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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


Première Partie

Le Milieu géographique et humain


Chapitre Premier
Le Milieu

La fédération peule du Fouta Djallon avait son centre à l'intersection du 11e, parallèle de latitude nord et du 12e méridien de long. ouest de Greenwich : de là, elle commandait une zone comprise dans un rayon de 150km., avec une force d'expansion plus grande vers l'ouest.
Si l'on examine la carte géobotanique de M. Chevalier et qu'on y répartisse les groupes peuls de l'Ouest Africain, on voit qu'ils occupent les zones sahélienne et soudanaise: la zone guinéenne n'est entamée qu'en deux points, Fouta Djallon et Adamawa.
Et c'est en ces deux points qu'ils ont pu asseoir une domination durable, où leur langue reste la « lingua franca » dans une aire importante: ces deux hauts plateaux, aux extrémités du monde peul, supportent, en plein « ɓaleeri », en plein pays noir, une civilisation où les Peuls ont la prépondérance politique et linguistique, au lieu qu'en pays mandingue, mossi, haoussa, leur prise de possession, quand elle a réussi, a été suivie, par une rapide absorption des vainqueurs par les vaincus.

La terre et les eaux

Le Fouta-Djallon n'est que la partie septentrionale du grand massif éburnéo-guinéen, orienté N.W-S.E, qui atteint les sources du Bandama en Côte d'Ivoire. Il est séparé du reste de la chaîne par le cours supérieur du Sénégal et du Niger.
C'est une haute région de plateaux d'une altitude de 900 à 1.200 mètres (point culminant:

Un réseau fluvial, rajeuni par un exhaussement récent, arrose le vieux massif d'une multitude de ruisseaux et de rivières torrentielles dont la réunion forme:

Le Fouta Djallon est la terre des eaux vives; le chevelu hydrographique est extrêmement serré et confus. Le même nuage pluvieux, crevant sur certains points des plateaux, peut alimenter à la fois les trois bassins, Océan, Sénégal, Niger, comme par exemple, à « Salotirdhi », (« celles qui se refusent à faire connaissance ») dans la région des mares.
Le marcheur rencontre l'eau tous les quarts d'heure, quand il ne patauge pas sans arrêt. L'eau issue des pluies abondantes (deux mètres) d'avril à octobre, forme sur les plateaux des nappes, des mares ; s'infiltre et jaillit au flanc des monts en sources ombragées, puis en ruisseaux torrentueux coupés de cascades.
Le cours du Kokoulo (Konkouré) de la Diten (Sénégal), de la Komba (Rio Grande), de la Kolé (Petite Scarcie), est coupé par des chutes imposantes et fameuses, mais presque toutes les rivières en offrent autant.
Aucun de ces cours d'eau n'est navigable : on les traverse à gué en saison sèche ou sur des ponts rudimentaires, tronc d'arbre unique et glissant (kolewal), faisceau de branches (yhandhi) ou pont de lianes (nyenketen).
En revanche, peu de passeurs, l'habitant, parfait équilibriste, sur des ponts de fortune, est très maladroit sur l'eau.
Les grandes rivières n'attirent pas l'homme, mais l'effraient ; on préfère utiliser les petits affluents et les sources pour abreuver bêtes et gens, établir des rizières.
Parfois difficiles à franchir, les fleuves sont des frontières. La toponymie du Fouta exploite beaucoup les noms de rivières :

La Téné et surtout le Bafing, les deux fleuves de la « Mésopotamie » peule, sont mêlés à l'histoire du Fouta. C'est aux sources de la Téné (Hoore-Tenen) qu'eut lieu le premier combat de la Sainte Guerre contre les païens. C'est le long du Haut-Bafing que s'établit l'aristocratie dominatrice divisée en

Flore

Le Fouta-Djallon est compris, par le grand botaniste normand Chevalier, dans la zone guinéenne, entre le parc soudanais et la forêt dense. C'est là que la brousse claire du nord devient savane, de plus en plus herbue, feuillue, touffue et ombreuse, tandis que la forêt du sud y subsiste en galeries forestières, le long des cours d'eau, et à l'assaut des pentes.
L'altitude corrige la latitude, adoucit la température, favorise les brumes et les rosées : les espèces montagnardes constituent une flore spéciale à partir de 1.200 m.
Sur ces hauts se rencontre la trinité d'essences typiques, faciles à remarquer:

Le premier de ces arbres, dont le feuillage pâle et la silhouette élégante ennoblissent les futaies montagnardes, donne un fruit agréable.
Bien caractéristique aussi, l'humble fougère-aigle, la même que dans nos bois normands.
L'aspect européen de cette flore étonne le voyageur; absence de palmiers, lignes du paysage, voile de brume, tout dépayse le colonial sahélien ou soudanais. D'autre part les oiseaux éclatants comme le touraco pourpre, des fleurs brillantes comme le lys grimpant, donnent aux sous-bois et aux landes un éclat absolument ravissant, au moins pendant les pluies: c'est un foisonnement frais, juteux, joyeux et multicolore, un des plus beaux spectacles que puisse offrir l'Afrique.
Vers le nord et l'ouest, on retrouve la flore soudanaise, baobab, karité, euphorbes et gommiers ; le contraste est très net quand on passe du Bara peul au Sangala dialonké ( « outre-Gambie »), mais on avait déjà quitté le vrai Fouta. En franchissant la Komba : (Gadha-Komba, « outre-Komba ») étaient apparus les premiers karités.
Dans l'est, c'est dans le Kolen que la flore soudanaise apparaît, « outre-Bafing ». en même temps que le lion, qui tient ici compagnie à la panthère, seul grand fauve en montagne.
Au sud, le manteau boisé s'épaissit. Les fromagers et les palmiers à huile, les pandanées, deviennent de plus en plus nombreux, les fleuves s'élargissent.
A l'ouest, les montagnes deviennent immenses plateaux herbus, coupés de galeries forestières : dans le Kébou, le Bambaya, les Boowe. C'est, avec le Houré et le Fitaba du S.E., une des régions les plus boisées du Fouta-Djallon, la plus sauvage et la plus belle (Télimélé).

