Mémoires de l'Institut Français d'Afrique Noire
No. 6 Librairie Larose. Paris, 1944. 84 pages
L'Administrateur de Beckman dont l'action politique avait abouti à la signature du traité du 6 janvier 1897 fût tout naturellement désigné comme résident du Fouta-Djallon ; il ne devait pas conserver longtemps ses fonctions. Epuisé par de longs séjours à la colonie, il rentre en France le 1er avril 1897 et il est remplacé d'abord à titre intérimaire par le capitaine Desdouis, puis par l'administrateur Noirot qui arrive à Timbo le 4 juin 1897 accompagné de l'agent d'agriculture Cavard et du commis Vallen. C'est ce dernier qui fût chargé d'installer un poste à Labé.
Avant de recevoir cette importante mission, Vallen passe quelques mois à Timbo auprès de Noirot et là il apprend le métier d'administrateur « fait de patience et de ténacité ». Noirot lui découvre les dessous de la politique indigène, les ambitions, les jalousies, les haines qui la dirigent ; il lui montre la ligne de conduite qu'il devra suivre. Au moment où Vallen va partir, il lui remet des instructions écrites, datées du 1er février 1898. Ces instructions marquent le point de départ de l'administration du Labé, aussi ne peut-on se passer de les citer intégralement
Instructions
Monsieur l'Administrateur du Fouta-Djallon à Monsieur l'Adjoint du Labé
J'ai l'honneur de vous confirmer les instructions déjà données verbalement au sujet de votre installation à Labé, pour y percevoir l'impôt et exercer sur cette province la surveillance que comporte notre intervention dans les affaires du Fouta.
Alpha Yaya Labé. Alfa Yaya est un chef qui nous parait jouir d'une grande autorité sur les habitants de sa province. De plus, il semble faire tout le possible pour donner satisfaction à notre intervention. C'est un personnage sur la valeur duquel vous serez bientôt fixé. Du reste, pendant les quelques jours que nous passerons ensemble à Labé, vous aurez occasion de vous former une opinion sur son compte et sur la déférence avec laquelle il doit être traité.Politique
Pour le présent, absorbé que vous serez par la perception de l'impôt, vous aurez peu de politique à faire et les questions de ce genre qui auront à être traitées le seront dès notre arrivée. Vous n'aurez donc qu'à suivre les indications que je donnerai et qui portent principalement sur des questions de frontière. Malheureusement il ne dépend pas de nous de résoudre ces questions qui sont présentement soumises au gouverneur général. Cependant vous enregistrerez soigneusement tous les renseignements qui vous parviendront sur les agissements du wali de Dama, Tierno Ibrahima, qui, sujet d'Alfa Yaya, tente de se constituer un état indépendant qui serait soumis au contrôle de l'administrateur de la Casamance. Tous ces renseignements serviraient à éclairer M. le gouverneur général sur la solidité des revendications.
Il en sera de même sur la solidité du droit du chef du Labé sur certains territoires situés au Nord et à l'Est, Niokolo, Dantilia, Sangala qui sont administrés par le commandant de Satadougou comme pays indépendants du Fouta-Djallon, cependant qu'en réalité ils appartiennent à cet état, font partie du diiwal de Labé, et que rien dans la conduite d'Alfa Yaya à notre égard ne justifie un démembrement de territoire à son préjudice.
Alpha Yaya vous entretiendra sûrement de ces questions qui tiennent dans ses préoccupations une place prépondérante. Vous vous efforcerez de le rassurer, en lui faisant comprendre que la défense de ses droits est entre nos mains et que nous soutenons ses intérêts.
Perception de l'Impôt. - Vous procèderez comme nous le faisons à Timbo. Pour chaque versement vous délivrerez un reçu à souche et vous consignerez le versement sur un registre spécial. Les répartitions auront lieu au fur et à mesure qu'un village aura versé son impôt complètement. Vous avez pu vous rendre compte quel effet nous avons produit sur les chefs en leur faisant leur remise d'impôt au fur et à mesure qu'un village est libéré. Cela aide à faire comprendre aux indigènes le fonctionnement de l'impôt.
Convois. - Aussi souvent que possible vous dirigerez le caoutchouc reçu sur Conakry en faisant accompagner la caravane par un ou deux miliciens suivant son importance. En outre, vous ferez désigner par Alpha Yaya un chef de porteurs responsable des désertions qui pourraient se produire en route.
A chaque convoi de caravane, par un courrier spécial, vous aviserez Timbo en indiquant le nombre de porteurs, le poids approximatif, le jour du départ, afin que nous puissions informer Conakry par dépêche.Tarifs
Les émoluments de chaque porteur seront ainsi fixés
- huit francs par homme s'il va à Conakry seulement et rentre à vide
- vingt francs s il remonte chargé pour Timbo.
Comme vous n'avez pas de magasin de vivres à Labé, il ne vous sera pas possible de distribuer des rations aux porteurs à leur départ; ils ne toucheront donc leurs vivres qu'a partir de Friguiabé. C'est pourquoi la solde d'aller est fixée à huit francs payables à Conakry. Le prix de 12 francs fixé pour leur retour, avec une charge pour Timbo, est fait pour inciter les porteurs à rallonger leur voyage de quelques jours. Ils toucheront ces 12 francs à leur arrivée à Timbo. De plus, ils reçoivent trois jours de vivres pour rentrer chez eux à vide.
J'espère que grâce à l'autorité d'Alpha Yaya, vous ne rencontrerez pas les mêmes ennuis que nous pour nous procurer des porteurs. Je vous recommande tout spécialement d'intervenir auprès d'Alpha Yaya aussi souvent que possible pour obtenir de chaque chef de maison la charge de riz que nous demandons pour notre ravitaillement. Cette charge de riz sera payée à raison de 0 fr. 20 le kilo ou portée en recette d'impôt au gré du vendeur
Ainsi nous constituerons un stock de provisions pour notre personnel et vous ferez apporter le reste à Timbo où nous en avons un besoin urgent.Animaux d'impôt.
