Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane
Chapitre XII
Des Almamys et des Chefs des Diiwe après Karamoko
Alfa mo Timbo
Par suite de la maladie de Karamoko Alfa, le pays fut administré par un intérimaire pendant trois ans. Karamoko Alfa mourut en 1776 1 et immédiatement après, le Conseil des Anciens convoqua un congrès à Fougoumba pour procéder à l'élection d'un remplaçant du défunt.
Alfa Saliou était l'héritier tout désigné, étant le premier fils de Karamoko Alfa. Mais très jeune, sa candidature fut écartée, car il ne pouvait assurer une fonction aussi importante.
Le candidat favori était donc Ibrahima Sory Mawɗo qui avait, non seulement assuré l'intérim pendant trois ans, mais été, pendant le règne de Karamoko Alfa, un adjoint dévoué et jouissant d'un grand prestige. Ibrahima Sory fut couronné comme deuxième Almamy du Foutà. Grand guerrier, il fut grand chef et continua l'oeuvre entreprise par la lutte contre les fétichistes qui avoisinaient le Fouta. Grâce à sa combativité, il élargit les frontières du pays en envoyant des armées jusqu'au Kaarta au nord-est et en Gambie à l'Ouest. Il garda le trône pendant onze ans au cours desquels il organisa 20 batailles victorieuses. Il s'enrichit énormément et acquit une grande influence qui le rendirent très célèbre parmi les Foula très puissants.
Mais, en 1787, les descendants de Karamoko Alfa, appuyés par le grand Conseil et jaloux de cette grandeur, réclamèrent leur retour au pouvoir en présentant Alfa Saliou comme candidat. Celui-ci était majeur. Malgré la force dont il disposait Ibrahima Sory Mawɗo, une majorité se dégagea au sein du Conseil pour décider de le démettre. Alfa Saliou prit la place comme troisième Almamy du Fouta.
A la suite de cette élection, une règle additive à la Constitution fut adoptée stipulant que le pouvoir sera désormais exercé, alternativement, par les descendants de Karamoko Alfa et les descendants d'Ibrahima Sory Mawɗo, chacun d'eux prenant la direction du pays au décès ou à la disparition de l'autre.
Cette décision était un frein au pouvoir absolu des Almamys.
D'emblée, deux partis politiques étaient ainsi créés, le parti alfaya et le parti soriya 2.
Cette alternance du pouvoir pouvait donner satisfaction momentanément. Mais, elle ne manqua pas de créer haine et jalousie entre les deux factions et de provoquer toutes les guerres civiles.
Le Conseil décida en même temps que cette alternance au pouvoir sera appliquée aux diiwe dans les mêmes conditions. Elle entraîna les conséquences les plus néfastes. Dans les premiers temps de l'organisation du pays, la nomination d'un chef de province ne nécessitait qu'une élection par les notables que l'Almamy entérinait par une décision suprême. Depuis cette date, les chefs de provinces ne vivaient plus qu'en rivaux, l'un en fonction, l'autre en expectative, chacun ayant des partisans plus ou moins rapaces et prêt à toutes les sales besognes ; le chef de province ne devait, souvent, son arrivée au pouvoir qu'à l'assassinat d'un frère ou d'un cousin adversaire.
En raison de leur importance politique, c'est dans les régions de Timbo et de Labé que cette dualité du pouvoir causa les effets les plus nocifs. Timbo étant le siège du gouvemement central, et Labé étant la province la plus riche.
Raisonnable et très intelligent, Almamy Ibrahima Sory Mawɗo se plia devant la décision du Conseil des Anciens et céda le pouvoir au nouvel Almamy. Il se retira dans la campagne, dans son village de culture, pour attendre son tour de commandement.
Mais le Conseil des Anciens ne tarda pas à le rappeler pour qu'il reprenne le pouvoir. Voici dans quelles circonstances :
Le jeune Almamy, Alfa Saliou, entreprit dès qu'il prit la couronne, une expédition contre le Sangaran. Condé Bourâma, roi de ce pays était absent. Alfa Saliou entra dans sa capitale et gifla son père quinquagénère et aveugle. Le vieillard garda le calme, conseilla plutôt à Alfa Saliou de disparaître rapidement avant que son fils ne le trouve. Il évitera ainsi la catastrophe, lui dit-il.
Alfa Saliou rejoignit donc Timbo. Ce départ du souverain n'arrangea pas la, situation qu'il avait provoquée. Car, dès le retour de Condé Bourâma, il fut informé de ce qui était arrivé à son père pendant son absence. Il décida aussitôt de se lancer à la poursuite du souverain du Fouta qui méritait, déclara-t-il, un châtiment exemplaire. Il prépare sans retard une armée très puissante et prit le chemin de Timbo qu'il attaqua et conquit.
L'Almamy prit la fuite avec tous ses partisans pour se réfugier à Bantiŋel. Les troupes de l'envahisseur pillèrent tous les biens des habitants et incendièrent la mosquée. Après avoir exhumé le corps de Karamoko Alfa, le roi lui coupa le bras droit. Assuré d'une sécurité complète, il campa à Timbo pendant deux mois, sans que l'Almamy ne fit signe de vie. Il décida alors de poursuivre Alfa Saliou et d'occuper entièrement le Fouta. Il quitta Timbo et se dirigea vers Fougoumba. Devant l'incapacité d'Alfa Saliou de défendre le pays contre un adversaire redoutable, le Conseil des Anciens n'avait qu'une seule solution, rappeler le souverain qu'il avait déposé. Ce qu'il fit immédiatement ; Almamy Ibrahima Sory Mawɗo prit donc le pouvoir en main et convoqua, sans tarder un conseil de guerre auquel les chefs des diiwe, sans exception, les marabouts du pays et les notables influents assistèrent. Le Conseil, à l'unanimité, demanda aux marabouts d'user de leur force spirituelle pour combattre l'ennemi.
Les marabouts s'exécutèrent avec empressement. Leurs prières furent très efficaces.
C'était pendant la saison sèche. Condé Bourâma avançait rapidement avec son armée vers Fougoumba. Il était sûr de sa victoire et de l'occupation du Fouta-Djallon. Il était arrivé à quelques kilomètres de la ville sainte, lorsqu'en traversant un marigot, il fut surpris par une crue d'une eau rouge qui l'engloutit entièrement avec ses soldats. Après cette nouvelle, le Fouta respira alors à pleins poumons et se félicita du retour d'Almamy Ibrahima Sory Mawɗo au pouvoir, grâce auquel ce succès éclatant était obtenu 3. De cette noyade, un seul compagnon de Condé Bourâma échappa. Il embrassa immédiatement l'islam qu'il pratiqua avec ferveur. Par la suite, il fonda le village de Diambourouya, près de Kébâli.
En venant dans le Fouta, Condé Bourâma était accompagné de sa belle épouse nommée Sira. Après la noyade quelqu'un qui la connaissait demande au rescapé :
« Où est Sira ? »
« Ana Kouré » repondit-il : « Elle est dans le marigot. »
C'est depuis que les Foula désignèrent ce marigot sous le nom de Sirâkouré (Siragouré)
en commémoration de cet événement
historique 4.
Les trois ans qui suivirent le retour d'Almamy Ibrahima
Sory Mawɗo au pouvoir, se déroulèrent dans la paix.
Mais, en 1788, un autre roi djallonké, Takoubâ Yéro, venant
cette fois de l'ouest, attaqua encore le Fouta. Il pénétra dans la région de Fougoumba où il
commit des massacres odieux.
Alerté, Almamy Ibrahima Sory Mawɗo se dirigea aussitôt contre l'ennemi avec une forte armée. Le combat fut décisif, Takouba Yéro et ses partisans furent anéantis sans pitié. Après que le calme fut revenu dans le Fougoumba, le chef suprême
rejoignit sa capitale.
Il continua à assurer le commandement du pays dans la paix. Tout en soutenant les faibles, il resta très sévère contre les malfaiteurs. Il assura à l'islam une assise solide qui lui permit un développement
rapide.
Dans une section spéciale, nous verrons dans quelles conditions Almamy Ibrahima Sory Mawɗo périt à Labé en
1792.
A sa mort, Karamoko Alfa laissa une postérité dont l'aîné fut Alfa Saliou. Très jeune, il ne put remplacer son père immédiatement.
Nous avons vu dans le chapitre précédent, comment après avoir déposé Almamy Ibrahima Sory Mawɗo, le Conseil des Anciens plaça Alfa Saliou à la tête du pays et ce qui s'est passé sous son règne. Certes, jeune, sans expérience, il ne pouvait affronter que difficilement les difficultés du commandement. Chef mou et peu craint, il resta néanmoins, très juste et intègre. Très instruit et très pieux, il s'adonna davantage à la pratique de la religion.
A la suite de sa déposition, après sa fuite devant Condé Bouremâ, le roi du Wassoulou qui conquit Timbo, Almamy Ibrahima Sory Mawɗo reprit le pouvoir. Alfa Saliou vécut dans l'attente espérant revenir au trône au décès de ce dernier.
En 1792, Almamy Ibrahima Sory Mawɗo mourut à Labé. Son premier fils, Sadou, usurpa immédiatement le trône au détriment d'Alfa Saliou. Celuici engagea une opposition systématique qui occupa la place pendant cinq ans. Ce n'est qu'en 1796 qu'Alfa Saliou y parvint, appuyé par le parti alfaya. Il assassinat Almamy Sadou dans des conditions qu'il réprouva lui-même. Dégouté par cette vie politique qui l'avait amené à commettre ce crime odieux malgré lui, il jura qu'il abandonnait le pouvoir à jamais et se retira définitivement à Dara, après avoir prononcé la malédiction sur sa famille et celle d'Almamy Sadou afin qu'aucun des leurs ne put plus jamais obtenir le turban d'Almamy. Cette malédiction fut exaucée et depuis aucun membre de sa famille ne fut désigné à cette place.
Nous verrons plus loin le détail sur l'usurpation du trône par l'Almamy Sadou et son assassinat par Alfa Saliou.
Peu de temps après le décès de Karamoko Alfa mo Timbo, mourait aussi Alfa Mamadou Cellou dit Karamoko Alfa mo Labé.
