Editions ABC. Paris Dakar Abidjan. 92 pages
Collection Grandes Figures Africaines
Direction historique: Ibrahima Baba Kaké. Agrégé de l'Université
Direction littéraire : François Poli
Le puissant royaume du Fouta-Djalon fut fondé au début du XVIIIe siècle, à la suite d'une révolution musulmane dirigée par Ibrahima Sambégou, dit Karamoko Alfa, dans le massif montagneux de l'actuelle République de Guinée. Ce royaume, qui, grâce à sa remarquable organisation, avait su sauvegarder son indépendance, connaissait dans la seconde moitié du XIXe siècle une profonde crise politique et sociale.
Le pouvoir central des almamis résidant à Timbo, la capitale, déjà affaibli par une série de révoltes populaires dirigées par les Hubbu, était contesté au niveau des provinces par les chefs des diiwe (singulier : diiwal) qui avaient su conserver une large autonomie au sein du royaume. C'est ainsi qu'à la fin du XIXe siècle Alfa Yaya, le chef de la province (diiwal) du Labé, contrôlait à lui seul la moitié du Fouta. Ce déséquilibre politique entre pouvoir régional et pouvoir central était accentué par l'alternance, tous les deux ans, au pouvoir à Timbo, des deux familles régnantes, les Soriya et les Alfaya. Les candidats au trône avaient souvent recours aux armes pour briguer ou conserver le titre d'almami, affaiblissant de ce fait l'autorité du pouvoir central.
C'est dans ce contexte de crise politique que Boubakar Biro, dit Bokar Biro, du parti soriya, accède au pouvoir en 1890 après avoir vaincu par les armes et éliminé physiquement son frère, Alfa Mamadou Pâté. Mais, à cette époque, le Fouta-Djalon était déjà menacé par la convoitise des Portugais établis en Guinée-Bissau, des Anglais établis en Gambie et en Sierra-Leone, et surtout des Français, qui avaient acquis des positions stratégiques au Sénégal, dans les Rivières du Sud et au Soudan.
L'énergique Bokar Biro, le dernier grand almami du Fouta-Djalon souverain, qui avait donné la preuve de sa bravoure dans tous les combats menés auprès de son père, l'almami Oumar, s'était assigné un double objectif : consolider le pouvoir central et, donc, sauvegarder l'indépendance du Fouta.
Mais, la politique centralisatrice de Bokar Biro à l'intérieur du Fouta devait susciter l'opposition de tous les chefs et du conseil des anciens attachés à leurs privilèges. C'est ainsi qu'il se constitua autour d'Alfa Ibrahima, chef du diiwal de Fougoumba, chargé de couronner les almamis, une puissante coalition avec Alfa Yaya, soucieux avant tout d'obtenir l'indépendance du Labé, et de Mody Abdoulaye, Sory Yilili (du parti soriya), Oumar Bademba, (du parti alfaya), hostiles à la réforme constitutionnelle qui les écartait à jamais du pouvoir.
A l'extérieur, Bokar Biro, en dénonçant le prétendu traité de protectorat signé entre la France et le Fouta-Djalon en 1881, et surtout en s'alliant militairement avec Samori, va attirer sur lui la haine des Français. Les Français vont alors exploiter judicieusement les oppositions internes à la politique autoritaire de Bokar Biro pour conquérir le Fouta-Djalon le 14 novembre 1896 à la célèbre bataille de Porédaka. Ce jour-là, trahi par la plupart des chefs, Bokar Biro affronta seul, avec un contingent de Samori alors en exode vers l'est avec son peuple, l'armée française du capitaine Muller. Bokar Biro paya chèrement de sa vie pour sauvegarder l'indépendance du Fouta-Djalon.
Il est paradoxal qu'aujourd'hui encore une véritable conspiration du silence entoure le nom de Bokar Biro, qui fût le véritable résistant à la conquête française au Fouta-Djalon. Mais le plus étonnant est l'hommage que la République de Guinée a rendu, au lendemain de son indépendance, à Alfa Yaya, dont la trahison pesa lourdement sur le sort des armes à Porédaka.
Nous avons voulu, dans ce petit ouvrage, rétablir enfin la vérité historique, et, pour cela, nous n'avons fait que donner la parole aux témoins oculaires de l'héroïque résistance de Bokar Biro, ce Peul qui a bien rempli son heure à Porédaka. Nous remercions à cet effet notre ami Alfa Ibrahima Sow, qui a bien voulu nous autoriser à utiliser son admirable traduction de ces témoignages écrits en langue peule dans Chroniques et récits du Fouta-Djalon.
Les auteurs de ces chroniques, en particulier Tierno Soulaimana Sâyande, Mamadou Saidou, Farba Seck, ont voulu immortaliser la mémoire de Bokar Biro, dont le destin dépassait largement les frontières du Fouta. Il appartient aux nouvelles générations de réaliser enfin le grand dessein politique projeté alors par l'alliance de Bokar Biro et de Samori, qui ont payé de leur vie pour sauvegarder, dans l'unité, l'indépendance de ce pays devenu aujourd'hui la C'est à ce prix que la nation guinéenne sera bâtie dans le respect de l'identité et de l'égalité des peuples qui la composent et, de surcroît, dépassent largement les frontières artificielles imposées par la colonisation.
Carte du Fouta-Djallon