Quant aux animaux, boeufs, moutons que vous serez susceptible d'engraisser, autant que possible vous les vendrez sur place. Dans ces conditions, un carnet de toutes les ventes que vous ferez sera dressé en y indiquant le nom de l'acheteur et le prix de vente. En regard du prix de vente, vous indiquerez la valeur représentée par l'animal au titre de l'impôt.
Les ventes se feront toutes au comptant.
Les plus beaux boeufs susceptibles d'être dressés, seront réservés pour être expédiés à Timbo.Gardes d'animaux.
— Vous prierez Alpha Yaya de mettre à votre disposition les bergers nécessaires qui recevront mensuellement 10 francs sans ration.
Répartition de l'impôt à Alpha Yaya.
— A ce sujet, j'appelle particulièrement votre attention.
La remise à faire à Alpha Yaya en tant que chef de diiwal est de un franc par case. L'almamy devait toucher également un franc, mais vous le savez, notre intention est de soustraire le Labé à l'autorité de l'almamy et d'en faire un pays ne dépendant exclusivement que des autorités françaises. J'ai mis à profit l'assassinat de Sory Elely, pour faire savoir à l'almamy Oumarou que comme conséquence de ce meurtre, le gouverneur avait détaché complètement le Labé de son autorité et que si semblable méfait se renouvelait, il n'hésiterait à faire de chaque diiwal un état indépendant.
Donc pour l'almamy la mesure concernant l'indépendance du Labé est prise; il n'ignore pas qu'il n'a aucun droit à toucher sur cette province, mais cette mesure dont j'ai informé le gouverneur n'est pas encore sanctionnée par lui et cette sanction est indispensable pour lui donner un plein effet.
En conséquence, en attendant la ratification du gouverneur, la remise revenant à l'almamy, soit un franc par case, sera mise de côté, jusqu'à nouvel ordre lorsque le gouverneur l'aura décidé, la moitié de cette remise, soit 0 fr. 50 centimes par case fera retour à Alpha Yaya et les 0 fr. 50 restant seront acquis à notre budget pour concourir aux frais nécessités par la résidence du Labé.Patentes
— Vous savez qu'un arrêté du gouverneur du 28 décembre, frappe d'une patente tous les commerçants et dioulas exploitant la Guinée Française. Ci-joint un exemplaire de cet arrêté.
Vous préviendrez tous les dioulas sans exception qu'ils ont à faire une déclaration en indiquant quelle catégorie de patente ils veulent prendre, et en les prévenant quelles peines ils encourraient s'ils se livraient à des opérations commerciales supérieures à celles conformes à la patente demandée.
Naturellement, les caravanes venant du Soudan et se rendant à la côte et vice versa, qui ne se livrent à aucun commerce, sont dispensées des patentes. Elles opèrent simplement un service de transport.
Les déclarations avec demandes de patente sont expédiées à Timbo qui les fera parvenir à Conakry.
Au retour de ma tournée, j'adresserai un rapport à M. le gouverneur pour obtenir une remise de 30 % sur les patentes au profit des chefs. Ainsi notre surveillance sera plus active, puisque les chefs intéressés seront les premiers à nous signaler les délinquants.Laissez-passer.
— Comme nous le faisons à Timbo, vous délivrerez des laissez-passer aux dioulas et colporteurs se rendant à la côte, en les engageant, sous peine d'une amende de vingt-cinq francs, à bien spécifier l'escale où ils se rendent.
Chaque fois que vous enverrez un courrier à Timbo, vous ne manquerez pas d'indiquer le nombre de laissez-passer délivrés par vous en mentionnant le nombre d'hommes, la marchandise transportée et le point où ils se rendent ; de même vous viserez les laissez-passer des colporteurs venant de la côte, en mentionnant sur un registre le point de départ, celui de destination et, ceci est important, les marchandises transportées.
Chaque mois vous dresserez un état de mouvement commercial que vous joindrez à votre journal des faits quotidiens.Journal des faits quotidiens.
— Je vous recommande ce journal d'une façon toute spéciale. Vous y enregistrerez tous les faits qui peuvent se produire : visites, difficultés, objets des requêtes et réflexions personnelles. Ne perdez pas de vue que la rédaction du Journal constitue la meilleure méthode de renseignements et aide autant à faire connaître le caractère des gens avec lesquels on est en relations qu'à constituer des …
Levées, itinéraires de route.
— Vous aurez peu d'occasion de vous déplacer, absorbé que vous serez par la perception de l'impôt. Cependant, s'il vous est permis quelques petites tournées, à défaut d'instruments, vous établirez des levés sommaires, en procédant ainsi :
- Parti du point X à X heure.
- Marché dans telle direction à X heure, traversé un ruisseau appelé X., courant dans telle direction, dire la nature des rives, si elles sont encaissées ou planes, si le passage est facile pour les animaux.
- Passé à X heure à proximité de tel village situé à droite ou à gauche de la route, à tant de distance, son importance. La nature de la route, montagne ou plaine, - si la marche est plus ou moins facile à hauteur approximative des montagnes, dire si l'ascension en est difficile .
- Arrivée à X village à X heure . Prendre le nombre de cases, le nom du chef. Bonne ou mauvaise réception.
En procédant ainsi, on peut obtenir des indications très utiles, pour obtenir un levé définitif.
Miliciens, interprète.
