Payot, Paris, 1937
Arcin, après son développement sur les faits et gestes d'El Hadj Omar à Dinguiraye, revient aux affaires du Fouta-Djallon : " Alfa Boubakar, dit-il, était parti en guerre contre le pays de Brassou. Malgré l'aide des Malinké répandus dans la région, l'armée Foutadialonké fut prise de panique devant Diouboudou. Boubakar s'enfuit jusqu'à Diendou, ayant perdu un de ses fils dans la déroute. En partant il laissa à Kolibentan, le chef de guerre Bokari Koy qui devait s'y maintenir, soutenu par les Malinké. Celui-ci s'acquitta si bien de sa tâche que bientôt il forma une véritable principauté dans le Pakao ou Pakessi où il se maintint à peu près indépendant des Soninnké 1 et des Foutadialonké (Hecquard).
" Vers 1838 2 un autre fils de l'almamy Alfa Yaya ayant insulté une des femmes d'Omar, le chef Soria, celui-ci tua le jeune " Kelémassa " de sa propre main. Appelé à Timbo, il se garda bien de s'y rendre et fut condamné à mort par le conseil des anciens. Il se retira alors à Tsaïn et, pour se faire des partisans, promit de leur distribuer les femmes du parti adverse. Les envoyés de Boubakar, chargés de l'arrêter, furent ignominieusement bafoués. Furieux, l'almamy alphaya voulut mobiliser ses troupes, mais le conseil des anciens refusa de donner son assentiment à une prise d'armes provoquée par une querelle personnelle dont la guerre civile serait la conséquence. Omar, pressé par les siens, marcha sur Timbo, après s'être fait proclamer almamy à Foukoumba. Boubakar eut néanmoins le temps de rassembler ses partisans et le choc eut lieu à proximité de Timbo. Le combat dura trois jours sans résultat. On fit trêve pour le salam du vendredi. C'est alors que la mère d'Omar, la célèbre Néné Kadiata, obtint de son fils, qui paraissait cependant avoir l'avantage, qu'il se soumit, à condition que Boubakar oubliât le passé et consentit à le reconnaltre comme successeur. Elle s'entremit ensuite auprès de Boubakar; celui-ci accepta (En note : Néne Kadiata était Dialonké, la grand'mère paternelle d'Omar également. Cela indique la composition du parti Soria et explique sa richesse, beaucoup de Dialonké étant restés propriétaires de terres). Le traité fut conclu et Omar se retira à Sokotoro.
" Cinq mois après, ayant appris la mort de Boubakar il accourut à Timbo, pria sur le corps du défunt et convia les deux partis à une réconciliation sincère. Il fit appeler le fils de Boubakar, Ibrahima Sori Dara, et lui promit devant les Anciens, de lui céder la couronne au bout de deux ans. Il fut convenu que, dorénavant, cette période marquerait le passage de l'autorité de l'un des partis à l'autre. Cette règle ne cessa d'être violée par ceux-là même qui l'avaient établie. Ibrahima Sori Dara, l'alphaya, timide et hésitant, mais jaloux de ses prérogatives, pauvre et avare, voyait d'un mauvais oeil la grande popularité d'Omar. (Note : Lambert décrit ainsi les deux almamys : " Les traits d'Omar expriment à la fois la douceur, l'energie et la dignité. Le souverain pouvoir semble chez lui chose naturelle. Son rival s'étudie à le porter avec affectation. Agé de 40 à 42 ans, Omar tend comme Sori, à l'obésité, et, chose étrange, ils sont peut-être les seuls dans tout le pays soumis à leur autorité qui soient menaces de cette infirmité. Omar, en outre, est très noir de teint... Sori peut avoir de 40 à 45 ans. Foulah de sang presque pur, il a un teint rougeâtre comme celui de certaines statues égyptiennes; ses cheveux lisses, même soyeux, commencent à grisonner. ") Lorsque celui-ci 3 céda le pouvoir au bout de deux ans, il 4 essaya de se débarrasser de lui et le chef Soria ne dut son salut qu'à une crue subite du Bafing qui arrêta les guerriers envoyés à sa poursuite. Il se retrancha dans Tsain tandis Sokotoro, résidence de sommeil des Soria 5 était détruit. Hecquard rapporte qu'il rentra à Timbo en 1841, après avoir battu son collègue dans trois combats acharnés. En 1851 6, détenant le pouvoir depuis douze ans 7, malgré la réclamation de Sori Dara, celui-ci essaya de le déloger de Timbo par la force, mais il fut battu. Hecquard qui se trouvait à ce moment auprès de lui, fut mêlé à toute cette affaire et faillit être victime de ses bonnes intentions. Il fut chargé par Omar de demander aux Alphaya de ne pas poursuivre leurs projets; on peut lire dans son récit les curieux détails de cette guerre civile et de la politque des princes Foutadialonké (1851). C'est ainsi que nous voyons Ibrahima Sori Dara faire à Foukoumba son discours du trône : s'il devenait almamy, il rendrait tous ses sujets heureux, vivrait de son patrimoine et ne demanderait jamais un sou au peuple. On pourrait l'approcher et lui porter ses plaintes à toute heure, etc. Eternelle comédie, naive duplicité de tous les ambitieux qui font leurs affaires en laissant croire à Jacques Bonhomme qu'ils travaillent à son bonheur!
(En note : M. Guébhard place ces évènements
en 1856, date évidemment fausse, puisque Hecquard y assista en 1851.
Il est encore en contradiction avec le récit d'Hecquard, en montrant
les deux almamys se réconciliant spontanément).
" Omar, soutenu par la majorité de l'aristocratie de Timbi et
du Labé, renouvela les exploits de Sori Mahoudo et conduisit chez
tous les peuples fétichistes environnants ses troupes victorieuses,
ramenant les troupeaux razziés et les esclaves. Il vainquit le Sankharan,
le Kouranko, ravagea le Kissi, mais n'attaqua pas directement le Soulima,
comme le dit M. Guébhard. Le Kantora, en proie à la guerre
civile, fit appel à la médiation des almamys. Sori Dara installa
à Ferrugia un représentant, Mamadi Yakouba, et une milice
de jeunes gens du Diaouara (Boundou) vint le soutenir, tous les guerriers
Foutadialonké l'ayant abandonné au moment de la lutte entre
les deux almamys (Hecquard, loc. cit.) Omar guerroya surtout dans le N'Gabou
où il tua les chefs des Foulacoundas, Yangui Sayon et Dianke Ouali.
Moins heureux au siège de Kourban où il se trouvait avec Alfa
Mo Labé, il se vengeait en enlevant à Donbiadji et Koumbia
plus de 600 Tiapis 8 qu'il emmena en esclavage. Nous verrons bientôt qu'il échoua complètement dans guerre contre les Houbbous.
" Tandis que les Sidianké Soria et Alphaya se livraient des combats acharnés, des luttes extrêmement vives se poursuivaient entre leurs grands vassaux, luttes dans lesquelles ils intervenaient aussi. Les deux chefs les plus importants, ayant même un domaine plus considérable que celui des almamys, étaient les chefs du Timbi Tounni et du Labé. Nous avons vu que Sori Mahoudo avait eu l'habileté de se concilier les Ourourbé-Elayabe du Timbi dont il avait consolidé le pouvoir pour contrebalancer l'influence des Dialo-Hirlabe du Labé. Ctte combinaison politique réussit, bien que, cependant, l'avantage restât généralement au Labé. Cette province était beaucoup plus unie que sa voisine et avait derrière elle des ressources inépuisables en recrues venues des pays Hirlabé du Toro. Une légenge qui rappelle un épisode de l'histoire de Carthage et de Cyrène et que l'on retrouve dans le récit de la fondation du Boundou au dépens du Guoy, explique comment s'établit la supériorité du Labé. Les deux chefs, allant au devant l'un de l'autre, devaient partir de leurs capitales respectives au lever du soleil, le point de recontre devant marquer la limite de leurs Etats.
