Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages
Le Fuuta, depuis la conquête musulmane jusqu'à la fin du
XIXè siècle n'a été qu'une forteresse en guerre
; tantôt forteresse envahissante, tantôt forteresse envahie
1. Au cours des XVIIIè et XIXè
siècles, le Fuuta a toujours pratiqué une politique d'autarcie
qui était à peine atténuée par la pratique d'un
petit commerce fort limité, réservé à des étrangers,
spécialement soninké plus connus sous le nom de Sarakollé
(sarankulle en peul).
Deux attitudes étaient régulièrement observées
dans la politique extérieure du Fuuta, déterminant ainsi tous
les aspects de cette politique. Une attitude pacifique avec tous les pays
musulmans et une attitude belliqueuse avec les pays païens.
Les rapports pacifiques furent établis au cours du XIXè siècle
avec la naissance ou la renaissance de l'Islam au Soudan occidental. Les
princes peuls étaient en relation constante avec leurs frères
ou cousins du Bhundu, du Fuuta Tooro, du Maasina et leurs voisins immédiats
comme Samori (connus chez les Peuls du Fuuta Dyalon, sous le nom de Almaami
Saamuudu ou Saamoodu). Le Fuuta envoyait souvent des taalibe
(étudiants) au Bundu, au Fuuta Tooro, et en recevait également.
Il envoyait aussi des missions diplomatiques auprès des princes voisins.
Elles étaient toujours temporaires. Cependant deux délegués
de Samori étaient presque en permanence 2
à la cour de Timbo. Souvent ils accompagnaient les Almaami du Fuuta
dans leurs expéditions contre les populations païennes.
Ainsi avec les musulmans, les rapports étaient des rapports de bon
voisinage, parfois même d'assistance mutuelle 3
avec ou sans traité signé entre les princes considérés.
Mais les contacts avec les pays musulmans étaient en fait très
limités. Les quelques renseignements oraux obtenus et les documents
écrits consultés ne permettent pas encore d'analyser et d'étudier
d'une manière systématique toute la politique extérieure
pacifique du Fuuta, alors que la plus petite bataille livrée aux
païens était mentionnée dans chaque document.
Les rapports avec les non-musulmans étaient des rapports belliqueux.
Avec les infidèles, les Peuls ne connaissaient qu'une seule attitude
possible : la violence, la guerre. Se disant et se croyant investis par
Dieu d'une mission sacrée, ils se sentaient obligés de faire
la guerre aux infidèles. C'est le devoir d'un musulman disaient-ils
de convertir les païens et c'était le devoir d'un Peul de faire
des esclaves pour cultiver ses terres. Un Almaami ou un chef de diiwal
(province), grand ou petit, ne se sentait digne de sa charge qu'après
avoir effectué un certain nombre d'expéditions victorieuses
contre les païens. Victorieuses ou non, ces expéditions étaient
nécessaires pour maintenir leur popularité. Elles n'étaient
pas forcément commandées ou dirigées par l'Almaami
régnant en personne, il pouvait déléguer ses pouvoirs
militaires à un fils, à un frère, à un chef
de province ou à n'importe quel homme de confiance de son entourage.
Du reste il pouvait y avoir des expéditions militaires sans la participation
de l'Almaami, mais avec son autorisation : la guerre étant faite
en son nom en ce sens qu'il était le chef suprême des armées
musulmanes du Fuuta. C'est ce qui rend difficile le compte d'expéditions
à attribuer à tel ou tel Almaami 4.
Les buts de guerre des Almaami étaient bien définis. Les guerres
que le Fuuta menait à l'extérieur étaiènt des
guerres saintes (Jihaadi) en peul 5.
Il s'agissait de convertir les païens à l'Islam. Pour les Peuls
comme pour les Arabes à l'époque de la conquête musulmane
le monde était divisé en deux cercles : l'un représentait
le daarul-Islam ou domaine de la paix, c'est-à-dire la foi
; l'autre, le daarul-harb ou domaine de la guerre, c'est-à-dire
des infidèles. Le jihaad avait pour objectif de restreindre
le daaral-harb pour le réduire. Étendre le daarul-islam
afin de faire disparaitre le daarul-harb, recouvrir le cercle de
la guerre par celui de la paix, voilà le but du jihaad. C'est
à cette tâche que les princes du Fuuta se sont attachés
pendant toute la durée de leur règne. Ils ont pratiqué
cette politique à l'égard de tous les peuples voisins non
convertis.