— Dix miliciens et le caporal Samba Coulibaly sont mis à votre disposition. En attendant que le gouverneur vous expédie directement à Labé Ansoumane, interprète qui accompagne le capitaine en route pour Conakry, Samba Coulibaly vous en tiendra lieu. Vous savez avec quelle sévérité nous tenons nos miliciens ; vous continuerez afin d'éviter des complications avec les populations
Solde
— La solde du personnel du Labé sera faite tous les mois par les soins de l'agent spécial de Timbo. En l'envoyant chercher, cela vous sera une occasion d'expédier un courrier.
Fonds reçu au titre de l'impôt.
— Pour les fonds que vous aurez perçus comme impôt, vous les enverrez à Timbo lorsque vous aurez réalisé une certaine somme. Cependant, étant donné les avantages que nous retirons en expédiant le caoutchouc à Conakry, vous n'hésiterez pas à établir le plus de répartitions possibles en numéraire, plutôt que de remettre du caoutchouc. Au besoin, nous pourrions vous faire parvenir des fonds
Vivres
— Il vous est difficile de connaître présentement si, en servant aux miliciens une indemnité représentant leurs rations, ils pourraient facilement se les procurer.
Dans le cas où ils rencontreraient trop de difficultés, vous leur donneriez la ration en riz et en sel que nous expédierons de Timbo. En ce qui concerne la viande, vous ferez abattre de petits boeufs pour plusieurs jours de rations, ou mieux des moutons. Du reste, mieux que personne, vous serez à même de juger de l'opportunité de la mesure qu'il conviendra de prendre.Rapports avec les indigènes en général.
— Durant votre séjour à Timbo, ayant vécu constamment avec moi, vous avez pu vous rendre compte de la somme de patience et de ténacité qu'il est nécessaire de déployer pour obtenir quelque chose des indigènes. Vous vous êtes rendu compte également que l'on obtient quand même.
Je vous serais bien reconnaissant de procéder de la même façon avec les populations du Labé, convaincu que je suis que c'est encore le meilleur procédé susceptible de développer notre influence.
Telles sont dans leurs grandes lignes, Monsieur l'adjoint du Labé, les instructions qui vous aideront à accomplir votre mission. Des détails peuvent être oubliés, vous les réglerez avantageusement, j'en ai la certitude, puisqu'en somme vous êtes en contact avec les indigènes, depuis bientôt trois ans et que vous n'ignorez pas que l'on peut obtenir d'eux tout ce que l'on désire, en restant digne et en évitant l'injustice .
Timbo, le 1er février 1898.
NOIROT.
Pour se rendre de Timbo à Labé, Vallen traverse le Kolladé ; à Galli le chef de Kankalabé l'accueille avec courtoisie et il fait prévenir Modi Cellou Dombi, un des représentants d'Alfa Yaya, de l'arrivée prochaine du laquo; blanc raquo;. Alfa Yaya était à Touba. Dès que Modi Cellou reçoit le message du chef de Kankalabé, il s'adresse aux notables réunis à la mosquée pour la prière du vendredi et il leur conseille d'aller au devant de Vallen. La rencontre a lieu à Missidi Tiga, à quelques kilomètres de Labé. Vallen s'adresse aux indigènes qui se présentent et demande laquo; qui est le chef ? raquo;. Modi Cellou s'avance. Après quelques phrases de politesse, tout le monde se remet en route pour entrer à Labé. Vallen s'installe d'abord dans une case du carré d'Alfa Yaya (près du carré qu'habite actuellement Alfa Mamadou Bobo). Les gardes forment les faisceaux. Quelques jours plus tard, Alfa Yaya arrive, il rassemble tous les grands notables du diiwal et leur annonce la venue du chef blanc à qui ils devront obéir.
Bientôt Vallen quitte la case qu'il occupait chez Alfa Yaya et s'installe dans le carré de Modi Mamadou Dian où il restera cinq mois. Puis il cherche un emplacement pour y construire le poste.
A Bourounonko, à Diolou, à Maléa, rien ne semble convenir, en fin de compte son choix se porte sur le foulasso Sassé, très petit hameau qui ne comprenait que deux carrés. Les occupants durent céder la place et furent indemnisés. La première résidence était une case ronde couverte en paille ; elle se trouvait à l'emplacement où a été construit en 1941 le tribunal indigène 1.
Les rapports que Vallen adressait à son chef, l'administrateur Noirot, pour lui rendre compte des actes de son administration n'ont pas été retrouvés et il est à craindre qu'ils ne soient définitivement perdus. Aussi ne sait-on à peu près rien des événements qui se sont passés dans le Labé au cours des années 1898-1899 et n'est-ce que l'orientation générale de la politique française en face du commandement indigène qu'il est possible de montrer ici.
A l'époque où Vallen s'installe à Labé, Alfa Yaya est un grand et robuste gaillard, à la figure large, aux traits épais. Son père, Alfa Ibrahima, après avoir longtemps guerroyé dans la région de N'Gabou avait fini par s'entendre avec l'aristocratie du pays et, pour sceller cet accord, le roi Idrissa, lui avait donné en mariage une de ses filles, Koumansor. De Koumansor devait naître en 1855 Alfa Yaya, métis de foulah et de guélowar. Parvenu au pouvoir par une suite de crimes qui lui ont permis d'écarter ses rivaux, le chef de diiwal de Labé est dominé par l'ambition. Intéressé et sans scrupules, il sait au besoin calculer ses gestes et dissimuler sa brutalité. Rusé plutôt qu'intelligent, il est illettré et en dépit des apparences, il restera toujours le chef pillard, vindicatif et cruel qu'ont été ses ancêtres. Il ne sut pas comprendre que notre arrivée marquait pour son pays le début d'une transformation politique et sociale qu'il était vain et dangereux pour lui de contrarier.
