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Elhadj Ibrahima Kaba Bah


Cerno Abdurahmane. Eléments biographiques
suivis de quelques poèmes Pular traduits en français

Defte Cernoya. Labé. 1998. 150 p.


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L'Amicale Gilbert Vieillard

L'AGV, de son côté, était un foyer d'intense agitation d'intellectuels Peuls francophones. L'association avait été créée à l'Ecole Normale de Sébikotane (Sénégal), pendant la guerre, à l'initiative et sous l'impulsion d'un des plus brillants jeunes gens que le Fouta-Djallon ait envoyé à l'école coloniale. Alfa Issâgha était de Kankalabé ; il allait mourir avant que son oeuvre se soit consolidée en Guinée.

L'AGV se voulait pan-peule.

Ainsi, en 1945, la section de Conakry organise pour les élèves Peuls des écoles de la ville, une matinée culturelle au cinéma Rialto, face à l'Ecole primaire supérieure des Jeunes filles (EPS-B). J'étais à l'EPS des garçons, et je ne manquai pas d'être fort étonné en voyant dans nos rangs Toumani Sangaré, mon carré (élève de 2ème année).
Ce très beau jeune homme, toujours mis avec une élégance sûre, parlant un français châtié, ne comprenait pas un mot de pular ; il ne parl ait que malinké ! Qu'allait donc faire ce garçon dans une fête de Fulɓe ? Je posai la question à Bappa Chaikou quelques jours plus tard.
— Sangaré, dit-il, est un nom de famille des gens du Wassoulou. Celà correspond à Barry chez nous. Les gens du Wassoulou ne parlent plus poular, mais ce sont des Peuls, qui se reconnaissent comme tels, et qui sont reconnus comme tels en Haute-Guinée. La présence de Toumani est donc tout à fait normale. D'ailleurs, son prénom est un prénom peul authentique, le Peul d'avant l'Islam.
L'ambition de l'AGV ne se limite d'ailleurs pas à la seule Guinée ; nous souhaitons faire se retrouver tous les Peuls qui se reconnaissent et sont reconnus comme tels. C'est ainsi qu'un des membres les plus efficaces de notre section, ici à Conakry, est Monsieur Cellou Tounkara, tu connais ? Sa famille est voisine de la tienne à Dow-saare. Voilà !

L'AGV sera rapidement parcourue de courants divergents, des progressistes et des conservateurs.

Parmi les premiers, Amadou Hampâté, le Soudanais du Maasina, alors en service à Conakry, à l'IFAN. Il faisait preuve de diplomate fin pour tenter de freiner les appétits des uns et des autres, pour promouvoir la renaissance et la modernisation de la foulanité. Bappa Chaikou et Kotoo Siradiou Baldé sont également dans ce camp de démocrates idéalistes, ainsi que Monsieur Cellou Tounkara.

Les deux Baldé sont de la famille de Cerno Aliou, de Cerno Siradiou, de ceux auxquels pensaient les chefs de canton en convoquant les enfants de Cerno Aliou dans la case à palabres de Labé.

