Payot, Paris, 1937
“L'almamy Bakar, continue Guébhard, ne garda pas longtemps le pouvoir, car le fils de l'almamy Yaya exilé, le jeune Oumarou, âgé seulement de dix-neuf ans, résolut de rendre à son père la situation que le sort lui avait fait perdre et trouva des appuis parmi les anciens, toujours à l'affût des occasions de gagner des présents. Il alla trouver son père et lui dit:
— “Donne-moi la permission de faire la guerre en ton nom."
Son père la lui donna. Aussitôt il fit partout répandre le bruit qu'il partait pour faire la guerre dans le pays Soussou et réunit ses partisans sous un gros arbre auprès de Kouta. Aux envoyés de l'almamy Bakar qui viennent voir ce qui se passe, on raconte, et lui-même le dit, que c'est contre les infidèles qu'il se prépare, puis, lorsque, avec l'habileté à mentir des Foulahs, il a fait croire que telle est son intention, que tous ses guerriers sont réunis, il lève le masque et envoie à Timbo chez les Alfayas, pour les sommer de laisser rentrer son père à Timbo.
— “C'est impossible ”répondent-ils.
Alors, par une route détournée, il se dirige vers Timbo et s'arrête dans un endroit appele Sekou-Taya où il continue à rallier les partisans de sa famille, tandis que les guerriers alfayas, sous la conduite de l'almamy Bakar lui-même viennent à sa rencontre pour lui livrer bataille. Il a vite appris que le nombre des partisans de son rival est supérieur à celui des siens; aussi a-t-il recours à la ruse; il porte le gros de sa troupe en tirailleurs le long du ruisseau, masqués par la verdure. Il se place en avant avec une troupe apparente de cent hommes. Les alfayas surviennent, croient à une victoire facile et se précipitent sur la petite troupe qui, après quelques coups de fusil, se débande en désordre et se retire sur le marigot assez profond sur lequel les ennemis comptent pour faire obstacle à sa fuite. Les alfayas s'élancent en criant :
— “Nous les attraperons comme des singes, ils sont cernés.
Mais le marigot n'arrêta pas les fuyards qui se reformèrent, au contraire, sur l'autre bord et, pour exciter leurs ennemis à les poursuivre, se mirent à les invectiver en disant qu'ils n'iraient pas plus loin, faisant serment de vaincre ou de mourir à cette place. A leur tour, les alfayas veulent traverser la rivière, mais ils sont foudroyés par les guerriers dissimulés, tandis qu'Oumarou, profitant de leur trouble, achève de les mettre en déroute. Presque tous les notables du parti alfaya trouvèrent la mort dans cette bataille; les blessés furent nombreux de part et d'autre. Oumarou, quoique blessé de sept balles, vint au secours de l'almamy Bakar qui, atteint lui aussi, une jambe cassée et tombé de cheval, croyait bien sa dernière heure arrivée en voyant son vainqueur s'approcher de lui. Mais Oumarou était jeune; son coeur s'émut en voyant un homme de l'âge de son père en si fâcheuse posture et couvert de sang ; il descendit de cheval et, blessé lui-même, soigna l'almamy Bakar, lava et pansa ses blessures et le fit porter chez lui à Dara, en lui disant de respecter désormais le pacte intervenu entre leurs deux familles de ne conserver le pouvoir que deux ans à tour de rôle. Puis il s'en alla trouver son père et le conduisit à Timbo où il l'installa comme almamy (1851) 1.
L'almamy Yaya ne conserva qu'un an et demi le pouvoir que son fils venait de lui conquérir et mourut. L'almamy Bakar, quittant sa retraite de Dara, vint aussitôt à Timbo pour réclamer le pouvoir comme étant régulièrement nommé à Foukoumba et comme devant, suivant l'ordre adopté, succéder en qualité d'almamy Alfaya à l'almamy Sorya décédé. Mais Oumarou, alors âgé de vingt et un ans, ne l'entendait pas ainsi, d'autant que du vivant de son père, il avait commencé à exercer l'autorité que celui-ci lui avait déléguée. L'almamy Bakar tenta vainement de se faire accepter par le conseil des anciens de Timbo, mais ceux-ci, achetés déja par les Soryas, avaient promis leur concours à Oumarou. L'almamy Bakar réunit ses partisans, sous prétexte de faire la guerre, et s'établit sur la route de Foukoumba pour empêcher Oumarou de s'y rendre pour s'y faire sacrer, mais celui-ci, avec ses nombreux partisans, le força à lui céder la route et se fit sacrer à Foukoumba, tandis que Bakar s'enfuyait à Kébalé où, à peine sacré, Oumarou le poursuivit, mais Bakar s'enfuit à nouveau successivement à Kael et à Benténiel où son rival le rejoignit. Ils décident alors qu'ils vont se livrer bataille : le Fouta tout entier sera témoin de leur duel, mais les anciens interviennent, les chefs des Timbi, celui du Massi, ceux du Koïn et du Labé ne veulent pas de bataille dans le Fouta.
“Si les princes Sidiankés veulent livrer des batailles, qu'ils aillent à Timbo, mais, s'ils viennent ainsi vider leurs querelles au travers du pays, ils le bouleversent et les Peuls auront peur. Allez-vous en à Timbo vous battre si vous voulez 2 mais vous ne vous battrez pas ici où fut tenue la première assemblée qui donna le pouvoir à vos ancêtres, car nous ne pouvons, par respect admettre que la terre y soit souillée de votre sang.”
On mit les deux tabalas, insignes du commandement, dans un pagne et les deux ennemis suivis chacun de leurs partisans, escortés des anciens et des chefs qu'ils avaient pris comme témoins, prirent la route de Timbo où ils devaient en champ clos, et devant tout le Fouta vider leur querelle. On y arriva le soir; les troupes rivales se logèrent chacune dans leur quartier; la foule des chefs et des notables se logea chez les représentants de leurs familles comme ils en avaient l'habitude lors des grandes réunions qui se tenaient à Timbo et il fut décidé qu'on attendrait au lendemain pour se livrer au sort du combat.
Dans la nuit, il survint un événement considérable : El Hadj Omar, le pèlerin fameux dont le renom était venu jusqu'au Fouta, El Hadj Omar arriva et tous les esprits furent détournés des grands événements qui se préparaient par cette arrivée sensationnelle et dans laquelle chacun voulut voir un présage. Toute la nuit, El Hadj Omar alla d'un parti à l'autre, les adjurant tous deux de renoncer, au nom de Dieu, à leur animosité réciproque, de ne pas donner l'exemple de musulmans divisés et combattant les uns contre les autres. Par ses prières, en demandant pardon à l'un au nom de l'autre, il obtint que l'on se réunirait le matin dès la première heure pour épuiser les derniers moyens de conciliation. Il réunit, en effet, tout le monde sous les arbres qui entourent la mosquée. Il plaça les deux rivaux, l'un à l'est, l'autre à l'ouest et il commença à leur parler ; mais, dès le début, les choses menacèrent de se gâter car, après avoir interpellé l'almamy Bakar par son titre, il appela l'almamy Oumarou “Tokoro ”ce qui, littéralement et familièrement signifie ”Toi qui as le même nom que moi. ” L'almamy Oumarou ne répondit pas, quoique El-Hadj-Omar répétât sa demande trois fois; à la quatrième, il l'appela: “Almamy Oumarou”
— “Ahyo, c'est bien, je vois que c'est à moi que tu parles maintenant, répondit Oumarou et que tu n'as pas oublié le respect dans ton voyage au tombeau du Prophète dont Dieu bénisse la mémoire.”