Le tierno, titre des chefs du Timbi (en note : c'est-à-dire l'homme qui a lu le Coran deux fois en entier) partit consciencieusement à l'heure fixée. Sa surprise fut vive de trouver peu après, probablement vers Manga Kouloum, l'Alfa Mo Labé, qui, contre la foi des conventions, chevauchait depuis la veille au soir. Devant cette fourberie manifeste, le Tierno s'indigna, mais il du s'incliner lorsqu'il se vit entouré de nombreux guerriers de l'Alfa. Ceci doit rappeler sand doute la perte par les Ourourbe Elayabe, de la province de Kankalabé, leur ancienne capitale, où était enterré leur patriarche Modi Souleymane. Plus tard, les Dialo réussirent à déloger les Ourourbé Kolébé d'Orévendou, à l'Ouest des Timbi. Cependant, grâce à l'appui des Sidianké les Ourourbe purent maintenir longtemps sous leur autorité les Hirlabé du Kébou et de la province de Médina-Timbi (famille des Timbobé). Les chefs de Timbi Tounni profitèrent du puissant secours qui leur était donné pour étendre très loin vers l'Ouest leurs conquêtes : l'état de guerre avec les Soso, les Baga et les Foulacounda était continuel. Les Foula, ne pouvant atteindre le littoral sans être molestés, Sori Bambaya, frère du chef de Timbi Tounni, marcha contre les Soso, détruisit leurs villages et les refoula jusqu'après le Télébou, à Ousmania (Rio-Pongo). Il créa ensuite le centre de Bambaya qui donna son nom à toute la province. Le Consotami en dépendit. (En note : Sur l'origine de la province du Consotami existe une légende obscure : un saint pélerin musulman traversant le pays se vit refuser par les Baga Soso un gâteau de riz. Ce procédé fut la cause des malheurs qui fondirent sur le pays (Consotami, le pain de Conso). Cette légende doit se référer à l'arrivée dans cett région d'un marabout envoyé par Tierno Souleymane de Timbi Tounni, qui réussit à obtenir la conversion du chef Pouli de Bembe, Doussou Télékita, chef des familles Yangolbé, Sambayabé, Ganabé, Tankouyabé, venues avec Koli. Mais il échoua auprès des chefs Soso dont un des principaux était Manga Mansa Mambi, chef de Dabakoura. Cependant, plus tard, ayant fait tuer par jalousie Doussou Télékita, le marabout fut alors assassiné par les Foulacounda. Le chef Pouli fut enterré à Boudou Bantan. C'est àla suite de ces incidents que Sori Bambaya entra dans le pays.) Manga Bangou, l'un des chefs Soso, s'établit à Bangalan et dans le Lisso, et Manga Balan dans le Soumbouri.
" L'action du Timbi sur les Soso-Baga-Pouli fétichistes fut précédée et aussi complétée par celle des Dialo du Labé contre ces mêmes tribus. L'armée des Timbi, ayant écrasé à Bembou Sambayabé l'armée des Foulacounda dont le chef Santigui fut tué et la poursuivant sur les rives du Cogon, où ils la battirent encore à Danara ou Namara (Bové Guémé) les Dialo du Labé marchèrent à leur tour contre eux et à la suite de la victoire de Boundou Doundou (Bové Lémayo) entrèrent dans le Koli sous les ordres de Sira-Massa et dans le N'Gabou avec Koumba Diouba. Afin de pouvoir demeurer dans le N'Gabou, certaines familles Séniabé et Séléyabé venues, disent-elles, du Foukoumba et du Labé, se convertirent et restèrent à Dandoum sur les ordres de leur chef Doura. D'autres part, Ahmadou Sello Mo Labé avait chassé du Kinsi les derniers Dialonké fétichistes. Il envoya ensuite dans les Bové son chef de guerre Modi-Ouri-Boundi qui fit sa jonction avec les chefs Foulacounda ou Tenda : Ibrahima Tara Danéyo, Yérolari, Yama Koulou, Mama Sambou dont il avait obtenu l'alliance. Les Dialonké du Kinsi, de Koté, des Bové, s'enfuirent alors vers la Fatala, dont ils descendirent le cours jusqu'au Rio Pongo. A la suite de ces longues campagnes, dans la première moitié du XIXè siècle, le chef du Labé avait un représentant dans chaque village Landouma. Mais les exactions de ces personnages amenèrent vers 1840 la révolte de Sara, chef des Landouma, qui fit égorger tous les Foutadialonké établis chez lui (Hecquard, loc. cit.). Cependant, le chef du Labé, occupé par les guerres civiles du Fouta, laissa impuni cette insulte et se contenta du tribut annuel que les Landouma continuèrenet à lui verser.
"Au coeur du Fouta lui-même, de longues et sanglantes guerres déchirèrent les provinces. Les Dialo du Timbi-Médina se soulevèrent, soutenus par leurs cousins du Labé, tandis que les almamys favorisaient le Timbi Tounni. Les chefs de Médina, Ahmadou Diouldé et Alfa Oumarou luttèrent successivement avec assez de succès pour obliger les almamys à reconnaitre leur fief comme diwal autonome, sous la suzeraineté nominale du Tounni. Mais on enleva au Médina le district du Kébou qui fut remis au Tounni. Ce fut l'origine d'une nouvelle guerre plus terrible que la précédente et dont le pays porte encore les traces. Une partie du Kébou se réclamait du Tounni, avec le chef Alpfa Ahmadou Ouri, tandis qu'une fraction sous les ordres d'Alfa Ahmadou Félou, refusait de reconnaitre l'annexion et était soutenue par le Médina. Le chef de guerre de ce diwal, Alfa Issaka de N'Denda, battu, dut s'enfuir à Touba chez les Diakhanké, et le pays fut dévasté par le Tounni. Un des généraux du Tounni, Tierno Ibrahima de Donhol-Touma alla recruter des troupes au Pongo et vint dégager la capitale du Kébou, Mallal Kondo, qui était assiégée par les gens de Médina. Mais, quelque temps après sur le bowal de Balaya, les troupes du Tounni, surprises, se débandèrent et le chef du diwal, Tierno Maadjiou, y trouva la mort au moment où il disait son salam. Ce fut alors qu'Almamy Ahmadou dont nous parlerons plus loin, vint dans le pays comme médiateur et descendit jusque dans le Kolisokho. Médina obtint la reconnaissance de sa suzeraineté sur Kébou. Ahmadou Diao, chef de la province, ayant refuser de faire sonner le tabélé pour consacrer cette annexion, Alpha Abdoulaye le remplaça par Ahmadou Yombo. A ce moment beaucoup d'Ourourbé du Kébou allèrent grossirent les rangs du Karamokho Abardé, établi au Rio-Nunez près de Koura, venant de Silati.
"Timbi Tounni subit une perte non moins cruelle par suite de la révolte du Massi qui se souleva sous la conduite des Ourourbé Sourgayabé (Souraka, les Maures) frères cependant des Elayabé du Tounni (El Haya, les chefs blancs). C'était une province qui, assez peu étendue, était cependant très riche et très peuplée. Les almamys s'empressèrent de sanctionner cette succession, saisissant toujours l'occasion d'affaiblire leurs grands vassaux de l'Ouest.
"On peut s'étonner que le Labé, si étendu et si puissant, ne soit pas intervenue plus souvent dans ces luttes. C'est les almamys, en lui laissant le protectorat des fétichistes du N'Gabou et du Foréa, l'avaient lancé dans des guerres sans fin, qui détournaient l'attention des Mo Labé des affaires du Fouta-Dialo. La valeureuse race des enfants de Koli résista désespérément aux attaques des Foutadialonké, que les almamys ne dédaignaient pas, comme nous l'avons vu, de venir commander. Les anciens voyageurs nous montrent les provinces foulacounda, débris de l'empire de Koli, les royaumes de Brass et de Foréa, comme très puissants. Le Foréa avait pour capitale Boloa. Le chef de Simbéli, un de ses feudataires, pouvait mettre sur pied six mille guerriers. Les Foutadialonké finirent par entamer cette puissance. Le pays de Koli fut occupé par eux (région de Kadé), et le chef politique, Kolia, tué par le chef de guerre du Labé, Mamadou Niang Kalidouyanké, qui avait été appelé par des Mandingues venus de Faranah (Gray. En 1817, il nous montre le chef du Labé, se préparant à Popodara, à marcher sur le N'Gabou). Mais ce succès ne fut pas définitif et les gens du Labé ne prirent pied dans le Koli et le Bové qu'à la suite du mariage du chef Mo Labé, Alfa Ibrahima avec une princesse Guéloouar, créant ainsi à son fils Alfa Yaya un titre irréfutable à la succession royale 9 ...
"Il nous reste à parler de la guerre civile la plus terrible qui ait déchiré le Fouta. La tribu des Férobé, (Peredjio, So ou Sidibé) avait été durement molestée par ses frères Bari, Ourourbé, Dialo. Au nord, une de leur famille, maitresse du Koïn, les Koulounanké Balla avait réussi à se maintenir. Elle descendait de ces premiers Foula venus dans
la Gana et fortement métissés de Sarakholé, puis de Sousou. Nombreux étaient ses représentants chez les Foulacoundas.