Au cours d'un voyage que j'ai fait dans le Koubiya avec Bappa Chaikou, j'ai souvent entendu celui-ci exhorter les notables rimɓe éclairés des villages où nous avions séjourné. Il attirait leur attention sur les réalités sociales nouvelles qui s'installaient, les invitant à les comprendre correctement pour pouvoir agir sur elles, au lieu de tourner leurs esprits vers un passé en aller sans retour et sans regret. Il s'informait des situations économiques respectives des différentes couches sociales du patelin. Un ancien combattant lui dit que chez eux, ce sont les maccuɓe qui font vivre tout le monde, car eux sont travailleurs persévérants.
Et mon oncle de conclure :
— Il en est ainsi dans tout le Fouta. Nous autres des misiide, n'avons appris qu'à lire et à organiser la cité. Nous ne pouvons produire la base matérielle de notre existence. Et d'ailleurs même nos parents des dune ne le peuvent pas, en comparaison de ce que fait une charrue et les autres machines que sous d'autres climats le paysan utilise.
N'est-il pas étonnant que nous recevions des caisses et des caisses de boîtes de lait concentré, des sacs, que dis-je ? des camions sinon des bateaux entiers de sacs de riz ou de farine ? Ceux qui produisent ces denrées n'utilisent certainement pas la houe et la faucille, mais des machines que nos gens peuvent manier également s'ils les obtiennent et apprennent à les conduire. Car l'homme apprend tout ce qu'il fait, rien n'est inné en lui. Il peut aussi apprendre tout ce qui est possible, pourvu qu'il s'intéresse à celà. La servitude légale des gens, et le travail forcé ont été supprimés, et nous devons nous en réjouir franchement.
C'est le progrès technique qui a supprimé la servitude légale. Donc vive le progrès technique qui nous enlève une source de frictions entre nous. Nous devons aller plus loin, jusqu'au bout de la logique qui a supprimé la servitude et le travail forcé. Les gens des dune (sing. runde) sont légalement émancipés ; achevons l'oeuvre sur le plan de la chari'a, et Dieu nous en saura gré car nous savons bien que la libération d'un joug est l'un des actes les plus méritoires auprès du Tout Miséricordieux.
Donnons nos filles en mariage aux gens de là-bas, nous renforcerons ainsi les liens de voisinage par des liens d'alliance et de sang … C'est ce que nous on pense à l'AGV, c'est, selon nous, la meilleure manière de renforcer la cohésion nationale des Peuls.

De telles idées étaient soutenues et propagées par bien des fonctionnaires, partout où ils pouvaient se faire entendre ou se faire lire. Bien d'autres fonctionnaires Peuls soutenaient le point de vue opposé, comme beaucoup de chefs de canton. Le conservatisme social, devenu réactionnaire dans la mesure où l'automobile ou la simple charrette, la charrue attelée à des bovins, le journal, le télégraphe, avaient créé des conditions d'existence matérielle nouvelles, rendant obsolète le travail servile. Il y avait ainsi d'un côté ceux qui voulaient en finir avec cette vie honteuse de troupeau, où :

« On était menés comme bêtes, ne servant qu'à satisfaire des besoins,
montant, descendant, sans savoir pourquoi. »

comme Cerno Abdourahmane avait écrit pour l'AGV.

Les partisans de cette tendance se réjouissaient de la charrue tractée et de l'automobile substituées à la houe, aux porteurs de hamac ; ils voulaient pousser à l'accélération de cette tendance et estimaient que les structures sociales devaient évoluer en conséquence, de façon à améliorer les conditions d'existence pour tout le monde. Ils avaient cependant bien conscience, comme ajoutait Cerno-en dans son poème, que :

« Celui qui soutient le Vrai, qu'il sache que tous hommes de mensonge
lui seront hostiles, seront ses ennemis irréductibles. »

En face de cette tendance, du côté d'un grand nombre de chefs, étaient rassemblés ceux qui étaient installés dans une aisance relative, ou qui aspiraient à jouir de cette aisance procurée par les tracasseries de l'administration coloniale, sur une population mal ou pas informée de l'état du monde, des idées et des possibilités de progrès rapide et profond qui parcouraient la planète des hommes.
Comme l'autruche à l'approche de la tempête de sable, ils soutenaient que rien ne doit changer, que les techniques et les machines nouvelles étaient appât satanique. Eux aussi connaissaient les livres et la Parole de Dieu, ils les citaient hors de propos pour justifier leur attachement au statu-quo, à l'immobilisme, mais Dieu a dicté ceci, entre autres mises en garde sur le même comportement :

« Et il y en a parmi eux qui roulent leurs langues
avec une prescription pour vous faire croire qu'elle est du Livre, alors qu'elle n'est point du Livre ;
et ils disent : “elle vient de Dieu”,
alors qu'elle ne vient point de Dieu. Et ils disent le mensonge contre Dieu, alors qu'ils savent ! »

Cette dichotomie dans les opinions est une constante de toute communauté humaine. Elle est la source de la liberté d'expression.

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