Et le palabre se continua, après avoir failli se clore sur cet incident. La parole d'El-Hadj-Omar, persuasive et flatteuse, arriva à faire admettre aux deux rivaux une trève de dix mois, pendant laquelle les deux chefs régneraient tour à tour pendant trois mois. Cela fut accepté et l'almamy Oumarou commença par gouverner trois mois, puis se retira à Sokotoro où il résidait, lorsque la nouvelle de la mort de l'almamy Bakar qui lui avait succédé, vint le trouver deux mois plus tard. Un des premiers, il arriva à Timbo, lui rendit lui-même les honneurs funèbres et reprit le pouvoir sans qu'aucun concurrent se présentât pour le lui disputer (1852) 3. Celui de la famille des Alfayas qui, par ordre de succession, se trouvait être le prétendant de son parti, Ibrahima Dara, vint se placer auprès de lui en qualité de suivant et de page. Les liens de parenté qui, malgré les guerres dont le pouvoir était la cause, liaient les familles Alfaya et Soria se resserrèrent entre eux. En même temps, dans le parti Alfaya, d'autres compétiteurs du pouvoir se présentèrent : c'étaient Tanou, Oumarou Malouko, Modi Oumarou, Modi Allaye Paté etModi Bakar. Au bout de quatre années, comme Ibrahima Dara avait atteint l'âge de vingt-deux ans, l'almamy Oumarou lui demanda un jour :
— “Que cherches-tu? Tu marches toujours avec moi, qu'est-ce que tu veux de moi?”
— “Je veux être chef, répondit Ibrahima, mais je ne veux pas de dispute avec toi. Tu n'ignores pas que, selon l'engagement pris par nos grands-pères, le pouvoir doit être dans chacune de nos familles pendant deux ans à tour de rôle; or, dans ma famille, depuis quatre ans, il n'y a pas eu de chef. Je voudrais bien être chef, mais je ne voudrais pas faire la guerre avec toi, que je respecte comme mon père !”
— “C'est bien parlé, dit l'almamy, et tu as raison; j'ai moi-même combattu contre ton père pour faire respecter l'engagement pris par nos ancêtres. Va hardiment à Foukoumba et demande à être sacré almamy par les partisans de ta famille; nous sommes d'accord; nous régnerons chacun à notre tour et il n'y aura pas de guerre entre nous. Seulement, méfie-toi parce que, dans ta famille même, tu as des ennemis.”
“Ibrahima, suivi de ses partisans, se rendit, en effet, à Foukoumba et s'y fit sacrer. Cependant, les vieux de Timbo et les concurrents d'lbrahima tentèrent d'exciter la jalousie de l'almamy Oumarou et de l'entrainer dans un complot qui avait pour but de mettre Ibrahima à mort lorsqu'il reviendrait de Foukoumba. Oumarou feignit d'être de leur avis et leur dit :
— “S'il vient pour entrer à Timbo, nous le tuerons. J'irai moi-même à sa rencontre pour cela.”
ll sortit, en effet, à sa rencontre, non pour le tuer, mais pour lui faire accueil car, descendant de cheval, il lui dit :
— “Bonjour, Almamy, tana alla” selon la formule habituelle du salut.
Les anciens et les prétendants déçus comprirent que leur ruse de faire s'entretuer les deux chefs avait échoué et ils se joignirent au cortège qui, l'almamy Oumarou en tête, conduisit l'almamy Ibrahima à son carré avec les honneurs royaux (1856). Le soir même, l'almamy Oumarou se retirait à Sokotoro, cédant la place à son collègue pour une durée de deux ans, période au bout de laquelle il vint reprendre ses fonctions que l'almamy Ibrahima lui céda sans difficulté 4.
Cette entente entre les almamys consolida le pouvoir et réduisit considérablement l'influence du conseil des anciens et des chefs des importantes familles dont le rôle dans ces dernières années et à l'aide des divisions qui existaient dans la famille royale avait pris une extension nuisible à la bonne marche des affaires. Pendant une durée de vingt-trois ans, le remplacement des almamys Sorya et Alfaya se fit avec régularité et le Fouta tout entier se ressentit de la paix qui en resulta 5. Le calme dont il jouissait permit de terminer la conquête des alentours.
L'almamy Oumarou conquit tout le pays qui s'étendait à l'ouest vers la mer où Boké devint le centre commercial, relié par des marches de guerre établies pour en jalonner la route.
De nouvelles guerres furent conduites dans le N'Gabou, d'où les armées victorieuses des almamys ramenèrent un grand nombre de captifs et de boeufs razziés aux Peuhls fétichistes qui s'étaient réfugiés dans les vastes déserts qui forment aujourd'hui la Guinée Portugaise.
Le Soulima, le Kouranko, le Sankaran furent conquis et leur population réduite en esclavage.
Le Ouassoulou fut de nouveau pillé 6.
Les armées victorieuses des Foulahs se répandirent au sud jusque dans le pays des Kissiens.
L'almamy Oumarou mourut à la guerre dans le N'Gabou qu'il avait plusieurs fois ravagé et dont il avait tué les chefs Jengui Sayon et Dianke Ouali.
Son règne fut un des plus glorieux et sa mémoire est encore vénérée pour sa bravoure, sa grandeur d'âme et son équité. Il ne connut qu'une fois la défaite : c'est lorsqu'il voulut réduire les Houbbous dissidents qui avaient tenté de former un Etat indépendant dans les territoires déserts qui s'étendaient au sud du Fouta. Il les vainquit une première fois et détruisit leur ville de Laminia. Mais les Houbbous se réunirent à nouveau dans le Houré et le Fita et, lorsqu'il voulut une seconde fois les disperser, il échoua et dut se replier sur Timbo où un groupe de Houbbous était venu en son absence, pour faire diversion, piller son tata. Ceux-ci, à son arrivée, se replièrent et se retirèrent dans la brousse du Fita où les Foulahs pouvaient difficilement les atteindre et les vaincre.
“A la mort de l'almamy Oumarou, son fils Ibrahima Sori lui succéda et continua avec l'almamy Alfaya les bonnes relations que son père avait entretenues (1879) 7.
“Presque aussitôt après son couronnement, l'almamy Ibrahima appelé aussi Ibrahima Donghol Fella 8 partit pour faire la guerre dans le Moria, mais, d'après les récits de ceux qui l'accompagnèrent dans cette campagne, elle ne fut pas heureuse car il y avait trop de brousse et les Soussous s'y cachèrent avec leurs siens, de sorte que l'on ne put faire, ni captifs, ni butin. De retour du Moria, l'almamy Ibrahima Donghol passa trois mois à Timbo où, fait qui prouve l'état de ses relations avec l'almamy alfaya, celui-ci vint passer les fêtes du Carême musulman avec lui à Timbo et ils assistèrent au grand Salam qui les termine. Il était rare qu'un pareil spectacle fût donné au Fouta, et les vieux intrigants, dont l'influence se trouvait diminuée par cet accord, n'étaient pas sans regretter le temps où les rivalités des deux familles assuraient leur indépendance.
“Peu de temps après, l'almamy Ibrahima Dara se rendit à Foukoumba afin d'y demander au Fouta réuni de lui confier une armée pour aller porter la guerre chez les Houbbous. L'assemblée se montra peu favorable à ce projet parce que les Houbbous étaient musulmans; mais l'almamy fit valoir que, s'ils étaient musulmans, c'étaient en fait de grands pillards, des détrousseurs de caravanes et que si l'exemple d'indépendance qu'ils donnaient n'était pas réprimé, l'on ne tarderait pas à voir tout le Fouta se scinder en Etats indépendants et se détruire. Une armée lui fut donnée, mais peu nombreuse, car beaucoup de grands notables refusèrent d'en faire partie et l'almamy Ibrahima Dara fut forcé de faire appel au ban et à l'arrière-ban du parti Alfaya pour partir avec un nombre suffisant de guerriers; l'almamy Sorya lui prêta le concours de son frère Bokar Biro que nous verrons plus tard almamy et qui se joignit à lui avec ses sofas.
“Cette campagne fut malheureuse : attirée dans la brousse, l'armée du Fouta y fut décimée dans des escarmouches journalières et l'almamy Ibrahima lui-même y fut tué, ce qui acheva la déroute de l'armée qui regagna péniblement Timbo, harcelée par les ennemis (1880) 9.”
