Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane
Nous avons vu que le Foula est né pasteur. Malgré son instabilité au cours des siècles de son émigration, il ne s'est jamais départi de son bétail qui lui fournissait ses moyens d'existence. Vivant du produit laitier, il consacra presque entièrement son temps à l'élevage.
A son arrivée au Fouta-Djallon, il trouva le pays occupé par les Djallonkés, en majorité cultivateurs. Son voisinage avec ce peuple ne fut pas aisé, en raison des dommages que son bétail causait sur les cultures. Il choisit la montagne pour laisser la plaine aux cultivateurs. Ainsi la paix s'établit-elle entre eux.
Pour satisfaire ses besoins alimentaires, il proposa ses produits laitiers à son voisin qui lui fournit des grains. Un troc s'instaura entre eux, qui permit chacun de satisfaire, sans difficulté, ses besoins.
Au fur et à mesure de l'évolution du pays, ce troc fut la base d'un commerce important.
Lorsque les Foula musulmans arrivèrent avec leur troupeau, le commerce augmenta en volume. La population s'accroissant de plus en plus, le Foula se vit obligé de prendre la houe pour cultiver comme le Djallonké.
Mais bientôt la guerre sainte était déclarée. Elle s'exerça peu à peu a à l'intérieur comme à l'extérieur. Les réfractaires à l'Islam furent réduits à l'esclavage ; ce qui rapporta aux musulmans une main-d'oeuvre fort utile. Partout l'agriculture fut entreprise sur une grande échelle, car les Djallonkés ayant été chassés du pays, il devint impérieux pour le Fouta d'assurer luimême sa subsistance 1.
Par la guerre, les chefs, les marabouts et les notables influents s'enrichirent et possédèrent de nombreux esclaves, des troupeaux de bovins et des greniers très garnis.
Dès lors, la population du Fouta se divisa en cinq catégories d'hommes ou classes : le cultivateur, l'éleveur, le notable, le marabout et le chef.
Mais le Fouta était presque enfermé sur lui-même. La guerre sainte avait rendu précaires toutes les voies de communications. Les relations commerciales avec les pays voisins étaient peu suivies en raison de l'insécurité des pistes et des difficultés des traversées des rivières et des fleuves. Le trafic se maintint entre les régions du pays. Pourtant quelques audacieux se déplaçaient pour se rendre sur la côte maritime, pour importer du sel, des colas, des marchandises européennes qui y avaient fait leur apparition. A leur
retour, il troquait ces marchandises contre des esclaves, du bétail ou des grains ; la monnaie était inconnue.
D'autre part, les chefs et les notables envoyaient vendre des esclaves contre de l'or en pays manding ou dans le Bambouk et sur la côte. Le Fouta recevait également des chevaux du nord que les Almamys et les chefs des diiwe s'achetaient pour les besoins de la guerre sainte. L'esclave et le boeuf servaient de monnaie 2.
C'est seulement sous le règne de Almamy Oumarou que des émissaires européens vinrent de Sierra-Léone, de Boké ou de Dubréka pour solliciter l'autorisation d'exercer le commerce dans le Fouta. Les traités établis à cet effet comportaient des conditions favorables aux deux parties : exonération de taxes et de douanes, redevances réduites en faveur des chefs, occupation du domaine de l'Etat avec une prime au chef .
A la suite de ces traités, des comptoirs s'installèrent un peu partout pour l'achat du caoutchouc, de la cire d'abeille, des peaux de boeufs. Les Foula apprirent à récolter ce caoutchouc qu'ils ignoraient. Avec l'introduction de la monnaie, les habitants se familiarisèrent avec les pièces d'argent et de bronze ainsi qu'avec les poids et les mesures européens. Peu à peu les habitants se formèrent au métier de dioula et de boutiquier. Ainsi on adopta dans le langage local les diverses pièces (sou, kopor, tamma, tadala, etc.) ou les poids et mesures (kilo, mètre) 3.
