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Tierno Monenembo
Le roi de Kahel

Paris, Editions du Seuil. 2008. 261 pages


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Chapitre 2

Il quitta le brave Lawrence après l'avoir surchargé de cadeaux et obtenu de lui nombre de traités, pour sillonner de nouveau la côte et fouiller les amonts et les estuaires des innombrables rios qui s'y précipitaient ; remplir ses carnets de schémas et de notes sur la nature du sol, la diversité des insectes et des singes. Il s'initia au nalou et au peul et entreprit d'en rédiger les lexiques. Il s'empêtra dans la mangrove pour s'étonner de la forme de ses arbres, tester le goût inconnu de ses centaines de fruits, et signer avec les tribus le droit d'ouvrir des factoreries et de faire passer ses caravanes.
Il cartographia la zone, donnant pour la première fois une indication crédible des contours de la côte et de l'écoulement des fleuves. Après le Kouchala, le Cabacera, le Koubak, le Comedia et le Compony, il poussa jusque dans les méandres du rio Nunez et visita l'horrible poteau de Vikaria qui servait aux exécutions. On y attachait les condamnés après leur avoir rompu les membres, puis la marée haute venait les asphyxier si, entre-temps, les caïmans ne les avaient pas dévorés.
Et, bien sûr, il arriva à Boké et se présenta tout de suite au fort français.
— Comme ça, vous allez au Fouta-Djalon ! lui dit sur un ton de reproche le capitaine Dehous qui commandait l'endroit. Vous devez savoir que nous ne vous serons d'aucun secours s'il vous y arrivait quelque chose. On ne va pas au Fouta-Djalon comme on se promène en Auvergne. Il y a bientôt un an qu'un de nos compatriotes est allé se perdre là-bas et depuis, aucune nouvelle de lui.
— Vous voulez dire qu'ils l'ont dévoré ?
— Que peut-il lui être arrivé d'autre ?
— Et comment s'appelle-t-il, ce compatriote ?
— Montet ou Moutet, je ne sais plus, moi ! Un farfelu qui s'était mis dans la tête d'aller apprendre la viticulture aux Peuls. Apprendre la viticulture à des Nègres mahométans ! Je croyais qu'il était la pire espèce sur laquelle je pouvais tomber. Et maintenant vous voilà, vous !
Le capitaine lui aménagea néanmoins une chambre et lui offrit un copieux dîner. Mais, pendant le repas, ils furent alertés par des cris violents venant du dehors. Ils sortirent et trouvèrent les sentinelles en train de rosser un homme enchaîné.
— Cela nous arrive une semaine sur deux, expliqua le capitaine. Ces sauvages, ils absorbent leurs saletés pour se laisser envoûter, puis ils viennent voler dans nos magasins en prétendant que c'est sous l'influence des esprits… Albert, garde-moi ce singe dans les oubliettes. Demain, je le présenterai au chef de village.
— Et que fera le chef ? demanda Olivier de Sanderval.
— Il le condamnera sans doute au poteau de Vikaria. Les lois de ces sauvages sont encore plus cruelles que celles des pirates et des inquisiteurs.
— J'ai vu cette horreur en arrivant ici. Que puis-je faire pour sauver ce pauvre malheureux ?
— Rien ! Nous n'avons pas pour habitude de nous mêler de leurs coutumes.
— J'irai voir le chef demain. Peut-être qu'avec un peu d'ambre…
— Ecoutez, monsieur Olivier, notre vie de Blancs est déjà assez compliquée comme ça ! Je vous préviens, si vous nous créez des ennuis, je vous fais fusiller sur-le-champ !
Le lendemain, il n'eut pas besoin d'aller implorer le chef. Quand on ouvrit le sous-sol où croupissait le détenu, on ne trouva que ses os: les fourmis bag-bag l'avaient entièrement dévoré. Il fallait arriver en Afrique pour voir une telle horreur ! Il resta prostré toute la joumée, incapable d'avaler autre chose que sa salive. Puis il se souvint de ses lectures de jeunesse : c'est dans ce petit port — appelé alors Kakandy —, bien à l'abri des pirates et des vents, que René Caillé avait entamé son périple vers Tombouctou. Il lui dressa un petit mémorial et fit sonner le clairon et lever les couleurs par le détachement du fort.