laquo; Cet homme, en apparence ouvert à nos idées, écrira de lui le docteur Maclaud en 1898, subit impatiemment notre domination; il nous sert par nécessité. J'ai pu constater que son empressement cache presque toujours des trahisons et que ses marques de déférence à l'égard du gouvernement servent à dissimuler des vengeances personnelles. raquo;. Venu un siècle plus tôt, l'histoire ne l'aurait pas distingué de tous les tyranneaux de petite envergure qui mettaient le pays en coupe réglée ; ce qui lui a donné un certain relief et ce qui lui vaudra quelques pages dans l'histoire du Fouta-Djallon c'est uniquement cette circonstance qu'il était là au moment où s'est faite l'occupation française et que le rôle qu'il a joué est lié aux principaux événements de cette occupation. Par sa mère, il peut prétendre à des droits sur le N'Gabou et c'est pour cette raison qu'en 1880 son père lui a confié le commandement de la province de Kadé 2. Avec les villages voisins, Kadé forme une agglomération d'environ 12.000 habitants, mandingues, foulahs, landoumans, sarakolets, toucouleurs, etc... C'est là qu'Alfa Yaya a sa famille, ses esclaves, ses terrains de culture. A Kadé il se sent chez lui, en sécurité, à l'abri des trahisons. Devenu chef du diiwal, c'est à Kadé qu'il continue de résider. A Labé, où il ne vient que rarement il est trop près de l'administration française, trop près des almamys ; il n'est plus le chef absolu n'ayant de compte à rendre à personne.
Pour le moment (1897) il cherche à se dégager de toute subordination à l'égard des almamys ; il serait temps ensuite de se débarrasser des français. Or, la politique de l'administrateur Noirot, tend précisément à diminuer le plus possible le pouvoir des almamys ; il est donc tout disposé à soustraire à leur commandement le diiwal de Labé, le plus important de tous. Si l'on mettait fin à toute ingérence des almamys dans le Labé, il deviendrait sans aucun doute plus facile d'y rétablir l'ordre et c'est une raison de plus pour accorder à Alfa Yaya ce qu'il demande.
Dès la fin de l'année 1898 la décision déjà prise par Noirot depuis plus d'un an est sanctionnée par le gouverneur ; le diiwal de Labé est détaché de la confédération foutadjallonkée. Alfa Yaya qui tenait déjà du gouvernement français sa nomination de chef permanent du diiwal, lui doit désormais de ne plus relever des almamys. L'évènement, considérable aux yeux des indigènes parce qu'il rend évidente à tous la dislocation de l'état foulah, laisse en présence pour des antagonismes prochains Alfa Yaya grandi et les représentants de l'autorité française dont la situation s'affermit lentement.
Le chef du poste de Labé, Vallen, relève du résident du Fouta-Djallon dont les services sont installés à Mamou. Il n'a pas de rapports directs avec Alfa Yaya ; il est trop modeste fonctionnaire pour cela. Il n'a pas non plus de contact avec la population qui ne reçoit d'ordres que du seul Alfa Yaya et ne dépend que de lui. C'est avec un certain Modi Tanou 3 représentant le chef du diiwal et son homme de confiance, qu' il discute de l'administration du pays ; c'est à lui qu'il remet les instructions et les convocations qu'il désire faire parvenir dans les villages. Modi Tanou en réfère à Alfa Yaya qui donne, s'il lui plaît, des ordres à ses sujets. Tout se fait ainsi avec une lenteur désespérante et il suffit même au chef du diiwal de ne pas confirmer les instructions du chef de poste pour qu'elles ne soient pas exécutées.
Le diiwal de Labé comprenait, on l'a vu, le territoire qui forme, actuellement,
Alfa Yaya prétendait même à des droits sur le Niocolo et le Dentillia.
Pour asseoir l'administration française sur des bases plus solides et pour la placer en contact plus étroit avec les chefs secondaires et la masse même de la population, le gouvernement décide en 1899 de diviser le diiwal en deux cercles, ayant pour chef-lieu, l'un Labé, l'autre Kadé. L'année suivante, les populations du N'dama s'étant révoltées, le cercle de Kadé est à son tour partagé en deux circonscriptions qui eurent pour chef-lieu Kadé et Boussourah.
A partir de l'année 1900, le diiwal est ainsi divisé en trois cercles et chacun de ces cercles relève directement du gouvernement. La nouvelle organisation administrative n'affecte en rien le commandement d'Alfa Yaya qui reste exactement ce qu'il était antérieurement. Les limites territoriales du cercle de Labé sont, dès cette époque, à peu de chose près, les mêmes que celles des subdivisions de Labé et de Mali réunies, telles qu'elles existent de nos jours.
Au moment où il prend ses fonctions, au mois de juin 1900, l'administrateur Thoreau Levaré, commandant du cercle de Labé, constate la réelle faiblesse du chef de diiwal : laquo; Modi Tanou raquo; - le représentant de Alfa Yaya - laquo; n'a qu'une influence relative et sur quelques-uns seulement. Je crois même que l'avenir me démontrera qu'il en est de même pour Alfa Yaya qui doit surtout à notre présence de ne pas être culbuté du pouvoir. Excellente situation pour nous, d'ailleurs. Mon désir est de me mettre de plus en plus en contact direct avec les différents chefs et de substituer ainsi l'influence des fonctionnaires français à celle du chef indigène raquo; 4 Etrange contradiction de notre politique.
C'est l'administration française qui avait désigné Alfa Yaya comme chef du diiwal à vie en 1897; c'est elle qui l'a débarrassé de la tutelle des almamys en 1898 et dès l'année 1900 elle entreprend de ruiner son autorité qui n'est déjà que trop compromise, et de détacher de lui la masse de la population.