Au Massi, où ils dominaient, ils avaient été chassés par les Ourourbé Sourgayabé. Leurs membres étaient
dispersés un peu partout. Mais, s'ils avaient perdu, sauf au Koïn, tout pouvoir politique, ils étaient encore les grands propriétaires du pays, notamment une de leurs familles, les N'Douyébé, au
Massi et au Timbo. Aussi, alliés aux autochtones par de nombreux liens, avaient-ils une réputation de sorcellerie. Ils étaient en communion intime avec les esprits protecteurs du pays. (En note
: Ainsi, à Kébalia, l'un d'eux passait, au dire de Bayol, pour sorcier). Ils différaient sensiblement de leurs cousins Foutadialonké.
M. Tauxier les décrits " Petits, malingres, chétifs avec des membres grêles. " (En note Tauxier : Le Noir
de Guinée) 10. Mais if faut tenir compte que cette malheureuse nation a été décimée et
meurtrie et que tous ses guerriers ont été tués.). Ce sont des garçonnets à côté du Peuhl de Timbo, grand et mince. Bien qu'en lutte continuelle avec les Solima, ils faisaient
partie de l'ancienne confédération Dialonké et n'étaient unis que par les liens de l'Islamisme à leurs cousins du Fouta. Une
rancune profonde subsistait dans leurs coeurs. Ils ne cessaient de prendre les armes contre leurs voisins et formaient çà et là
des groupes conduits par des marabouts vénérés. Ils
prenaient alors le nom de Houbbou (Houbbou Rasoul Lalla : l'homme qui adore Dieu et d'après M. Guébhard " homme qui refuse "
" révolté ".) En 1827, Caillé les signalait
sous le nom de Dialonké 11 luttant contre les almamys. Mais leur grande insurrection éclata sous Omar le Soria.
" Au début de ce règne, un marabout, Modi Mamadou Djoué, des Férobé N'Douyébé, né à Laminia
(Fodé Hadji) se rendit à Podor, auprès du Cheick Sidia, le fameux marabout Kadry et revint sept ans après à Laminia.
Sa réputation était grande et lui valut même comme élève
le frère de l' almamy Omar, Alfa Ibrahima, le future almamy Ibrahima Sori.
"Bientôt le marabout devint non seulement le directeur spirituel, mais le chef politique de tous les Férobé de l'Est qui, dans la région montagneuse au sud du Fello Kounta (montagne des Kounta) avaient conservé leur indépendance presque complète. Un nombre considérable de fanatiques, d'aventuriers, était venu grossir ses sujets. Une querelle concernant la propriété des terres détermina la guerre (Note : Cheikou Sori, fils du chef de Bailo et son ami Mamadou Salifou vinrent élever un rounde (maison de campagne) dans ces montagnes et y firent des plantations de manioc. Les élèves de Mamadou Djoué dévastèrent les champs et coupèrent le manioc. La querelle dégénéra en bataille et un esclave fut assommé à coups de bâtons. A la demande du chef de Bailo, l' almamy Omar envoya une députation à Modi Mamadou. Celui-ci reçut les ambassadeurs entouré de ses talibé. " Il fit un discours sur la religion qui arracha des larmes à toute l'assistance et se termina ainsi: " Mes talibés appartiennent à Dieu et à moi; ils ne doivent rien à l'almamy." "Modji ! " (C'est bon ! ) répondirent les envoyés. C'était la guerre. " (Bayol, loc. cit.). Le tabala résonna dans Timbo et Foukoumba, et, lorsque les anciens furent réunis, l'almamy Omar expliqua que les Houbbous étaient trop puissants et niaient le pouvoir de l'almamy. Il fallait les combattre. " Le conseil refusa, à l'unanimité, de donner des soldats à l'almamy : " C'est ta politique qui a fait les Houbbous puissants. Ce sont nos parents ou nos amis et non des rebelles " (Bayol, loc. cit.). Il restait à Omar la ressource de les attaquer avec ses propres moyens. Il s'y décida aussitôt et arma tous les sofas de sa famille. La lutte s'engagea et l'almamy, bien qu'ayant détruit Laminia et ayant eu plusieurs avantages, ne fit pas de progrès décisifs. Enfin, il céda à regret aux nouvelles injonctions du Conseil des Anciens qui le priait de cesser la guerre.
Dès qu'il fut rentré à Timbo, il fit appeler son cousin almamy Ibrahima Sory avec lequel il était brouillé, ainsi que nous l'avons vu : " Les Foulas, lui dit-il, viennent de laisser se créer un troisième almamy. Devons-nous laisser amoindrir notre prestige? " Les deux almamys réconciliés unirent leurs forces. Les Houbbous, prévénus de leurs intentions, entraient dans le Baïlo, mais échouaient à l'attaque de Malako, près de Donhol-Fella. Atteints peu après sur les bords du Mongo (affluent du Tinkisso) ils furent victorieux. La retraite des Sidianké dégénéra en panique. Quelques jours après, les Houbbous entraient dans Timbo qu'ils dévastaient. Omar réfugia dans le Koin et Ibrahima dans le Labé.
Cependant, le " Kélé-Massa " Bademba, frère d'Ibrahima Sori, venait réoccuper Timbo, abandonné par les Houbbou qui s'étaient retranchés dans la région de Donholl Fella. Il alla les attaquer et les battit à Koumi. Il écrivit ensuite aux almamys que les Houbbou n'étaient plus à craindre. Omar et Ibrahima revinrent en effet à la fin de l'hivernage, la rage au coeur, avec de nombreuses recrues. Ils attaquèrent leurs ennemis à Konsokoya, comnnbat auquel les femmes assistèrent, ramenant elles-mêmes les prisonniers. Battus, les Houbbou se retirèrent alors dans les hautes montagnes entre le Bafing et le Tinkiso (pays de Fitaba) où mourut peu après le fameux Mamadou Djoué. Son fils, Mamadou, surnommé Abal ou Abalou, le sauvage, lui succéda et construisit Bokéto. Omar ne lui laissa pas longtemps de répit. Il vint l'attaquer et le battit complètement sur les bords de la Kaba (Petite Scarie). La défaite des Houbbou semblait irrémédiable, lorsque l'almamy se vit abandonné par la plupart de ses vassaux. Il lui reprochait son ambition qui le portait à anéantir les hommes de sa race et de sa religion. Réduit à ses seuls sofas, Omar fut brusquement enveloppé par Abal et dut se retirer en toute hâte sur Sokotoro.
Voyant alors tout le Fouta surexcité, les N'Douiébé
des Timbi, les Koulounabé du Koïn prêts à se soulever,
il abandonna le Fitaba et, pour reconquérir sa popularité,
entraina une armée considérable contre le N'Gabou, accompagné de ses fils Mamadou Paté et Bokar Biro. Il devait mourir deux ans plus tard, a Dombiadji après avoir fait une cure aux eaux thermales de Kadé (1872).
" Son frère Alfa Ibrahima, l'ancien disciple de Mamadou Djoué, fut proclamé almamy sous le nom de d'Ibrahima Sori Donholl Fella. La chronologie de M. Guébard place son avènement en 1879. Mais Noirot dit formellement qu'à son passage à Timbo, en
1881, il régnait depuis onze ans 12. D'autre
part, nous avons vu un point de repère plus précis encore
: c'est le voyage de Blyden, au début de 1873, alors que le nouvel
almamy venait d'être proclamé. Son collègue Alfaya,
Ibrahima Sori Dara, crut le moment favorable pour se refaire une réputation
en mettant les Houbbou à la raison. Avec un fort contingent qui comprenait
d'ailleurs de nombreux Sorias, sous les ordres de Bokar Biro, le neveu de
l'almamy 13, il traversa le Baïlo et le Firia
(En note : Ici encore, M. Guébard, en disant que l'almamy n'avait que peu de monde avec lui, par suite de la jalousie des anciens, se met en contradiction avec Blyden, qui put admirer son armée à Foukoumba. Il l'évaluait de 15 à 20.000 personnes. Il fait le plus grand éloge des qualités de cet almamy " homme de grande intelligence ", savant en littérature arabe, d'un tempérament calme mais ferme ... Sous son gouvernement éclairé, la vie est respectée, la propriété sacrée, les pillages de grand chemin punis de mort ").