La liane de caoutchouc abondait dans toutes les régions. Aussi la récolte du latex rapporta-t-elle aux paysans une aisance appréciable. Les chefs, tel que Alfa Yaya, augmentèrent considérablement leur richesse grace à la main-d'oeuvre servile dont ils disposaient. La cire et les peaux de boeufs apportèrent, de leur côté, une part importante de gain au pays.
L'Angleterre et la France multiplièrent les missions vers le Fouta, chacune voulant dominer le commerce du Fouta. Finalement, la France, qui avait une certaine avance sur l'Angleterre, l'emporta. Depuis les caravanes furent détournées de Sierra-Léone en faveur de Boké, Dubréka ou Conakry.
Grâce à ce commerce, les habitants accumulèrent de fortes sommes d'argent liquide. Mais au lieu de les garder en dépôt, ils les utilisèrent pour acheter des bijoux pour leurs épouses. La richesse d'un habitant se mesure alors à la valeur de bijoux que les femmes portaient sur le corps : aux bras, aux chevilles, dans les cheveux.
Dans les premiers temps de la guerre sainte, les chefs se contentaient de peu pour exercer leurs fonctions. La constitution de Fougoumba ne prévoyait aucun budget pour les dépenses publiques. A cette époque, les combattants s'engageaient dans l'armée pour une cause sacrée. Ils fournissaient eux-mêmes toutes les armes nécessaires à leur action. Mais au fur et à mesure de l'évolution de l'Etat, ses dépenses se multiplièrent.
Il fallut des ressources pour nourrir la cour des chefs. On eut recours à la zakat prescrite par le Coran. Puis, sous le règne d'Almamy Oumarou, un régime dictatorial institua des impôts très lourds. Toutes les dépenses de l'Etat furent à la charge de la population, notamment les cultivateurs et les éleveurs. Les paysans, eux, furent soumis au travail forcé au compte des chefs qui formèrent une aristocratie.
Malgré le poids de ces charges, la population les supporta avec courage, ce qui permit aux Almamys et aux chefs des diiwe de profiter largement de ce régime.
Mais bientôt, le colonisateur s'installa ; et pour mieux exploiter les ressources humaines et matérielles du pays, il décréta la suppression de l'esclavage, du travail forcé et des fournitures obligatoires. Il institua un semblant de liberté au profit des esclaves qu'il utilisa à sa façon ; un autre régime d'exploitation plus subtil fut imposé au pays.
Ce fut une grosse perte pour le Foula, car faible et paresseux (!!!), il était maintenant réduit à prendre lui-même la houe pour ses travaux champêtres. Son champ fut juste suffisant pour ses besoins familiaux.
Notes
1. Après la défaite des animistes à Talansan, nombre d'entre eux émigrèrent vers la Guinée maritime pour échapper à l'esclavage. Outre des Diallonké, on comptait surtout des Baga et des Nalou (populations plus anciennes que les Diallonké au Fouta) qui fuirent en masse et s'établirent dans les marécages de la Basse-Côte. Ainsi, la guerre sainte provoqua un important mouvement de population. Cf .les nombreuses études sur les populations de la Guinée maritime à l'Institut Polytechnique de Conakry (1967-1980).
2. L'auteur veut dire que le Fouta vécut longtemps en autarcie. Mais dès le début du XIXe siècle, le commerce reprit ses droits ; les caravanes des Dioulas du Manding (Kankan) traversèrent le Fouta pour gagner les Rios (la Côte) moyennant paiement des droits de passage. C'est en s'incorporant à une caravane mandingue qui partait de Boké que René Caillé traversa le Fouta pour atteindre Tombouctou (1827), en passant par Kankan.
3. C'est après les conquêtes coloniales (1896) que la monnaie fut introduite au Fouta : alors commence l'exploitation du caoutchouc et la commercialisation du bétail.