Il semble bien qu'en fait, peut-être parce qu'ils avaient compris qu'aucune collaboration avec lui n'était possible, les représentants du gouvernement français au Fouta-Djallon n'aient pas insisté pour obtenir l'adhésion du chef de diiwal et pour l'associer à notre oeuvre de civilisation. Bien au contraire, dans les années qui vont suivre, tout sera mis en oeuvre pour amener sa chute.
L'organisation instituée en 1899 n'était pas viable. Le gouverneur, de qui relevaient directement les commandants de cercle du diiwal, était placé beaucoup trop loin pour saisir à tout instant, dans leurs nuances et leur extrême mobilité, les tendances politiques des partis en présence. De Conakry, comment aurait-il pu imposer à ses représentants l'unité de vue et d'action sans laquelle leur administration devait fatalement paraître incohérente et désordonnée ? La division du diiwal en trois cercles devait affermir le commandement à sa base en créant des contacts entre l'administration et l'indigène dans des régions où ils ne s'étaient pas encore produits, elle l'affaiblissait à son sommet, en supprimant toute direction d'ensemble effective, ainsi que toute liaison entre les trois cercles du diiwal. N'était-ce pas possible cependant de grouper ces cercles sous un commandement supérieur installé à Labé même, ou en tout autre point du diiwal ? Déjà un arrêté du 23 février 1901 avait constitué en laquo; région raquo; administrative le Fouta-Djallon 5 qui se trouvait placé sous le commandement d'un résident installé à Timbo. C'est une organisation semblable qui fut créée par arrêté du 23 juin 1902 pour le diiwal de Labé ; les cercles de Kadé, Boussourah et Labé formèrent au point de vue administratif et politique une laquo; région raquo;, dont le capitaine d'infanterie coloniale Bouchez, de l'état-major particulier de l'Afrique Occidentale, eut la direction.
Dès sa prise de commandement, il indique les raisons d'être de la nouvelle laquo; région raquo;. Les cercles de Boussourah, de Kadé, et de Labé (comprenant la circonscription de Yambéring) entre lesquels sont répartis les territoires soumis à l'autorité du chef Alfa Yaya étaient restés ces derniers temps sans lien spécial entre eux, un seul et même chef indigène se trouvant ainsi en relations avec trois administrateurs différents.
Pour supprimer les difficultés d'action résultant de cet état de choses et pour permettre d'imprimer à l'ensemble une impulsion unique avec le maximum d'utilisation possible du personnel très restreint actuellement en service, les cercles précités ont été constitués en région au point de vue politique et administratif. Ainsi la région établit l'unité administrative française en face de l'unité de commandement indigène.
La situation politique devant laquelle se trouve le capitaine Bouchez, simple en apparence, est en réalité fort complexe. Sous l'autorité d'Alfa Yaya sont réunis des groupes ethniques très différents les uns des autres et dont certains supportent impatiemment le joug. Le diiwal est un agglomérat de peuples divers sans aucun autre lien entre eux qu'une sujétion commune. Quant à l'administration française, elle est encore embryonnaire. Ce n'est que dans la région voisine du poste de Labé que l'on trouve quelques traces d'organisation. Dans un rapport du 31 décembre 1902, le capitaine Bouchez, après avoir fait le point, exposera tout un programme de réformes.
La province du Labé proprement dit, sur le territoire de laquelle est situé le poste est certainement l'une des contrées les plus peuplées de nos possessions africaines ; les agglomérations s'y pressent serrées, réparties en misside, appellation qui prise dans son sens le plus général, désigne un canton, une portion de territoire nettement circonscrite sur lequel se dresse le groupement principal près de la mosquée et de la résidence du chef et à l'entour des villages de culture en nombre variable qui en dépendent et qui se distinguent par les noms de foulassos et de roundés suivant qu'ils sont peuplés de libres et captifs. Les chefs de misside connaissent ici l'européen ; ils commencent a être en rapport avec le poste dans leur ensemble, leurs dispositions sont excellentes à laquo; notre égard mais ils n'osent pas trop les manifester et ne se livrent pas entièrement, parce qu'Alfa Yaya est là, éternellement méfiant, voyant d'un mauvais oeil ces relations directes, écartant impitoyablement des affaires tous ceux qui attirent notre attention pour mettre à leur place des gens incolores mais dont il est sûr (disgrâce Modi Tanou), leurs sentiments à son égard - et ces chefs de misside personnifient la masse - sont bien différents, certains, ceux des vieilles missides comme Tolou, Tountouroun, traités avec plus de ménagement et habitués par atavisme à la domination des mo Labé le supportent sans peine; d'autres lui trouvent la main lourde ; d'autres enfin, les descendants des vieilles familles rivales le haïssent profondément. En somme, partout une crainte profonde d'Alfa Yaya ; bien rares les dévouements vrais, s'il en existe.
Cette province du Labé, celle de toute la région dont l'état est le meilleur, pourrait facilement être dirigée sans l'aide d'Alfa Yaya, mais lui existant, de par sa volonté qu'aucun indigène n'ose enfreindre, l'administration n'y peut rien sans passer par son représentant, Modi Aguibou, et ses prescriptions ne seront exécutées, il y en a de récents exemples, que si le représentant les transmet lui-même.
« La province du Koubia, en bordure du Koïn, est également peuplée de peulhs uniquement ; c'est ce même Modi Aguibou représentant d'Alfa Yaya près de l'Administration du Labé pour tout le cercle, qui le commande spécialement, comme fief à lui donné par son père. Ce tout jeune homme, fils aîné d'Alfa Yaya, a été longtemps considéré, à juste titre par nos administrateurs comme un scélérat et, en effet, il avait été jusqu'à lasser même un père ; depuis, il parait s'être amendé. Alfa Yaya a maintenant pour lui une affection sans bornes et le considère comme l'héritier de son autorité. Il semble actuellement s'acquitter consciencieusement de sa mission et dans toutes les occasions où il ne croit pas devoir en référer à son père, il est pour l' administration du Labé un auxiliaire actif, non sans autorité et plus facilement maniable qu'Alfa Yaya. La population du Koubia est à peu près celle du Labé mais elle ne s'est pas familiarisée avec le poste aussi bien que celle-ci.