Mais les Houbbous prévenus s'étaient retirés dans le Fello Kounta. Les Foutadialonké s'y engagèrent et arrivèrent presque devant Bokéto. Abal, qui avait reçu de nombreux renforts dialonké, les battit sur les bords du Mongodi. L'almamy dont nombre de fidèles avaient été tués, refusa de s'enfuir. " Venez, je tiens l'almamy! " criait un homme d'Abal en le frappant à coups de sabre sans qu'il bougeât et sans que l'arme put l'entamer. Abal accourut et le pria de le suivre. Mais Ibrahima refusa. Le chef Houbbou ordonna de l'assommer, un si grand marabout étant invulnérable à la balle et au sabre. Quatre de ses fils, ayant appris dans leur fuite, que leur père était restait sur le champ de bataille, revinrent se faire tuer sur son corps (Bayol et Noirot, loc. cit.) Son griot Bâye ou Karfa restera célèbre par sa bravoure et son dévouement à une cause malheureuse. Après avoir, nouveau Thersite, enflammé les courages des Foutadialonke, il refusa dans la déroute d'abandonner son almamy dont il chantait les louanges. " On dit que sa voix était aussi forte que celle de ces grands oiseaux dont les cris dominent la tempête. Quand Almamy et ses gens furent tués, les ennemis s'approchèrent de Karfa et lui dirent : "Tu es un brave; il n'y a pas de guerre entre toi et nous. Viens, chante notre victoire! " Mais Karfa aimait trop l'almamy. Il refuse avec de méprisantes paroles et, retirant ses amulettes, il tendit lui-même la tête pour que son sang se mêlât à celui de son maître " (Guébhard, loc. cit.). " Il y avait, dit l'informateur de Noirot, du sang plein le tiangol. " La tête de l'almamy fut exposée sur la case d'Abal.
"Quand le bruit de ce désastre parvint à Timbo, Ahmadou, frère de d'Ibrahima Sori Dara, fut élu almamy par les Alfaya. Il ne songea pas à venger directement la mort de son frère et préféra porter ses armes vers la région côtière. Nous l'avons montré se rendant jusque dans le Kolisokho. Il avait également envahi le Niocolo et le Sangalan, toujours en révolte contre le Labe et avait soumis ces provinces. Quant à Ibrahima Sori Donholl Fella, l'almamy Soria, il se souvenait avoir été le disciple de Mamadou Djoué et ne voulut rien faire contre les Houbbou. Cet almamy, que tous les récits des voyageurs nous montrent comme très intelligent et énergique, fut le digne successeur de la lignée des grands Soria : Ibrahima Sori Maoudo, Abdoul Gadiri, Omar. Assisté des Alfas du Koïn et du Labé, il conquit le Ouontofa. Il envahit le Badou d'où il emmena en captivité la majeure partie des habitants de Marougo et de Ouaiko. Mais le chef du Badou, ayant demandé la protection d'Almamy Boubacar Saada, du Boundou, Ibrahima battit en retraite. (Rançon, loc. cit.)
"Il attaqua enfin le Moréa, mais n'y fut pas très heureux, à entendre le demi-mot le narrateur peuhl : " Il y avait trop de brousse et les Soussou s'y cachèrent avec leurs biens. Il avait mécontenté les anciens qui craignaient de voir cet homme énergique attenter aux prérogatives qu'ils s'étaient peu à peu arrogées. Le grand porte parole des Poul-Foular, T. Abdoul Ouagaby, passait du parti Soria aux Alfaya. Puis éloignant Ibrahima par une ruse, il couronnait Ahamdou. Ayant pu juger de la duplicité de l'aristocratie Foutadialonké, se voyant abadonné même de ses proches, il se créa une garde du corps qui allait lui permettre de ressaisir le pouvoir et braver tous ses ennemis. " &laqno;Dédaigneux de sa propre famille, il ne s'entoura plus que d'étrangers; il arma ses captifs, les appela auprès de lui aux emplois que ses proches avaient déserté " (Guébhard, loc. cit.). « Comme ses prédécesseurs Soria, il se montra toujours favorable à l'influence française et c'est à lui que l'on doit la signature du traité de protectorat de 1881. Il mourut en 1889. Nous verrons comment les almamys n'osant plus attaquer les Houbbou tramèrent sournoisement contre eux un complot en se servant du fameux Samori, l'empereur du Ouassoulou. Mais nous devons auparavant jeter un coup d'oeil rétrospectif sur l'histoire soudanaise de la Guinée » (p. 120).
André Arcin ne reprend que plus loin, et noyée dans l'histoire générale de la Guinée Française, l'histoire du Fouta-Djallon (p.359). " En 1879-1880, dit-il, un ingénieur français, Aimé Olivier, qui devint plus tard comte de Sanderval (titre portugais) installait, pour la maison Pastré de Marseille, un comptoir dans les Rivières Portugaises. Il visistait là les îles Orango et Bissagos, relevant le tracé du littoral entre le Tamba et le Cassini. Il traitait avec les chefs du Cassini, Lawrence et Samatigui. Plus tard, en 1883, il achetait les droits souverains de Youra Towel, des Nalous, de la rive droite du Compony jusqu'aux premiers contreforts du Fouta." (p. 359).
C'était l'époque où l'Angleterre n'avait pas encore renoncé au Fouta-Djallon. Le gouverneur du Sierra-Leone M. Rowe " décida lord Kimberley à ouvrir un crédit de 100.000 francs, sur les excédants du budget de la Gambie, pour subventionner une mission vers les hauts pays. Le docteur Gouldsberry, administrateru de la Gambie, en fut chargé et prit comme second le lieutenant Dumbleton. Le 22 janvier, ils quittaient Bathurst avec une centaine de soldats, passaient par le Yarbatenda et ayant traversé le Kantora pénétraient dans le Labé pour arriver à Timbo qu'ils atteignaient le 23 mars. L'almamy assemblait à ce moment une armée à Ningesori. Cependant Gouldsburry réussit à obtenir une audience d'Ibrahima Sori et à faire ratifier par le chef Soria un traité de paix et de commerce (30 mars 1881). Le 31, il faisait parader ses troupes devant l'almamy, puis revint immédiatement à la côte par Port-Loko et Freetown, où il arrivait le 21 avril " (p.361).
" A peine la mission de Gouldsburry venait-elle de quitter Timbo que de Sanderval envoyait auprès de l'almamy un de ses agents, Ansaldi, qui recevait l'assurance de la bonne volonté des Foula pour la France 14. Sanderval fondait au même moment un établissement commercial à Kadé, sous la direction d'un agent, Bonnard, tandis que, à son instigation, le capitaine Cardonnet relevait les sondages du Compony. Il était dans les meilleurs termes avec Alfa Diou, chef du Labé et le fils de celui-ci, Aguibou, vint jusqu'à Kontabanié et Kassembel, lui remettre de la part de l'almamy le laissez-passer qu'il avait sollicité. Il se rendit alors à Timbo où il séjourna deux mois, cherchant à amener l'almamy Ibrahima Sori à lui donner l'autorisation par écrit d'établir un chemin de fer. Il l'obtint enfin le 2 juin 1880, le marabout Mahmadou Saliou Dougayanké écrivant sous la dictée de son suzerain. Grâce à de nombreux cadeaux, Sanderval avait gagné la confiance des personnages les plus influents de Timbo. A sa rentrée en France, il demanda, mais en vain, l'autorisation de construire son chemin de fer... Bref, le ministre de marine, ébranlé mais point convaincu, fit trainer en longueur sa réponse et, en attendant, afin d'établir officiellement les droits de la France au Fouta, décida l'envoi d'une mission dont il confia la direction au Docteur Bayol (p. 391, 392).
Suit le récit de la mission qui alla d'abord chez Ibrahima-Sori à Donholl-Fella. La ratification du traité ne se fit pas sans difficultés. Finalement, il fut décidé que le Fouta devait être aux Peuls et la France aux Français, mais que ces deux nations &laqno;ayant même père et même mère " la plus forte devait protéger la plus faible. Le Fouta-Djallon se mettait donc sous la protection de la France. Enfin le Fouta acceptait le drapeau tricolore sur lequel on devait inscrire les versets les plus essentiels du Coran. Ce traité (tragico-comique) fut ensuite ratifié par l'almamy Alfaya. A ce moment, les rapports étaient assez tendus entre le grand empire Toucouleur fondé par El Hadj-Omar (1850-1863) et le Fouta-Djallon. Celui-ci soutenait Samory et lui envoyait des armes contre Aguibou, sultan du Dinguiraye et un des fils et successeurs du grand Pélerin. Bayol, le 5 septembre, entra à Timbo et la mission Bayol-Noirot rentra ensuite en France où elle obtint un grand succès. Le traité avec le Fouta fut ratifié par le président de la République (31 décembre 1881) 15.
