifs » sans interruption, il n'y avait pas de continuité notable. C'est ce qui explique la difficulté voire l'impossibilité de définir une politique d'ensemble, un programme précis pour ce genre de régime. Aussi comprend-on dès lors pourquoi chaque Almaami qui accédait au pouvoir, cherchait à s'y maintenir par tous les moyens. Il voulait s'y accrocher comme s'il était seul, sans rival. Or une telle attitude était contraire au principe de l'alternance et entravait son bon fonctionnement.
Enfin toutes les critiques contre ce système peuvent se résumer en deux mots: instabilité et insécurité. Instabilité du gouvernement et insécurité de son personnel dirigeant puisque les querelles des deux partis au sommet avaient des répercussions dans les provinces et parfois même dans les villages.
Il semble difficile d'admettre l'opinion de Tauxier qui qualifiait de « folle » la constitution avec l'alternance, si l'on se réfère à la situation de l'époque et aux difficultés que rencontraient les candidats des deux partis à accéder au pouvoir et à s'y maintenir. On est même obligé de reconnaître avec Guébhard l'ingéniosité de ce système qui était un compromis pour éviter l'effusion de sang entre les membres d'une même famille.
La critique de Guébhard portait sur deux points :
Sur la question de la division, on peut se demander si l'auteur parlait de la division des esprits ou du pays ? Dans le premier cas on pourrait l'admettre dans une certaine mesure, mais dans le second il serait difficile de le suivre. S'il y avait une réelle division des esprits d'une famille à l'autre, d'un clan à l'autre, d'un village à l'autre ou d'une province à l'autre, personne ne se hasarderait à le nier quand on connaît l'individualisme qui caractérisait les anciens nomades peuls installés au Fuuta. Ni les liens de sang, ni la communauté de foi au sein de l'Islam ne pouvaient les amener à se départir de leur esprit d'indépendance et d'isolement.
Quant à l'appel aux colonnes françaises par des « prétendants malheureux » les adversaires de Bokar Biro l'ont effectivement fait. Après avoir échoué dans leurs nombreuses tentatives d'en venir à bout soit par la destitution, soit par la guerre (ils avaient tout essayé, mais en vain) ils ont sans doute cru entrevoir le succès grâce à une aide extérieure. Il est probable que ces deux candidats : Ibrahima Sori Yilili (pour les soriya) et Umaru Bademba (pour les alfaya) ne se rendaient pas compte de toutes les conséquences de leurs actes 10. Mais là n'est pas la question. Ce qui importe pour l'histoire c'est le fait que l'un et l'autre, pour satisfaire leurs ambitions n'ont pas hésité à solliciter l'appui de l'étranger qui trouvait là une occasion pour intervenir 11.
Enfin une dernière remarque s'impose sur le jugement de Demougeot qui parle de « crimes, de désordre, de pillage, de meurtre et de misère partout au cours du XIXe siècle ». Il est possible que tout cela ait dû ou ait pu exister à un moment donné au Fuuta, mais les documents disponibles ne permettent pas de l'affirmer. Dès lors, on peut se demander s'il ne s'agit pas seulement d'une projection par extrapolation : c'est-à-dire si l'auteur qui a connu le Fuuta du temps colonial, n'essaie pas d'imaginer la situation antérieure d'après celle qu'il avait sous les yeux ? Quoiqu'il en soit « le désordre » et le « pillage » qui existaient dans l'ancien Fuuta, étaient le fait de quelques individus isolés. C'était les enfants des chefs et de l'aristocratie qui jouaient aux brigands. Ils essayaient dans leurs chevauchées quotidiennes de rançonner les commerçants et les voyageurs qui traversaient le Fuuta. Ils prétendaient vérifier s'ils étaient en règle avec les lois du pays, s'ils possédaient des laissez-passer ou des permis de circulation. Quand ils n'en avaient pas, ces jeunes dévoyés n'hésitaient pas à les brutaliser et à s'emparer de leurs marchandises. Mais lorsque les malheureuses victimes, sûres de leur droit réussissaient à se faire entendre auprès des autorités locales ou centrales, justice leur était souvent rendue. Ils récupéraient leurs biens ou alors les Almaami et les chefs de provinces les dédommageaient personnellement puisque c'était leurs enfants qui commettaient les larcins et les actes de brigandages 12.