L'almamy Sorya, Ibrahima Donghol, conserva le pouvoir seul pendant un an, sans que le parti alfaya, éprouvé pendant la précédente guerre, pût lui susciter de concurrent et le Fouta, comme toujours, se plaignait de la trop grande autorité de ce chef sans concurrent. Aussi, lorsque l'almamy voulut aller faire la guerre dans le N'Gabou et se rendit à Popodara pour y réunir ses guerriers, le Fouta déclara-t-il qu'il était fatigué de la guerre et l'almamy dut se résigner à reprendre la route de Timbo; mais en chemin, les vieux du conseil lui envoyèrent dire que les Houbbous allaient arriver du côté de ses propriétés à Donghol et qu'il ferait bien d'aller les y attendre pour les disperser. C'était là une ruse, car eux-mêmes avaient fait dire aux Houbbous de venir jusqu'à la frontière, mais sans la franchir, afin de créer cette diversion. L'almamy, sans voir la ruse, se précipita du côté de Donghol, tandis que, sous prétexte de lui faire garder l'ouest, les vieux réunissaient une petite armée qu'ils confiaient à Amadou Dara fils de l'almamy Ibrahima qu'ils avaient l'intention de nommer chef (1880). Trouvant l'almamy Ibrahima trop près encore à Donghol, ils lui firent de nouveau signaler la présence imaginaire des Houbbous plus à l'est à une centaine de kilomètres de Timbo, et, tandis qu'il partait, confiant, dans cette direction, ils prirent à l'ouest Amadou Dara et par Dindéa, Sumbalako, Porédaka, Diankana, le conduisirent à Foukoumba où ils le firent couronner almamy et le ramenèrent dare-dare à Timbo. Alors, levant le masque, ils envoyèrent une lettre à l'almamy Ibrahima en lui disant “de ne pas s'alarmer, que les Houbbous ne viendraient pas, que l'on ne l'avait pas révoqué, et que quand son tour de régner serait venu, on le ferait appeler et qu'il n'avait qu'une chose à faire : c'était de se soumettre et de respecter les usages.
“L'almamy Ibrahima fut bien forcé de respecter ces usages, car il se vit abandonné de tous ses partisans. Ses frères eux-mêmes, Alfa Mamadou Paté et Bokar Biro, étaient d'accord pour le trahir et tout son parti s'en était allé derrière eux. Cet abandon était en grande partie causé par la défection de Tierno Abdoul Ouahaby, chef de la famille des Irlabés, qui, du parti Sorya était passé au parti alfaya ; sa qualité de grand porte-parole dans les assemblées et l'importance de sa famille lui donnaient une influence considérable. D'ailleurs, l'almamy Ibrahima était trop riche et tout le monde le jalousait; ses frères même lui reprochaient de detenir tout l'héritage du père sans vouloir le partager.
“Lorsque tous ses partisans l'abandonnèrent (1880) l'almamy était à Fodé-Hadji; il demeura presque seul et sa suite même se trouva réduite à quelques individus. Il voulait quand même marcher sur Timbo pour tirer vengeance de l'affront qui venait de lui être fait; son conseiller Mamadou Saïdou l'en dissuada; ce personnage avait alors une influence considérable sur l'esprit de l'almamy dont il était le conseiller. Mamadou Saïdou était un foulah du Fouta-Toro, venu, dans les dernières années de la vie de l'almamy Oumarou, se fixer auprès de lui; grâce à son intelligence, à sa ruse, à sa profonde connaissance de l'âme foulah et des mobiles qui la font agir, il avait su faire écouter ses conseils dont les circonstances avaient démontré maintes fois l'efficacité. Il montra à l'almamy que marcher sur Timbo, c'était courir à sa perte, que même suivre les grandes routes, avec une suite si réduite, c'etait risquer d'être assassiné par ses frères ou par les partisans de son rival ou encore par les envoyés des vieux fourbes de Timbo. Par des chemins détournés, il le conduisit jusque dans son carré à Donghol Fellah. Arrivé la, l'almamy appela ses captifs, leur exposa sa situation, la trahison des siens et celle du Fouta tout entier. Ceux-ci jurèrent de ne pas l'abandonner, de le garder des embûches de ses ennemis et le firent en effet. Les evénements qui suivirent prouvèrent une fois encore à l'almamy que les conseils de Mamadou Saïdou étaient bons et que les traîtres et les ennemis n'auraient pas hésité à le faire tuer si le concours qu'il avait trouvé parmi ses gens n'avait pas contrecarré leurs projets.
“Pour bien faire comprendre ce qu'était autrefois, au Fouta, la division des esprits, il est utile de noter l'état d'abandon dans lequel se trouvait à cette époque cet almamy que nos voyageurs, et particulièrement le docteur Bayol virent puissant et respecté par le Fouta tout entier et passant en son nom des traités avec nous. Cet exemple, mieux qu'aucun autre, montre de quelles ressources d'astuce, de finesse et de diplomatie dispose l'âme peuhle, avec quelle facilité elle se transforme et se ploie aux situations. Il montre aussi d'une manière frappante combien peu elle est susceptible d'unité puisque la famille, à des degrés rapprochés, manque de cohésion. Ces caractères qui ne sont pas propres à la seule histoire foulah et dont la nôtre compte tant d'exemples, en font un composé où tous les mobiles de la conscience humaine sont mis en action, dépouillés des formes dont la civilisation les masque souvent pour le danger des individus et des sociétés.
“L'histoire du Fouta rentre ici dans une nouvelle phase; jusqu'alors, les almamys s'étaient montrés soucieux de l'appui et du sentiment de leurs pairs avec le suffrage desquels ils gouvernaient, mais dans l'âme des almamys et plus particulièrement, dans la famille des Soryas, nous verrons à la lumière des évènements, pour leur instruction, cette conception nouvelle se faire jour, fruit de l'expérience, à savoir que l'on ne gouverne pas les Peuls avec des paroles, parce que, dans ce genre, ils sont passés maîtres pour opposer les paroles les unes aux autres et que l'on ne les gouverne que par la force, non par la force brutale, mais par la force consciente appuyée de l'intelligence. Cette intelligence, l'almamy Ibrahima, issu d'une race chez qui l'exercice du pouvoir avait mûri le jugement sur les êtres et les choses, la possédait; il travailla pour acquérir aussi la force devant laquelle se ploieraient les individus. Dédaigneux de sa propre famille, il ne s'entoura plus désormais que d'étrangers ; il arma ses captifs, les appela auprès de lui aux emplois que ses proches avaient désertés, il s'assit en un mot sur ses positions et les consolida. Musulman très convaincu et érudit, il s'instruisit davantage, parut renoncer à ses idées ambitieuses et rassura même ses frères qui, après quelque temps, revinrent vers lui. Mais sous ce couvert, il se livrait à une active propagande, car le désir du pouvoir et de la domination était chez lui, comme chez tous ceux de sa race, plus cher que le souci de sa vie, de sa personne et de ses biens. Dépositaire du trésor des almamys, de l'or et des matières precieuses que le butin pris à la guerre et l'exercice du pouvoir avaient mis entre leurs mains, possesseur de troupeaux nombreux, il était en réalité le plus riche de son pays et il pouvait vivre calme dans sa retraite. Il préféra sacrifier toute sa fortune pour reconquérir le pouvoir.
“Pendant quatre ans, ses envoyés parcoururent tout le Fouta, allant de l'un à l'autre, portant des présents et surtout des paroles et des promesses, de telle façon que celui que le Fouta avait renié rentrait quatre ans plus tard en triomphateur à Timbo avec “tout le Fouta derrière lui 10.”
“Toute sa fortune était distribuée, ses bufs,ses captifs,ses réserves de nourriture et son or, jusqu'aux boucles d'oreilles de ses femmes. Une fois au pouvoir, il s'y maintint, grâce à ceux de ses captifs qu'il avait conservés et dont il avait fait sa garde particulière. L'almamy Amadou se retira à Dara et reprit le pouvoir deux ans après sans difficulté, comme deux ans après Ibrahima le fit et comme il en fut ensuite entre les deux almamys.
