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Taariika / Histoire


Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon : des origines au XXe siècle

Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane


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Chapitre XVI
Almamy Samory et le Fouta-Djallon

Pendant que le Fouta-Djallon évoluait dans les conditions que nous venons de voir, Samory fondait un empire très vaste à l'est. Au cours de sa poussée vers le nord, sa puissante armée se heurta, malheureusement aux troupes françaises qui avaient occupé le Soudan (Mali) et cherchèrent à l'attaquer pour prendre possession de son territoire. Samory fut donc obligé de rebrousser chemin et de diriger sa conquête vers l'ouest. Devant lui, le Fouta-Diallon était un obstacle sérieux. Quittant le Ouassoulou il conquit tous les petits Etats qui secondaient entre ce pays et le Niger à l'ouest. Au dela, il ne pouvait s'étendre que vers le Foutà-Djallon. Il dépêcha une première ambassade auprès des Almamys du Fouta, leur demandant leur soutien pour le combat contre l'ennemi commun, les païens blancs. Si les Almamys répondaient négativement à cette demande, il avait pris la décision de marcher sur leur royaume. Mais, ceux-ci, se sentant menacés, souscrirent inconditionnellement à cette proposition et se dépêchèrent de prendre les mesures qui s'imposaient pour arrêter la marche rapide de ce grand conquérant.
Les Almamys consultèrent leurs marabouts qui prescrivirent des sacrifices et d'envoyer à Almamy Samory un très beau cheval blanc auquel ils avaient fait absorber un tafisinan. On envoya également à l'Almamy un léfa imbibé d'un autre talisman. Une délégation foula quitta Timbo, porteuse du léfa et conduisant la belle bête. Les marabouts affirmaient que dès la présentation de ces jolis cadeaux, l'Almamy Samory monterait le cheval et s'éventerait avec le léfa ; si le cheval prenait la direction de l'est, Samory se détournerait du Fouta-Djallon. Quant au léfa, il avait la vertu de décourager l'envahisseur.
Dès l'arrivée de la délégation chez Samory, elle lui présenta des cadeaux qui lui firent un grand plaisir. La beauté du cheval l'incita à le monter immédiatement. La bête hennit aussitôt et se tourna vers l'est. Dès qu'il descendit à terre, il contempla le léfa et fut frappé par l'ingéniosité avec laquelle il était confectionné. joyeux, il s'exclama, comme d'habitude, « Pakî ! » et s'éventa aussitôt avec. Les envoyés de Timbo étaient satisfaits de l'effet des cadeaux sur le destinataire. Ils proposèrent donc, au nom de leurs chefs, un traité d'amitié et de défense réciproque au grand conquérant, qui y acquiesça sans difficultés.
Ce traité conclu, Samory demanda aux Almamys de lui fournir des boeufs contre des esclaves et les invita à s'opposer à la France, avec les forces vives du pays, pour l'empêcher de s'installer au Fouta.
Mais si les Almamys avaient la volonté nécessaire, ils ne disposaient pas des mêmes forces que Samory. Ils se contentèrent de lui fournir régulièrement le nombre de bœufs dont il avait besoin et continuèrent à s'occuper davantage de leurs problèmes intérieurs qui, à cette époque, leurs causaient des soucis permanents.
Parmi ces problèmes, l'Affaire des Houbbous occupait une place primordiale. Or, le chef houbbou, Karamoko Abal, depuis qu'il assassina l'Almamy 1brahima Sory Dara, n'avait cessé d'amplifier sa rébellion. Il avait fortifie sa capitale Bokéto et noué des relations de bon voisinage avec les petits états soussou et malinkés proches à l'ouest du Fouta qui se plaignaient constamment des attaques réitérées des partisans des Almamys Foula.