L'accusation de « crimes, de meurtres et de misère » mérite d'être relevée, puisqu'elle permet de se demander si les princes de l'ancien Fuuta passaient leur temps à s'entre-tuer pour le pouvoir ? Répondre à cette question, c'est déjà aborder le problème du fonctionnement des institutions.
L'histoire du Fuuta au siècle dernier, a connu deux moments difficiles qu'on pourrait facilement qualifier de périodes sanglantes.
La première est comprise entre la dernière décennie du XVIIIe siècle et le début du XIXe qui correspond aux années d'essai du gouvernement « bicéphale ». Le principe de l'alternance mal compris et partant, difficilement accepté par les protagonistes, se trouva violé à plusieurs reprises. Le résultat c'est qu'aucun souverain ne voulait accepter volontairement de céder le pouvoir à son rival, une fois son tour de règne terminé. Aussi en venaient-ils souvent aux mains. Deux Almaami trouvèrent la mort au cours de ces rixes. La première victime fut Saadu (soriya) fils de l'Almaami Ibrahima Sori Mawɗo. Il mourut assassiné par les partisans de Alfa Saalihu (alfaya). Mais le fils de Karamoko Alfa fut tellement impressionné à la vue du sang de son cousin qu'il refusa de régner malgré la vacance du pouvoir 13. La seconde victime fut Abdullaahi-Bademba, frère de Alfa Saalihu. Il fut tué à Keetigiya au cours d'un engagement avec Abdul-Qaadiri, fils de l'Almaami Sori Mawɗo. Le soriya semble avoir attaqué l'Almaami régnant parce qu'il ne voulait pas se retirer malgré un accord conclu entre eux 14.
La seconde période couvre les années 1888-1894. L'année 1888 correspond à la lutte pour la candidature à l'imaamat entre Alfa Mammadu Paate (candidat officiel d'après le principe de primogéniture) et Moodi Bakar Biro son jeune frère (demi-frère puisqu'il n'était pas de même mère) L'aîné était un jeune homme cultivé, doux et affable disent les chroniques. Il était soutenu par tout le Fuuta et principalement par les vieillards (les Anciens). Le cadet violent et brutal était un vaillant guerrier. Il comptait sur son armée et sur sa popularité au sein de la jeunesse 15.
L'escarmouche à peine commencée était terminée par la mort du candidat officiel qui n'avait même pas pu bénéficier de l'aide de ses partisans réduits à l'impuissance par la distance et surtout par la peur que leur inspirait Bakar Biro. Ce fut un meurtre délibéré, la force primant le droit !
En 1894 et début 1895, le même Moodi Bakar Biro devenu Almaami à la mort de son aîné, se trouva en difficulté avec son jeune frère Moodi Abdullaahi (qui était de même mère qu'Alfa Mammadu Paate). Celui-ci avec la complicité de certains chefs de provinces, s'était proclamé Almaami. Aussitôt Almaami Bakar Biro qui se préparait à partir en guerre sainte contre Muusa Molo (ou Moolo) vers la Haute Gambie (ou Firdu) retarda son départ pour s'occuper de son jeune rival. Comme il ne pouvait y a-voir trois Almaami, il fallait que l'un d'eux disparaisse. Ce fut le début d'une nouvelle guerre civile.
Une partie du Fuuta ayant soutenu Moodi Abdullaahi, l'Almaami Bakar Biro fut vaincu une première fois à Bantinhel (province de Timbi) et prit la fuite. Mais il ne tarda pas à prendre sa revanche dès la seconde rencontre avec ses adversaires à Petel-Jiga. Il en extermina un bon nombre, d'autres prirent la fuite mais la plupart furent rattrapés et parmi eux le jeune « rebelle ». Cet « Almaami éphémère » fut publiquement dépouillé de son turban et de son titre. Il redevint un simple Moodi (ou Moodibbo). Bakar Biro voulait lui laisser la vie sauve, mais essuya l'opposition de son entourage et Moodi Abdullaahi fut mis à mort au bout de quelques jours, semble-t-il 16.