Celui-ci était atteint d'une maladie incurable et s'était rendu auprès de son premier fils à Sigon, dans le Yambéring, pour se soigner. La maladie s'aggravant malgré les soins dispensés, le Conseil des Anciens de Labé décida de le faire évacuer sur Labé et dépêcha Mama Doulla. Celui-ci ayant l'appréhension que Thierno Mo Sigon s'opposera certainement à cette évacuation, dit à ce dernier : « Ecoute, je connais l'adresse d'un guérisseur qui réside à Guéréssoko, dans le Tangué. »
Encouragé par cette nouvelle, Thierno Mo Sigon prit le chemin de ce village. Il était à peine à quelques kilomètres, lorsque Mama Doulla recrute des porteurs pour transporter, en hamac, Alfa Mamadou Cellou qui, malheureusentent, mourut à Sarékali, en chemin. Le corps arriva à Labé le lendemain et fut enseveli dans sa concession près de la mosquée.
En mourant, Alfa Mamadou Cellou laissa sept garçons et une fille :
Pendant son règne, Alfa Mamadou Cellou avait eu soin de placer chacun de ses garçons à la tête d'une région ou d'un important village. Ainsi,
Parmi ses enfants trois furent successivement chef de diiwal de Labé :
Quatre parmi les descendants de Modi Mamadou Dian le furent également
comme sept de Modi Souleymane et quatre de Modi Billo.
La fille Aïssatou n'était pas belle et, de ce fait, n'eut pas rapidement de conjoint. Voici comment son père procéda
pour lui trouver un mari.
Quand Alfa Mamadou Cellou déplaça sa capitale de Demben à Misside Hinde, ses occupations politiques et administratives ne lui permetèrent plus de donner lui-même l'enseignement à ses enfants, il recruta un marabout du nom de Modi Abdoulaye Souâré, dit Mama Doulla, d'origine Sarakollé. Un jour, ses bergers lui rendirent compte qu'une panthère avait dévoré quelques boeufs du troupeau. Ce fut l'occasion pour Alfa Mamadou Cellou de proposer sa fille en mariage à tout chasseur qui tuerait la bête féroce. Son employé Mama Doulla, était justement un chasseur. Il se mit à l'affût et abattit le félin. Il devint donc le mari d'Aïssata. De leur union naquirent cinq garçons qui fondèrent, par la suite, le Clan Seeleyâɓe qui se répartit comme suit dans le pays :
Cette famille fut exclue dans la lignée de Alfa Mamadou Cellou, son chef étant devenu, par le mariage, membre de la cour de Labé.
Après le décès d'Alfa Mamadou Cellou, Thierno mo Sigon, vexé par la perfidie de Mama Doulla qui enleva son père pour le ramener à Labé pendant son absence, abdiqua ses droits au trône de Labé. Ce fut Modi Mamadou Dian son frère puiné qui remplaça Alfa Mamadou Cellou à la tête du diiwal de Labé. Ayant été nommé par Almamy Ibrahima Sory Mawɗo, Modi Mamadou Dian fut classé dans le parti soriya.
Modi Mamadou Dian fut un chef courageux, honnête, généreux et combattant pour le progrès. Il resta au trône pendant huit ans.
C'est sous son règne que Sanga, chef djallonké du Sangara s'infiltra avec ses troupes dans le Labé, dans le but de reprendre le village de Tôlou, ancienne résidence de ses parents. Modi Mamadou Dian, bien armé, marcha contre lui d'urgence, le tua et décima la plupart de ses guerriers. Les quelques hommes qui échappèrent s'enfuirent pour rejoindre le Sangaran par la brousse.
Quelque temps après, un autre chef djallonké Komboro, venu de Kourounya surprit les habitants de Sannoun et y fit des massacres importants.
Modi Mamadou Dian ne tarda pas à le supprimer avec tous ceux qui l'avaient accompagné.
En 1792, le chef suprême, Almamy Ibrahima Sory Mawɗo décréta la guerre contre Sangaran. Il invita Modi Mamadou Dian à y participer. Au cours d'une bataille, alors qu'il combattait lui-même, Modi Mainadou Dian fut atteint d'une balle qui lui causa une blessure mortelle. Transporté d'urgence à Timbo, il arriva presque mourant. Sentant la fin de ses jours, il fit appeler Almamy Ibrahima Sory Mawɗo à son chevet et lui dit : « Je veux te faire une proposition. Je suis mourant et à ma mort, je désire être enseveli à l'endroit que tu as choisis pour toi-même, si tu l'as déjà fait. » A l'époque, il était connu que les vieillards et les chefs choisissent eux-mêmes le lieu de leur tombe. Almamy Ibrahima Sory répondit au malade qu'il avait déjà fait ce choix dans le cimetière de Timbo et qu'il acceptait volontiers cette proposition. Modi Mamadou Dian répliqua : « Dans ce cas, je te passe l'endroit que j'ai choisi pour moi-même à Labé, si ton décès survient dans mon village. »
Modi Mamadou Dian mourut quelques jours après. L'Almamy le fit enterrer à l'endroit convenu, après lui avoir rendu les honneurs officiels dûs à un chef de sa catégorie.
A la suite du décès à Timbo de Modi Mamadou Dian, chef du diiwal de Labé, en 1784, un deuil national fut décrété. De ce fait, il était du devoir du chef suprême du Fouta, de se rendre à Labé, pour présenter ses condoléances et celles du gouvernement central, à la famille du défunt. Après l'accomplissement de ce devoir, l'Almamy fut frappé d'une grave maladie qui l'emporta dans les sept jours de son arrivée. Le deuil était épouvantable et la population de Labé lui fit des funérailles grandioses. Le sort voulut qu'il soit enterré à l'endroit que Modi Mamadou Dian lui avait désigné, en échange du sien à Timbo.
A la sortie de la mosquée, le fils de Sory Mawɗo, Thierno Sadou, fut chaleureusement acclamé par l'ensemble des fidèles présents. Modi Abdoulaye qui assurait l'intérim du chef de diiwal, lui plaça aussitôt le turban sur la tête, concrétisant ainsi la décision prise unilatéralement par Sâdou qui devint le quatrième Almamy du Fouta-Djallon.
Le pays ignorait cette désignation d'office et Modi Abdoulaye se dépêcha d'adresser une convocation à tous les chefs des diiwe pour une rencontre à Fougoumba. Lorsque l'assemblée fut réunie, Modi Abdoulaye exposa ce qui s'était passé et demanda la ratification de l'acte fait à Labé. L'assemblée fut d'accord, à l'exception toutefois d'Alfa Ousmane chef du Fougoumba, qui déclara ne pouvoir approuver honnêtement un acte qui était en violation de la constitution du pays. Il reprocha au chef du diiwal de Labé d'avoir empiété sur ses prérogatives qui lui donnait, à lui seul, le devoir de couronner un Almamy. Chaque chef de diiwal, consulté individuellement, fit la déclaration suivante : « Mi nanii, mi diaɓii » (j'ai entendu et j'ai accepté). Alfa Ousmane éleva une protestation véhémente, mais l'assemblée n'en tient aucun compte. Almamy Sâdou reprit donc la route de Timbo pour s'installer sur son trône. Alfa Saliou, premier fils de Karamoko Alfa, qui ne s'était pas rendu à Fougoumba, pensant qu'il allait être convoqué pour son couronnernent, ne put encaisser cette fourberie. Il alla trouver Almamy Sâdou et lui dit :
« Tu m'as pris l'héritage de mon père, car, c'est lui, et non le tien, que le Fouta a nommé Almamy. Ton père n'a été couronné que parce que j'étais jeune. Maintenant, j'ai la majorité et je ne puis admettre d'être ainsi frustré de
mon droit. »
Almamy Sâdou lui répondit :
« Tu acceptes ou non, peu m'importe. Les services que mon père a rendu au Fouta lui ont valu la place qu'il a occupée, par deux fois, comme Almamy. Les droits de ton père ont été éteints dans ta personne lorsque le Fouta, après t'avoir nommé, t'a révoqué. Fais ce que tu veux, je serai toujours Almamy malgré toi. »
A partir de ce moment, la situation entre les deux devint explosive. Alfa Saliou
et ses parents réclamèrent en vain le pouvoir. Almamy Sadou refusa toute négociation et resta sur le trône pendant cinq ans (l784 à 1791
Alfa Ousmane de Fougoumba, vexé lui aussi de ce qui s'était passé, garda rancune à Almamy Sâdou. Il prépara
avec Alfa Saliou un complot contre lui.
Des discussions très chaudes s'engagèrent entre les fractions : Soriya et Alfaya. Les Alfaya prétendirent être seuls héritiers du trône, soutenant que l'Almamy Ibrahima Sory n'était pas un cousin de Karamoko Alfa, mais simplement un de ses disciples, un étranger.
Ils rassemblèrent des troupes de sofas et de proches parents pour déloger Almamy Sadou de la case royale. Une bataille acharnée s'engagea entre eux. De chaque côté, les pertes en hommes furent importantes, Almamy Sadou fût tué à coups de sabre, sur ordre d'Alfa Saliou. Ce fut le nommé Mardiougou qui assura cette affreuse mission. Il surprit l'Almamy sur sa peau de prière. Quand il leva son sabre pour le porter sur l'Almamy, celui-ci leva la main. Modi Hamidou Bamba qui était présent lui dit : « Tu avais dit que tu es sans peur. » Almamy Sadou répondit : « Oui Sadou est sans peur, il a l'habitude des chefs. Seulement tout ce qui s'attaque au corps, la main s'interpose pour le retenir. » Mardiougou le frappa de plusieurs coups de sabre jusqu'à sa mort et lui trancha la main droite. Alfa Saliou s'approcha alors du corps, prononça la shabâdât 7 et dit : « Les questions de gloire, elles sont redoutables ! Cette main tranchée d'Almamy Sâdou, je témoigne qu'elle n'a jamais utilisé le sable pour les ablutions, qu'elle a recopié de mémoire sept corans et qu'elle ne s'est jamais posée sur la femme d'autrui. Ce sont les questions de pouvoir qui ont causé la mort de l'Almamy Sâdou. Puisse Dieu, le souverain, chasser définitivement le pouvoir de ma maison et de la sienne. » 8
C'est alors qu'Alfa Saliou dont la haine a été attisée par Alfa Ousmane de Fougoumba et quelques conjurés, vint, avec la main tranchée de l'Almamy, trouver les vieux comploteurs rassemblés dans la cour de la mosquée de Timbo et, la mettant devant eux, déclara :
« Voyez votre oeuvre, l'uvre de vos lâches conseils et vos intrigues, vieillards dont le dehors est propre, mais dont le coeur est sale. Regardez cette main, c'est vous, vieillards, qui la lui serriez en l'appelant Almamy, qui avez comploté pour
le tuer, comme vous comploterez pour me supprimer moi aussi. »
Alfa Saliou jura qu'il refusait le trône qui lui revenait et rentra définitivement à Dara,
son village de culture.