Une clause additionnelle de ce traité donnait un important cadeau à Mamadou Paté, fils aîné du grand almamy Omar. A la mort de son père, il avait pris tous ses biens et avait fait tuer à coups de bâton un de ses frères mécontent. Bokar Biro, frère puiné, était fort mécontent aussi, mais avait pris, pour le moment, le sage parti de se taire. Cependant, les almamys du Fouta qui s'étaient réjoui tant que la France au Soudan n'avait attaqué que les Bambara et menacé l'empire Toucouleur, s'effrayaient maintenant de voir les colonnes françaises continuer leur avance et entrer en lutte avec Samory. Quant au docteur Bayol, il était nommé lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud (p. 396 à 399).
Cependant, les évènements suivaient leur cours. Galliéni qui venait de traiter avec les chefs du Niocolo et de Dinguiraye (15 février 1887) pensa que le moment était venu d'englober le Fouta-Djallon, dans le rayon d'action du Soudan Francais. Il envoya donc dans le pays deux missions, celle de Levasseur et celle du lieutenant Plat. Celui-ci fit signer à l'almamy le traité du 30 mars 1888 qui lui supprimait les rentes promises par le traité de 1881. Ce traité impolitique, dit Arcin, ne fut pas ratifié en France et Bayol donnait l'ordre à l'administrateur de Boké de continuer à payer les rentes, comme par le passé, aux chefs du Fouta. Cependant, Aimé Olivier de Sanderval obtenait des almamys son territoire de Kahel et des annexes (février 1888). Entre temps, Galliéni avait envoyé le capitaine Audéoud (25 mars 1888). Une collision entre les Peuls et les Français ne fut évitée que grâce à la sagesse du capitaine (p. 436 - 438).
On négociait en Europe l'arrangement franco-anglais de Paris (10 août 1889), signé par Egerton et Hemming pour l'Angleterre, Nisard et Bayol pour la France, qui reconnaissait définitivement nos droits sur le Fouta-Djallon (p. 451). D'autre part, Eugène Etienne devenait Sous-Secrétaire d'Etat aux colonies (23 février 1889). Il remplaçait à Conakry Bayol, fatigué, trop pacifique, par M. Ballay (25 juillet 1890). Ballay était un homme volontaire et volontiers brutal. Le 17 décembre 1891, la Guinée Française, colonie autonome, était créée et les anciennes Rivières du Sud ne dépendaient plus du Sénégal. On allait reprendre la marche en avant de Galliéni contre le Fouta-Djallon.
N'oublions pas de dire qu'en 1882, Kémokho Bilali, lieutenant de Samory, avait massacré les Houbbou et coupé en morceaux leur chef Abal, le sauvage (p. 481).
En 1890, Mamadou Paté et son frère Bokar Biro entrent en lutte 16. On sait que Mamadou Paté était énergique et sans scrupules, mais Bokar Biro avait, lui aussi, les mêmes qualités. " La querelle, dit André Arcin, p. 490, fut vidée dans les environs de Timbo. Bokar Biro avait fortement discipliné une bande d'environ 500 sofas vieux routiers et pillards, terreur du Fouta. Mamadou Paté, très brave, était soutenu par l'aristocratie, secours malheureusement précaire. Alfa Ibrahima Foukoumba, l'un des chefs féodaux les plus redoutés du Fouta, et tous les anciens s'étaient déclarés pour lui. Mais, malgré toutes les prévisions, et bien qu'ayant blessé son frère de sa propre main, il fut subitement abandonné par ses hommes à la suite de la trahison du chef de Foukoumba. Celui-ci, très ambitieux, sorte de souverain religieux soutenu des marabouts, craignait un prince énergique et intelligent, à allures indépendantes. Aussi les Sofa de Foukoumba se contentèrent-ils de tirer à blanc. Le combat fut un véritable guet-apens. Mamadou Paté put s'enfuir à Timbo où il se cacha dans un grenier. Dénoncé par une femme, il fut blessé d'un coup de feu par le chef sofa Mali-Ba et achevé à coups de sabre par son plus jeune frère Modi Eliasa 17. Mali-Ba lui coupa la tête et l'envoya à Bokar. Celui-ci devenait, grâce à ce meurtre, le grand chef des Soria " (p. 490, 491).
Mamadou Paté était ami de la France, ou le disait. Bokar Biro était, au contraire, un nationaliste enragé. Il entretenait des rapports très amicaux avec Samory et le chef des Sofa de Faranah, Langa-Fali, un des lieutenants de Samory. Il annihila son collègue alfaya Amadou " très vieux, peu intelligent et qui s'abandonnait à son entourage ". Avec cette politique despotique, Bokar Biro s'était attiré des haines. Ses frères même le détestaient. Il avait comme ennemi le chef du Labé, Alfa Gassimou, qui proposait à la France de renverser l'usurpateur. Cet Alfa Gassimou était une sorte de géant noir de plus de 2 mètres de haut et condamné par la même à ne pas monter à cheval: il aurait écrasé sa monture (p. 491).
Cependant, les relations avec la France allaient empirer. Ballay avait bien décidé de faire payer au Fouta-Djallon les arrérages échus des rentes, annulant ainsi le traité Plat. En octobre 1890, Bokar Biro envoya toucher sa rente à Dubréka, protestant de son dévouement à la France. En avril 1891, il expédiait de nouveaux messagers, disant qu'il allait faire ouvrir la route des Rivières. L'administrateur de Beckmann fut alors choisi par M. Ballay pour aller continuer les relations entamées. Il devait demander à installer un résident français à Timbo et assurer la liberté du commerce sur la côte et jusqu'au Fouta-Djallon (p. 492).
De Beckmann entra à Timbo le 30 novembre 1891 : Bokar Biro que le voyageur Alby decrira plus tard " un homme corpulent, taille moyenne, traits réguliers, ayant l'allure d'un bon vivant, très poli et doux " reçoit l'ambassadeur de Ballay, le 2 décembre. Puis la mission se rendit à Dara auprès de l'almamy Alfaya Ahmadou. Elle fut mal reçue par le chef de Foukoumba, Alfa Ibrahima, qui s'était brouillé avec son ancien allié, Bokar Biro, celui-ci lui ayant enlevé sa femme préférée ! La mission partit le 18 décembre. Cependant, des troubles éclataient au Fouta-Djallon : Alfa Gassimou, chef du Labé, l'ennemi de Bokar Biro, fait assassiner son rival Alfaya du Labé 18 mais tombe à son tour sous les coups des sicaires de Bokar. D'après Madrolle, ce fut Alfa Yaya lui-même qui tua son frère aîné sur la promesse d'être nommé chef.
Cependant, les Français qui avaient jusque-là opéré bien au nord du Fouta-Djallon, avançaient vers le sud, à l'est du Fouta. Nos colonnes soudanaises prennent Kankan en janvier 1892. En 1893, elles enlèvent tout le pays Malinké à l'est du Fouta Djallon et en chassent Samory. Le capitaine Briquelot occupe le Soliman (le cercle de Faranah) et on attaque même le Kissi où se défendaient les derniers Sofas de Samory. Ahmadou, l'almamy Alfaya, avait pris le pouvoir fin I892 et s'étonnait que le commandant français de Kouroussa lui demandât 1.000 boeufs et 1.000 moutons! M. Ballay envoie un nouveau négociateur, l'administrateur Alby, qui part le 25 avril 1893, visite le Ouali de Goumba (musulman fanatique qui s'était installée dans le Goumba et y vivait malgré le chef du pays), arrive le 9 mai à Timbo ou il est reçu par l'almamy Alfaya Ahmadou, alors chef du pays. Celui-ci ne veut pas admettre de résident français permanent à Timbo et envoie Alby auprès de Bokar Biro (16 mai). Celui-ci accepte le résident français, mais ne veut pas signer la convention avant que son collègue ait lui-même signé. Ahmadou finit par signer à condition qu'on parlât d'amilié entre la France et le Fouta et non de Protectorat de la France sur le Fouta-Djallon (p. 509 et 510). En réalité, la mission Alby fut un nouveau coup d'épée dans l'eau au point de vue français.
De Beeckmann fut envoyé de nouveau (février I894). Il voit
Bokar Biro qui veut se faire reconnaitre par les Français seul almamy
du Fouta-Djallon. Puis il voit Ahmadou toujours à Timbo. Le 8 mars
1894, il quitte la capitale, n'ayant obtenu que de bonnes paroles. C'est
à ce moment que Ballay, d'abord pacifique, devient guerrier et dit
qu'il faut détruire la féodalité Foutadialonké
qui ne vit que " d'exactions et de vols " (p. 535).
Cependant, en juin 1894, l'almamy Ahmadou, prétextant la maladie
et la vieillesse, abandonnait son pouvoir chancelant à Bokar Biro,
l'almamy Soria, qui se posait, conformément à la tradition
des Soria, en ami de la France. En décembre 1894, il envoyait même
à Beeckmann " un mouton aussi blanc que le fond de son cur ".
