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Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


B. Les traits humains

1. Population et genre de vie.

Population : deux éléments essentiels forment le fonds de la population du Fuuta : les autochtones ou anciens occupants et les envahisseurs. Les premiers étaient des sédentaires. Ils vivaient là depuis le haut Moyen Age sans doute, s'occupant essentiellement d'agriculture et de chasse. S'ils n'étaient pas les premiers occupants, du moins ils furent pendant de longs siècles, les maitres du pays. Ils constituaient un des rameaux de la grande ethnie mande ou mandeng répandue de la Casamance au nord de la Côte d'Ivoire en passant par le Sénégal oriental, la Haute Guinée et le Soudan-Mali jusqu'en Haute-Volta. Ce rameau comprend surtout des Baga, des Landuma, des Susu, des Soninke (Sarakolle), des Jankhanhe, des Malinke-Bambara et bien d'autres...

Tous ces peuples ont été amalgamés au Fuuta sous le nom générique de Jalonke (Jalunke).

Les envahisseurs constituaient le second élément de la population. Ils sont arrivés sur le massif du Jaloo 1 par vagues successives et par petits groupes, grands, secs, le visage ovale, les traits fins, le teint rougeâtre, cuivré, une houlette en main, voici les pasteurs à bovidés poussant devant eux leurs troupeaux : ce sont les Peuls (Fulbe, plur. Pullo) 2. Leur occupation privilégiée est l'élevage. Vêtus de haillons, ces bergers pacifiques au départ, sollicitaient l'autorisation de faire paitre leur troupeau sur la terre des sédentaires, épuisée et désertée par l'agriculture (le boowal). Les Jalonke maitres du pays, ont dû regarder avec une certaine commisération, mêlée de mépris, ces pauvres hères qui grimpaient péniblement (parce que peu habitués à la montagne) sur le boowal dédaigné, véritable terre de désolation. Méprisés mais tolérés, les Peuls vachers continuaient à s'infiltrer pacifiquement et à s'installer sur les parties les plus pauvres du pays. Pour ces premiers Peuls, le Jalonkadugu (pays des Jalonke) était vraiment comme le disait un de leurs dictons : "le pays de cailloux stériles, de crève-la-faim et de mal-vêtus" 3. C'est bien cela qu'ils connurent d'abord.

Mais cet état d'infériorité n'empêche pas le nomade pasteur d'avoir un sentiment de noblesse, donc de supériorité par rapport au cultivateur sédentaire même lorsque celui-ci vit mieux 4. Et comment le Peul pouvait-il laisser au sédentaire jalonke, profiter seul de bonnes terres à riz, tandis que lui, le noble, maigre comme un squelette ne disposait que du stérile boowal ? La guerre sainte apparut comme une solution commode à ce problème : gagner le paradis en asservissant le paysan, avoir du riz sans manier la houe qui fait déchoir. Les Peuls constituaient alors "la triple aristocratie du livre, de la houlette, et de la lance" 5. C'est ainsi que par suite d'infiltrations successives, il arriva au Fuuta un très grand nombre d'hommes, des vieillards accompagnés d'une nuée d'enfants ou adolescents (leurs taalibe : élèves). A la place de la houlette, ils ont un livre à la main et quel livre : le Coran (le Kaamilu, le "Parfait" comme ils l'appellent eux-mêmes) : ce sont les Peuls islamisés.

Avec eux finit la cohabitation entre Jalonke et Peuls. Ils imposent une démarcation entre les buveurs de sangara (ou vin de palme) et les gens de la foi : les hommes de Dieu. Devenus de plus en plus nombreux et pressés de quitter leur vie misérable, ils exaltent les énergies et engagent la guerre sainte. Ils se battent avec la passion du néophyte. La rapidité, l'effet de surprise et peut-être une certaine supériorité des armes donnèrent la victoire à cette minorité d'envahisseurs en un laps de temps extrêmement bref.

Les anciens maitres devinrent les serviteurs de ces "pauvres hères" qu'ils avaient accueillis et tolérés jadis avec peu de méfiance sans doute. Le pays devint un Fuuta c'est-à-dire un campement, une habitation des Peuls. De là le nouveau nom : Fuuta-Jaloo : Pays des Peuls et des Jalonke (Dyalonké). Devenus les maitres du pays, les Peuls installent leurs demeures dans les endroits les plus favorables et les plus appropriés à leur genre de vie. Leur habitat caractéristique 6 s'adapte aux nouvelles divisions administratives et politiques de l'ordre nouveau qu'ils ont instauré. Les habitations des maitres (maisons, villages, villes) sont séparees de celles des serviteurs, tout comme est différente leur manière de vivre.


Notes
1. Du mot jalo ou jalô (dyaloo) on a fait jalonke (ke ou nke en mande veut dire homme) ou l'homme ou l'habitant du Jaloo, de même Malinke : habitant du Mali, Fuutanke : habitant du Fuuta, Maasinanke : habitant du Maasina, etc. Ou bien si ce suffixe (nke) est ajouté à un nom de personne, il indique la descendance : Sediyanke, descendant de Sedi (ou Seydi) : nom de l'ancêtre de la famille régnante du Fuuta Dyalon.
2. Les peuples qu'ils ont rencontrés dans leurs migrations ou qui ont vu leurs campements, leur ont donné des noms fort differents, entre autres :

3. Leydi Kaaƴe, Kooƴeele, Kolɗe : dicton recueilli par G. Vieillard : notes sur les Peuls du Fuuta Dyalon. IFAN, 1940, p. 98
4. Le cultivateur est traité de "cul-terreux"selon l'expression de Richard-Mollard, p. 184.
5. La formule est de G. Vieillard, citée par Richard-Mollard, o. c., p. 184.
6. La maison peule, de forme ronde, couverte de chaume, appelée péjorativement case (casa) par le terme portugais, qui désigne la hutte, ou toute habitation primitive. C'est ce terme méprisant qui a subsisté pour désigner toutes les habitations des Africains. Alors que toutes les maisons de l'Afrique noire sont loin d'être des huttes. En tout cas, leur aspect primitif reste encore à prouver. Cf. photo 4, planche II.