Depuis cette date, aucun de ses descendants n'a plus été choisi comme Almamy du Fouta. Il en fût de même pour la famille d'Almamy Sâdou, jusqu'en 1897, date à laquelle l'un de ses arrières-petits-fils, Sory Yilili, fût nommé à ce poste par les Français qui avaient occupé le pays.
Almamy Sâdou était un homme très courageux et sans peur. En effet, pendant sa jeunesse, ses camarades voulurent le mettre à l'épreuve. Ils tuèrent un gros serpent qu ils placèrent, la nuit, à la mosquée, à la place où il avait l'habitude de faire sa prière. Lorsqu'il vint assister à l'office de l'aube, il entreprit l'exécution d'une prière. Lors de sa prosternation a terre, son front heurta le serpent. Croyant à un danger, il interrompit la prière et sortit un couteau de sa poche qu'il enfonça par deux fois sur le reptile mort, et y laissa le couteau. Il continua à prier et, à la fin, sortit de la mosquée sans rien dire. Au lever du jour, ses camarades revinrent sur les lieux et trouvèrent le couteau enfoncé sur le reptile qui avait reçu deux coups. Ils conclurent que Sâdou était
sans peur.
Dès que l'Almamy Sâdou usurpa le pouvoir, il nomma Abdoulaye, fils de
Modi Mamadou Dian, comme chef du diiwal de Labé en remplacement du défunt. Modi Abdoulaye devint ainsi deuxième chef soriya dans cette catégorie.
Modi Abdoulaye était un guerrier très brave.
La haine et l'inimitié s'installèrent dans les coeurs des Sédiyankés qui, pour le pouvoir, se combattirent avec acharnement. Chaque parti recruta des soldats parmi les esclaves capturés au cours des guerres victorieuses contre les fétichistes. Les armes et les munitions, achetées à l'étranger pour supprimer les infidèles, leur servirent à s'entre-tuer.
A partir de cette date, la Constitution ne fut plus respectée et le pouvoir revint au plus fort.
Dès l'enterrement de l'Almamy Sâdou, les Alfaya invitèrent Alfa Saliou à s'installer au trône. Celui-ci, dégoûté et exaspéré par ce qu'il avait lui-même organise, abdiqua, rejetant à jamais « les questions de gloire », pour se consacrer au culte de Dieu.
Ce fut donc son frère puiné, Abdoulaye Bademba, qui accepta de lui succéder, en 1799.
Très courageux, avec une formation très solide et ayant des grands desseins, il monta au trône avec la ferme résolution de redresser une situation qui n'était que trop détériorée. Il renouvela tout le personnel des chefferies de province (diiwe), réorganisa la justice afin de supprimer les crimes qui se multipliaient dans le pays. Son succès fut éclatant dans tous les domaines et les chroniqueurs, même de nos jours, le citent en exemple de bonté, de piété et d'équité.
La même année Abdoulaye Bademba nomma à Labé Modi Souleymane, fils de Alfa Mamadou Cellou, comme chef de la province. Ainsi s'établi la dualité dans le pays. Tous les descendants de Modi Mamadou Dian, premier chef soriya nommé par Almamy Sory Mawɗo, furent du parti soriya, ceux de Modi Souleymane du parti alfaya.
Modi Abdoulaye qui avait remplacé Modi Mamadou Dian (soriya) fut déposé par le parti alfaya. Il se retira dans le Wôra en emportant tous les biens de l'Etat (or, argent, bétail, esclave, etc.).
Avant sa nomination, Modi Souleymane commandait la région de Sarékali avec juridiction sur Mérépounta, Koundou-Tiankoye, Dombi et Popodara. Il avait une forte autorité sur ses administrés, qui le craignaient plus qu'ils ne le respectaient. Par suite de sa sévérité ils le surnommèrent Koûrâri (vipère) Popodara, ou Fintôri (couleuvre) Labé.
Quand il brigua, le trône de Labé, Modi Karimou Tianhe, fils de Modi Mamadou Dian, se présenta comme son concurrent. Furieux contre cette candidature, il décida de supprimer Modi Karimou. Il incendia une nuit sa case dans laquelle ce dernier dormait. Modi Karimou y périt carbonisé.
Pour le remplacer, l'Almamy nomma son frère, Modi Billo qui, comme lui, devint alfaya et resta sur le trône jusqu'à l'assassinat d'Abdoulaye Bademba.
En 1812, le parti soriya se prépara a reprendre le pouvoir, estimant que les Alfaya l'avaient gardé trop longtemps. Les dirigeants rassemblèrent une forte armée de sofas 9 et de proches parents pour attaquer l'Almamy. Celui-ci venait de quitter Timbo pour Fougoumba où il devait préparer une expédition contre des fétichistes. L'armée soriya était très forte et dépassait de beaucoup celle des Alfayas. L'Almamy fût donc prit de panique et s'enfuit. Rejoint à Kétiguiya, ville située près de Fougoumba, aux abords de la Téné, il fut assassiné avec plusieurs de ses partisans.
L'Almamy Abdoulaye Bademba avait régné pendant plus de quinze ans.
Comme nous l'avons vu, le parti soriya s'empara du pouvoir en 1812 et le remit aussitôt à Abdoul-Gadiri, fils de l'Almamy Ibrahima Sory Mawɗo.
Cet Almamy fut un chef d'une grande perspicacité et d'une habileté remarquable. Dans ses entreprises politiques et militaires, il eut toujours le ferme dessein de servir la patrie. Il combattit inlassablement le fétichisme, et toutes les guerres qu'il organisa pendant ses huit années de règne, furent victorieuses et contribuèrent à la consolidation de l'islam dans le Fouta.
Au cours de l'année 1820 le parti alfaya décida de prendre le pouvoir. Une forte armée de partisans surprit l'Almamy Abdoul Gadiri à Timbo. Au cours de la bataille qui fut sanglante, il reçut une balle qui lui causa une grave blessure. Délogé de la capitale, il fut obligé de s'enfuir dans le Faranta (province soussoui voisine du Fouta occidental) où il trouva asile et soigna sa blessure.
Arrêté par le Conseil des Anciens de Labé, Modi Souleymane fût conduit à Timbo où il fut jugé et condamné à un an de mise aux fers. Pendant qu'il purgeait sa peine, il copia un Coran de mémoire, qu'il présenta à une commission de correction qui le félicita et reprocha à l'Almamy d'avoir condamné un « docteur ». Modi Souleymane fut immédiatement gracié et nommé chef du Labé par l'Almamy Abdoulaye Bademba.
La nouvelle de cette nomination parvenant à Labé, le Conseil des Anciens et les notabilités du pays s'y opposèrent, prétextant qu'ils n'ont pas été consulté. L'Almamy ne tint aucun compte de cette opposition et fit accompagner le nouveau chef par le grand notable Thierno Aliou mo Wangako.
Une section des opposants dont l'ancien chef de province Modi Abdoulaye mo Wôra, barra le chemin à Modi Souleymane à Bantiŋel. Une bataille s'engagea entre eux. Mais Modi Souleymane écrasa cette rébellion pour rentrer dans sa capitale. Il pourchassa ses principaux adversaires. Modi Abdoulaye s'enfuit dans le Wôra.
Modi Alhoussaïni rentra précipitamment dans le Binâni tandis que Modi Billo se cachait à Bantiŋel pendant un certain temps.
Prenant ses fonctions, Modi Souleymane réorganisa la province et y remit de l'ordre, ce qui lui permit de rester au trône pendant deux ans, sans ennuis, ni difficultés.
Il demanda à son compagnon Thierno Aliou Wangako de ne plus retourner à Timbo et l'installa à Tolou, près de son ami, le grand vassal Bamba mo Tolou. L'hôte, bien installé dans ce village, ne tarda pas à acquérir une grande influence dans le pays. Quelques années après, Bamba Tolou mourut. La direction du village revint d'emblée à Thierno Aliou Wangako qui, peu après, fonda le village de Tountouroun où sa descendance continue encore à exercer le pouvoir.
Modi Souleymane mourut après avoir dirigé le pays d'une façon impeccable. Il laissa six enfants :
Quand il se sentit en voie de guérison, il envoya à Timbo, dans un paquet, deux grains de riz, un morceau de charbon, une balle et une charge de poudre. Ce fut une énigrne pour les notables qui ne purent point déchiffrer le sens de cet envoi. Consulté, l'Almamy Boubacar Zikrou, qui dirigeait le pays au nom du parti alfaya, déclara :
« Il nous dit : au printemps, quand le riz sera moissonné, la savane brûlée, les balles et la poudre nous départageront avec lui ».
La maladie de l'Almamy Abdoul Gadiri dura deux saisons. Après guérison, il rentra dans le Fouta. Grâce aux forces que ses parents avaient rassemblées d'avance, il combattit son remplaçant à Koumi et l'obligea à s'enfuir.
Il reprit alors le commandement en main.
L'Almamy Abdoul Gadiri recouvrit la santé à Franta. Dans le Labé,
il plaça Modi Abdoulaye mo Wôra à la tête de la province
et déposa le chef que le parti alfaya avait intronisé. Mais, celui-ci
mourut peu après. Son frère, Modi Alhoussaïni, fut désigné pour
lui succéder. Dès que le nouveau chef prit le pouvoir, Boukari Tamba,
roi du Tamba, enval-lit le Koïn avec ses troupes. Il occupa la capitale et
incendia la mosquée. Modî Alhoussaïni dépêcha immédiatement,
au cours du Koïn, une armée très
forte sous la conduite de son frère Modi Ibrahima. Après un combat
acharné, les troupes musulmanes rernportèrent la victoire. Boukari
Tamba et la majorité de ses soldats furent massacrés. Il ne rentra
dans le Tamba, qu'une faible poignée
de soldats.
Modi Ibrahima et son armée rejoignirent Labé, heureux du succès remporté.