Mais bientôt, brutal et pillard, il est entouré d'ennemis 19 et le chef du Labé, Alfa Yaya, aidé
d'Alfa Ibrahima Foukoumba et des hommes d'Olivier de Sanderval, le battait
à plate couture à Benténiel (13 décembre 1895).
On sait comment l'almamy parvint à s'enfuir et à rejoindre
l'administrateur de Beeckmann. Il trompa celui-ci par des promesses qu'il
n'avait nullement l'intention de tenir et obtint deux miliciens français
et un interprète. Cependant Modi Abdoulaye son frère, présenté
par les chefs révoltés, avait été élu
à Foukoumba en janvier 1896. Mais les habitants même de Timbo
refusaient de reconnaitre le nouvel almamy. Cependant, Bokar Biro repartait
le 22 janvier pour le Fouta et avec 1500 hommes attaquait l'armée
d'Abdoulaye qu'il mit facilement en fuite (1er février 1896). Le
13 février il rentrait à Timbo avec son frère Abdoulaye
enchainé et faisait assassiner ce dernier par son plus jeune frère
Modi Eliasa.
Cependant, de Beeckmann qui ne voulait plus être joué et
voulait obtenir de Bokar Biro l'exécution des promesses faites, rentrait
à son tour dans le pays avec la 3è Compagnie de Tirailleurs
sénégalais commandée par le capitaine Aumar. Celle-ci
passa à Dara, résidence des Alfayas où était
Ahmadou et il faillit y avoir là une première collision avec
les Peuls qui ne voulaient pas ravitailler la colonne. C'est le 18 mars
1896 que la mission arriva à Timbo, parcourant la ville en tous sens.
La population était exaspérée et Bokar ne voulait pas
signer le traité que Beeckmann lui imposait. Cependant deux habitants
de Timbo, dont l'un avait attaqué à coups de sabre un de nos
miliciens, ayant été tué, Bokar Biro, de peur d'événements
plus graves, signa enfin le 13 avril (p. 567). Le capitaine Aumar devait
se retirer avec ses tirailleurs à Songoya dans le Kinsam. Cependant,
on apprenait que le traité signé par Bokar Biro ne contenait
qu'une promesse de réponse définitive ultérieure, quand
il aurait vu le gouverneur de la Guinée et le Gouverneur Général
de l'Afrique Occidentale Française 20 (p. 568).
Cependant, de Beeckmann renvoyait à Timbo quatre miliciens avec un
drapeau français qui devait flotter sur la ville et il avertissait
Bokar Biro qu'il serait tenu pour personnellement responsable s'ils étaient
molestés. Au même moment, l'almamy Alfaya, Ahmadou, mourait
à Dara (13 avril 1896). De Beeckmann offrit à Oumarou Bademba
la charge de l'almamy Alfaya, mais cet Oumarou Bademba ayant inconsidérément
attaqué Bokar, poussé par Alfa Ibrahima Foukoumba, fut battu
à Bouria par le redoutable Bokar Biro, et dut s'enfuir.
Cependant, Bokar Biro essayait de faire la paix avec Yaya, chef du Labé, disant à celui-ci qu'il se laissait duper par les Français. Mais Alfa Yaya tenait à être mangé à la sauce française plutôt qu'à la sauce " Bokar Biro " et le 9 octobre, il envoyait une lettre à M. Ballay disant qu'il donnait son pays à la France 21.
Cependant, Bokar Biro renvoyait les miliciens français de Timbo, en faisant dire, au nom des anciens, que jamais les Français ne seraient autorisés à rester dans le pays. En réponse, de Beeckmann et le capitaine Aumar, suivant les instructions de Ballay, décidèrent que Timbo serait réoccupé, au besoin par la force, et qu'un autre almamy serait instauré.
La troupe partit le 25 octobre 1896, fit sa jonction avec les tirailleurs du capitaine Muller venu d'Ouassou et ceux du lieutenant Spiess qui avaient occupé Sokotoro après de légers combats. La jonction eut lieu à Timbo où 200 hommes furent ainsi réunis. Cependant, Bokar, retiré à Bouria et abandonné de tous les grands chefs de province, faisait attaquer un de nos convois le 5 novembre et le poursuivait jusqu'au Koukoure. Il fallait donc se débarrasser de lui. Une colonne commandée par le capitaine Muller, composée de 3 officiers ou sous-officiers, 80 tirailleurs, Sori Eli et ses partisans et une quarantaine de sofas se dirigea sur Bouria.
Le 14 novembre, elle arrivait devant Poredakha. " L'almamy n'avait autour de lui, dit André Arcin, page 574, que les contingents de ses proches parents, quelques chefs enrôlés par force, ses conseillers, Foula Billo et Manga Nouhou, et 6 à 700 sofas. Il accepta la bataille. L'action s'engagea par une vive mousqueterie et la situation de la colonne fut un moment assez critique, les cavaliers de Bokar tourbillonnant autour d'elle et l'enveloppant complètement. Mais leur nombre et leur bravoure indiscutable ne prévalurent pas contre la discipline et la supériorité de l'armement des tirailleurs. L'ardeur de ceux-ci cependant faillit causer leur perte. Ils voulaient courir sus à l'ennemi et le lieutenant de Fressex eut beaucoup de peine à empêcher une mêlée qui aurait été désastreuse, vu le faible effectif des tirailleurs. Bokar, voyant ses plus braves guerriers décimés, ayant eu son cheval tué sous lui, abandonna la partie. Il pria son exécuteur des hautes uvres, Mali Ba, de lui céder un cheval qu'il venait de saisir. Mais celui-ci refusa, déclarant que chacun devait pourvoir à sa sûreté et que, lui aussi, avait peur de la mort. Bokar réussit néanmoins à s'enfuir, abandonnant sur le terrain plus de 140 sofas et nombre de chefs parmi lesquels son fils Modi Sori... " Les Français n'eurent que deux blessés. On se mit immediatement à la poursuite de Bokar qui fut rejoint à l'aube, le 19 novembre, par Modi Ahmadou, frère d'Oumarou Bademba, le rival malheureux de Bokar Biro. Modi voulut s'emparer sans le tuer de Bokar Biro, mais celui-ci tira. Alors Modi Ahmadou ordonna au sofa qui était derrière lui de répondre. Bokar Biro fut traversé de part en part. On le transporta sous un bouquet d'arbres et Modi Ahmadou, lui ayant fait couper la tête qu'il envoya à Timbo, couvrit le corps de son manteau et le fit enterrer. Le terrible almamy était presque nu. Les Alfaya ne furent rassurés qu'en le voyant à terre, tant son prestige était grand. De Beeckmann fit enterrer la tête dans le monticule du quartier Soria, près de celle de Modi Sori son fils tué à Porédakha.
Oumar et de Fressex furent cités à l'ordre du jour. Le capitaine Muller, mal en cour, dut se contenter contre toute justice, de simples félicitations comme les sous-officiers. (Arcin, page 535).
Cependant, le 18 novembre 1896, Oumarou Bademba était nommé almamy Alphaya et Sori El Eli almamy Soria. Il y eut une répression terrible, accompagnée d'excès et de confiscation de biens, contre les partisans de Bokar Biro. Le gouverneur général Chaudié, qui se trouvait à Kati, vint à Timbo faire une entrée triomphale le 2 février 1897. Il y résida jusqu'au 7. C'était de Beeckmann, qui l'avait bien gagné, qui gouvernait le pays, mais le 1er avril 1897, il partit en congé et ne revint plus. Cependant, les deux almamys, d'un commun accord, quittaient Timbo.
Le 4 juin 1897, l'administrateur Noirot, l'ancien explorateur de 1881, un brave homme quarante-huitard et antimilitariste 22, arrivait dans des chars trainés par des boeufs, comme un roi mérovingien. Il convoqua les deux almamys et le chef de Foukoumba qui avait préparé un mouvement contre nous pour le jour de la fête de Dounké. Le marabout lui dit : Les Français règneront 100 ans dans le pays, comme les Peuls y ont régné 100 ans, les Dialonké 100 ans, etc. Mais alors viendra le Mahdi qui fera payer l'impôt aux blancs, puis le Démon qui piquera tout le monde avec sa lance, puis l'Ange armé de la trompette qui fera comparaitre le monde entier devant Dieu ! - Comme le clairon résonnait au même moment, Noirot répondit : Pour le moment, c'est à cette trompette-ci que vous devez obéir! - Sori Elli, qui avait pillé les biens de Bokar Biro, fut admonesté. Un conseil des chefs fut réuni qui accepta l'impôt à raison de 2 francs par tête ou plutôt de 10 francs par case (chaque case étant censée contenir 5 personnes environ). Sur ces 10 francs il y avait 4 francs pour les chefs collecteurs de l'impôt et 6 francs pour le gouvernement français.