“Pendant ce laps de temps, l'almamy Ibrahima fit la guerre et conquit le Ouontofa assisté de l'Alfadu Koïn et de celui du Labé. L'almamy Amadou fit la guerre dans le Kolissoko et dans le Sangalan et le Niocolo; ces deux dernières provinces furent rattachées à la province du Labé après leur conquête.
“C'est sous le règne de ces deux almamys qu'eurent lieu les guerres du Kébou, fraction du Timbi-Tounni. Lorsque le Timbi Medinah fut retiré du Timbi-Tounni par l'almamy Oumarou, le chef du Timbi-Tounni, Tierno Mahadiou émit toujours la prétention de conserver le Kébou. De là vinrent les querelles et les guerres dont ce riche pays supporta toutes les conséquences. Sous le règne de l'almamy Ibrahima,Tierno Mahadiou nomma comme chef du Kébou, Alfa Mamadou Oury Diallo. Alfa Issaga,chef du Timbi-Médinah, n'accepta pas et malgré les remontrances de l'almamy se battit avec Tierno Mahadiou et le tua dans une bataille aux environs de Oré-Wendou. A la suite de cette défaite, la lutte continua entre les deux familles des prétendants et de cette époque date l'exode de la population de cette province dont les troupeaux considérables furent ruinés et dispersés par les guerres qui durèrent jusqu'à notre arrivée. L'almamy Amadou, traversant le Kébou en se rendant à la guerre dans le Kolissoko essaya, mais en vain, d'arrêter les hostilités; elles ne prirent fin que dans les premières années de notre occupation 11.
“A la mort de l'almamy Ibrahima (1887) 12 l'almamy Amadou continua d'exercer son autorité comme représentant de la branche alfaya pendant deux ans.
Pendant ce temps, les compétitions se faisaient nombreuses entre les membres de la famille Soriya et plus particulièrement, entre les neveux de l'almamy défunt. Alfa Mamadou Paté revendiqua le pouvoir que Bokar Biro revendiquait également. Pendant les deux années où l'almamy Amadou exerça son pouvoir, les deux candidats préparèrent leur élection, mais les sympathies du Fouta tout entier étaient avec Mamadou Paté et le plus puissant des chefs, Alfa Yaya, chef du Labé, lui avait promis son concours et donné sa soeur Néné Oussou en mariage. Quant à Bokar Biro, il était trop brave et trop énergique pour être aimé; on le craignait. Dans toutes les guerres, il avait donné de telles preuves de sa bravoure que le Fouta appréhendait de se le donner pour maître. C'était, paraît-il, le type du guerrier et les récits de tous ses contemporains s'accordent pour en faire les descriptions les plus louangeuses, mais elles sont posthumes, car, de son vivant, si l'almamy Boubakar compta de nombreux et fidèles partisans, il connut plus que tout autre la trahison dont lui-même avait donné l'exemple vis-à-vis de son frère. Il connaissait bien le peuple à qui les destinées lui avaient donné de commander et, si notre arrivée n'était pas venue briser sa carrière, le Fouta-Djallon aurait enfin connu son maître. Mais au moment de la mort de l'almamy Ibrahima 13 le Fouta était entièrement pour son frère Mamadou Paté, plus doux de manières et qui faisait entrevoir à tous une ère nouvelle pendant laquelle l'autorité du conseil et les intrigues des vieux pourraient se donner libre cours, ce à quoi chacun aspirait apres le règne de l'almamy Ibrahima dont l'autorité s'était établie sans conteste et sans obstacle 14.
“Donc, vers la fin de la période du parti Alfaya (1889), les prétendants Sorya commencèrent à se remuer; les deux rivaux, Mamadou Paté et Bokar Biro habitaient à peu de distance l'un de l'autre, le premier à Sokotoro, le second à Tiatiako et s'épiaient mutuellement. D'un côté, Mamadou Paté avait avec lui le Fouta et tous les notables, Tierno Abdoul Ouahabi en tête, et représentait l'almamy rituel, celui qui comptait sur l'élection de ses pairs pour être élu. Bokar Biro, au contraire, représentait l'almamy qui désigné par la naissance et la valeur personnelle, comptait sur la force pour asseoir son autorité et la conserver. Bokar Biro avait pour lui l'armée, c'est-à-dire environ cinq cents sofas, Mamadou Paté avait avec lui le Parlement. Telles étaient leur situation respective au commencement de leur rivalité; nous verrons comment les circonstances en décideront entre eux.
“Un beau jour, Mamadou Paté part de nuit, traverse le Bafing et se dirige à marches forcées vers Bouria où les vieux de Timbo l'attendaient pour le conduire à Foukoumba. Bokar Biro, avec ses sofas, la même nuit, traverse aussi le fleuve et se dirige sur Foukoumba. Il rencontre en route l'alfa de Foukoumba qui allait au rendez-vous de Bouria et qui, changeant son fusil d'épaule, lui dit qu'il se rendait à sa rencontre :
— “Inutile de me raconter des mensonges ! dit Bokar Biro, d'ailleurs si c'est moi que tu attends, fais demi-tour et viens me couronner à Foukoumba.”
Que répondre lorsqu'on est Peuhl et averti par l'exemple de son grand-père, amarré par un almamy, lorsqu'on se trouve en face d'une armée ? Et Alfa Ibrahima rentre avec lui à Foukoumba où il le sacre, tandis que le Fouta réuni couronne son rival à Bouria (1890). En apprenant cet evénement, Bokar Biro entre dans une grande colère ; il envoie un courrier à l'assemblée en l'avertissant qu'il arrive et qu'elle aura à s'expliquer avec lui. A cette nouvelle, tout le monde a peur et tous les notables et ses partisans abandonnent celui qu'ils viennent de nommer et se retirent chacun chez soi, tandis que l'almamy Mamadou Paté se dirige en toute hâte vers Timbo.
Voici le récit de ces évenements par un témoin oculaire :
“Les deux almamys arrivèrent par la route qui passe à côté du poste de Timbo actuel. Mamadou Paté était le premier et il se dépêchait; il entra à Timbo au moment où Bokar Biro y entrait lui-même et il se réfugia dans la case de sa mère. Comme son frère y venait, il s'enfuit et se réfugia dans la brousse qui avoisine l'ancienne résidence. Et là, il attendit Bokar Biro, qui, sur son cheval, sabre à la main, arrive à travers la plaine. Mamadou Paté, armé d'un fusil à répétition à sept coups, est réputé pour la sûreté de son tir. Trois balles atteignent Boubakar, mais ne font que l'érafler, une quatrième blesse son cheval tandis qu'il se rapproche et crie à son rival :
— “Mets ton turban par terre et demande pardon, enlève ce turban, tu l'as volé.”
En le voyant venir, Mamadou Pate tire encore, mais il le manque et c'est son cheval qui tombe. Boubakar se relève et Mamadou Paté s'enfuit, et enlevant ses vêtements qui s'accrochent aux branches, disparaît dans une brousse épaisse. Il arrive ainsi demi-nu dans la case de Bokar; un de ses suivants lui donne un des voiles de sa femme pour se couvrir. Pendant ce temps, l'almamy Bokar Biro cherche son rival dont on a perdu la trace et qui halète de fatigue sous l'auvent de la vérandah, regardant aux alentours, écoutant ses ennemis qui le traquent et tirant des coups de fusil sur ses partisans cachés, au fur et à mesure qu'ils les découvrent. Un des suivants de son frère arrive jusqu'à la case où le malheureux Mamadou Paté est caché: “
— Sauve-moi, dit Mamadou à ce jeune homme appelé Sori et fils de Sidi de Kalako, car mon frère me cherche.”
Mais ses ennemis déjà sont sur sa trace, un nommé Tienguy qui a trouvé ses vêtements et les a portés à l'almamy qui lui demande :
- «L'as-tu tué ? »
- «Non », lui répondit Tianguy.