Dès le changement du pouvoir à Timbo, Modi Alhoussaini fut déposé. Il mourut quelques années après, laissant comme descendants :
Malheureusement, le retour de l'Almamy Abdoul Gadiri fut de courte durée, car il mourut trois mois après, début 1821.
En 1820, par suite de l'évincement de l'Almamy Abdoul Gadiri, le parti alfaya choisit Boubacar Zikrou, fils de Karamoko Alfa pour assurer le commandement du Fouta.
Voici dans quelles conditions ce choix fut fait.
Comme nous le verrons plus loin, Boubacar mo Bademba, rentrant du Boundou, où il s'était réfugié après l'assassinat de son père à Kétiguia, trouva que son oncle Boubacar Zikrou, très âgé, s'était retiré à Hériko, près de Timbo. Il se rendit aussitôt auprès de lui et l'invita à accepter la couronne laissée par son père Almamy Abdoulaye Bademba, Boubacar Zikrou, prétextant son âge avancé et son incapacité de commander, refusa l'offre. Son neveu l'assura de son soutien total et des facilités qu'il apporterait pour l'exercice du pouvoir. C'est alors que le vieillard accepta, se pliant devant la décision du parti.
Malheureusement il avait vu juste. Le poids de la charge pèsa lourd sur son âge. Son mandat fut de courte durée. Trois mois après son couronnement, Almamy Abdoul Gadiri, guéri dans le Farenta, rejoignit le Timbo et délogea l'Alfaya qui succomba dans les trois mois qui suivirent.
A son tour, Almamy Abdoul Gadiri son successeur mourut aussi trois mois après lui.
Sous le règne d'Almamy Boubacar Zikrou, le parti alfaya n'avait aucun représentant dans le Labé.
Dès la mort d'Almamy Boubacar Zikrou, le parti alfaya choisit pour le remplacer, Boubacar, fils d'Almamy Abdoulaye Bademba.
Très courageux et très brave, il ne recula jamais devant un danger. Pendant sa jeunesse il étonna le public foula par ses actes de bravoure.
Lorsque son père fut attaqué à Kétiguia, il prit part aux combats défensifs. Il fut frappé de sept coups de sabre et tomba inanimé. Les adversaires déposèrent son corps dans une termitière pensant qu'il était mort. Après la bataille, l'armée rentra à Tinibo. Au cours d'une conversation dans une réunion, l'un de ceux qui l'avaient déposé dans la termitière déclara qu'il avait assisté à l'enterrement de Boubacar. Aussitôt, un vieillard lui demande si l'on avait ceint sa tête d'un turban avant cet enterrement. Comme on lui répondit par la négative, il répliqua : « Celui-ci régnera avant sa mort. »
Or, le soir même qu'il fut grièvement blessé et transporté dans la termitière, il reprit connaissance, sortit de ce refuge funèbre et, rampant sur le sol, se dirigea dans une concession voisine habitée par une vieille femme qui lui donna asile et le soigna Dès qu'il put marcher Boubacar se dirigea sur Bhoundou, en passant par le Labé et Niokolo. L'Almamy Hammadi Aïssata y régnait. Il se présenta à lui, lui exposa sa situation et lui demanda sa protection. L'Almamy la lui accorda et le traita comme son propre fils. Il demanda aux grands marabouts du Bhoundou de lui assurer sa protection. Boubacar y resta pendant sept ans et obtint amulettes et talismans.
Mais, pour provoquer son départ du Boundou, la fatalité voulut qu'une armée étrangère envahit le royaume d'Almamy Hammadi Aissata. Les troupes du roi, sous le commandement de son fils aîné, Bakar Sâdou, pourchassèrent l'armée ennemie. Bakar Sâdou et Boubacar eurent à poursuivre pendant la bataille, un homme que chacun d'eux visa et eut à cur de tuer avant l'autre. Boubacar eut la joie de l'abattre le premier. Cet action d'adresse déplut à Bakar Sâdou qui lui dit arrogamment :
« Si tu es si adroit et si brave, tu n'aurais pas dû fuir les autres fils de ton père,
pour venir chercher refuge ici. »
Boubacar répliqua tout simplement :
« J'ai fui la trahison. Je n'ai pas fui devant les autres fils mon père. »
Dès leur retour dans le village, Boubacar s'adressant à l'Almamy Hammadi Aîssata
dit :
« Père, je prends congé de toi pour rentrer au Fouta-Djallon. »
L'Almamy lui fit donner tout ce dont il avait besoin pour sa protection, par le
plus éminent marabout de sa cour.
Celui-ci dit à Boubacar en le quittant :
« Garde ce talisman. Il te sera d'une grande utilité dans tes combats. Quand tu viseras, par exemple, un ennemi avec ton fusil, la balle l'atteindra à la
partie du corps que tu souhaites toucher. »
« Prends ce coq avec toi. Il aura la vertu de chanter seul dans les villages que tu traverseras avant ton entrée dans ton pays. Sa victoire sur les coqs des villages traversés est un signe annonciateur de tes victoires futures dans ton pays ».
Boubacar quitta le Bhoundou pour le Fouta, plein d'espoir et de bonne volonté.
Rentré de nuit à Timbo, il surprit un lion en train de dévorer une vache appartenant à sa maman. D'un coup de fusil, il abattit la bête fauve. Sa maman qui dormait fut réveillée
en sursaut par le coup de fusil et apprit par ce fait le retour de son fils.
Quelques temps après mourait l'Almamy Boubacar Zikrou. Immédiatement le parti alfaya provoqua une assemblée extraordinaire du Fouta pour le faire couronner à Timbo. Ce qui fut fait et après la « retraite » coutumière, Boubacar tint sa première réunion et dans son discours du trône, il menaça déjà les adversaires de son défunt père.
Il dit notamment :
« Mon père qui était savant et érudit a été trahi et assassiné. Or lorsqu'un saint est ainsi exécuté dans un pays, si sa gloire n'est pas rétablie, sept ans passés, le pays se disloquera. »
« Eh bien ! Ceux qui ont tué mon père à Kétiguïa, je les tuerai, ceux qui l'ont trahi, je les tuerai, ceux qui ont pris part ou ont porté aide aux premiers, je les tuerai.»
Boubacar procéda à une recherche très minutieuse ; arrêta et massacra tous ceux qui avaient poursuivi son père à Kétiguia.
Il prit le commandement de 1821 à 1838, sans beaucoup d'ennuis.
Mais le parti soriya était aux aguets et comme il était las de voir le même homme garder si longtemps le pouvoir, il décida de le combattre pour reprendre le trône. Une bataille des plus acharnées s'engagea entre les deux partis, près de Timbo. Les pertes en vies humaines furent très importantes de part et d'autre. Les Soriya, plus forts et mieux préparés à la guerre, l'emportèrent sur les Alfaya. L'Almamy Boubacar et ses partisans furent obligés de céder le trône à leurs adversaires.
Pendant le règne d'Almamy Boubacar, le Fouta fut surprit par deux événements surnaturels. En 1836, une éclipse totale du soleil sema la panique dans le pays. Elle dura deux heures. L'année suivante, la terre trembla et occasionna la chute de quelques cases dans certains villages, mais sans perte humaine.
Pendant sa retraite à Dara, Almamy Boubacar prépara une vengeance contre les Soriya. Il mit sur pied une forte armée et vint surprendre son remplaçant dans la capitale et l'en délogea.
A peine rétabli sur le trône en 1844, il décida une expédition contre le Badon, dans le Nord du Fouta. Il quitta Timbo à la tête d'une puissante armée. Arrivé à Labé, il fut rejoint par les Soriya qui tentèrent de le massacrer avec son armée. Sur l'intervention du chef et des notables de Labé, la bataille fut évitée de justesse. Almamy Boubacar fut obligé de renoncer à son projet sur le Badon et de reprendre le chemin de Timbo, ainsi d'ailleurs que ses adversaires.
Dès leur retour dans la capitale, une bataille des plus sanglantes éclata entre eux. Durant toute une journée, la tuerie fit rage et les pertes hirent tres élevés, sans qu'aucun des partis ne fut découragé.
Almamy Boubacar fut, lui-même, blessé et son frère, Ibrahima M'bouba, brave combattant, tué.
Ayant constaté l'importance des pertes subies dans chaque camp, ils décidèrent spontanément d'arrêter les combats et de se réconcilier. A la suite de cette décision, l'Almamy Boubacar (Alfaya) continua à régner pendant un an encore, pour céder ensuite la place à un Almamy soriya.
Ils se séparèrent mécontents des pertes subies, mais satisfaits de la réconcillation intervenue.
L'Almamy Boubacar se réinstalla sur le trône, mais ne vécut plus que pendant trois mois. Il mourut en 1845.
Dans le Labé, dès l'assassinat de l'Almamy Abdoulaye Bademba, Modi Billo, chef de diiwal, fut déposé par l'Almamy soriya.
L'Almamy Boubacar ayant repris le pouvoir, déposa à son tour le chef soriya de Labé et réinstalla Modi Billo.
Modi Billo, surnommé Mama Billo, en raison de son âge avancé, n'eut, pendant son règne, qu'à administrer le pays. Il n'eut jamais à entreprendre de guerre ni seul ni avec l'Almamy. Il avait d'ailleurs succédé à un chef très autoritaire qui avait fait marcher impeccablement la province.
Mama Billo fut chef pendant une courte durée, car il mourut en 1841 (?), laissant comme héritiers :
Pour le remplacer, l'Almamy choisit le fils aîné de Modi Souleymane, Alfa Mamadou Mawɗo qui, à la suite de l'élection de l'Almamy Yaya en 1828, fut déposé par le parti soriya.
Quand Almamy Boubacar reprit le pouvoir en 1844, Alfa Mamadou Mawɗo fut remis en place, mais ne garda le poste que pendant un an, puis l'Almamy Oumarou (soriya) le déposa.