Cependant, le 8 octobre 1897, un frère de Bokar Biro, Tierno Siré, se révoltait, et le 30 octobre, il entrait dans la case de Sori El Eli. " C'est moi Tierno Siré! Aujourd'hui, le malheur tombe sur toi !" Sori El Eli fit feu, mais ne réussit qu'a blesser un homme de Tierno. On mettait le feu à sa case et, quand il en sortit à demi asphyxié, il fut achevé à coups de sabre. Tierno Siré lui coupa trois doigts qu'il envoya à sa mère (Arcin, p. 594, 595). Cependant, Tierno Siré, pris par nous, était tué à son tour (p. 596).
Cependant, fin 1898, un incident pénible arrivait à Timbo,
un conflit entre l'administration militaire (un capitaine français
et ses tirailleurs) et l'administration civile (l'administrateur Noirot).
Ce conflit n'était que la fin d'une période de frictions,
les militaires se considérant comme les maitres à Timbo et
l'administration civile aussi. M. Noirot fut roué de coups par les
tirailleurs. Le Dr Maclaud fut obligé de se défendre, à
coups de révolver, contre les mêmes. L'incident alla loin et
les militaires durent faire des excuses solennelles à M. Noirot et
quitter la place. Ils furent remplacés par 45 miliciens et un inspecteur.
Quant à Noirot, il continua à jouer de déveine. Un
marabout s'était installé dans le N'Dama et groupant des fanatiques
autour de lui, il se rendait indépendant d'Alpha Yaya, le chef du
Labé. Celui-ci mit Noirot dans son parti, tandis que le gouverneur
du Sénégal passait avec ce marabout un traité de protectorat
1 (p. 648, 649). Noirot partit le 29 avril 1899 avec 16 miliciens, Alpha
Yaya et 50 hommes, pour tenter de concilier les deux adversaires. Mais Ibrahima
fit attaquer la petite colonne avec toutes ses forces. Des miliciens furent
massacrés et, tandis que M. Noirot fuyait à toute vitesse,
Alpha Yaya regagnait Labé (p. 650 à 653). Cependant, quand
les gens du marabout voulurent à leur tour prendre l'offensive contre
le Labé, ils furent battus (mai, juin 1899). D'autre part, le lieutenant
Magard, avec une compagnie de miliciens et accompagné d'Alpha Yaya
avec 7000 hommes, arrivait bientôt devant Boussoura, résidence
du marabout en révolte. Celui-ci dut se soumettre, mais obtint de
ne plus obéir à Alpha Yaya (p. 675).
Le marabout recommença bien vite ses incursions contre ses voisins,
mais, fin 1899, le lieutenant Lucas établissait un poste militaire
à Boussoura. Le 23 février 1900, le capitaine Houet, venu
du Sénégal avec sa compagnie, reçut la soumission définitive
du marabout Ibrahima qui paya une amende et livra ses armes. Cependant,
on le reconnaissait encore indépendant d'Alpha Yaya (p. 655).
D'autre part, M. Noirot, enfin au bout de ses peines, partait en France comme commissaire de la Guinée à l'Exposition Universelle, au commencement de 1900. Il était remplacé par le Dr Maclaud comme résident (p. 656).
Les troubles continuaient au Fouta : le Dr Maclaud faisait arrêter Alfa Ibrahima de Foukoumba, le chef le plus redouté du Fouta-Djallon depuis la mort de Bokar Biro. Cette arrestation amena un soulèvement : le fils d'Alfa Ibrahima nommé Boubakar saisissait le successeur de son père et son frère dans la mosquée même (14 septembre 1900) et les emmenait comme otages. Maclaud fit attaquer Boubakar par 20 miliciens qui furent accueillis à coups de fusil et les otages pris par Boubakar furent massacrés. Alors, Maclaud fit juger et exécuter précipitamment Alfa Ibrahima Foukoumba (19 septembre 1900). La révolte de Boubakar continuait et il obtenait des succès partiels quand, le 29 octobre 1900, un chef Peuhl l'atteignit et le tua.
Le 1er novembre, son frère Ahmadou était saisi à Ditinn et fusillé. Maclaud se montra très sévère et des exécutions terribles eurent lieu dans le pays (à Ditinn seulement, 14 personnes furent condamnées à mort). Cette fois, la révolte était écrasée (p. 674).
Cependant, à Boussoura, le lieutenant Moncorge faisait, sur l'ordre du gouvernement de la Guinée Française, arrêter le marabout Ibrahima du N'Dama. Ce musulman fanatique fut déporté au Gabon (18 avril 1902). On sait comment Moncorgé se fit tuer la même année par les Coniagui qu'il attaqua inconsidérément. Ce fut seulement en 1904 qu'il fut vengé et que le pays fut soumis (avril 1904).
Cependant Maclaud était remplacé en 1901 au Fouta-Djallon par Hubert (1902 à 1906). Hubert fit, lui aussi, fusiller pas mal de notables du Fouta et fut mis sur la sellette à ce sujet, par la presse française en 1906.
Peut-être, la manière forte, qui fut celle de Maclaud et de Hubert, était-elle nécessaire au Fouta-Djallon ! C'était la tradition des grands almamys du Fouta, il ne faut pas l'oublier, celle d'Ibrahima Sori le Grand, celle de Bokar Biro, etc.
Quoi qu'il en soit de ce point d'histoire, M. Cousturier quitta la Guinée Française fin 1904 (il avait succedé à M. Ballay le 2 novembre 1900) et M. Frezouls le remplaça. Ce fut lui qui fit arrêter
Alpha Yaya, le roi du Labé, lors d'un voyage que celui-ci faisait sans défiance à sa maison de campagne de Conakry. Yaya fut déporté au Dahomey. Cet événement que raconte
Arcin, page 722, doit être de 1905. Arcin n'en donne pas exactement la date. Un peu plus tard (1906) le Ouali de Goumba devait être à son tour saisi et déporté par l'administration française.
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Il est dommage qu'André Arcin, qui a raconté avec tant de détails l'histoire du Fouta-Djallon de 1889 à 1900, n'ait pas poussé un peu plus loin, ce qu'il aurait pu faire puisque son Histoire de la Guinée Française date de 1911.
Telle quelle, sa synthèse est très supérieure à celle de Guébhard qui n'a fait que reproduire la légende du Fouta-Djallon (donnée sans aucune chronologie sérieuse). André Arcin, lui, connait l'histoire du Fouta par les sources historiques et les seules petites erreurs qu'il y ait chez lui, comme nous l'avons vu, au point de vue chronologique, datent de la période ancienne et obscure qui va de la mort d'lbrahima Sori le Grand à l'avènement d'Omar (de 1784 à 1837 environ). Cependant, il y avait encore à faire l'historique avec plus de minutie et plus de soin, ce que je crois avoir fait.
L'auteur de ces lignes a publié jadis une oeuvre de début: Le Noir de Guinée (Science Sociale septembre et octobre 1908) dans laquelle, passant en revue les races de la Guinée Française, il s'est occupé des Peuls du Fouta-Djallon et de leur histoire (p. 193 à 200).
Dans cette synthèse rapide et édifiée seulement sur les livres de M. Machat (1906) et la Guinée Française d'André Arcin (1907), je fais venir les Peuls du Fouta-Djallon à la fois directement du Fouta-Toron et du Macina, essayant de concilier ces deux théories. J'admets même, sur la foi de Binger (p. 195) un troisième mouvement venu du nord-est (comme celui du Macina) et qui aurait eu lieu de 1754 à 1787. (En réalité, Binger doit se tromper d'un siècle et le mouvement qu'il signale doit être placé sans doute de 1654 à 1694. C'est le mouvement même des Peuls du Macina dans le Fouta-Djallon). Passant aux dates, je place Ibrahima Karamokho Alpha et la guerre sainte et la fondation de Timbo en 1754-1755 (date beaucoup trop récente). Je signale le désastre de 1763 (prise et ravage de Timbo par les coalisés mais, contre toute vraisemblance, je suppose que Karamokho Alpha reprit lui-même l'avantage, battit l'ennemi à Talansan puis devint fou au mont Dantégué. Après lui, je mets le conseil des Treize marabouts de Foukoumba qui se rendit intolérable et fut décimé par Ibrahima Sori qui établit alors la capitale du Fouta à Timbo. Je dis que cet événement que Famechon place en 1780, Lambert en 1787, Madrolle en 1788, Bayol en 1789, doit être placé en moyenne en 1785. (En réalité, nous avons vu plus haut qu'il s'est passé après 1776 certainement, à une date que nous ne pouvons fixer exactement, mais qui est peut-être 1780, comme le dit Famechon). Je fais ensuite l'histoire des empiètements du royaume Peul sur les fétichistes ses voisins, d'après l'excellent résumé de Machat. Pour finir, je commets une erreur énorme en disant qu'en 1896-1897, l'administration directe française était substituée au protectorat au Fouta-Djallon " sans secousse et sans aucune résistance de la part des Foulahs! " (Il y eut, en réalité, un certain Bokar Biro qui se défendit contre nous avec courage à Porédakha.) Mais passons et signalons pour finir qu'en parlant des Houbbou, je mets l'origine de leur doctrine dans la prédication d'El-Hadj-Omar, ce qui est une erreur, comme nous l'avons vu plus haut. Je place leur prise de Timbo en 1850 (alors qu'elle est de 1859) et l'expédition malheureuse d'Ibrahima Sori Dara contre eux en 1875 alors qu'elle est de 1873.