Tels sont les deux épisodes pour lesquels on peut effectivement parler de « crime » et de « meurtre » suivant l'expression de l'auteur. Dans le premier cas, il s'agissait d'une lutte entre les deux partis opposés. Et la mort des deux Almaami pouvait être imputée à l'imperfection du système d'alternance, à son incapacité de résoudre les différends qui surgissaient alors entre eux. Mais toute la question est de savoir si ce défaut tenait du système lui-même ou bien du manque d'expérience des hommes appelés à le mettre en pratique.
Dans le second cas, il y avait une rivalité entre trois frères au sein du même parti. L'élimination par assassinat de deux d'entre eux, n'était qu'un moyen pour accéder au pouvoir (sans doute un moyen violent que la morale réprouverait). Cette crise du parti soriya n'affectait pas le système tout entier, car le parti rival n'était nullement concerné. Ses membres, du reste, se sont tenus à l'écart de cette lutte intestine. Et s'il leur est arrivé quelquefois de se départir de leur neutralité, ce n'était que pour des raisons humanitaires 17.
Ainsi donc, au cours de la période étudiée et pendant les deux siècles d'existence de l'Imaamat du Fuuta Dyalon, il y a eu deux souverains tombés victimes de leurs adversaires et deux candidats malheureux éliminés physiquement par leur frère appartenant au même parti qu'eux. Certes, ce n'est pas par le nombre de morts que l'on juge de la férocité ou de la douceur de mœurs d'un régime, ou que l'on apprécie la valeur d'une civilisation, mais d'après d'autres critères et en particulier du profit individuel ou des avantages offerts à chaque couche sociale.
A ce point de vue, le régime de l'ancien Fuuta peut se présenter sous plusieurs formes suivant l'angle sous lequel on l'observe.
Vu de l'intérieur au niveau le plus élevé, l'Imaamat du Fuuta apparaissait comme une « véritable démocratie » dans laquelle, les « citoyens » ici les croyants conquérants, exerçaient tous les droits dévolus aux citoyens d'une démocratie de type moderne avec néanmoins des nuances. Ils avaient leurs Conseils et leurs Assemblées. Ils jouissaient du droit de vote : pouvant être électeurs et éligibles. Sur le plan économique et social la propriété et les moyens de production étaient entre leurs mains. Détenteurs du pouvoir et de la richesse, ils avaient de la considération. Pour eux l'imaamat était le meilleur des régimes. A un niveau inférieur, mais toujours vu de l'intérieur, l'imaamat était un régime des privilégiés d'aristocrates. Ceux qui n'étaient pas des bénéficiaires directs, pouvaient dire que seuls les riches, les savants théologiens et les lettrés étaient favorisés. Si le commun des croyants pouvait au moins assister aux assemblées du « peuple » comme approbateur des décisions prises par les « aristocrates » dans leurs Conseils des Anciens, l'esclave pour sa part n'avait que des obligations et parmi lesquelles figuraient en premier lieu, le travail et la soumission. Pour ces deux catégories (simples croyants et esclaves) le régime était à peine acceptable pour les premiers parce qu'ils avaient le sentiment d'en profiter mais tout à fait intolérable pour les derniers.
Vu de l'extérieur enfin, l'imaamat du Fuuta apparaissait comme un régime de « démocratie restreinte, étroite », destinée à une petite minorité qui en profitait. En fait, c'était une sorte d'aristocratie de bergers devenus théologiens, et on peut même parler de régime théocratique de type « féodal » fondé idéologiquement sur une religion : I'Islam et économiquement sur l'exploitation d'un esclavage familial.
Quant à l'évolution des institutions, on peut dire, compte tenu de la documentation actuelle, qu'elle s'est faite très lentement provoquant peu de transformations. Aucun bouleversement notable n'a perturbé le déroulement normal du système d'alternance, à partir du moment où il fut accepté. Il a fonctionné assez régulièrement et sans interruption, malgré un début difficile et une fin tragique. Il ne semble pas avoir été mis en cause en tant que tel. Chaque candidat au pouvoir finissait par s'y conformer après avoir cherché en vain à s'en débarrasser. Même dans les provinces où il semble avoir mal fonctionné, les chefs locaux l'ont accepté.