Dans le domaine de l'armement la supériorité des Peuls était
souvent sinon compensée, du moins équilibrée par la
supériorité numérique (en hommes) de leurs ennemis.
Les armes les plus employées au Fuuta étaient :
Les armes à feu n'étaient pas inconnues surtout depuis
que les souverains pouvaient s'en procurer auprès des comptoirs européens
(d'abord portugais et anglais, ensuite français), soit à partir
de la côte guinéenne, soit à partir du Sénégal.
Tout fusil obtenu (don ou achat) était immédiatement démonté
en pièces à partir desquelles, les forgerons, véritables
armuriers, fabriquaient d'autres fusils en grandes séries sur ce
modèle. Au Fuuta, ces forgerons étaient passés maitres
dans l'art d'imitation.
Quant à l'armée peule, elle se composait d'une cavalerie et
des fantassins. La cavalerie était peu nombreuse ; car les chevaux
étaient assez rares au Fuuta et coûtaient des fortunes à
ceux qui pouvaient s'en procurer. C'est pourtant l'entrée en ligne
de cette cavalerie qui déterminait souvent l'issue de la bataille
et donnait la victoire aux armées peules malgré leur infériorité
numérique.
Les fantassins étaient composés d'hommes libres. Contrairement
à ce qui se passait dans la plupart des pays de l'Ouest africain,
où les esclaves jouaient un grand rôle dans la conduite de
la guerre 6, au Fuuta, les esclaves
n'étaient employés que dans l'intendance et le transport des
bagages. Ils conduisaient les chevaux de leurs maitres, s'occupaient du
ravitaillement dans les camps pendant les sièges. Mais le combat
proprement dit était une affaire d'hommes libres, affaire des musulmans.
Puisqu'il était connu de tous qu'un combattant qui tombait sur le
champ de bataille pour la cause musulmane entrait directement au paradis
d'Allah, comment un tel honneur pouvait-il être laissé à
un esclave, c'est-à-dire à un homme qui a refusé d'embrasser
l'Islam ? Mais il devait y avoir d'autres raisons de la non participation
des esclaves aux guerres saintes. C'est qu'au Fuuta Dyalon, il était
difficile d'armer les esclaves razziés aux alentours pour aller combattre
sur les mêmes lieux contre leurs frères. De même, il
n'était pas politique d'armer les anciens habitants jalonke dont
la plupart étaient esclaves, pour les envoyer à l'extérieur
du Fuuta où ils auraient rencontré leurs compatriotes expulsés
par les Peuls ou simplement émigrés par refus de se soumettre
à l'Islam. Non moins important était le rôle économique
que ces esclaves assumaient notamment dans le domaine agricole 7. A lui seul ne suffirait-il pas à expliquer la répugnance
des Peuls à armer leurs esclaves sauf pour leur garde personnelle
? Ils préféraient souvent utiliser des étrangers pour
cette tâche. Une telle attitude découlait sans doute du caractère
spécifique de la conquête du Fuuta, les chefs de province ou
les souverains n'armaient leurs serviteurs que si leur assemblée
respective, refusait la levée des contingents auxquels ils avaient
droit.
Telle était la situation de la politique intérieure et extérieure
du Fuuta à la fin de la première phase du gouvemement bicéphale.
Notes
1. Le Fuuta a été
beaucoup plus envahisseur et n'a été que rarement envahi.
2. Il semble qu'ils
retournaient auprès du souverain mandeng au début de chaque
saison de pluies et revenaient après les récoltes. Cf. F.V.,
docum. hist., Cahier 40.
3. Ainsi les
chefs du Bundu qui étaient des Almaami de langue peuls, ont souvent
envoyé des contingents à tel ou tel Almaami du Fuuta Dyalon
qui désirait effectuer une campagne contre les Koniagi, les
Basari et les Ngaabuans (les gens du Ngaabu) vers la haute Casamance
ou la haute Gambie. En cas de victoire, les Almaalni ou chefs de province
remettaient la part du butin à l'Almaami du Bundu.
4. Aussi nous sommes-nous
contentés de ne noter que les expéditions les plus importantes
et qui sont réellement l'oeuvre de l'Almaami à qui elles sont
attribuées et ceci après avoir comparé plusieurs sources.
5. De l'arabe Gihad. Les
Peuls l'emploient souvent avec la terminaison i, rares sont les mots,
même étrangers qui se maintiennent avec une consonne finale.
6. Cf. Ie rôle
des esclaves dans les armées des royaumes sénegalais et soudanais.
7. Cf. le chapitre sur la structure
économique et sociale.