Comme on le voit, ma synthèse prématurée de 1908 est peu sérieuse et à rejeter. Ayant critiqué assez fortement mes prédécesseurs et ayant dit d'eux, avec courtoisie, mais aussi avec la sévérité nécessaire, ce qu'il faut penser de leurs histoires du Fouta-Djallon, je devais ne pas m'oublier dans la distribution des reproches mérités.
Ajoutons que dans mon Noir du Soudan, pays Mossi et Gourounsi (1912), je suis revenu sur l'origine des Peuls du Fouta-Djallon, au sujet des Foutanke ou Toucouleurs, et là j'ai commis une nouvelle erreur en disant que les Peuls du Fouta-Djallon vinrent directement du Fouta-Toron en 1700 et s'emparèrent du pays sur les Dialonké en 1730. Tout ceci, nous le savons maintenant, est erronné et doit être mis au rancart.
Parlerons-nous maintenant, pour terminer, de la synthèse rapide de Delafosse sur le Fouta-Djallon? (Haut-Sénégal-Niger, 1912, p. 232 à 234). Elle n'est qu'un tissu d'erreurs d'un bout I'autre.
Pour lui, les Peuls descendirent directement du Ferlo (Fouta sénégalais) par le Bondou, sur le Fouta-Djallon du XIè au XVè siècle (!!!) puis les Toucouleurs Dénianké du Fouta-Toro, chassés de celui-ci par Abdoul-Kader en 1720, s'emparèrent du Fouta- Djallon à cette époque (!!!). Or, Abdoul-Kader le Torodo s'empara du pouvoir dans le pays Toucouleur en 1773 et régna jusqu'en 1809 environ. En 1720, il n'existait pas encore ou naissait à peine! Ce ne furent pas du reste les Toucouleurs Dénianké qui fondèrent l'empire Peuhl du Fouta-Djallon, mais, nous le savons, les Peuls venus du Macina. Donc, pour Delafosse, les Dénianké du Fouta-Toro émigrèrent au Fouta-Diallo sous les chefs Seri et Sédi et vinrent s'y établir auprès des Peuls qui y étaient depuis le XIè siecle (!!!). Un de leurs marabouts, nommé Sori (en note, p. 233) commença peu après, sous prétexte de guerre sainte, la conquête du pays aux dépens des Soussou ou Diallonké autochtones... Voilà comment se présente pour Delafosse l'histoire du Fouta.
Evidemment, Delafosse, en 1912, ne connaissait rien à la question, pas plus que moi en 1908. M. Paul Marty dans son travail de 1922 (l'Islam au Fouta-Djallon) n'a pas abordé la question de l'histoire du pays. Mais il donne çà et là des renseignements intéressants, au hasard de la description religieuse de la contrée. Ainsi on apprend que Oumarou Bademba, l'almamy successeur de Bokar Biro, est devenu, de chute en chute, président du tribunal de subdivision de Timbo! En fait, l'administration directe a été implantée dans le pays, l'esclavage y a été supprimé en 1906, enfin depuis la guerre, donc depuis 1919, on a doté les Peuls de nombreuses charrues pour intensifier leur culture. Mais les Peuls sont avant tout des éleveurs et non des cultivateurs et je ne sais si l'agriculture peuhle a pris, de ce fait, un grand essor.
Il était possible et nécessaire, depuis le travail d'André Arcin (1911), de faire un histoire enfin minitieuse, objective et approfondie des Peuls du Fouta-Djallon. Nous croyons l'avoir faite ici.
Notes
1. Il s'agit des gens du Brassou ou
du Brasss qualifiés sans doute de Soninnké comme amateurs
de liqueurs fortes et de bière de mil.
2. Cette date est fausse, nous
le savons, Boubakar étant mort en 1837. Il faut donc lire : au plus
tard 1837.
3. Il s'agit d'Omar.
4. Ibrahima Sori Dara, son rival.
5. C'est-à-dire résidence
où ils sommeillaient pendant que l'almamy Alphaya régnait.
6. Dans le texte d'André
Arcin, il y a 1852 et non 1851 mais c'est évidemment une erreur d'impression
car un peu plus loin et à deux reprises, Andre donne la vraie date
(1861).
7. En réalité dix
ans (1841 à 1851)
8. Les Tiapi sont, comme on le
sait, les Landuman de l'est.
9. André Arcin pousse l'histoire
de ces pays jusqu'en 1887. Nous nous abstiendrons de le suivre ici.
10. En effet, en 1908, dans mon
Noir de Guinée (Science Sociale, no. sept.-oct.
1908) j'ai parlé des Peuls et aussi des Houbbous que j'ai
vus en 1906-1907 dans le Firia (province montagneuse au nord du
cercle de Faranah) et les Houbbous que j'ai vus sont bien ainsi.
Je reviendrai plus loin sur mon étude et sur ce j'y ai dit des Peuls
du Fouta-Dialon (Histoire et moeurs). André Arcin, écrivant
en 1911, a connu cette étude.
11. Mais il est probable qu'il
s'agit ici de véritables Dialonké et non des Houbbous.
12. En réalité,
il devait régner depuis neuf ans, si Omar est mort en 1872, comme
c'est l'opinion générale.
13. Bokar
Biro, fils de Omar,
était neveu d'Ibrahima
Sori Dara ou Ibrahima Sori II.
14. On sait en quoi consistait
en réalité cette bonne volonté : duper Français
et Anglais les uns après les autres et les repousser bien loin du
Fouta-Djallon.
15. Arcin, ouvr. cit.,
p. 392-395.
16. On sait que Ibrahima SoriDonholl Fella ou Ibrahima Sori III, frère d'Omar, était mort
en 1889. Il s'agissait donc d'etre l'almamy Soria en titre. MamadouPaté et Bokar Biro, tous deux fils d'Omar, entrent en lutte pour
ce titre. André Arcin représente à tort ici Mamadou
Paté et Bokar Biro comme les fils d'lbrahima Sori Donhol
Fella (1872-1889). En réalité, fils d'Omar le Grand, ils étaient
les neveux d'lbrahima Sori Donhol Fella. Du reste, auparavant, Arcin les
représente bien comme fils d'Omar.
17. André Arcin ajoute
en note (note 1, p. 491) que, d'après Guébhard, ce fut Bokar
Biro qui tua lui-même son frère avec une balle d'or. En fait,
les détails que donne ici André Arcin ne coincident guère
avec ce que dit Olivier de Sanderval (V. plus haut).
18. On sait que les grandes provinces
du Fouta-Djallon avaient aussi deux chefs, l'un Soriya, l'autre Alfaya, sur
le modèle du grand état central.
19. Il ne faut pas oublier non
plus les intrigues d'Olivier de Sanderva contre lui. C'est ce dernier qui
noue la coalition contre Bokar Biro. Voir plus haut, à Sanderval.
20. C'est là la supercherie
dénoncée par Olivier de Sanderval, et qui lui permit d'envoyer
à l'administration (qu'il detestait), le fameux pavé de l'ours
dont nous avons déjà parlé. Voir plus haut à
l'Histoire du Fouta, d'après les notes d'Olivier de Sanderval.
21. Cela ne devait pas nous empêcher
de le déposer et de l'exiler en 1906, dix ans après!
22. Il disait aux indigènes
en levant son porte-plume : " Ceci est mon sabre! " et en levant
son crayon: " Ceci est mon fusil ". C'était un excellent
homme, plein de bonnes intentions mais facile à tromper.