A ce moment, arrive Sori disant qu'il a trouvé la retraite de Mamadou Paté. Boubakar prit une balle d'or dans le sac d'un de ses batoulas appelé Nialiba, chargea son fusil et se rendit jusqu'à la case où son frère s'était réfugié. Il l'appela car il était couché. Lorsqu'il fut debout, il tira et l'atteignit au moment où il voulait enjamber la tapade. Il tomba et tous les Sofas le frappèrent jusqu'a ce qu'il fût mort. On porta son cadavre près de Bokar Biro, assis à l'écart, qui se leva, le contempla un instant et, comme il était nu, ôta son vêtement et l'en couvrit. Il ne portait pas de blessures, sauf celle faite avec la balle d'or qui seule peut entamer la peau d'un chef et d'un marabout, mais il avait tous les os rompus, car il n'était pas possible qu'il fût entame par les sabres car il avait beaucoup de gris-gris.
“Tout le Fouta fut épouvanté par cet assassinat et se soumit; l'autorité de l'almamy appuyée par la force s'étendit partout.
Il céda le pouvoir à l'almamy Amadou Dara à l'expiration de ses deux années, mais, celui-ci étant mort, il s'opposa à ce qu'un autre du parti alfaya fût nommé; il eut ainsi immédiatement tout ce parti contre lui et particulièrement Tierno Abdoul Ouhabi. Les conseillers de Bokar Biro prétendent qu'à cette époque, il mûrissait le projet de se débarrasser de tous les membres influents du conseil des anciens, et que le temps seul lui a manqué pour le mettre à execution, car notre présence à Conakry et les visites de quelques fonctionnaires, entre autres celle de la mission Alby, n'étaient pas sans lui causer des inquiétudes. La visite de M. de Beckmann toute récente, lui faisait craindre de nous voir intervenir s'il se livrait au petit Deux Décembre qu'il voulait perpétrer.
“On ne saurait dénier à Bokar Biro l'âme d'un grand patriote; jamais il n'admit un instant que la tutelle de l'étranger pût s'exercer sur son pays et à aucun moment de sa vie, il ne songea à faire appel à lui pour remédier aux vicissitudes de sa fortune 15.
“Cependant Bokar Biro, sur les instances de ses conseillers qui voyaient monter l'orage que son orgueil lui cachait, tenta d'entretenir de bonnes relations avec le gouverneur Ballay. Aussi, tout en refusant à M. de Beckmann, l'autorisation de s'installer à Timbo, il envoyait des messagers à Conakry saluer le Gouverneur (1896).
“En 1896, Bokar Biro résolut d'aller faire la guerre à Moussa Molo qui, dans le Firdou, montrait un peu trop d'indépendance. Il partit donc et se mit en marche pour Dara-Labé où, suivant la coutume, lorsque l'almamy se rendait à la guerre dans le nord, il était de règle qu'il tapât son tabala et réunit ses guerriers. Quel ne fut pas son étonnement de trouver l'alfa du Labé à Benteniel ! Il lui demanda comment il se faisait qu'il se trouvât là. L'autre lui répondit que c'était pour lui faire honneur qu'il était venu le rencontrer si loin. Mais l'almamy ne fut point satisfait de ses explications car c'était là une dérogation à des usages adoptés et religieusement suivis depuis près d'un siècle ; la vérité était qu'Alfa Yaya se rendait à la convocation de l'alfa de Foukoumba qui, sur l'ordre du conseil des anciens, avait secrètement convoqué tous les chefs pour couronner Abdoulaye, frère de l'almamy, pendant que celui-ci serait à la guerre. Le soir arriva et, dans la nuit, Alfa Yaya et tous les chefs qui accompagnaient l'almamy, le quittèrent pour se rendre à Foukoumba. C'est à peine si une vingtaine de partisans restèrent avec Bokar Biro qui fut alors seulement mis au courant de ce qui se préparait, de la traîtrise de son entourage et du Fouta tout entier. L'almamy Boubakar comprit alors la faute qu'il avait faite en laissant sa méfiance s'endormir et en se fiant aux paroles et aux serments du peuple le plus menteur qui soit. Cependant, il n'était pas dans son caractère de craindre ; malgré la défection des Foulahs, il ne quitta pas les lieux et envoya des émissaires, rassembler ses sofas qu'il avait laissés en arrière et ses fils. Pendant ce temps, le Fouta tout entier se réunissait à Foukoumba et la nouvelle parvenait à Bokar Biro que son frère Abdoulaye venait d'y être sacré et marchait sur lui pour le tuer, accompagné des notables qui l'avaient élu. Ce fut en vain que les quelques fidèles restés avec l'almamy Bokar le supplièrent de s'enfuir; il résista à toutes leurs prières. Confiant dans sa valeur et dans son courage, il attendit les ennemis. Ici encore, nous passerons la parole à un témoin oculaire qui, dans l'occurence, est Mamadou Saïdou.
“Le matin, nous apprîmes que tout le Fouta étaient en marche contre nous et nous suppliâmes l'almamy de s'enfuir. Il voulait attendre ses ennemis dans le village, mais les habitants le prièrent de n'en rien faire, prétextant que s'il faisait la guerre dans le village, il y aurait beaucoup de monde de tué et que ce seraient eux qui seraient forcés de les enterrer! Ils le prièrent de s'embusquer dans le cimetière situé à l'entrée du village où il serait bien mieux pour surveiller les alentours et où, vu la proximité, il ne leur serait pas difficile de porter les morts et de les enterrer ! Nous sortîmes donc et tous, nous suppliâmes l'almamy de ne pas rester, de s'enfuir, puisqu'il en était temps encore et qu'il n'avait qu'à gagner Timbo pour être en sûreté. “ll n'y a pas moyen, dit l'almamy, et je veux rester ici pour montrer aux gens du Fouta ce que c'est qu'un chef. ” Alors, je me mis à pleurer et l'almamy me dit :
— “Tu pleures ! si tu crains, tu peux te retirer.”
— “Non, lui répondis-je, c'est sur toi que je pleure, parce que tu es brave, que nous n'avons personne ici et que tu vas périr pour tous ces menteurs et ces lâches.”
— “Ce n'est rien, dit l'almamy, ils ne me connaissent pas encore, mon nom tout seul vaut toute leur armée.”
“Alors, lui dis-je, monte sur ton cheval Morikébé; il est fort et tu pourras te défendre contre les sofas.”
— “Non, répondit l'almamy, je prendrai Bouroungou ” et il désignait un petit cheval qui n'était pas taillé pour faire la guerre et surtout pour assurer la retraite de l'almamy si, comme je l'espérais, il se rendait à nos prières.
“On entendait des tabalas frapper du côté de Miriré et cela faisait grand bruit; nous étions assis et nous ne pouvions voir l'horizon que nous cachait un pli de terrain. Un homme de Benténiel vint vers nous et nous dit : “Ils arrivent”. Je gravis le petit sommet, il y avait du vent et du soleil et je vis une multitude et des fusils et des sabres qui miroitaient tant que j'en étais ébloui. Je revins vers l'almamy et lui dis :
— “Monte Morikébé car l'affaire sera chaude.”
Alors l'almamy se fâcha,“sa tête se gonfla”, il refusa et me dit de me taire, que je ne le connaissais pas. Alors nous montâmes à cheval, je ramassai la peau de mouton sur laquelle l'almamy était assis et sur laquelle il venait de faire son salam tranquillement, et je la mis sur ma selle. “Elle tombera” me dit l'almamy; alors, je me l'attachai solidement sur l'épaule et l'almamy, étant monté sur le petit cheval qu'il avait choisi, nous gravîmes au pas la petite éminence et, dès que les ennemis le virent, ils s'enfuirent.
— “Tu vois !” me dit l'almamy.
— “Oui ”, lui dis-je, “mais ils reviendront et tu périras car ils sont trop !
