Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages
Au cours de cette brève période, il y eut très peu de conquête, à cause de l'occupation coloniale tout autour du Fuuta :
Une autre raison était la scission du parti soriya le véritable
parti guerrier.
Toute la politique extérieure semble s'étre limitée
à la recherche des moyens d'échapper à la colonisation.
Aussi comprend-on que les Almaami du Fuuta aient signé tous les traités
d'alliance ou de protectorat qui leur furent soumis tantôt par les
Anglais tantôt par les Français 1.
En plus de ces traités offilciels entre Etats, les Almaami avaient signé des conventions de commerce avec des particuliers dont le plus important fut le Comte Olivier de Sanderval 6.
En 1896, l'affrontement entre Almaami Bakar Biro et les représentants de la colonisation était devenu inévitable. En effet, pour Bakar Biro, le respect du traité ne signifiait pas la renonciation au pouvoir politique. Or il se trouve qu'à cette date, tout le territoire appelé, d'abord "Rivières du Sud" et qui devait ensuite constituer la Guinée était déjà occupé par la France. Le Fuuta constituait une espèce d'enclave dans les possessions françaises et tout le problème était de savoir comment liquider cette enclave sans encourir le risque d'une guerre.
Les deux premiers traités signés en 1881 et 1888 n'étaient
qu'un sursis accordé aux Peuls. Comme ceux-ci semblaient l'avoir
compris autrement, le gouverneur Noël Ballay, impatient et exaspéré
par leurs atermoiements, était prêt à l'action ; il
voulait en finir avec "l'aristocratie fulane" 7
par l 'occupation de sa capitale Timbo. Et il semble que l'Almaami lui ait
donné plusieurs fois l'occasion d'intervenir dans les affaires intérieures
du Fuuta. D'une part, il refusa au résident français à
Timbo de s'installer dans la capitale du Fuuta ; d'autre part, il élimina
physiquement son jeune frère Modi
Abdullaahi, qui s'était proclamé Almaami. Cet acte épouvanta
le Fuuta et effraya les autres candidats à sa succession. Comme par
ailleurs depuis la mort d'Almaami Ahmadu, il n y avait pas eu d'élu
du parti alfaya, on a vite conclu que c'était Almaami Rakar qui avait
empêché l'élection d'un alfaya.
C'est ainsi que les prétendants alfaya et ceux de son propre parti
ne sachant comment faire respecter leur droit à la succession décidèrent
de perdre définitivement Almaami Bakar dont il n'arrivaient pas à
en venir à bout ni par la ruse, ni par la violence, c'est-à-dire
la guerre. Ils n'hésitèrent donc pas à faire appel
à l'étranger pour satisfaire leurs ambitions personnelles
même au détriment de l'indépendance de leur pays. Ce
fut dans ce contexte que Modi Ibrahima Sori Yilili (prétendant soriya)
et Modi Umaru Bademba (prétendant alfaya) allèrent
solliciter l'appui des Français.
Le premier se dirigea vers l'est à Sigiri (Siguiri) où se trouvait le poste français le plus proche, le second vers l'ouest à Sangoya non loin de Kindiya auprès du Commandant-résident de Beckmann qui avait été désigné par le gouverneur de Konaakiri (Konakry) pour siéger dans la capitale du Fuuta. Deux armées venant de Sigiri et Songoya convergèrent vers Timbo aussitôt.
Almaami Bakar Biro était à Bambeto, non loin de Bomboli dans la province de Timbi sur le point d'aller au Jihaad. C'est là qu'il apprit la rentrée des Français ou Annasaaraaɓe ou Portooɓe 8 à Timbo. Il fit demi-tour et reprit la direction de la capitale qu'il ne devait jamais plus revoir. A marche forcée, il atteignit Ɓuriya, puis Pooredaaka. Là fut livrée la dernière bataille. Avec une toute petite armée, la plupart de ses soldats ayant fait défection avant le combat, Almaami Bakar Biro engagea une lutte héroïque et désespérée. Les forces étaient inégales et la puissance de feu non comparable à celle des militaires français. Ce fut un massacre 9. L'Almaami lui-même blessé et demeuré seul, son cheval tué, essaya de se réfugier dans un petit hameau appelé Bootoore. C'est alors qu'il fut rejoint par un serviteur d'Alfa Mamadu Paate, qui, pour venger son ancien maître, l'acheva à coups de bâton au moment où arrivaient les militaires. Sa tête fut portée auprès des officiers français entourés des deux candidats. Cette bataille eut lieu le 14 novembre 1896, et marque la fin de l'indépendance du Fuuta. En ce jour, en ce lieu, en cette bataille, fut terminée l'histoire du Fuuta Dyalon indépendant 10.