Alfa Mamadou Mawɗo mourut quelque temps après, laissant comme enfants :
Alfa Mamadou Mawɗo fut remplacé par son frère Alfa Abdoul Gâdiri Sarékali. Très actif, celui-ci effectua plusieurs expéditions contre les païens du Ngabou. Nous citerons parmi ces expéditions : Kounsanna Woki, Tiagna Woki, Koussara Woki et surtout Bérékolon 10 qui fut une guerre meurtrière, car Alfa Abdoul Gadiri tua plus de mille fétichistes. Lui-même mourut quelque temps après son retour de Bérékolon, laissant deux enfants seulement, qui furent tous des rois du Labé :
Lorsque les Soriya reprirent le pouvoir des mains des Alfaya, deux candidatures se présentèrent devant eux pour succéder à l'Almamy Abdoul Gadiri. Yaya, fils d'Almamy Sory Mawɗo et son neveu Amadou, fils de Hamidou. La candidature de Yaya fut soutenue par les anciens et celle d'Amadou par les Jeunes. A la suite d'une campagne très active, Amadou l'emporta sur son oncle Yaya. Mais son élection fut invalidée car le père d'Amadou ne fut jamais Almamy du Fouta. Or, à cette époque, cette condition était essentielle. Finalement, Yaya monta au trône. Il y resta pendant deux ans, dans la quiétude, car rien ne troubla son commandement. Mais en 1840, le parti alfaya prépara une offensive contre lui. Almamy Boubacar mo Bademba vint de Dara avec ses troupes, pour le chasser de Timbo après une rude bataille.
L'Almamy, retiré dans son village de culture, y mourut un an après.
Pendant son règne, il nomma à Labé Modi Ibrahima, surnommé Modi Hima, fils de Modi Mamadou Dian. Ce chef, peu actif et n'ayant pu donner satisfaction, fut révoqué et remplacé par son neveu, Alfa Saliou, fils Modi Abdoulaye mo Wôra.
Alfa Saliou fut un chef très courageux et très audacieux. Quand il prit le commandement du Labé, il lança le slogan suivant à ses frères restés dans le Wôra « La tête d'un homme qui n'a pas porté le turban de chef, est une termitière. » Ses frères lui répondirent : « Une bouche qui n'a pas consommé du riz, est une caverne. »
Son autorité sur le pays fût tellement grande que les chroniqueurs dirent de lui : Suka suusa, mawɗo ɓadataatko (le jeune ne l'affronte pas et le vieux ne l'approche pas).
Il participa à plusieurs guerres engagées par les Almamys et en organisa lui-même. Il lança la campagne de Wouyoukâ, dans le Sangaran. Il attaqua le Bélédougou, le Guignoré, Madina-Kouta, Kondondi et Konkodou. Partout, il fut victorieux. Il resta chef du Labé jusqu'en 1847, date à laquelle l'Almamy Oumarou le révoqua et le remplaça par Modi Hâtimou, fils de Modi Mamadou Dian. Mais ce dernier, incapable, fut révoqué à son tour, un an après. Ce fut son prédécesseur le nommé Alfa Saliou qui lui succéda, car l'autorité de celui-ci était plus grande. Mais, Alfa Saliou ne tint plus que pendant un an. Il mourut en 1843, laissant comme enfants :
Tous trois furent, par la suite, chefs du diiwal de Labé.
A sa mort, en 1825, Almamy Abdoul Gadiri laissa de nombreux enfants dont deux seulement héritèrent de la couronne.
L'aîné Oumarou s'installa à Sokotoro et le cadet Ibrahima Sory à Donhol Fêlâ.
Oumarou dans sa jeunesse fut turbulent et commis de nombreux crimes qui restèrent impunis.
Ayant manifesté un jour à un prédicateur son ferme désir de succéder à son père, celui-ci lui apprit qu'en assassinant son cousin Bori, il serait certainement Almamy du Fouta. Ce Bori était le fils de sa propre tante. Oumarou invita son cousin, un soir, à une course de chevaux. Tous deux étaient de bons cavaliers. Pendant la course, alors que Bori le dépassait d'une petite distance, il lui envoya une balle dans la tête et Bori fut tué sur place.
Apprenant ce crime Almamy Abdoul Gadiri ordonna de venger la victinie, mais Oumarou plaida coupable involontairement. Sa tante, mère de la victoire fut très affectée, mais intervient quand même, en faveur d'Oumarou, soutenant qu'en vengeant son fils, elle perdrait deux enfants. Elle demanda d'épargner la vie d'Oumarou, mais précisa :
« Si mon neveu n'a pas tué volontairement mon fils, il ne supportera certainement aucune conséquence. Dans le cas contraire, je souhaite que sa progéniture
paie son crime. »
Le souhait de cette tante fut largement exaucé. De nombreux enfants d'Oumarou furent assassinés à leur
tour par des adversaires : Ibrahima Sory, Mamadou Pathé, Thierno Ciré,
Iliassou, Bokar Biro, etc.
A la suite des troubles politiques qui affectèrent le Fouta, après la mort d'Almamy Abdoul Gadiri, son fils Oumarou fut obligé d'émigrer du pays pour échapper aux intrigues des partis. Il chercha refuge dans le Bhoundou chez l'Almamy Bocar Sâda. Il reçut chez celui-ci un accueil favorable et reçut à son école une solide formation pour le commandement. Il étudia notamment l'organisation de l'armée
et de la cour du roi.
Par suite de la réconciliation intervenue dans le Fouta en 1844, entre les
deux partis alfaya et soriya sur l'alternance du pouvoir, le parti soriya convoqua
Oumarou, et l'invita à rentrer à Timbo pour prendre possession de la
grande fortune laissée par son père. Dès son retour, il se réinstalla à Sokotoro.
Par sa générosité et ses largesses, il s'attira une grande estime de la jeunesse du pays dont les éléments les plus turbulents formèrent
une troupe à son service. Parmi ses proches parents, des hommes très
forts se groupèrent autour de lui pour le soutenir en cas de besoin. Il devint,
avant même sa nomination au poste suprême
de la nation, un puissant chef de bande.
En 1845, le parti soriya devait désigner
un remplaçant d'Almamy Yaya, décédé au cours de l'année
1844. Oumarou fut le candidat favori et couronné. Il rejoignit aussitôt
la capitale pour affronter les multiples difficultés créées
par les guerres civiles qui s'étaient succédées depuis plusieurs
années. Courageux, persévérant et très autoritaire, il
prit son courage à deux mains et remit de l'ordre dans l'administration centrale
en en prenant, lui-même, la direction. Il procéda aux nominations nécessaires
dans toute les branches de l'Etat.
Dans sa cour, il désigna des « Sofas » et des proches parents pour s'occuper des affaires intérieures de sa « Maison ». Il fut le premier dans le Fouta à créer la fonction de portier et de garde-corps. Il avait copié ce système sur l'organisation intérieure
des palais des rois du Bodou.
Après avoir mis de l'ordre dans les affaires de l'Etat, l'Almamy Oumarou décida d'entreprendre dans le voisinage du Fouta, la guerre sainte contre les fétichistes qui menaçaient le pays. Il quitta Timbo avec une armée comprenant des troupes recrutées dans toutes les provinces et se dirigea vers le Solima. En chemin, il attaqua, par surprise, à Soumayéroya, le puissant roi Yangui Sâyon. Il l'anéantit sans pitié. Ses administrés furent, dans leur majorité, faits prisonniers pour être, ensuite, réduits à l'esclavage. Leurs biens devinrent la propriété de
l'Almamy et de ses compagnons.
Sa première guerre fut donc victorieuse et, pour lui, ce fut un encouragement pour renouveler les exploits de son grand père,
Almamy Sory Mawɗo.
Par la suite, il conquit le Fria, le Sangaran, le Kissi 11. De partout, il revint victorieux, ramenant un butin des plus fructueux.
Dès son installation au trône, il restitua à Alfa Saliou déposé par
le parti alfaya, le diiwal de Labé. Mais deux ans après, il le révoqua.
Il choisit à sa place son oncle Modi Hatimou, fils de Modi Mamadou Dian.
Mais jugé incapable,
Modi Hatimou resta peu de temps au pouvoir. Son prédécesseur reprit
la place. Malheureusement, il en mourut peu après.
C'est alors que Modi Doura Sôlo fut désigné. Dès que celui-ci prit le commandement en main, il déclara
:
« Je décrète qu'à partir d'aujourd'hui, je porte le titre « d'Alfa », comme mon grand-père Alfa Mamadou Cellou. L'enfant qui ressemble à son père n'a pas tort. A partir de ce jour, je ne suis plus Imam de la mosquée. J'estime que le chef de diiwal est lourdement chargé pour qu'il puisse assurer cette fonction à la mosquée.»
Depuis cette date le chef de diiwal de Labé porta le titre d'Alfa et la mosquée fut confiée à un marabout qualifié et en titre.
Alfa Doura Sôlo ne fit aucune guerre, mais resta un chef honnête et intègre. Quelque temps après, il fut remplacé par Alfa Ibrahima qui devint chef soriya du diiwal de Labé.
Pour distinguer les homonymes, nommés à la tête de la province, Alfa Ibrahima fût surnommé Alfa Ibrahima Mawɗo. Il fut un chef actif et énergique. Sa haine contre les païens fut très grande. Le grand nombre d'expéditions guerrières qu'il conduisit en fait foi. Parmi ces expéditions, nous citerons les plus éclatantes au cours desquelles la victoire fut totale et le butin très fructueux ; ce sont les batailles toutes situées hors des limites ftontalières du Fouta, vers le nord :
Malgré la bravoure d'Alfa Ibrahima Mawɗo, Almamy Oumarou le déposa en 1853.
Alfa Ibrahima Mawɗo n'eut pas une descendance importante.
Parmi ses fils, seul Alfa Abdoulaye Samba fut roi du Labé.
Alfa Ibrahima Mawɗo mourut en 1880.
Son successeur fut Alfa Yaya Mawɗo, surnommé Alfa Yaya « Bis-Mor », par suite d'une anecdote que nous rapporterons plus loin.
Alfa Yaya Bis-Mor, dès son installation sur le trône, entreprit de nombreuses expéditions contre les fétichistes du Nord et de l'Ouest. Il razzia les Foulacounda ainsi que les villages de Pignaï, Dankonkou et surtout le Firdou dans le N'Gâbou.
Lorsqu'il prit la décision d'attaquer Sory Diakhabi, roi du Parawol N'Gâɓôna, celui-ci lui transmit par messager, la note suivante :
« Le monde est divisé entre trois chefs: une partie revient à El-Hadj Ouinar, la seconde partie revient à Karamoko Abal de Fitaba et le reste à moi.»
Alfa Yaya répondit d'une voix grave à cet envoyé :
« Bis-Mor ! (expression de dédain). Qui sera présent verra, l'absent l'entendra. Je le massacrerai sans pitié.»