“L'almamy resta à la même place et des coups de fusil partirent de toutes parts comme un tonnerre. Nous étions onze en tout autour de l'almamy et nous tirions aussi sur eux. L'almamy me dit :
— “Jusqu'ici, jamais je n'ai fait usage du fusil contre eux; aujourd'hui je ferai parler la poudre.”
Et il commença à tirer et chaque fois un ennemi tombait. Nous étions onze et de l'autre côté, le Fouta tout entier ! Mais nous avions aussi des morts; le premier qui tomba fut Bayéro dont le père, Alfa Oury Saman, notable important de la famille des Irlabés, servait dans les rangs ennemis. Ce jeune homme aimait l'almamy et avait refusé de l'abandonner. Lorsque Bokar le vit tomber, il poussa un grand cri, et comme les ennemis s'étaient approchés, il chargea sur eux, avec son sabre, de toute la vitesse de son cheval, en tua un grand nombre et mit les autres en fuite car, dès que son nom était prononcé, les plus redoutables guerriers se sauvaient comme des femmes. Il revint vers nous, mais son cheval tomba; lui-même était blessé au pied. A ce moment, un Maure qui était avec l'almamy et l'aidait, fut frappé d'une balle en plein front. Un autre sofa tomba aussi. Je lui donnai mon cheval, mais il prit Morikébé que montait un de ses suivants; celui- ci en descendit et, sans rien me dire, monta sur mon cheval et partit avec l'almamy qui chargeait à nouveau. Je restai seul et je fus entouré par une nuée de sofas contre lesquels je me défendis. A ce moment-là, Bokar Biro passa à côté de nous, si près que l'on entendait sa voix et les guerriers tremblaient et n'osaient pas tirer quoiqu'il n'eût plus de cartouches et que son sabre fût brisé. Lors, qu'il fut plus près, il lança son cheval au travers de nous et les coups de fusil éclatèrent de toutes parts, mais il avait fendu les rangs pressés comme une balle; l'on entendit au loin sa voix qui grondait parmi les guerriers qu'il traversait. La bataille cessa, tout le monde prétendait avoir tué l'almamy Bokar, mais aucun ne pouvait montrer son cadavre. Il avait reçu tant de coups que tout le monde pensait-bien qu'il avait dû aller mourir dans un coin et chacun se félicitait, croyant le Fouta délivré. L'armée victorieuse fut conduite à Daralabé et les tabalas frappèrent toute la nuit pour annoncer la victoire.
“Ici, le vieux Mamadou Saïdou fait prisonnier ajoute le récit de ses tribulations qui n'ont rien d'historique, mais qui, cependant, sont bien curieuses. Nous ne les rapporterons pas comme inutiles au sujet que nous avons entrepris 16.
“Quelques jours après, de vagues rumeurs commencèrent à courir que l'almamy Bokar n'était pas mort, qu'il avait été vu, en divers endroits, seul et se dirigeant à marches forcées vers le Kébou, mais ce n'étaient là que des bruits vagues qui ne manquaient pas cependant d'inquiéter les notables du Fouta qui commençaient à avoir peur. Au bout de huit jours, le doute ne fut plus permis : Alfa Bokar, chef du Monoma, faisait saluer l'almamy Abdoulaye et lui envoyait quarante kolas blancs et un kola rouge, en lui annonçant que l'almamy Boubakar était dans le Monoma et rassemblait les gens du Kébou, que ses fils l'avaient joint avec ses sofas et qu'il se répandait en menaces contre son frère et contre ceux qui l'avaient si lâchement trahi.”
A cette nouvelle, raconte un témoin oculaire, l'almamy Abdoulaye dit : “Alla... Ackbar !” et sa tête se couvrit de sueur que l'on voyait perler entre son turban et son crâne soigneusement rasé. Plongé dans une profonde prostration, il n'en sortit que pour convoquer en conseil secret les plus importants parmi ses notables et, en leur présence, les envoyés de l'alfa de Monoma recommencèrent le récit de leur mission. Le même témoin oculaire dit que tous ils se mirent à trembler et pendant un bon moment, le désarroi le plus absolu régna. “J'étais assis à côté de Tierno Malik Labiko, dit ce même temoin, et j'entendais son ventre qui faisait flou, flou, flou. Après ce moment de terreur instinctive on se concerta et comme toujours, les paroles de jactance ne manquèrent pas. Ce n'était pas difficile : si l'almamy revenait, ils le tueraient et s'il amenait avec lui des Soussous ou des gens du Kébou, tant mieux ! ils les prendraient comme bergers. ” “Mais, raconte Mamadou Saïdou, ils tremblaient encore en parlant et pensaient à l'endroit où ils pourraient aller se cacher. Pour moi, ajouta-t-il, c'est comme si j'avais eu du sucre ou du miel dans la bouche.”
“Rien n'était plus vrai que la nouvelle que l'almamy Bokar était parvenu à s'enfuir. Son odyssée à travers un pays aussi peuplé que la région du Labé qu'il traversa, ou tous lui étaient hostiles et où des bandes d'assassins le cherchèrent, est profondément dramatique. Les ennemis passèrent près de lui jusqu'à le frôler dans la brousse où il était caché et il n'échappa à leur poursuite que grâce au concours de quelques amis fidèles dans le malheur. Le récit que bien des fois j'ai entendu de toutes ces péripéties fait involontairement songer, dans un autre cadre, à ces histoires des rois d'Ecosse errants et poursuivis, ne devant la vie qu'au loyalisme de leurs partisans et aux retraites de leurs montagnes. Point n'est besoin d'ajouter à la couleur du récit; le plus grand travail et le plus grand succès si l'on y parvenait, serait de rendre le récit tel qu'on l'entend et de savoir traduire la juste expression des mots foulahs et leur intense couleur locale.
“Parvenu sans encombres dans le Monoma où il savait trouver dans la famille de Tierno-Mahadiou, père de Tierno Omar, de fidèles et dévoués partisans, il attendit que ses fils et ses sofas, dont le retard à Benténiel avait entraîné sa défaite, l'eussent rejoint. De plus, il convoqua les gens du Kébou et, profitant du désir d'indépendance qui les animait et dont nous avons parlé plus haut, il leur promit de les rendre indépendants du Timbi-Medinah s'ils lui prêtaient leur concours. Il réussit ainsi à entraîner Alfa Alceyni, de Mallal Kondo, et la plus grande partie de l'aristocratie du Kébou qui comptait parmi les plus guerrières du Fouta après la famille des almamys. Nous tenons de l'un d'eux, Tierno Samba, le récit de ces événements. Bokar Biro fit de plus appel au concours des Soussous du Sokili, du Monoma et du Kinsam.
A cette époque, M. de Beckmann à qui Bokar Biro avait refusé le séjour de Timbo et qui était à Songoya, lui offrit de l'accompagner et de l'aider avec ses miliciens à reconquérir son trône, mais Bokar Biro refusa et c'est à peine s'il voulut accepter deux hommes et un caporal.
“C'est escorté d'une nombreuse armée qu'il arriva près de Petel Djiga et rencontra l'armée de ses ennemis qui se porta à sa rencontre. L'almamy Bokar se tenait avec ses gens embusqués dans une sorte de petite forêt et ses ennemis s'approchèrent sans méfiance. Bokar Biro se démasqua et pas un seul coup de fusil ne fut tiré par ses ennemis qui s'enfuirent comme s'ils avaient vu le diable en personne. Les partisans de Bikar Biro en firent un carnage extraordinaire, mais seuls les membres de la famille des Soryas et les gens du Timbo furent compris dans le massacre ; quant aux chefs de province, ils prirent prudemment la fuite. L'almamy Abdoulaye s'enfuit, mais fut arrêté auprès de Dindéa par l'almamy Boubakar lui-même, qui s'était mis à sa poursuite. Bokar Biro ne le tua pas, comme tous s'y attendaient; bien au contraire, il le traita avec beaucoup d'égards et chacun put croire qu'il lui avait pardonné. Il l'emmena à Timbo, comptant ainsi tranquilliser le Fouta et attirer Alfa Yaya et les autres chefs à qui il voulait faire couper la tête; mais, voyant au bout d'un mois qu'ils ne venaient pas et craignant que quelque coalition ne vint libérer son rival, il donna l'ordre de le faire tuer, ce qui fut exécuté au moment où Abdoulaye revenait du salam (1896).
