Defte Cernoya. Labé. 1998. 150 p.
La vie s'écoule donc, simple et tranquille pour Cerno-en, entre ses frères, ses épouses et ses camarades d'âge. La vie s'écoule avec ses automatismes coutumiers que l'on pratique sans trop y penser. Elle sera soudain interrompue brutalement, lorsque :
« Hitler déclara cette sienne guerre,
alors que les gens se pavanaient dans l'aisance.
Chacun, jusqu' alors vaquant à ses affaires,
délaissa celles-ci et se mit en état de combattre. »
Cerno Abdourahmane, bien armé intellectuellement, se mit à observer les difficultés croissantes qui assaillaient les populations, ses concitoyens. Il vécut intensément les souffrances communes, en poète qui se reconnaît le miroir de son peuple, comme il écrira plus tard :
« C'est le poète qui enthousiasme les gens qui redoublent d'ardeur ; C'est aussi le poète qui secoue les coeurs qui se revivifïent. »
La guerre terminée, des intellectuels Peuls du Fouta-Djallon créent une association culturelle, l'Amicale Gilbert Vieillard (AGV), pour la renaissance et le développement de la saine foulanité. Cerno Abdourahmane s'enthousiasme pour l'AGV ; il compose un de ses premiers poèmes politiques, pour encourager les Peuls à soutenir l'association. Car il a conscience que :
« Quant aux FulBHe, leur cause était perdue depuis moult années ;
nul d'entre nous ne déballait de ce qu'il faisait.
Nous étions menés comme bêtes au pâturage,
employés à toutes sortes de tâches,
montant, descendant, sans savoir pourquoi ni comment. »
Une épître magnifique à la démocratie, décrivant avec précision ses objectifs et ses méthodes, un instrument de l'unité pour la nation peule, dont les dirigeants doivent être honnêtes et patriotes :
« Ô président, sois un homme honnête,
aimant son pays et ses hommes, cela seul conduit au but ;
Ô membres, soyez unis derrière ce dirigeant vôtre,
observez ce qu'il fait. »
Le texte est accueilli chaleureusement par les dirigeants de l'Amicale, dont Monsieur Yacine Diallo. On le fait multiplier et diffuser largement dans tout le Fouta. Cerno-en est élu à la tête de la section de l'AGV à Labé. Il compose, à l'occasion d'un congrès de l'Amicale dans cette ville, l'Hymne à la paix et au Foula-Djallon, qui fut accueilli avec un succès sans précédent. Les talibe le recopiaient et s'en allaient par les marchés hebdomadaires le réciter aux foules qui formaient des grappes compactes. Le poème décrit avec un lyrisme remarquable les souffrances de « l'effort de guerre » (1939-45), les corvées que l'on imposa tyranniquement aux populations pendant la période 1940-1944 ; on ne relit pas, aujourd'hui encore ces lignes sans que les yeux ne vous gonflent.
En contraste avec les misères de la guerre et de l'oppression, les hommes et les terroirs du Fouta-Djallon sont magnifïés, pour exhorter à l'amour de la patrie, en expliquant en quoi consiste cet amour. Le poème s'achève en invitant les Fuutanke au travail et à l'étude, car, écrit Cerno :
« Avec celui-là seul qui a étudié on peut se comprendre,
celui-là seul qui a étudié rectifie la voie.
Ce pays nôtre sera plus éveillé (plus civilisé)
lorsque les lettrés y seront nombreux ;
il retrouvera alors prééminence… »
D'entrée de jeu, Cerno Abdourahmane affiche la couleur des thèmes préférés de son inspiration poétique : l'amour et la compassion pour les humbles, l'exhortation à l'étude et au travail, l'amour de la patrie : des thèmes éminemment démocratiques, socialisants ou tout au moins philantropes, qu'il reprendra plus d'une fois.