***

René Caillé figurait, et en très bonne place, parmi les mythes qui avaient émerveillé son enfance. Maintenant que l'âge avait fait son tri, il se demandait même s'il ne dépassait pas Ulysse ou Attila. Son nom vibrait encore dans ses oreilles avec la même intensité biblique que celui de certains patriarches et Tombouctou, ma foi, avec la même magie que Java ou Samarkand. S'il pataugeait dans cette mangrove, rongé de soucis et presque déjà paludéen, devant les portes de cette race impénétrable des Peuls, c'était avant tout pour cela : que, demain, leurs noms soient accolés sur le splendide arbre généalogique que, depuis Robinson Crusoé, la féerie des Temps modernes s'était mise à déployer. L'un, le père, l'autre, le fils ! Cela pour les besoins de l'utopie, bien sûr, la réalité, toujours plus cruelle, les ayant créés aussi dissemblables que la glaise et l'émeraude.
René Caillé était venu au monde pauvre, dans un petit village des Deux-Sèvres. Pour avoir volé une bricole, son père, ouvrier boulanger, mourut au bagne de Rochefort en 1780, soit cinquante-quatre ans avant Jean Valjean. Le petit Aimé Victor Olivier, lui, avait été fait lyonnais, c'est-à-dire riche, c'est-à-dire fin gourmet, c'est-à-dire inventif, c'est-à-dire froid et secrètement excentrique.
Chez les Olivier, on naissait sans souci du lendemain, on grandissait dans des demeures silencieuses et vastes, entourées d'une haute muraille, perdues sous une belle végétation. L'essor industriel de la ville devait beaucoup au génie de la famille 1. Côté Olivier comme côté Perret, le petit Aimé provenait d'une longue lignée d'ingénieurs. Son père passait pour un savant. Son oncle Théodore fut l'un des fondateurs de l'École centrale des Arts et Manufactures de Paris, dont il fut lui-même un brillant étudiant. L'acide sulfurique industriel, le monde le doit à son grand-père maternel. Et lui, il devait tout à la chimie, et d'abord sa naissance ! Un jour, Claude-Marius Perret, le père des industries chimiques lyonnaises, engagea un jeune ingénieur qui fit si bien l'affaire qu'il lui donna sa fille à marier. Le couple eut six enfants, Olivier de Sanderval en était le deuxième.
— Cet enfant m'inquiète, disait souvent la maman anxieuse de nature au papa maître de lui et recru d'optimisme, on dirait qu'il n'est pas d'ici, on dirait qu'il regarde autre chose que ce qui l'entoure.
Non, c'était un enfant comme les autres, juste un tout petit peu mélancolique. Comme tout le monde, il obéissait à son père et aimait sa mère — d'un amour ardent, cependant, pudique, insoupçonnable mais ardent : de toute la fratrie, de loin le plus attaché à elle. Mais ce n'était pas un de ces enfants efféminés et chichiteux auquel il fallait nouer les lacets et faire avaler le steak ou la purée. Très tôt, il se montra intelligent, énergique, fort débrouillard. Ce doux rêveur adorait le sport et les jeux dangereux.
A quatre ans déjà, il se mêlait aux conversations des grands et ses propos paraissaient si bien ficelés que personne ne pensait à le rabrouer.
A sept ans, il avait éclipsé son aîné et imposé sa glaciale autorité à ses cadets. C'était un drôle de dur, rude au-dehors mais mou à l'intérieur, un oursin en somme. Ce garçon athlétique, fragile des viscères et du coeur, bouillonnait en son sein de tendresse et de sensibilité. Un rien le faisait fondre : la voix de sa mère, l'éclat d'une fleur, le sourire d'une jeune fille, une strophe de Villon ou une rime de Sully Prudhomme. Et si ses yeux paraissaient toujours secs, son coeur pleurait sans cesse. C'était un rêveur, un rêveur en action, un perpétuel insatisfait. La réalité ne lui suffisait jamais. Il voulait toujours plus grand, plus fort, plus beau.
Il avait l'art d'agacer, mais aussi celui de charmer. En toutes circonstances il émanait de lui quelque chose de majestueux, quelque chose de supérieur, quelque chose de romain.
Sa silhouette virile, son nez droit et ses yeux gris noyés dans une douce lumière blanche plaisaient aux femmes. Son regard perçant, son front haut — légèrement dégarni à gauche et barré d'une longue mèche à droite —, sa barbe noire toujours finement taillée impressionnaient même ses adversaires. Quand il passait dans la rue, tous les regards se tournaient vers lui : oui, oui, il avait bien la gueule de son époque. On s'imaginait Jules Verne, ou alors Victor Hugo.