“L'almamy Bokar Biro restait donc le maître incontesté du Fouta; presque tous ses rivaux étaient tués et les vieux notables irréductibles étaient morts ou réduits à l'impuissance.
Nul doute que désormais le Fouta n'eût été entièrement soumis à son autorité et qu'il n'en fut devenu un des plus grands monarques, si l'orage dont il avait jusqu'ici meprisé les symptômes n'était venu brusquement renverser sa fortune. Vaincus, réduits à l'impuissance, les partis de l'opposition firent appel aux Français pour réduire leur vainqueur et aider à la réalisation de leurs ambitions. Ce fut à l'appel de quelques membres de l'aristocratie foulah et à l'appui des droits de protection que nous donnaient les traités que nos colonnes intervinrent.
Sori Ye;léli, du parti Sorya et prétendant au pouvoir, alla jusqu'à Siguiri solliciter notre appui 17.
D'autre part, Oumarou Bademba, du parti Alfaya, descendit à Conakry y chercher notre concours pour faire reconnaître les droits de sa famille. De l'est et de l'ouest, nos colonnes répondirent à ces appels et, botte à botte avec leurs capitaines, marchaient ceux qui les avaient sollicitées.
“L'almamy Bokar était dans le Bomboli, à Banbetto, lorsqu'un envoyé de son fils vint lui dire :
— “Almamy, les tirailleurs ont amarré ta mère !
— “Mi nanali, je n'ai pas entendu ! ”répondit par trois fois l'almamy à l'annonce réitérée de cette nouvelle. Mais son fils arrivait lui-même et la lui confirmait.
— “Qu'allons-nous faire maintenant ?“ lui demanda ce dernier.
— “La guerre !” répondit sans hésitation Bokar Biro.
En vain son fils Sory lui montra-t-il le néant de cette tentative et que mieux vaudrait faire la paix avec les Français.
“Tu as peur!” lui dit son père, et le jeune homme de répondre :
“Où tu iras, j'irai, la mort ne me fait pas peur, mais les Français sont trop forts.”
L'Almamy convoqua alors tout le Fouta et plusieurs milliers d'individus répondirent à son appel et se réunirent sur la route de Timbo à Sankarella et Porédaka. L'almamy envoya trois cents sofas pour surveiller et garder les routes, mais ces derniers désertèrent et l'almamy et tous les Foulahs comptant sur eux, étaient bien tranquilles un beau matin, lorsque, dès l'aurore, ils entendirent le clairon.
“Aussitôt l'immense troupe des Foulahs se disloqua et bientôt l'almamy resta seul avec mille ou quinze cents hommes à peine; encore la plupart n'attendaient-ils que les premiers coups de fusil pour s'enfuir. L'almamy avait couché à Sankarella; toute la nuit des envoyés qui avaient quitté Timbo la veille et y avaient laissé des tirailleurs, lui avaient porté des nouvelles contradictoires; trompés par les guêtres blanches des tirailleurs et par les batteries des fusils gras, ils disaient que tous les tirailleurs avaient mal aux jambes et que les fusils etaient cassés.
De bonne heure, le clairon réveilla l'almamy; il appela son fils Sory et lui dit, de monter à cheval avec les cavaliers et d'aller disperser la troupe. Lui même descendit lentement la colline et se rendit dans la plaine de Porédaka où les tirailleurs étaient embusqués dans le petit bois de Diari. A peine arrivé, il rencontra son fils qui venait d'exécuter presque dans les retranchements une charge héroïque, une charge folle dont il ramenait à peine quelques cavaliers.
— “Ils sont trop, mon père, il vaut mieux se soumettre!” dit-il.
— “ Lâche, lui répondit son père, tu as peur de cent hommes et tu viens parler de te rendre.”
— “ C'est la seconde fois que vous me dites que j'ai peur, ce sera la dernière.”
Et, remontant à cheval, il part à fond de train pour venir au pied des retranchements tomber percé de coups sous son cheval tué raide.
L'almamy lance alors ses dernières réserves dont la défection a éclairci les rangs, mais c'est en vain : les feux de salve dispersent ses guerriers; lui-même bientot seul et blessé se réfugie dans un petit village sur la route de Foukoumba. Survient un captif de son frère Mamadou Paté, qui veut venger son maître; il étend l'almamy raide mort d'un coup de fusil, lui coupe la tête et la porte au camp français.
“Le clairon sonne la victoire. A peine quelques tirailleurs sont-ils blessés, mais la plaine est jonchée de tout ce que le Fouta comptait de patriotes et de vrais soldats; ceux qui se sont enfuis, ce sont des femmes dont les seules armes ont été jusqu'ici des paroles, et c'est de ces paroles, paroles de traitres et d'ambitieux que vient de mourir le Fouta, plus sûrement mis à bas par elles que par les balles françaises qui viennent d'envoyer des hommes braves dans le paradis du prophète (novembre 1896).
“L'histoire du Fouta est terminée. Maintenant, c'est l'histoire de la France qui commence dans cette partie de l'Afrique où flottera désormais son drapeau.
“Le soir, sur le champ de bataille, parmi les porteurs qui enterraient les cadavres de leurs frères, Sory Yellely et Oumarou Bademba recevaient les deniers de Judas avec la promesse d'être nommés almamys pour leurs partis respectifs, ce qui eut lieu dans la suite.
“Ce sera la honte de ces deux hommes d'avoir trahi leur pays et fait appel à l'étranger, non par un sentiment sincère de sympathie ou de respect pour lui, mais pour assouvir leur haine et servir leur ambition au détriment de leur patrie et de leurs proches. La justice immanente des choses n'a pas attendu le jugement de l'histoire et s'est déjà prononcée. Sory Yellely est mort assassiné par un frère de Bokar Biro qui le vengeait; pour Oumarou Bademba, après avoir appelé les Français pour le débarrasser de Bokar Biro, il a voulu faire appel à Samory pour le débarrasser des Francais et, pour ce fait, a été destitué à juste titre. Il vieillit sans couronne et délaissé; il assiste au démembrement de l'empire fondé par ses ancêtres et voit les institutions nationales, religieuses et sociales créées péniblement par eux et trahies par lui, se transformer un peu chaque jour sous l'influence grandissante des maîtres qu'il s'est donné 18» (p. 61).
Tel est ce récit de Guébhard. On se demandera peut-être pourquoi nous l'avons transcrit ici, avec toutes ses légendes si contraires à la verité nue et toutes ses erreurs chronologiques. C'est qu'il donne quelques détails intéressants qui ne sont pas dans les histoires précédentes. De plus, il montre à quel point les faits historiques sont déformés par la tradition orale en quelgues générations quand ils ne sont pas fixés par l'écriture. Evidemment, il n'y a pas ici synthèse sérieuse de l'histoire peuhle du Fouta-Djallon, mais le récit indigène plein de déformations tendancieuses et de légendes plus ou moins curieuses qui ont fleuri sur la vérité au détriment de celle-ci. Guébhard, que j'ai connu, était lui-même un grand enfant qui n'avait pas de critique. Passons donc maintenant à la seule synthèse sérieuse de l'histoire du Fouta-Djallon, celle de André Arcin, qu'il a donnée dans son Histoire de la Guinée Française (1911). Il ne faut pas confondre avec le premier volume de cet auteur : La Guinée Française (1907) où Arcin parle déjà de l'histoire du Fouta, mais par notes incohérentes et non systématisées. C'est seulement en 1911 qu'il a fait une vraie synthèse historique, sérieuse et approfondie de l'histoire du Fouta. Nous allons la transcrire, et, au besoin, la critiquer.