La victoire d'Alfa Yaya sur Sory Diakhabi fut éclatante et pour garder le souvenir de cette victoire, le peuple le surnomma « Alfa Yaya Bis-Mor ».
Par la suite, Alfa Yaya recruta un contingent de plus de cinq mille guerriers qu'il dirigea, sous son commandement, sur Niâbina, toujours dans le N'Gâbou. Après une bataille acharnée, il envahit cette ville et l'occupa. Il fit un butin très important. Malheureusement, les villages voisins, venant au secours des vaincus, se regroupèrent avec des forces supérieures, pour tirer vengeance. Mais les musulmans comptaient des fantassins sans nombre, et encore des cavaliers armés,
plus de sept mille guerriers.
En fuyant, les soldats autochtones ravagèrent le campement d'Alfa Yaya, situé à une faible distance des lieux de combat, tuèrent les gardiens, se saisirent des femmes et des enfants comme butin et emportèrent tous les biens. Parmi ces femmes et enfants, se trouvait la nommée Koumanthio, épouse
d'Alfa Ibrahima portant sur le dos le petit Yaya,
futur roi de Labé.
A la suite de cette catastrophe, l'armée d'Alfa Yaya Bis-Mor se retrancha à Saroudia, situé sur le chemin de retour, afin de construire une fortification pour préparer une contre-attaque. Malheureusement, une épidémie de variole la surprit avant la fin des préparatifs. Elle causa de nombreux décès parmi les guerriers. Alfa Yaya atteint le premier en mourut immédiatement ainsi que ses principaux généraux. Des cinq mille combattants, il n'en échappa qu'un millier qui, convalescents, regagnèrent Labé.
Ce fut un malheur funeste pour le pays.
Quant aux femmes et aux enfants emportés par l'ennemi, ils furent gardés en esclavage. Ce n'est que plus tard que Kaumanthio et son enfant Yaya furent récupérés
par Alfa Ibrahima.
C'est à cette époque que, profitant de la perturbation politique qui régnait dans le Fouta (fuite des deux Almamys de Timbo, mort subite du roi de Labé à Saroudia), un notable de Nînguélandé (Timbi-Madîna)
nommé Iliassou, se révolta contre son chef et l'assassinat. Les anciens ayant donné l'ordre de l'arrêter, le rebelle échappa en tuant soixante dix personnes parmi ceux qui le poursuivaient. Se sentant menacé, il prit la fuite avec sa bande pour se cacher dans le Kînsi (Labé). Mis au courant de cette insurrection, les notables du Labé dépêchèrent un contingent de guerriers contre Iliassou qui fut massacré avec ses compagnons. Les Labéens subirent quelques pertes parmi les combattants dont Modi Cellou Sérima qui s'était « révolté » contre Elhadj Oumar lors du séjours de ce dernier dans le Labé. Illiassou l'avait rencontré seul porteur de son sabre. Il lui enleva ce sabre et trancha sa tête.
Au même moment, dans le Labé, le marabout Thierno
Aliou Téguégnen dit Waliou Téguégnen, influent
dans la région, prit la décision de faire la guerre sainte contre
les Djalonkés du Sangaran, réfractaires à l'islam. Avec un
contingent de talibé il attaqua plusieurs villages qu'il conquit et pilla.
Après sa victoire, il se dirigea sur le Gadaoundou avec le dessein d'y créer
un fief afin de préparer d'autres expéditions et, plus tard, faire
sécession pour se libérer du joug du roi du Labé.
Son projet fut connu à temps et le Kelèmansa (chef de guerre ou général) Alfa lbrahima, fils d'Alfa Saliou, marcha sur Gadaoundou et chassa le marabout, malgré une résistance très acharnée de ce dernier. Le marabout prit la fuite avec ses partisans pour se réfugier dans le Dantilia. L'asile ne lui fut pas accordé et, en 1865, les Djalonkés, maîtres du pays, le tuèrent et dispersèrent ses Tâlibés.
Dans le Labé, la mort d'Alfa Yaya Bis-Mor avait ouvert la vacance de pouvoir dans la province. Almamy Oumarou choisit pour le remplacer le brave Alfa Ibrahima, fils d'Alfa Saliou et frère du défunt 12.
Avant sa nomination, il jouissait déjà d'une grande influence. Grand guerrier, très énergique, ayant le sens du devoir, il était très considéré dans le Labé. Il avait, en effet, participé à plusieurs expéditions guerrières organisées par les Almamys ou ses prédécesseurs. Il avait acquis grâce à sa bravoure, une importante fortune en biens de tous genres (bétails, esclaves, or, argent, etc.). Il profitait de toutes les occasions pour augmenter sa popularité en distribuant de gros cadeaux.
Il avait d'ailleurs, avant son accession au trône, organisé, sur sa propre initiative, des combats contre les fétichistes du N'Gâbou et les Djalonkés de ]'Ouest. Parmi ses expéditions, toutes victorieuses, nous citerons notamment : Foulacounda Djakouda Dabankounda, Koromôri-Koubakoun, Wôgha, Mansonna et Dialokounda.
Malgré ses victoires, connues de tous, ses congénaires de Labé le critiquèrent, déclarant qu'il combattait des adversaires affaiblis par les multiples attaques dont ils avaient souffert. Alfa Ibrahima le jeune remonta donc à Labé pour répondre à ses critiques. Aussitôt arrivé, il prépara des expéditions vers l'Est contre les Djallonkés que les Labéens n'avaient pas osé combattre. Il engagea avantageusement ses forces contre Niakoro, Nienghéboun, Kounnéya, Tabadian, Diatakolya et chassa de Gadaoundou, le Waliou Téguégnen qui voulait y créer un fief.
Dès sa nomination, il s'installa sur le trône et continua la pacification des contrées voisines pour la consolidation de l'islam. Il ne mangea rien non plus, pour réaffiriner son influence acquise avant. Homme d'un dessein honorable, très courageux et tacticien, il fut en général, toujours vainqueur dans ses combats contre l'ennemi.
C'est ainsi qu'en continuant ses guerres contre les infidèles, il conquit le Foréya, le Pakissi et le pays Tiappi 13. Son armée, sous le commandement de son général Alfa Môlo envahit plusieurs fois le N'Gabou dont le territoire soumis fut baptisé Foudadou. Il y installa ce même Alfa Môlo comme chef de province. Comme la population refusa de se soumettre à ce chef, en se dispersant dans tous les sens, dans le Niani, le Wouli, le Satadougou et Cassini, Alfa Môlo présenta son fils Moussa Môlo pour le remplacer. Ce dernier fût aussi un vaillant combattant dans les troupes d'Alfa Ibrahima. En 1879, notamment, il participa à la campagne organisée par Alfa Ibrahima, lorsque son allié Bocar Sâda lui demandant aide contre les toucouleurs de Kouçalan. Au cours de cette bataille, Bocar Sâdâ et Alfa Ibrahima furent battus et n'échappèrent à la mort que grâce à l'intrépidité de Modi Yaya fils d'Alfa Ibrahima.
Mais Moussa Môlo ne resta pas longtemps fidèle à Alfa Ibrahima, car profitant de la présence des colonnes françaises, opérant contre les marabouts Mamadou Lamine en Casamance, dans le Sénégal, il noua des relations avec les Français et chercha à obtenir son indépendance. Nous verrons, plus loin, comment il procéda pour atteindre son but.
Quand le pouvoir d'Alfa Ibrahima fut bien assis dans le Labé, il songea à assurer l'avenir de ses enfants, vaillants combattants qui furent toujours à ses cotés pendant ses nombreuses guerres. A cet effet, il divisa la province entre eux afin d'en assurer le commandement, sous son contrôle. Il confia à :
Chacun d'eux étant ainsi bien placé, Alfa Ibvrahima continua à guerroyer contre les païens du N'Gabou, les Foulacounda, etc.
C'est ainsi qu'en 1864, il guerroya contre le Pourada et Tabadian ; soumit
les habitants à son autorité et leur imposa le paiement du tribut 14.
En 1869, son tour de commandement étant expiré, il passa le trône à Alfa Gâcimou, chef alfaya.
Au cours de la même année, Modi Mamadou Dembâri, grand notable de Labe-Dheppere et porte-drapeau d'Alfa mo Labé, razzia Boubaya dans le Sangaran. Il fut victorieux et rentra dans son village avec un important butin.
En 1809-1870, Almamy Oumarou, las des échecs qu'il avait essuyés chez les Houbbous, recherchant à reconquérir la popularité d'antan et refaire sa fortune fortement ébranlée, décida d'attaquer le roi Dianké Waly de Tourouban, dans le NGabou 15.
Apprenant cette décision, son collègue alfaya, Almamy Ibrahima Sory Dara déclara à son entourage :
« L'Almamy soriya se rend en guerre dans le N'Gâbou. C'est un pays très riche. Avide de richesse, mon collègue sera poussé à demander aux habitants de lui fournir des boeufs. Ils ne refuseront pas ouvertement bien sûr, mais finiront par le supprimer pour sauver leurs biens. »
Tous deux avaient bien vu. Comme nous le verrons plus loin, chacun des Almamys fut victime de son acte.
Almamy Oumarou arrêta donc son plan de guerre et demanda à Alfa Ibrahima, roi de Labé, de prendre la direction de l'expédition.
Celui-ci convoqua les trois marabouts les plus éminents et les plus vénérés de Labé, pour leur demander leur avis. Tous conclurent à une victoire sur l'ennemi. L'un d'eux déclara, cependant:
« Un seul parmi vous deux (Almamy et Alfa) reviendra. » Voulant
ainsi dire que soit Almamy Oumarou soit Alfa Ibrahima y trouvera la mort.
Dianké-Wali était un roi redoutable. Il habitait dans une forteresse à Tourouban. Il y était gardé par une solide armée. Apprenant le projet de l'Almamy du Fouta, il prit les dispositions pour arrêter les Foula avant d'atteindre leur but.
Par contre, mesurant le danger que le Fouta affrontait en attaquant ce roi, l'Almamy n'accepta dans ses troupes que les vaillants guerriers du pays.