Passant successivement en revue les autres provinces du cercle de Labé, le capitaine Bouchez observe que la population du Yambéring n'a aucune relation avec le poste et ne connaît pas l'européen ; elle a peu de sympathie pour Alfa Yaya et son chef Tierno Doura ne serait pas loin de partager ses sentiments. Pour établir avec elle un contact plus étroit, on a construit et aménagé à Sigon-Yambéring un poste qui n'a jamais été occupé. Il serait de toute nécessité qu'un fonctionnaire des affaires indigènes vint y résider.
Par son éloignement, la province de Ouara échappe pour ainsi dire complètement à l'action de Labé. Les gens se laissent recenser, paient l'impôt avec plus ou moins de peine et n'ont pas d'autre rapport avec l'administration.
Le Sabé forme la bordure extrême du diiwal vers le Nord, à la frontière du Sénégal ; l'autorité d'Alfa Yaya y est peu assise l'action de l'administrateur de Labé nominale. Il y aurait tout avantage à rattacher cette région à la circonscription de Yambéring lorsque celle-ci existera, ou mieux encore de constituer une autre circonscription administrative avec un poste à Médina Kouta, en comprenant avec elle le Sangalan.
Touchant au Sénégal et au Soudan, le Sangalan est peuplé presque entièrement de diallonkés qui supportent fort mal le commandement d'Alfa Yaya. La population y est répartie entre trois familles : les Mansaré, les Niakasso et les Kamara, dont les chefs paraissent bien incapables de se faire obéir.
Dans les cercles de Kadé et de Boussourah les populations autochtones, de races et de religions très diverses, ont été soumises par la force et sont toutes prêtes à rompre le lien qui les attache au diiwal.
Il apparaît ainsi que le diiwal est une formation arbitraire, imposée par la violence et supportée à contre-coeur ; seuls les captifs du chef supérieur et ceux dont la fortune est attachée à la sienne en sont les défenseurs. Dans le cadre de la confédération foutadjallonké, le diiwal avait pu maintenir son intégrité, grâce à l'appui des almamys dont le prestige restait considérable ; isolé, il ne pouvait échapper à la désagrégation qu'autant que l'administration française lui accorderait son aide. Faut-il en conclure, se demande le capitaine Bouchez, que si une cause quelconque faisait disparaître le diiwal et rendait leur indépendance à toutes les provinces qui le composent nous nous trouverions, du jour au lendemain, avec l'organisation et le personnel dont nous disposons, dans d'excellentes conditions pour administrer le pays ? Ce serait une grave erreur de le penser. La situation serait peut être améliorée dans la province de Labé, voisine du poste ; partout ailleurs l'administrateur n'était pas connu de la population et il ne la connaissait pas. Toute la politique d'Alfa Yaya avait constamment tendu à empêcher que des relations s'établissent entre le représentant de l'autorité française et les chefs secondaires, aussi bien les villages éloignés étaient-ils restés sans contacts avec nous. De cet examen des causes de notre faiblesse, le capitaine Bouchez conclut qu'il faut donner à chaque administrateur un commandement territorial qui ne dépasse pas les limites à l'intérieur desquelles peut s'exercer réellement son influence personnelle sur la masse ; il est ainsi amené à proposer que la laquo; région raquo; correspondant au diiwal de Labé soit divisée administrativement en six cercles à l'intérieur desquels pourraient être créés des postes secondaires. Voici l'organisation qui lui paraît judicieuse :
Ayant un territoire moins vaste à administrer et par conséquent moins de travail chaque commandant de cercle pourrait faire plus de tournées ; il cesserait d'être un inconnu pour ses administrés et peu à peu, sans heurt, avec les tendances que nous leur avons reconnues, ceux-ci s'affranchiraient de l'obstruction du chef de diiwal et se mettraient en rapports avec nous... le rôle du chef du diiwal deviendrait... plus conforme à nos besoins, ainsi qu'à nos principes en attendant qu'il en arrive à être très honorifique mais peu actif..., Bien entendu les fonctions de chef du diiwal, devenues dans ces conditions futures une superfétation, ne dureraient que jusqu'à l'extinction du titulaire actuel.
Le capitaine Bouchez ne se fait aucune illusion sur ce que nous pouvons attendre d'Alfa Yaya. laquo; Il nous servira chaque fois que nos intérêts concorderont avec les siens propres et qu'il croira avoir un parti à tirer de nos vues ; dans les autres cas il se soumettra avec plus ou moins de protestations mais n'en fera qu'à son idée tant qu'en la question il en sentira pas notre volonté absolument ferme et définitive, impossible à éluder, et décidée à surveiller et à exiger l'exécution stricte. Auquel cas il obéira car s'il cherche par tous les moyens à nous la dissimuler, il a conscience de sa faiblesse et sent qu'il ne peut rien contre nous et rien sans nous.
laquo; La conception politique de ses rapports avec l'autorité européenne est très nette ; elle répond d'ailleurs à l'ancienne idée que se faisaient les chefs de diiwal a l'égard de l'almamy du Foutah. Il est vassal du Gouverneur, lui paie tribut à charge aux français de lui prêter aide dans toutes ses entreprises chaque fois que le besoin s'en fera sentir et cela dans la direction que lui raquo; Alfa Yaya laquo; indiquera. Mais il est chef du diiwal et entend rester le maître absolu sans que personne s'initie dans le détail des affaires, sans que le gouverneur (et encore bien moins le commandant de cercle en son nom), s'occupe de la population ou des chefs secondaires ni de ce qui se passe dans le pays.