L'évolution des Conseils et Assemblées, fut encore moins sensible. Ils n'ont été marqués que par de rares événements notables. Leur opposition avec le deuxième Almaami du Fuuta, amena Ibrahima Sori Mawɗo à massacrer quelques membres de l'Assemblée fédérale de Fugumba 18. En dehors de cet épisode tragique, les Conseils et les Assemblées ont poursuivi leur activité sans incident. Ces deux institutions représentatives, en face d'un exécutif instable, assuraient une certaine continuité de l'État.
Ce qu'il faut retenir, c'est que les Almaami tout comme les Chefs de province, de villages, de hameaux, exerçaient leur pouvoir grâce à leur élection et à leur appartenance aux familles qui avaient dirigé la guerre Sainte au Fuuta. Aussi tous ces chefs (Almaami y compris) devaient-ils tenir compte de la présence de leurs électeurs: les membres du Conseil des Anciens, porte-parole de la couche privilégiée des conquérants. Eux seuls contrôlaient et garantissaient leur pouvoir. Sans eux les chefs ne pouvaient presque rien entreprendre, grâce à eux, ils étaient les maîtres du pays. Autrement dit, avec eux, ils étaient tout, et sans eux, ils n'étaient rien !
Ces Conseils avaient une puissance qui n'était pas en rapport avec leur composition réduite. En revanche, les Assemblées populaires ou des fidèles dont la base de recrutement s'étendait à tous les croyants ne jouaient qu'un faible rôle, bien que leurs membres aient toujours eu l'impression de détenir un grand pouvoir. Cette illusion donnait à ces assemblées, l'apparence d'une véritable institution représentative de la communauté musulmane tout entière.
Finalement, il faut bien dire qu'une étude limitée comme celle-ci ne pouvait prétendre résoudre tous les problèmes que posent les institutions de l'ancien Fuuta. Elle pourrait tout au plus servir d'introduction à d'autres études plus approfondies parce que mieux documentées. Si, à défaut de combler un vide, elle réussissait à susciter le dialogue et à engager la discussion entre ceux qui s'intéressent aux problèmes africains en général, et peuls en particulier, elle aura atteint son objectif. Seulement les institutions, la langue et le genre de vie des Peuls sont si variés et si complexes pour ne pas dire mystérieux, qu'ils continueront encore à intriguer les chercheurs et à défier la science. Mais pour combien de temps ? Sans doute, pas pour très longtemps, car le problème peul demeure un des plus fascinants de l'histoire africaine.
Notes
1. Cf. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 6, 17, 19, 39, 40.
2. Afin de faire cette comparaison, des études sont nécessaires pour chacun de ces Etats et même pour des Etats non peuls et non musulmans, une telle comparaison pourrait être utile pour la compréhension des institutions de l'Afrique traditionnelle. Cf. par exemple, Pathé Diagne. Le pouvoir politiqué traditionnel en Afrique occidentale. Ed. Présence africaine, Paris, 1967, 295 p.
3. « Il n'en est pas moins intéressant de constater la solidité et la vigueur de cette organisation constitutionnelle et de classer la confédération foulane en tête des trois seuls États, tous à forme féodale, qui ont fleuri ces deux derniers siècles sur la côte occidentale d'Afrique, Ashanti, Dahomey, Fouta Djallon » écrivait-il dans son ouvrage L'Islam en Guinée. Paris, Leroux, 1921, p. 21 et suiv.
4. Arcin disait : « A la mort de Sori (il s'agit de Ibrahima Sori Mawɗo, souligné par nous), la paix régnait sur tout le plateau et la sagesse de la constitution semblait devoir mettre le pays à l'abri de l'ambition des Grands chefs. » Histoire de la Guinée française, p. 87, o. c.