Ayant termine ses préparatifs de défense, Dianké-Wali envoya au devant de l'armée du Fouta, des éclaireurs avisés. L'un d'eux revint vite à Tourouban effrayé par ce qu'il avait vu, se précipitant devant le roi, il ramassa du sable plein la main qu'il déversa devant lui ; il en ramassa une deuxième fois et le déversa sur l'autre et, lorsqu'il voulut en ramasser encore, le roi arrêta sa main et lui dit de s'expliquer. Pointant le tas de sable, il répondit :
« Leur nombre est égal au nombre de grains de sable de ce
tas. »
Dianké-Wâli comprit qu'il était perdu. Cependant, il ordonna à son armée de ne jamais reculer. Des cavaliers, des fantassins bien armés étaient prêts à contre-attaquer. Les régiments foula ne tardèrent pas à foncer sur Tourouban la fortifiée. Le premier choc fut très meurtrier. Sous le commandement d'Alfa Ibrahima, les troupes, d'un seul élan mirent l'armée ennemie en déroute. Elles pénétrèrent dans la ville, se ruèrent sur l'enceinte dans laquelle Dianké-Wâli s'était blotti et qui, voyant sa perte avait juré de ne jamais fuir. Pour empêcher cette fuite, il avait rempli son pantalon bouffon de sable qui forma un poids lourd, le retenant bloquer sur son fauteuil royal.
Ne pouvant pénétrer dans le fort par les portes toutes hermétiquement fermées, les combattants foula grimpèrent les murs avec des échelles en bois, coupées à la tête. Cette opération fût compliquée, car de l'intérieur un tir intense les repoussait. Mais, sans trop de pertes, les combattants foula réussirent la descente dans cette cour impénétrable jadis. Leurs adversaires préférèrent alors la fuite à la mort. Dianké-Wâli, abandonné, assis sur le tas de sable sur son fauteuil sentit la mort le guetter. Le Kélémansa Modi Aliou
Tindima s'approcha de lui, lui envoya une balle dans la tête qui l'étendit mort. Une ruée de soldats l'assaillit et le roua de coups de bâtons. La bataille était gagnée. Ce fut une victoire des plus importantes pour le Fouta. Plus de quatre mille soldats de l'armée ennemie étaient massacrés et le butin fut très important : des esclaves, de l'or, du bétail, etc. 16.
Le partage rapporta à l'Almamy le cinquième, ce qui était suffisant pour remettre sa fortune d'aplomb. Sa part fut immédiatement dirigée sur Timbo.
Le reste du butin, divisé entre les combattants, permit à chacun d'obtenir une part appréciable.
Pour récompenser l'audace et la bravoure de Modi Aliou Tindima, Alfa Ibrahima lui donna sa fille en mariage.
La guerre gagnée, l'Almamy reprit le chemin du retour sur le Fouta. A Dombiyâdji, dans le Fenda-Ley-mâyo, il demanda, malgré la part importante qu'il emporta, à ce qu'Alfa Ibrahima rançonnât encore les habitants et lui fournit mille génisses et taureaux, des jeunes serviteurs et servantes. Alfa Ibrahima trouva cette demande exagérée et sans solliciter une réduction quelconque, la présenta à la population qui la repoussa avec mépris.
Alfa Ibrahima réunit aussitôt un conseil de cabinet restreint à trois de ses ministres les plus influents. Ce conseil décida de repousser la demande d'Almamy Oumarou et, pour en finir avec lui, de le supprimer.
Malheureusement, l'un des ministres, le nommé Alfa Kâfa, trahit et divulgua le secret à l'Almamy, qui convoqua immédiatement Alfa Ibrahima. Alfa Kâfa avait attendu minuit pour entretenir l'Almamy, pensant que rien ne suinterait de cet entretien. Malgré la menace de l'Almamy de mettre le roi de Labé à mort s'il n'exécutait pas son ordre, Alfa Ibrahima n'hésita pas un seul instant à suivre le plan arrêté en conseil. Il demanda cependant un délai et à la suite d'un nouveau conseil comprenant, cette fois, deux ministres seulement ; il avisa le chef suprême que « sa demande serait entièrement satisfaite, si son ministre Alfa Kâfà ne s'y opposait pas » ; il ajouta que celui-ci étant le plus riche du pays, il mettait un frein à l'exécution de l'ordre suprême. Il proposa à l'Almamy de le faire massacrer afin que ce frein soit supprimé. Poussé par sa cupidité, l'Almamy accepta cette proposition, sans en vérifier le fond. Son premier fils, Mamadou Pâté, fut chargé de la mission de procéder à l'exécution d'Alfa Kâfa, dans la plus grande discrétion. Mamadou Pâté informa Alfa Kâfa de son désir de lui rendre visite à son domicile, situé non loin de là. Alfa Kâfa lui fixa une date et prépara une réception pompeuse. Mamadou Pâté fut exact au rendez-vous, acconipagné de deux hommes de confiance. Alfa Kâfa, le plus riche de la région, fit à ses hôtes les cadeaux les plus somptueux.
Avec ses compagnons, Mamadou Pâté arrêta son plan qui consistait à tuer leur hôte avec le sabre dont il était éternellement porteur et qui lui valut le surnom d'Alfa Kâfa (Alfa Sabre). Lorsque le lendemain Alfa Kâfa les accompagnera, Mamadou Pâté lui enlèvera son sabre pour l'admirerje contempler ; il le passera ensuite au premier compagnon qui manifestera l'intérêt de faire autant, puis celui-ci le passera au second qui tranchera la tête d'Alfa Kâfa. La manoeuvre fut couronnée de succès. Alfa, confiant, eut ainsi sa tête tranchée.
Pendant ce temps, Alfa Ibrahima cherchait lui aussi un autre moyen plus discret pour supprimer Almamy Oumarou à son tour. Il fit appel à un sorcier qui prépara un poison efficace et, par comble de malheur, Almamy Ournarou se plaignant d'un malaise du ventre, demanda à prendre un médicament utilisé couramment dans le Fouta : le Gôgo. L'occasion étant favorable Alfa Ibrahima s'empressa de fournir le médicament sollicité et contenant alors le poison préparé par le sorcier. Ce médicament fut fatal et emporta l'Almamy.
Ainsi prit fin, un règne qui n'avait que trop duré. Almamy Oumarou avait exercé de 1845 à 1870, malgré l'alternance du pouvoir, un commandement sans contrôle. Seul maître, n'écoutant que ses conseillers (sofas et proches parents), il n'avait presque plus de considération pour les Anciens qu'il maintenait symboliquement à leur poste.
Les chefs des diiwe, dans leurs territoires, suivaient la même politique tyrannique. Ses deux fils Alfa Mamadou Pâté et Bokar Biro avaient appris beaucoup à son école et le dernier surtout, portait en lui, les signes de l'héritage despotique.
A sa mort, le Fouta vivait dans la terreur. Partout, les chefs et leurs agents commettaient des exactions et des crimes impunis. La justice n'existait plus que de nom.
Les Houbbous, dont le chef vénéré avait condamné cette situation, continuaient leur rébellion, qui prenait de l'extension. Iliassou Nînguélandé avait tenté en vain, de faire comme eux. La tentative de sécession du Waly Téguégnen accrut le désordre dans le pays.
Les paysans supportaient des charges excessives d'impôts. Ils étaient en effet, soumis aux charges suivantes :
Il va sans dire que le taux imposé était toujours élastique et ne connaissait pas de limitation raisonnable.
On comprenait donc, pourquoi on choisit à Dombiyâdji de supprimer l'Alinainy afin de soulager les habitants du pays des charges qui pesaient sur leurs têtes.
Dès la mort de l'Almamy Boubacar mo Bademba, le parti alfaya choisit son premier fils pour le remplacer. Ibrahima Sory Dara était un homme d'une grande intelligence, jouissant d'une grande estime.
D'un tempérament calme, il était pourtant très ferme dans ses décisions qui étaient empreintes d'un esprit de justice. Pendant son règne, la vie des individus était bien préservée et leurs propriétés respectées. Il détestait le pillage et le coupable qu'il prenait était sûr de sa fin tragique.
Ses débuts furent difficiles. Son collègue soriya, Almamy Oumarou, avait violé la réconciliation entre les deux partis et refusé de céder le pouvoir à l'expiration de ses deux années de tour au commandement. Essayant de le déloger par la force, Ibrahima Sory tut battu, après une bataille de trois jours dans les environs de Timbo.
Plus tard, ces difficultés s'aplanirent, car devant la menace houbbou, l'unité des Seydiankés était plus que jamais nécessaire pour combattre l'ennemi commun.
En effet, à la suite du refus par les Anciens d'autoriser la déclaration de guerre contre les Houbbous, Almamy Oumarou trouva que la solution de ce problème dépendait de la participation des Alfayas au combat.
Dès son retour de Fougoumba où il avait provoqué une assemblée extraordinaire il proposa à l'Almamy alfaya une réconciliation. A partir de cette date, ils travaillèrent la main dans la main pour la consolidation de leur position et l'anéantissement de la rébellion houbbou.
Au retour des deux Almamys à Timbo, le tour du pouvoir de l'Almamy soriya expira et l'Alfaya s'installa à sa place. Il nomma à Labé, comme chef de diiwal alfaya, Alfa Mamoudou Tokosso (le jeune), désigné ainsi pour le distinguer du premier Alfa Mamoudou (l'aîné). Il remplaça Alfa Abdoul Gadiri Sarékali, qui était mort sous le règne du parti soriya.
Cet Alfa Mamoudou avait cherché pendant longtemps la chefferie du Labé. Il habitait alors Bagnan. Pour réussir, un marabout lui apprit qu'il lui fallait changer de domicile et créer un village à l'est de la route de Kâda. C'est ainsi qu'il vint fonder le hameau de Pellel Kahi, près de Popodara.
Quelques années après, il obtint satisfaction.
Chef très calme, remarquable par sa dévotion, il ne fit aucune expédition guerrière ni à l'intérieur, ni à l'extérieur du pays. Il garda la place pendant plusieurs années.
A sa mort, ce fut Alfa Mamadou Cellou qui le remplaça. Ce chef, également calme, fit cependant deux guerres contre les païens du N'Gabou. Il conquit Woulia et Dioudé-Koloufi.
Il mourut en 1869 et ce fut son premier fils, Alfa Gâcimou, qui prit aussitôt sa succession.
Alfa Gâcimou était l'homme le plus grand et le plus gros de son époque dans le Fouta. Aucun cheval ne supportait son poids. Aussi, marchait-t-il toujours à pied. Très instruit et très pieux, il avait appris le Coran par coeur et jouissait d'une grande réputation. Malheureusement, il était maladroit dans ses entreprises. Pendant son règne conime chef alfaya, il rencontra toujours des difficultés avec ses parents dont plusieurs furent ses victimes.