laquo; C'est peut-être la vraie définition théorique du protectorat. Elle n'est acceptable que dans un pays à organisation régulière où les chefs personnifient les habitants ; ici où le chef est imposé aux habitants, il semble que, en pleine équité, et pour ne considérer que ces points de vue, notre rôle protecteur soit autant, si ce n'est plus, de protéger la population que de protéger le chef. raquo;
Telles sont les grandes lignes de la politique que le capitaine Bouchez est enclin à suivre et qui peuvent se résumer ainsi :
Il n'est pas possible, au début de l'année 1903, de porter atteinte à l'autorité d'Alfa Yaya, mais il n'y a pas lieu de chercher à l'affermir. Il suffit de garder avec lui des relations amicales en lui faisant comprendre qu'il ne peut se passer de nous. Les commandants de cercle doivent accentuer leur action et prendre contact avec les chefs secondaires et la population. Lorsque le moment sera venu, après une étude approfondie des provinces, l'organisation définitive de la laquo; région raquo; sera parachevée.
On en viendra au démantèlement des grands commandements indigènes et à l'administration directe des misside. Cette réforme ne sera réalisable que le jour où la disparition d'Alfa Yaya, accomplie ou devenue possible, amènera la dislocation du diiwal.
L'insuffisance de notre action administrative dans le diiwal était évidente et il semblait bien que la réorganisation administrative proposée par le capitaine Bouchez permettrait d'y remédier. Multiplier les postes de commandement n'était-ce pas multiplier l'action ? Séduit par ce que ce programme avait d'apparente logique, le gouverneur général Roume signait le 12 juin 1903, un arrêté ayant pour effet de diviser le territoire de la Région en cinq cercles :
Détaché de la Région, le pays coniagui formera un cercle distinct dont l'administrateur relèvera directement du chef de la colonie.
Le cercle de Labé comprend le Labé proprement dit, augmenté du district de Pellal, en tout 55.000 cases.
Le cercle de Yambéring est formé des provinces de Yambéring, Ouara et Koubia. Le commandant réside à Sigon (quelquefois appelé Donguel Sigon, puis Donguel Sigon : la colline de Sigon) ; un poste avait été construit là au début de l'année 1902, mais c'est seulement en février 1903 qu'il devait être occupé par le commis des affaires indigènes Francon. Situé dans le Yambéring et à proximité du Koubia, Sigon était un excellent observatoire au coeur de cette région peuplée et riche.
Tout au nord du plateau de Mali, le cercle de Médina-Kouta comprend le Sangalan avec Dioulabaya, et le Sabé, soit environ 9.000 cases. La population se répartit en :
Très modeste hameau diakanké, le village de Medina-Kouta - village jeune - n'a été choisi comme chef-lieu du cercle frontière qu'à défaut d'une autre agglomération plus importante. Le poste est occupé le 14 mai 1903 par le commis des affaire indigènes, Henri Liurette.
Les cercles de Kadé et Médina-Kouta n'eurent qu'une existence éphémère ; ils furent supprimés l'un et l'autre par arrêté du 18 mai 1905. Les territoires qui constituaient le cercle de Kadé furent rattachés au cercle de Touba ; ceux qui formaient le cercle de Médina-Kouta vinrent grossir le cercle de Yambéring. Le poste de Médina-Kouta subsista quelques années et ne fût fermé que le 16 avril 1908 ; il était alors occupé par l'adjoint des affaires indigènes Hugon.
La suppression du cercle de Médina-Kouta s'imposait ; à l'expérience il avait bien fallu constater que si le commandant de cercle se trouvait en contact avec les populations qu'il avait à administrer, il était isolé et comme perdu dans sa circonscription, trop éloigné du commandant de la Région pour le tenir au courant des événements et pour recevoir, en temps utiles, ses instructions.
Entre les années 1900 et 1905, une des préoccupations essentielles des commandants de cercle du Fouta-Djallon est de percevoir l'impôt indigène, le tribut comme l'on dit à cette époque. Etabli en Guinée par arrêté du 28 décembre 1897, I'impôt indigène était fixé au taux de 2 francs par tête d'habitant ; il pouvait être payé soit en argent, soit avec certains produits du pays désignés par l'administration et qui étaient acceptés à des prix fixés d'avance. Un arrêté du 23 décembre 1897 avait étendu l'impôt à tous les diiwe du Fouta-Djallon, toutefois il était spécifié qu'en attendant qu'une occupation plus complète de ces territoires permit le recensement des habitants, l'impôt serait perçu au taux de 10 francs par case habitée (chaque case étant supposée abriter 5 habitants) et que le produit serait réparti comme suit :
Enfin un arrêté local du 24 juillet 1898 avait créé à Labé une agence spéciale.
Après que le diiwal du Labé fût soustrait à l'autorité de l'almamy, la part qui revenait à celui-ci sur le montant de l'impôt fût attribué aux chefs de village (arrêté du 24 octobre 1900). Si l'on veut bien considérer qu'en 1904 le montant de l'impôt du cercle de Labé s'élevait à 604.220 francs, il faut reconnaître que les remises accordées aux chefs étaient loin d'être négligeables.
En 1902, la justice est encore rendue par les anciens tribunaux indigènes. Lorsqu'il reçoit des plaintes, le commandant de cercle se borne à saisir les juridictions indigènes :
Cependant, à la suite d'une entente avec les chefs des provinces, il a obtenu le droit de contrôler le fonctionnement des tribunaux, notamment en matière d'esclavage, et il lui est remis copie des jugements.
