webFuuta
Bibliothèque


Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


Le succès et le triomphe du système bicéphale 1837-1888.

Cette période qui couvre cinquante années, peut être considérée comme la plus glorieuse de l'histoire du Fuuta au XIXè siècle. Grâce à la clairvoyance des Almaami, les querelles de succession qui avaient l'habitude d'obscurcir l'atmosphére politique du pays n'eurent pas lieu. D'une manière générale, on peut dire qu'à aucun moment les passions et les intrigues ne l'emportèrent à Timbo. Les luttes qui ensanglantaient parfois la capitale, cessèrent pour ainsi dire entre les deux partis rivaux et une certaine "co-existence pacifique" s'instaura entre eux. Chaque Almaami put enfin régner sans s'inquiéter de son rival " en sommeil" 1. Les heurts violents devenaient si rares qu'on les considérait comme des souvenirs.
Les seuls heurts qui ont failli dégénérer en conflits violents sont en nombre limités.

Une première fois, c'était vers la fin de la première période, Almaami Bubakar (alfaya) refusa de céder le pouvoir à son rival soriya, Almaami Yahya. Trop âgé et mal soutenu par ses partisans, il se retira dans son marga (résidence privée). Mais son neveu le futur Almaami Umaru, jeune homme de vingt ans, de retour du Bundu où il faisait ses études, leva une armee après avoir obtenu l'autorisation de son oncle paternel. Il combattit l'Almaami régnant, le vainquit et l'obligea à quitter Timbo pour sa résidence privée. Il remit son oncle au pouvoir qui mourut au bout de quelques mois. Comme Almaami Yahya n'avait pas achevé ses deux règnes, son neveu les acheva sous le nom d'Almaami Umaru.

Le second heurt se produisit lorsqu'il laissa le pouvoir à Almaami Bubakar (alfaya) et que celui-ci refusa de le lui céder après ses deux années de règne. Une bataille allait s'engager entre les deux Almaami lorsqu'arriva soudain au Fuuta, Al-Hajj Omar (Shaykhu Umaru comme disent les Peuls) dont la renommée avait précédé le pas. Le jeune pèlerin passa toute la nuit à négocier entre les deux camps des Almaami. Persuasif, "moralisateur et flatteur, au besoin", selon l'expression de Guebhard, il rappela aux antagonistes tous les avantages de l'entente et tous les inconvénients de la discorde. La religion fut même mise au service de la politique afin d'achever de convaincre les deux souverains en aiguisant leur sentiment de responsabilité devant Dieu et devant les hommes, et c'est ainsi qu'Al-Hajj Omar réussit à réconcilier les deux Almaami et à leur éviter une inutile effusion de sang.

Le troisième heurt notable eut lieu entre Almaami Umaru régnant et Almaami Ibrahim Sori Daara "en sommeil". Ce dernier voulait se révolter contre le premier, mais très vite, des négociations diplomatiques auxquelles fut mêlé le voyageur français Hecquard, de passage au Fuuta en 1851, permirent de résoudre la crise sans effusion de sang 2. Et l'on voyait tous les vendredis les deux Almaami faire la prière commune ensemble souvent sur la même peau. C'était là un spectacle auquel le Fuuta n'était plus habitué depuis l'instauration du régime bicéphale.

Au Jihaad, les Almaami allaient ensemble et quand c'était un seul qui se préparait à partir, l'autre lui offrait un contingent symbolique de ses guerriers. Les Almaami qui ont régné alternativement au cours de cette période furent,

du coté soriya :

du côté alfaya :


Notes
1. Un Almaami qui ne régnait pas était considéré "en sommeil" dans sa résidence privée. L'expression est de G. Vieillard.
2. Il relate ce différend dans son livre: Voyage sur la côte et dans l'intérieur de l'Afrique Occidentale, Paris, 1853, p. 410. Il décrit le Fuuta de la page 214 à 341.
3. Mamuduya, Teliya, Limban, Soliman, Telikelen, Konkofin et Turuban dans le Ngaabu (haute Casamance). Il vainquit et tua deux souverains de ce pays :

Almaami Umaru avait le surnom de "Ndungu mo Kade", mot à mot "Hivernage, fils de Khadiijatu", nom de sa mére.
4. Ses expéditions Muriya, Wontofa, Kutan (ou Kuttan ?). Donhol-Feela était l'une des résidences privées des Soriya, c'est devenu un surnom pour cet Almaami.
5. Fita, Bokeeto (contre des révoltes Hubbu).
6. Madina Kuta, Koronya et Kolisoko. Il avait le surnom de Mansa Daara, c'est-à-dire mansa : titre mandeng, roi, empereur ; et Daara nom du principal hameau résidentiel des Almaami alfaya. Durant les dernières années de son règne, il alterna avec le dernier souverain soriya : Almaami Bubakar Biro, c.f. F.V., docum. hist., Cahiers nos. 6, 10, 21, 33 et 34.