1. "La bonne volonté
peule en signant n'importe quel traité consistait à duper
Français et Anglais les uns après les autres et les repousser
loin du Fouta Djalon" disait Tauxier,
1937, p. 359.
2. Il fut décidé
à la signature de ce traité que:
Le Fuuta devait être aux Peuls et la France aux Français mais que ces deux nations étant amies (m. à m.: ayant même père et même mère) les plus forts devaient protéger la plus faible. Le Fuuta se mettait sous la protection de la France et acceptait le drapeau tricolore sur lequel on devait inscrire des versets du Coran. C'est avec cette condition que le traité fut ratifié par I'Almaami alfaya."
Cf. notre étude sur la Mission Bayol au Fuuta Dyalon,
mémoire annexe de Diplôme d'Ètudes Supérieures,
Paris 1964, o. c., 1 carte). Cf. Ia Synthése d'André
AnciN par Tauxier,
1937, p. 360.
3. L'Almaami soriya voulait
bien signer mais à condition que son rival signât d'abord.
Quant à I'Almaami alfaya il n'acceptait de signer ce traité
que si on parle, non pas de protectorat de la France sur le Fuuta, mais
d'amtié entre la France et le Fuuta . Cf. Tauxier,
1937, p. 363.
4. La signature de ce
traité fut précédée de la visite de la Mission
Alby (1892-93). Ce traité ne fut pas signé par Almaami Bakar
Biro. Il mit à la place de son nom : Bismillaahi au nom de
Dieu. C'est à Saint-Louis du Sénégal qu'on s'aperçut
de la supercherie. La guerre devenait inévitable, car l'Almaami refusait
une fois ençore le protectorat. Tauxier, l937, p. 272 et suiv.
5. Le quatrième
traité ne figure ici qu'à titre indicatif car il a été
signé après la bataille de Pooredaaka, postérieure
à notre période.
6. Aimé-Olivier, Comte
de Sanderval (ce titre nobiliaire lui ayant été conféré
par le Portugal) avait sejourné près d'une dizaine d'années
(1879 à 1897) au Fuuta. Il représentait une maison de commerce
de Marseille. Il voulait à titre privé construire un chemin
de fer de la côte à Timbo et conquérir le Fuuta Dyalon
et l'offrir à la France à l'instar de ce qu'avait fait Savorgnan
de Brazza au Congo. Mais l'administration française voulait s'offrir
le Fuuta elle-méme, sans l'intermédiaire de personne, d'où
la Mission Bayol-Noirot. Sanderval s'était tellement lié aux
Almaami que ceux-ci avaient fini par lui donner un petit territoire à
Kahel, au sud de Bantinhel, dans le Timbi avec "le droit de frapper
monnaie" d'après Tauxier, op. cit., p. 268. Il
était devenu une sorte de citoyen d'honneur du Fuuta Dyalon. Déçu,
humilié, il quitta le Fuuta après Pooredaaka et rentra définitivement
en France où il écrivit un livre sur la conquête du
Fouta Djalon (Paris, l899) dans lequel il exaltait l'initiative privée
et expliquait ses "déboires" avec l'administration coloniale
(Ministère de la Marine). Cétait une sorte d'aventurier romantique
attardé, conflant en son étoile.
7. L'expression est d'André
Arcin, 1911, p. 535.
8. C'est par ces termes que
sont désignés le plus couramment les Europeens en général;
on entend aussi celui de Tuubaakooɓe (leur singulier respectif : annasaara, Porto et tuubaako le premier et le dernier sont des déformations de l'arabe et signifieraient : Chrétien et Médecin. Le deuxième, Porto, viendrait des Portugais soit pour les désigner soit le nom de leur ville Porto. Pour spécifier qu'il s'agit d'européens français, on disait et on dit encore : porto faransi (au pl. portooɓe faransi ou Faransiɓe).
9. Tauxier cite Guébhard,
lui-même se référant à une description faite par un griot historien, chantre (homme casté vivant de louanges dans la cour des princes et des grands) présent à la bataille Pooredaaka
et qui disait :
"Les clairons sonnent la victoire. A peine quelques tirailleurs (soldats utilisés par la colonisation plus connus sous le nom de "tirailleurs sénegalais") sont-ils blessés, mais la plaine est jonchée de tout ce que le Fuuta comptait de patriotes et de vrais soldats. Ceux qui se sont enfuis, ce sont des femmes dont les seules armes ont été jusqu'ici des paroles et c'est de ces paroles, paroles de traitres et d'ambitieux, que vientde mourir le Fuuta, plus sûrement mis à bas par elles que par les balles françaises qui viennent d'envoyer des hommes braves dans le paradis du prophète."
1. Cf. Tauxier op. cit., p. 325, Guébhard,
op. cit., p. 60.
10. Cf. Guébhard,
1910, p. 60 et 61.