Notes
1. En dehors de la fausseté de la date, puisque ces évenements se sont passés en réalité de 1835 à 1837, ce récit est en contradiction absolue avec celui que donne Hecquard beaucoup plus rapproché des événements (1851) et beaucoup plus véridique. Hecquard ne parle nullement de l'ancien almamy Yaya. Voir plus haut le récit de Hecquard.
2. On n'a qu'à comparer cetto relation des événements à la relation vraie donnée par Hecquard (voir plus haut) pour voir avec quelle facilité, en quelques genérations, l'histoire se transtorme en légende.
3. Nous savons que c'est en réalité en 1837 que mourut Bakar ou Boubakar. La date de Guébhard est donc fausse comme toutes les autres. Quant au récit qui précède, il faut le comparer à celui que Hecquard à donne des relations de Boubakar et de Omar jeune. C'est la mère de celui-ci qui a joué, en réalite le rôle que la légende attribué dans le récit de Guébhard à El-Hadj-Omar. Quant à celui-ci, à quelle date est-il venu dans le Fouta-Djallon ? On ne sait pas exactement. En tout cas il est venu sous le règne de Boubakar en 1837 (probablement quelques mois avant la mort de Boubakar), contrairement à l'assertion de Delafosse qui dit qu'en 1838 El-Hadj Omar était encore prisonnier à Ségou du roi Bambara Tiéfolo. En fait cet emprisonnement de El-Hadj Omar doit être mis en avant 1837.
4. Tout cela, nous le savons par Hecquard, est de la pure légende. Loin de redonner le pouvoir à Omar en 1841, Ibrahima Sori Dara essaya de le faire tuer, rata son coup, fut battu sous Timbo et dut s'enfuir à Dara. En 1851, quand Hecquard arrive dans le Fouta, Ibrahima lève de nouveau l'étendard de la révolte, se fait sacrer à Foukoumba, puis battre à plate couture auprès de Timbo. Enfin, en juin 1851, il se soumet à Omar qui se montra fort clément à son égard et partagea de nouveau le pouvoir avec lui en 1863, après qu'ils=eurent ensemble combattu les Houbbous (1859).
5. Il est difficile d'accumuler plus d'erreurs en quelques lignes. C'est en 1856, en effet, que Guébhard place la réconciliation définitive de nos deux almamys et, pendant vingt-trois ans, dit-il (donc jusqu'en 1879 !) ils se cédèrent=régulièrement le pouvoir. Or, Oumarou mourut en 1872 et Ibrahima Sori Dara en 1873. De plus, en 1859, éclata la terrible insurrection des Houbbous qui prirent et pillèrent Timbo cette année-là même et mirent le Fouta-Djallon à deux doigts de sa perte. La prospérité du pays à cette époque est donc une niaiserie des informateurs de Guébhard. Je passe du reste un certain nombre de lignes où Guébhard développe ses idées sur la paix qui régnait à cette époque au Fouta (!!!).
6. Tout ceci est complètement=faux. Le Souliman, le Kouranko et le Sankaran ne furent jamais conquis par les Peuls et, quant au Ouassoulou, il n'est pas probable que l'almamy Omar=ait dirigé ses armes de ce côté. Du moins, les historiens serieux du Fouta ne parlent pas d'une telle expédition.
7. En réalité, 1878, comme nous le savons.
8. Il s'agit du successeur Soria d'Oumarou.
9. Comme nous le savons, cette campagne est en réalité de 1873 et la mort de l'almamy Ibrahima Dara suivit d'un an environ celle d'Omar.
10. Ces evénements que Guébhard ne date pas sont probablement : la trahison du Fouta envers Ibrahima-Donhol-Fella en 1874, et son retour triomphal en 1878. C'est en 1881, nous le savons que MM. Bayol et Noirot passèrent dans le Fouta-Djallon où ils traitèrent avec cet almamy pour le traite de protectorat.
11. C'est-à-dire entre=1896 et 1900 sans doute.
12. L'almamy Ibrahima Donhol Fella=ou Ibrahima Sori III mourut en réalité en 1889 et non en 1887, toujours la déplorable chronologie de Guébhard !
13. Il s'agit, bien entendu, d'Ibrahima Sori Donhol Fella mort en 1889. Ibrahima Sori Dara, lui, était mort en 1873. Quant à l'appréciation de Guébhard sur=le caractère de Boubakar Biro, elle est fort idéalisée.=Il faut voir ce que dit plus haut Olivier de Sanderval de ce héros qui prétendait que la fuite était souvent la meilleure tactique à employer.
14. Ce que dit là Guébhard est en contradiction avec ce qu'il a raconté lui-même des événements qui se sont passés en réalité entre 1874 et 1878. Ibrahima Donhol Fella, d'abord relégué à Donhol Fella, avait eu besoin de beaucoup de présents et de patience, de ruse et de diplomatie, pour reprendre le pouvoir en 1878.
15. Tout ceci est de la phrase, car nous savons que quand Bou Bakar Biro eut été battu par le chef du Labe, aidé par les hommes d'Olivier de Sanderval, il se réfugia en pays soussou et accepta bien les deux miliciens français qui lui assurerènt son retour triomphal au Fouta-Djallon. Bou Bakar Biro était surtout un homme fort rusé. Du reste, toute l'histoire de Mamadou Paté, brossée ici par Guébhard, d'après les dires légendaires de ses renseigneurs, est fausse. Nous savons par Olivier de Sanderval, témoin oculaire de ces évènements, que Mamadou Paté fut trahi par les anciens du Fouta qui le craignaient fort et livré pour ainsi dire à son frère Bou Bakar Biro qui conçut un grand orgueil de son succès, sans savoir exactement comment il avait été préparé (voir plus haut).
16. Tout ceci, bien entendu, est=de la légende contée par un partisan de Bokar Biro. Nous avons vu plus haut, avec Olivier de Sanderval, comment tout cela s'était en réalité passé (fin 1895). C'est la bataille de Bentiguel-Tokocéré où le chef du Labé, Alfa Yaya, aidé par les gens d'Olivier de Sanderval, battit l'almamy Bokar Biro. Bien entendu, dans le récit peuhl sur cette affaire, les machinations d'Olivier de Sanderval disparaissent complètement. Quant à Bokar Biro, c'était évidemment un brave, mais il professait qu'il fallait savoir sauver sa peau à l'occasion pour sauver sa peau et pouvoir ensuite reprendre la lutte
17. Tout ceci est evidemment l'histoire présentée par les Peuls eux-mêmes. C'est eux, disent-ils, qui sollicitèrent l'action des colonnes françaises. En realité, les Peuls détestaient les Français et d'autre part, ceux-ci avaient jeté leur dévolu sur le Fouta-Djallon. Le gouverneur de la Guinée Française, M. Ballay, était brutal et, dès qu'il gouverna la Guinée, le sort du Fouta-Djallon fut réglé. Cependant, Ballay demanda d'abord à l'almamy de venir le voir à Conakry. Sur son refus, on essaya de lui faire signer un traité de protectorat de la France sur le Fouta plus étroit que les précédents. L'almamy ne l'ayant pas signé de son nom même et y ayant introduit des modifications, on envoya enfin les soldats. Les sollicitations des adversaires de Bokar Biro n'ont pas joué grand rôle dans tout ce drame.
18. Extrait de Paul Guébhard : Au Fouta-Djallon, cent vingt-cing ans d'histoire. Publication du Comité de l'Afrique Française, Paris, 1910. Guébhard complète cette histoire du Fouta-Djallon en décrivant l'état social et politique du Fouta-Dialon autrefois et aujourd'hui (p. 64 à 103). Il étudie d'abord
En réalité, il n'étudie que les Pouvoirs publics. Mais dans une autre brochure intéressante il a étudié le travail et la vie économique au Fouta-Djallon (Au Fouta-Dialon. Elevage. Agriculture. Commerce. Régime foncier. Paris, Challamel, 1910).