« Je suis issu d'une famille où la banalité n'est pas de mise. »

C'est tout ce qu'il dira des siens mais c'est peut-être déjà trop, dans cette bourgeoisie lyonnaise, certes latine et catholique, mais discrète et humble à la manière des grandes familles nordiques et luthériennes.
Chez les Olivier comme chez les Perret, on ne venait pas au monde avec le fol orgueil de clamer sa naissance, mais avec la cruelle angoisse de devoir faire au moins aussi bien que papa. Sauf que chez ces fanatiques adeptes de l'effort et de la discipline, les délices de la folie avaient toujours allègrement flirté avec l'usage de la science et la passion de l'industrie. Tenez, ce Claude-Marius Perret, par exemple ! Le vénérable vieillard débouchait place Bellecourt, l'hiver, en traîneau à chiens et, l'été, en cabriolet conduit par des chevaux surexcités à la gnole. Le préfet dut pondre un arrêté pour faire cesser le carnage. Mais, à la mort de sa femme, le vieux renard trouva le moyen de heurter une nouvelle fois les usages et la loi : il fit embaumer celle-ci clandestinement et la garda auprès de lui jusqu'à ce qu'à son tour il meure. Et que dire de cet oncle qui avait passé cinquante ans de sa vie à relever les catacombes de Rome pour, à la fin, en tirer une somptueuse lithographie gracieusement offerte au Vatican !…

***

Le travail d'abord, cependant, la rigolade après, et seulement quand on avait bien mérité sa pause ! Les règles, chez ses têtes brûlées de géniteurs, étaient aussi implacables que leurs formules de laboratoire : « On ne naît pas pour en jouir mais pour faire ce qu'on a à faire. »
Un jour, vers ses neuf ans, il avait fugué de sa sinistre pension d'Oullins, pour échapper à la férule et à la mortelle purée de pois chiches. Il s'était ensuite clandestinement embarqué sur une des péniches de la famille sillonnant le Rhône pour transporter les acides et les minerais, afin de rejoindre ses parents, alors installés à Avignon.
Mais, arrivé au seuil de la maison, il était tombé sur son père :
— Vous ne devez pas vous trouver ici à cette heure-là, vous le savez bien, Aimé !
Le papa avait dit cela sans faire un geste et sans élever la voix, et le petit, aussitôt, avait repris le bateau sans oser monter l'escalier, embrasser sa mère qu'il n'avait pas vue depuis bientôt un an…

***

Comme par hasard, notre futur roi d'Afrique allait bien avec ce que dit le proverbe bantou: « On est plus fils de son époque que fils de son père. » C'était le petit du XIXe, tout craché!… Ordem et progresso !… Son éducation, son tempérament, tout le préparait à vibrer aux passions de son siècle : les idées, les sciences, les grands voyages. Il avait été pétri avec un mental de pionnier, dans un siècle de pionniers ! Sa vie, il l'avait envisagée très tôt comme un escalier raide tendu vers les exploits. Les héros avaient leur légende, sa quête obstinée de la grandeur et de la plénitude aurait son livre. Et ce livre s'appellerait L'Absolu, la somme de ses pensées, le point fusionnel de tous les parallèles : l'idée et la vie, le réel et le vide, l'être et le bon Dieu.
Commencée à douze ans, cette Métaphysique des Temps modernes en était maintenant à sa vingtième version. René Caillé avait laissé des carnets de voyage, lui, il laisserait un journal de route aussi bien qu'une pensée, une oeuvre lyrique aussi bien qu'une encyclopédie.
Il y avait aussi ceci qui le distinguait de son illustre modèle : celui-ci avait trimé jusqu'en Guadeloupe pour pouvoir se payer le voyage de Tombouctou et il n'avait personne pour le recevoir à part les moustiques et la guigne. Alors que lui, de Rufisque à Boulam, en passant par Ziguinchor, la plupart des factoreries étaient les siennes, héritées, il y avait peu, de l'armateur Pastré, son beau-père. Mais, c'était entendu, aucun de ses agents ne l'accompagnerait au Fouta-Djalon.
Il irait seul avec ses Nègres, sans bonne, sans valet de chambre, ce ne serait pas un exploit, sinon.