5. « Qui n'en demeure pas moins un curieux exemple de ruse intelligente qui dompte la force et l'asservit à ses desseins », écrivait Guébhard dans son article sur les « Peuls du Fouta Djallon », Revue d'Etude ethnologique et sociologique, Paris, avril-juin 1909, p. 92.
6. « La constitution qui remplaçait tous les deux ans un Almaami soriya par un Almaami alfaya et vice-versa, n'était nullement sage, quoiqu'en dise Arcin, mais plutôt folle » Louis Tauxier, 1937, p. 338 et 339.
7. Guébhard écrivait en effet : « Nous n'avons trouvé au Fouta que division : nos colonnes furent sollicitées et guidées par des prétendants malheureux », 1910, ibid., p. 92 et suiv.
8. Pour lui : « L'histoire du Fouta Djallon ne sera, pendant tout le cours du XIXe siècle, qu'une longue suite de crimes...; amenant partout le désordre, le pillage, le meurtre et la misère ». A. Demougeot, 1944, p. 16.
9. Puisqu'elles aspiraient selon sa propre expression: « à l'adhésion volontaire au protectorat français prometteur de paix intérieure. » Demougeot, ibid., p. 16.
10. On rapporte que pour se repentir de son acte, Umaru Bademba passa toute sa vieillesse a jeûner et à demander pardon à Dieu. Quant à son rival il mourut de mort violente peu de temps après son « enturbannement ». Ni l'un ni l'autre n'ont pu profiter de ce pouvoir pour lequel ils avaient tout sacrifié.
11. Voici le jugement de Guébhard sur ces deux hommes : « Le soir, sur le champ de bataille (il s'agit de celle de Pooredaaka en nov. 1896, souligné par nous) parmi les porteurs qui enterraient les cadavres de leurs frères, Sori Yellely et Oumarou Bademba recevaient les deniers de Juda avec la promesse d'être nommés Almaamys par leurs partis respectifs, ce qui eut lieu dans la suite. Ce sera la honte de ces deux hommes d'avoir trahi leur pays et fait appel à l'étranger, non par un sentiment sincère de sympathie ou de respect pour lui, mais pour assouvir leur haine et servir leur ambition au détriment de leur patrie et de leurs proches. La justice immanente des choses n'a pas attendu le jugement de l'histoire et s'est déjà prononcé. Sori Yelely est mort assassiné par un frère de Bakar Biro qui le vengeait ; pour Oumarou Bademba, après avoir appelé les Français pour le débarrasser de Bakar Biro, il a voulu faire appel à Samory pour le débarrasser des Français et pour ce fait a été destitué, il assiste au démembrement de l'empire fondé par ses ancêtres, et voit les institutions nationales religieuses et sociales, créées péniblement par eux et trahies par lui, se transformer un peu chaque jour sous l'influence grandissante des maîtres qu'il s'est donné. » Au Fouta Dialon : 120 ans d'histoire, 1910, p. 61. Fonds Vieillard, docum. hist., cah. nos. 14, 19, 40 et 55.
12. Cf. Supra, Ière partie, chap. 3 et IIe partie, chapitre 4.
13. Cf. Ière. partie : aperçu historique et Fonds Vieillard, docum. hist., cahier n° 38.
14. Fonds Vieillard, docum. hist., cahier n° 63.
15. Fonds Vieillard, docum. hist., cahier n° 40.
16. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 1, 6 et 40.
17. Almaami Ahmadu Daara (alfaya) intervint pour faire soigner et ramener à Timbo sain et sauf Almaami Bakar Biro (soriya), qui était alors blessé. Celui-ci s'était réfugié chez un chef nommé par son rival du parti adverse. Cf. Fonds Vieillard, docum. hist., cahier n° 40.
18. Cf. Ière partie, chap. 2, aperçu historique. Il faut noter aussi le refus de cette même assemblée d'autoriser les Almaami Umaru et Ibrahima Sori Daara, à faire la guerre aux Hubbu qui étaient des musulmans révoltés. Fonds Vieillard, docum. hist., cah. n° 39 et Fonds Gaden, docum. hist., cahier n° 82.