La faune

Le Fouta-Djallon n'est pas un pays de chasse. On y rencontre des antilopes, petites et moyennes (mina ou antilope harnachée), des panthères, des sangliers et surtout des singes innombrables (babouins, chimpanzés, colobes).
Il faut aller sur les lisières du Fouta : Houré, Tamisso, Badiar, pour retrouver du gros gibier abondant (éléphant, hippo, buffle, élan) vallées du Kaba, de la Kolenté, du Tinkisso, du Rio Grande.
La chasse et la pêche ne sont pas des moyens d'existence réguliers au Fouta. La seconde pourrait cependant fournir plus d'aliments. Le Peul, d'une façon générale, méprise tous les produits spontanés, cueillette, chasse et pêche, et les laisse à ses serfs.

Les terroirs

Les habitants donnent des noms aux principaux types de formations géobotaniques de leur pays: on a ainsi:

Plateaux nus, pentes boisées ou broussailleuses, vallées envahies par la forêt riveraine ou par le marécage ; grande rareté des plaines cultivables; tels sont les aspects les plus fréquents du pays à l'état naturel.

L'homme, sa demeure, son champ, et son troupeau ont modifié l'aspect du pays en défrichant la forêt et en incendiant les pentes. (Voir chapitre 11. Les feux de brousse).
Le massif montagneux est à mi-chemin entre le steppe sahélien et la forêt dense : le premier s'y prolonge dans les interminables landes nues des Hauts-plateaux, la seconde baigne les flancs des monts, sous forme de futaies riveraines.
Ce milieu hybride a favorisé la création d'une société composite; symbiose des sédentaires sylvestres et des pasteurs vachers.
D'abord une civilisation de Nègres sylvestres, vivant de cueillettes et de maigres cultures mobiles, le fonio des collines, le riz des clairières dans les vallées : à noter le caractère « végétalien » de leurs techniques :

Ces Nègres sylvestres subirent l'invasion des pasteurs du Nord qui introduisirent le gros bétail et accentuèrent le déboisement. Surtout ils asservirent, ces nouveaux venus, les sédentaires, tout en leur empruntant leur civilisation matérielle, qu'ils ont sans doute améliorée. Ils ont surtout apporté leur langue, leur foi qui permit la fondation d'une fraternité musulmane, et une dure exploitation tempérée par le métissage.

Nous verrons, aux chapitres consacrés à l'économie, le parti que les habitants ont tiré du milieu géobotanique qu'ils ont trouvé.

Pauvreté du Fouta-Djallon

Nous pouvons noter que ces conditions naturelles sont médiocres: abondance des eaux, climat frais (froid pour des Noirs), et terres pauvres.
Les plateaux, qui couvrent les 4/5e du territoire, sont impropres à la culture. Ce sont de passables pâturages d'été. Les collines, les pentes ont des terres « maigres » bonnes pour l'antique petite céréale africaine (digitaire) de rendement faible.
Les vallées, les galeries forestières, une fois défrichées, font place à d'étroites rizières, sauf dans quelques plaines privilégiées et vite accaparées par des seigneurs terriens possesseurs de serfs (et aujourd'hui, en pays soso, par les bananeraies européennes).
Les arbres fruitiers (orangers, manguiers) trouvent un climat favorable. Le caféier peut prospérer.
L'abondance des eaux réjouit le pasteur du Nord, mais la mouche tsé-tsé interdit l'élevage du zébu et éloigne les taurins pendant les pluies.
La pauvreté générale interdit une forte densité de population : l'habitat est extraordinairement disséminé.
D'après le dicton peul, le Fouta-Djallon était non seulement : « terre de montagnes et de mensonges » 1, mais aussi « pays de cailloux stériles, de crève-la-faim et de mal vêtus » 2, à quoi un dicton optimiste ne trouvait à répondre : « pays des eaux vives, des arbres fruitiers, de foi et de liberté » 3, toutes denrées peu nourrissantes.

La guerre sainte était une industrie nationale, comme le brigandage pour les Highlanders ou le service mercenaire pour les Suisses. Cette pauvreté entraîne aujourd'hui l'émigration, saisonnière ou définitive, de beaucoup de jeunes gens. La campagne agricole des navétanes vers le Sénégal remplace la razzia annuelle du vieux temps.
L'Européen prend volontiers le Fouta pour un pays de cocagne, parce qu'il y trouve alimentation variée, climat agréable, paysages enchanteurs. Quelques chefs riches, courtois, d'apparence « évoluée », peuvent lui masquer la vie pauvre de la masse des habitants mal nourris. La facile rentrée des impôts, quand les cours du caoutchouc et de l'essence d'oranges sont hauts, peut aussi faire l'illusion sur les capacités fiscales de la population. Mais une observation un peu plus approfondie lui apprendra que les habitants du Fouta ont grand besoin d'être ménagés, protégés et taxés avec modération par une administration bienveillante.

Notes
1. Leydi pelle e penaale
2. Leydi kaaƴe, koƴeele e kolɗe.
3. Leydi di'e, dime, diina e dimaagu.