***

Il écuma les villages, lâcha ses bonimenteurs dans les marchés, mais il eut beaucoup de mal à recruter des porteurs. Les gens de la côte n'aimaient pas beaucoup s'aventurer au Fouta-Djalon.

« Timbo, on n'en revient pas vivant, lui répondait-on avec effroi, et si on en revient vivant, on n'en revient pas libre. »

Il lui fallut trois jours de palabres et beaucoup de cadeaux pour trouver une colonne prête à l'accompagner. Dix vallées, trois plaines, cinq coteaux, six rivières !… Un beau matin, avec la fébrilité de Moïse foulant la Terre promise, Mâly pointa de son index des hauteurs boisées perdues dans le brouillard :
— Tu vois, là-bas ?… Juste après les termitières ?… C'est là-bas le Fouta-Djalon ! Enfin, le pays des eaux vives et des fruits, du lait pur et des érudits ! Le pays qui désaltère ! Ne fais pas attention, toubab, ce sont les griots qui parlent ainsi !
La distance était trop grande, la visibilité trop floue malgré les jumelles. Il aperçut les reflets d'une paroi rocheuse et se contenta de deviner fiévreusement le reste : les boowe 2, les tulde 3, les bergères éclatantes de parures parmi leurs boeufs au pelage de moineau et bien d'autres images renvoyées mille et une fois par les récits de Mollien, de René Caillé, de Hecquart ou de Lambert.
Il reprit la route en sifflotant. Mais, à Boubah, les événements eurent vite raison de son euphorie. La nuit même de son arrivée, Alfa Gaoussou, un seigneur local entré en rébellion, attaqua la cité et emporta une soixantaine de ses porteurs.
Aguibou, qui devait lui remettre son passeport, se trouvait retenu par ses affaires à quelques jours de là. Son épouse, la princesse Taibou, le reçut à sa place. Voici comment ses Mémoires la décrivent :

« Elle porte, pendues à ses cheveux qu'elle porte en nattes étroites, des boules d'ambre grosses comme des oeufs. Sa poitrine est couverte de pièces de cinq francs dont le tintement éveille en elle un orgueil enfantin. Elle a les bras chargés de bracelets d'argent, épais comme le pouce, et elle porte aux chevilles des anneaux de gros fils d'argent tressé. »