Le traité de défense mutuelle conclu avec Almamy Samory était donc une occasion favorable pour obtenir l'anéantissement de cette rébellion. Samory, sollicité par Timbo, saisit aussitôt cette circonstance pour démontrer aux Almamys la puissance de ses troupes.
Karamoko Abal, descendu des montagnes du Fitaba, avait conquis le Firiya. Samory envoya dans ce pays des troupes sous le commandement du redoutable général Kémoko Bilali. Les Houbbous se retirèrent précipitamment sur Bokéto où ils furent assiégés, pendant un an, par les troupes de Kémoko Bilali.
Désespéré d'enlever Bokéto par la force, Kémoko Bilali feignit désirer la paix, qui fut conclut avec le chef Abal. Un certain nombre de Sofas du général demandèrent l'hospitalité à Abal, qui eut l'imprudence de l'accorder. Kémoko Bilali se retira donc avec le reste des troupes. Quelques mois après, il rentra inopinément à Bokoéto, tandis que les sofas restés dans cette ville se soulevèrent contre leur hôte.
Malgré cette trahison et la rapidité de l'attaque, Karamoko Abal réussit à repousser les assaillants. Connaissant la ténacité de l'envahisseur et s'attendant à une nouvelle attaque, Abal resta sur le « qui-vive ». Il jeta un cri d'alarme à ses voisins de l'ouest, le Houré, le Tamisso, le Kokounya, le Falaba, leur demandant du secours. Il leur rappela qu'il leur servait de forteresse derrière laquelle ils devaient se réfugier, estimant qu'il était le seul disposant d'une force suffisante pour résister aux troupes de Samory. Il ajouta que s'il succombait, un sort des plus terribles leur était réservé, car la cruauté des sofas du conquérant était connue de tous. Il les supplia d'oublier les anciennes querelles de voisinage pour s'unir à lui et barrer la route à l'ennemi commun.
Les termes de cet appel montraient l'angoisse qui étreignait Karamoko Abal. Il espéra un écho favorable de ses voisins. Mais, hélas, la peur avait gagné le coeur de ces derniers, qui ne lui envoyèrent que quelques soldats mal formés.
Kémoko Bilali, avec des renforts considérables, recrutés en pays Djalonké, renouvela, peu de temps après, son assaut sur Bokéto.
Réduit à ses seules forces, Karamoko Abal lutta en vain. Abandonné par ses voisins, il fut pris par l'armée de Kémoko Bilali. Tous les habitants de la capitale furent égorgés. Lui-même fut dépecé vivant par ses barbares ennemis. Un morceau de son corps fut expédié à chacun des chefs de ces petits états voisins qui voulaient l'aider. Cet envoi était un préavis sur le sort qui les attendaient.
Ainsi prit fin une rébellion qui avait duré plus de deux ans et qui avait coûté la vie à des milliers de fidèles, à des partisans et à l'Almamy Ibrahima Sory Dara.
Les habitants qui échappèrent miraculeusement aux tortures de Kémoko Bilali se reggoupèrent et réoccupèrent la région. Ils y formèrent un groupement important sous l'autorité des Almamys.
Samory et les Almamys respectèrent scrupuleusement le traité d'amitié et de défense mutuelle. L'échange de boeufs et d'esclaves s'effectuèrent dans de très bonnes conditions au profit des deux royaumes.

Notes
1. Lefa : article de vannerie de forme circubire qui sert de couvercle de calebasse. On s'en sert aussi comme éventail. Les plus beaux étaient l'oeuvre des artisans Peuls. Samory, émerveillé par le léfa qu'il avait reçu en cadeau, s'exclama « Paki », en signe de satisfaction.
2. En lançant son général Kémoko Bilali vers l'ouest, Samory visait un double but : montrer ses forces aux Almamys du Fouta et faire une percée vers Freetown, d'où ses marchands lui ramenaient les armes à feu indispensables à ses conquêtes et à sa résistance face aux Français sur les rives du Niger. Samory a laissé chez les Peuls le souvenir d'un souverain cruel et invincible; les marabouts mobilisèrent toutes les forces spirituelles pour détourner du Fouta le conquérant mandingue.