L'esclavage reste une institution en faveur parmi la population foulahne ; l'administration française se préoccupe d'y mettre fin. Par une convention passée le 13 juillet 1897 à Timbo entre le résident et les chefs indigènes, Alfa Yaya avait reconnu l'abolition de la traite des noirs, mais cet accord était demeuré lettre morte, les autorités françaises n'avant pas les moyens de le faire respecter. Le 6 octobre 1902, sur les instructions du gouverneur, le commandant du cercle de Labé et l'adjoint de Yambéring rassemblent les chefs et leur font comprendre que le moment est venu de faire cesser en le réprimant sévèrement, le trafic des esclaves. Après une longue palabre, les dispositions suivantes sont arrêtées :
Ce règlement n'aura que peu de portée. Les efforts du chef du diiwal, qui le premier et plus que les autres faisait le commerce des esclaves, s'ajoutaient à ceux de toute la population libre pour dissimuler les infractions et pour entraver la répression.
En juillet 1905, l'administrateur Tallerie constate que, sans doute, l'on ne voit plus sur les routes les caravanes amenant des files de captifs sur le marché de Labé mais que les Foulahs continuent d'en faire le commerce entre eux et s'en servent comme moyen de paiement.
Les captifs de la région de Labé viennent de pays très divers : presque tous sont des prisonniers ou des descendants de prisonniers pris au cours des innombrables guerres que les foulahs faisaient à leurs voisins sous le prétexte de les amener à la religion de l'Islam. En général, les hommes libres capturés comme prisonniers, s'ils étaient musulmans, n'étaient pas réduits en esclavage mais ils devaient se racheter ; ce sont les individus de basse condition dont les armées foulahs pouvaient s'emparer, ceux qui étaient enlevés sur les routes, ou bien leurs descendants, qui formaient la masse des esclaves au Fouta-Djallon.
Ces captifs pouvaient théoriquement obtenir leur liberté en se rachetant. Ils devaient, pour cela, faire une demande au commandant de cercle et c'est là que résidaient les difficultés, ne pouvant qui le voulait, approcher le commandant de cercle. Selon l'usage, le prix du rachat était de 150 francs. En cas de mauvais traitement ou de refus de nourriture l'esclave était immédiatement libéré. Les laquo; liberté raquo; reçoivent un certificat, signé du chef de la colonie, qui prouve leur nouvelle condition. Ils sont considérés par la population foulah comme des perturbateurs ; à chaque libération les chefs protestent, Alfa Yaya plus vivement que les tous autres. C'est que l'esclavage forme toute la main d'oeuvre agricole du Fouta-Djallon. Le foulah n'aime pas le travail, ni même le commerce ; il est resté pasteur et ne s'intéresse qu'à ses troupeaux. Pour cultiver les champs de fonio il lui faut des bras, ceux de l'esclave. Supprimer l'esclavage, c'est obliger le foulah à mourir de faim ou à travailler, dilemme angoissant.
Les captifs de case s'accommodent assez facilement de leur condition ; ils sont généralement bien traités. Souvent les filles captives deviennent les concubines de leur maître et leur donnent des enfants qui, selon les règles de l'état-civil indigène, sont considérés comme légitimes au même titre que les enfants des femmes mariées. Ces mélanges de races expliquent que beaucoup de notables et même de chefs foulahs aient le type diallonké ou malinké très accusé ; ils expliquent aussi que les généalogies dont les foulahs sont si fiers, ne fassent jamais état des ascendances maternelles.
Un décret du 15 avril 1902 avait reconnu l'existence légale des tribunaux indigènes ; un second décret du 10 novembre 1905 vint en régler la composition et le fonctionnement, faisant de la justice indigène un des rouages de l'administration française. Il y eut désormais dans chaque cercle des tribunaux de village, des tribunaux de province et un tribunal de cercle. Le tribunal de village a un rôle de conciliation en matière civile et commerciale ; il statue aussi en matière de simple police. Le tribunal de province constitue le premier degré de juridiction ; il est présidé par le chef de province assisté de deux notables, il connaît de tous les délits et de toutes les affaires civiles et commerciales. Au chef-lieu, le tribunal du cercle connaît de tous les crimes ; il juge comme tribunal d'appel en matière civile et commerciale.
La politique de rapprochement suivie par l'administration locale devait nécessairement reposer sur la confiance et la compréhension. C'est pour obtenir la confiance de ceux qui étaient appelés à devenir de loyaux sujets que le gouvernement de la Guinée ouvrit à Labé une école primaire de français, le 1er août 1903. Dirigée par un instituteur européen, cette école comptait en février 1904 une cinquantaine d'élèves. Pour obtenir l'assiduité aux classes, il fallut obliger les enfants à habiter les locaux scolaires où ils étaient nourris par leur famille.
En 1905, la Région de Labé n'a pas encore de poste médical ; celui qui est le plus rapproché est à huit jours de marche de Labé. Cependant la situation sanitaire est médiocre ; le paludisme est très répandu et la grippe fait chaque année de nombreuses victimes.
Notes
1. Renseignements sur l'arrivée de Vallen donnés par Mamadou Mouctar, notable de Labé.
2. Kadé se compose en 1898 de deux villages
3. Accusé de se faire donner des cadeaux Modi Tanou dût bientôt résilier ses fonctions de représentant du chef de diiwal. Plus tard il devint chef du village de Mélikaré, puis en 1920, chef de la province de Labé.
4. Lettre au gouverneur, 30 juin 1900.
5. En créant la laquo; région raquo; du Fouta-Djallon, qui comprenait tous les diiwe à l'exception de celui de Labé et qui les regroupait en quatre cercles, le gouverneur Cousturier entendait rompre l'unité du Fouta-Djallon et aboutir à la « disparition de la nationalité foulane, à la désunion complète des forces dont la cohésion serait demeurée dans l'avenir un perpétuel danger pour la paix publique... »
Rapport du 25 décembre 1901 au gouverneur général.