Il la salua et lui présenta aussitôt son cadeau, une pièce de mérinos blanc lamée d'argent. Elle étincela de plaisir et l'invita à converser :
— C'est donc toi, le Blanc dont mon mari m'a parlé ! Tu veux marcher jusqu'à Timbo, c'est bien ça ?
— C'est bien ça, princesse !
— Cela, mon mari me l'a dit et il m'a dit autre chose qui m'avait l'air tellement bizarre que j'ai presque déjà oublié. Il paraît que chez toi, là-bas, tu as une drôle de machine et que tu comptes la faire venir ici, au Fouta.
— Un chemin de fer, princesse, quelque chose qui peut aller d'ici à Labé le temps que tu fasses à manger.
— Ça, ça peut être vrai là-bas, pas ici au Fouta.
— C'est vrai partout, princesse.
— Eh bien, moi, même si je le vois, je ne le croirais pas.
Elle était détendue et gaie. Cela l'amusa d'apprendre que là-bas, en France, la pluie est comme le sel, poudreuse et blanche, qu'on y prie devant une croix et mange le cochon, que les hommes, tous non circoncis, n'ont le droit d'épouser qu'une seule femme. Elle le regarda longuement, se moqua de sa peau blême et de ses cheveux lisses et longs, ceux d'un nouveau-né. Puis son visage se figea, cela lui revint qu'elle ne savait même pas comment il s'appelait :
— Tu dois me prendre pour une idiote : il y a un moment que nous parlons et je ne t'ai même pas demandé ton nom. Je suppose qu'on vous donne aussi un nom, là-bas, au pays des Blancs.
— Et comment, princesse ! Même nos rues ont des noms ! Moi, on m'appelle Aimé !
— Yémé ? Ce n'est pas un mauvais nom ! Seulement, tu es bien étonnant, Yémé, de vouloir amener cette machine-là chez nous. Tu penses que les Peuls la voudront ?
— Je compte bien convaincre l'Almaami. Tu m'y aideras, princesse, n'est-ce pas ? Tu es la femme du futur roi de Labé et ton mari est bien vu de l'Almaami, c'est ce que tout le monde dit sur la côte.
— Oui, pour l'instant, mais qu'en sera-t-il quand ce sera le tour des Alfaya de régner.
Cette histoire de Soriya et d'Alfaya, Lawrence avait passé toute une nuit à la lui expliquer en vain. Elle réussit à le lui faire comprendre enfin au moyen d'une petite leçon d'histoire distillée de sa voix inflexible et douce. Il se dépêcha de noter que les Soriya et les Alfaya constituaient les deux branches de la famille des Almaami. Elles régnaient à tour de rôle, deux ans chacune. En tout cas sur le papier ! Qui décidait le plus souvent ? Les poisons, les coups de poignard, les guenes civiles !
Il lui était important de comprendre, s'il voulait un jour régner sur ces terres, que le Fouta-Djalon était un royaume théocratique et fédéral, et qu'il comprenait neuf provinces : un roi à la tête de chacune d'elles et l'Almaami qui régnait à Timbo, à la tête de tous. L'Almaami ou plutôt les deux Almaami : le régnant et celui qui s'impatientait dans sa capitale de « sommeil » ! En attendant, bien sûr, qu'il s'empare du trône !
Un subtil jeu d'équilibre répartissait les pouvoirs chez ces Peuls farouches, susceptibles et méfiants. Timbo régnait mais Fougoumba, la capitale religieuse, couronnait l'Almaami, votait la loi et déclarait la guerre…
— Vous avez un système bien compliqué.
Tout est compliqué chez nous, Yémé, c'est pour cela que nous sommes des Peuls !
Elle lui expliqua les mille et une manières d'aborder cette ombrageuse race peule, réputée rusée, méfiante, fanatique et perfide, toujours sur ses gardes, jamais vraiment amie. Il l'écouta près de trois heures, subjugué aussi bien par ses conseils que par ses lèvres ourlées et par son odeur de fleur sauvage. Il prit congé sur un ton délassé, presque intime :
— Je m'en remets à toi, Taïbou. La route est barrée et j'ai perdu soixante de mes hommes. Je reste bloqué ici à l'entrée du Fouta. Chaque jour qui passe me coûte en énergie et en hommes. Mais je sais que je peux compter sur toi, n'est-ce pas, ma princesse ?
— La route est libre depuis ce matin, Yémé, mon mari m'a envoyé un courrier juste avant que tu n'arrives. Il t'attend à Guidali où je serai moi-même dans quelques jours. Un émissaire arrivera bientôt pour te conduire à lui. J'ai donné des consignes pour qu'on retrouve tes hommes, ou alors on te foumira des captifs. Si tu as des ennuis, n'hésite pas, appelle Taïbou ! Maintenant, va en paix, Yémé, je te bénis, je prie pour toi !
Il se précipita sur ses carnets, aussitôt revenu sous sa tente :

« Du miel, des fleurs, des sources et une princesse que l'on dit cruelle et qui est plutôt courtoise et agréable à regarder, si c'est ça, le Fouta, eh bien, allons-y! »

Notes
1. C'est en rachetant les usines Olivier et Perret que Saint-Gobain a fait fortune.
2. Boowe (singulier boowal) : hauts plateaux herbeux caractéristiques du Fouta-Djalon.
3. Tulde : éminences granitiques de forme tabulaire.

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