Dès qu'il prit le commandement, il dirigea une guerre contre les Vouyou dans le Sangalan. Cette région voisine de Mérépounta, son fief, était habitée par les Djallonkés, toujours réfractaires à l'islam et dont l'attitude incorrecte vis-à-vis de leurs voisins foula méritaient des sanctions. Mais les Djallonkés qui étaient bien armés et bien préparés résistèrent à l'attaque d'Alfa Gâcimou et refoulèrent l'armée foula, en lançant contre elle non seulement des flèches et des balles, mais aussi des abeilles élevées pour leur défense. Plusieurs combattants y succombèrent. Pendant leur fuite, les Foula perdirent leur tabala royal qui fut pris par les adversaires comme symbole de leur victoire.
C'est dans la situation que nous avons décrite plus haut que le parti soriya proclama Ibrahima Donghol Fêllâ Almamy du Fouta-Djallon, pour remplacer Almamy Oumarou décédé.
Très intelligent et énergique, il tenta de remettre de l'ordre dans le pays, mais il eut surtout à coeur d'être l'hériter des grands Soriya, Almamy Sory Mawɗo et consorts.
Se souvenant d'avoir été élève d'Alfa Mamadou Diouhé, il se désintéressa de l'affaire houbbou et dédaigna d'engager une action quelconque contre Abal. Il préféra diriger ses forces militaires contre les fétichistes djallonkés.
C'est ainsi qu'il attaqua, dès le début de son règne, le Moriya, mais n'eut aucun succès dans ce pays. Les Soussous qui y habitaient, avaient, avant l'arrivée de ses troupes, fui dans la grande brousse, avec tous leurs biens.
Par la suite, il eut des démêlées avec le Conseil des Anciens et certains de ses proches collaborateurs. Se considérant au-dessus de toute autorité, il négligea ces derniers. Avec l'appréhension que l'Almamy allait attenter à leurs prérogatives, ses adversaires prirent des mesures de représailles. Tous firent le vide devant l'Almamy, y compris Mamadou Pâté et Bocar Biro, ses propres neveux. Thierno Abdoul Wahhâbi, président du Conseil, passa du parti soriya au parti alfaya. L'Almamy fut immédiatement déposé au profit du candidat alfaya, Ahmadou.
Rentré à Donghol Fêla, l'Almamy prépara aussitôt une revanche. Avec un contingent de sofas, il attaqua Almamy Ahmadou et le vainquit à Pelloun-Taba près de Timbo. Il put aussitôt reprendre le pouvoir et braver ses ennemis. A partir de cette date, la succession au trône, qui a été violée à plusieurs reprises reprit son cours normal, grâce à une réconciliation entre les deux Almamys 17.
Réinstallé au pouvoir et dédaigneux même de sa propre famille, il ne s'entoura plus que de sofas et d'étrangers qui occupèrent les postes que ses proches parents avaient abandonnés.
Ce fût de sa part, une maladresse énorme, car sa façon de faire ne favorisa pas, pour autant, la réalisation de son projet de devenir un grand Soriya. En effet, ses aïeux avaient, pour réussir dans cette voie, choisi un entourage composé d'hommes influents, presque tous de même sang qu'eux.
Cependant, il continua à assurer l'administration du pays avec des chefs de provinces soriya plus ou moins dévoués à sa cause.
Dans le Labé, il maintint en fonction à la tête de la province Alfa Ibrahima le jeune, qui ne pouvait mieux faire que de continuer ses fructueuses guerres contre les N'Gâbounkés et les Djallonkés du Nord.
C'est ainsi qu'en 1871, il porta la guerre dans le Potion où il tua Doumbi et son chef de guerre Amoro et razzia tous les biens et réduit à l'esclavage les hommes valides, les enfants et les femmes.
En 1872, il conquit le Korobâli pour la première fois avec le Bâyaga, dans le NGabou. Il trahit leurs chefs qu'il massacra et s'empara de leur biens.
En 1873, Alfa Gâcimou, chef alfaya du Labé en attente, tomba sur les habitants de Kôço, dans le Yembérin et pilla tous leurs biens. Alfa Ibrahima le jeune marcha contre lui et repris de force tout ce qu'il avait pillé et rendit la liberté aux victimes. Alfa Gacimou fût obligé de fuir dans le Kollâɗe. L'année suivante, en 1874, les chefs de Kankalabé, du Koïn et du Timbi reconduisirent le fuyard à Labé et le réconcilièrent avec Alfa Ibrahima.
En 1870, Alfa Gâcimou ayant commis un crime en tuant son frère Abdoul, Alfa Ibrahima tenta d'arrêter le criminel. Une violente bataille s'engagea entre eux. Alfa Gâcimou, mis en déroute, s'enfuit à Timbo.
En 1878, Alfa Ibrahima envahit, pour la première fois, le Kouttan, dans le Badiar. Il y remporta une victoire éclatante.
Rentré de cette dernière guerre, il se rendit dans le Kouçalan, en Niani, dans le Bhoundou où le roi Bâkar Sâda l'avait appelé à son secours, pour combattre les habitants de ce pays en révolte. Mais son voyage n'eut aucun succès, car les adversaires eurent le dessus et il prit la fuite avec tous ses compagnons.
Dès son retour à Labé, il préféra prendre du repos au milieu des siens et choisit de se retirer de la vie politique. Cette retraite ne pourrait rien diminuer de son influence, car il l'avait préparée convenablement. Ayant placé chacun de ses fils à la tête d'un district qu'il commandait, il avait accumulé une fortune qui pouvait lui assurer, pendant le reste de sa vie, une vie heureuse. En 1879, il remit à l'Almamy Ibrahima Donghol Fêlâ sa démission et lui présenta son premiers fils, Aguibou, pour le remplacer. L'Almamy accéda à sa demande et entérina sa proposition.
Alfa Aguibou fût un chef honnête et intègre. Très religieux il faisait régulièrement ses prières à la mosquée et ne manqua pendant son règne, suivant les chroniqueurs, qu'à deux prières en commun. Son repas, toujours faste et copieux, fut régulièrement partagé avec les notables de Labé.
Dès sa prise de pouvoir, il continua l'uvre de son père. Il fit une seule guerre contre les païens de Korobâli, qui furent impitoyablement décimés. Cette victoire lui permit de conquérir tous les biens des habitants et capturer les femmes et les enfants qu'il ramena au Fouta comme esclaves.
Mais, en 1880, mourut son père qui s'était retiré à Foulamory, dans le Kadé.
En 1883, Alfa Aguibou et Thierno Maâdiou, chef du Timbi-Tounni, se rencontrèrent à Labé-Dheppere (Labé) pour y tenir une conférence secrète.
Cette rencontre fut rapporté à Almamy Ibrahima Donghol Fêla et à son neveu, Modi Kamadou Pâté. Ceux-ci interprétèrent l'entrevue des deux chefs de province comme un complot pour renverser le pouvoir des Almamys et une dissidence en préparation. Pour empêcher la réalisation d'un semblable projet, l'Almamy chargea discrètement les jeunes frères des. deux chefs de supprimer ces derniers pour prendre leur place. Modi Yaya, frère d'Alfa Aguibou n'attendait qu'un pareille occasion pour se débarrasser de son frère, qui avait pris le pouvoir à Labé à son grand regret.
Dès la réception du message de l'Almamy, à Kâdé, Modi Yaya prit le chemin de Labé avec des gros cadeaux pour corrompre l'entourage de son frère. Il fut bien reçu par ce dernier, qui s'étonna cependant de le voir incognito à Labé. Modi Yaya réussit à gagner à sa cause le premier ministre, Modi Alimou, et obtint son soutien. Il conquit le coeur de la première dame d'Alfa Aguibou.
Le jour de ce forfait, à l'aube, Alfa Aguibou quitta sa case pour la première en commun à la mosquée. Dès sa sortie, Taïbou l'épouse de Modi Aguibou envoya un sofa à Modi Yaya pour le prévenir que le moment était favorable. Celui-ci posta deux batoulas armés de fusils dans l'antichambre de la concession du chef. Après la prière, Alfa Aguibou reprit le chemin de son domicile. Dès qu'il avança le pied dans le vestibule, il reçut en pleine tête, une balle qui l'étendit inanimé sur le sol. Son cadavre resta sur place pendant toute la journée, sans qu'aucun notable, ni un parent ne l'approcha. Les notables eurent peur de se mêler à la querelle dont ils ignoraient l'origine. Ce fut le soir seulement qu'ils décidèrent de l'enterrer.
Avant que les enfants d'Alfa Aguibou ne songent à la vengeance, le criminel prit la fuite pour Kankalabé, lieu d'asile des criminels foula.
Soutenu par ceux qu'il avait corrompu, Modi Yaya fut gracié et regagna librement son fief de Kâdé.
Par ailleurs, l'Almamy donna l'ordre d'arrêter trois ministres d'Alfa Aguibou : Modi Alimou Djîdâla, Modi Bobôrou Falo-boowe et Modi Moumini Toro qui, accusés d'avoir pris part au complot reproché à leur chef, furent exécutés, à coup de bâton, à Toumi-Labé, par Modi Mamadou Pâté, venu spécialement de Timbo à cette fin.
En ce qui concerne Thierno Maadiou, son frère Modi Sidi reçut égaleinent le message de l'Almamy à son sujet. Mais le secret fut divulgué avant exécution. Dès que les notables furent mis au courant de ce projet, ils provoquèrent un meeting public à la mosquée où toute la population se réunit. Prenant la parole, le doyen du collège fit la déclaration suivante: « Un bruit alarmant circule en ce moment dans notre village. Nous prévenons solennellement et publiquement les candidats à la chefferie de Timbi que quiconque tue quelqu'un ici, nous prendrons toute notre responsabilité et nous le tuerons sans nous référer à personne. Le cadavre sera tiré par une corde et jeté dans une vieille termitière comme le prévoit la coutume. » Ce n'est qu'après que nous en rendrons compte à l'Almamy à Timbo.
Modi Sidi, visé par la déclaration, ne put rien faire et se trouva dans l'obligation de renoncer à son projet.
Quant à la belle Taïbou, ancienne femme d'Alfa Aguibou, elle rejoignit Modi Yaya, après son veuvage ; ce dernier lui avait promis le mariage. Mais oubliant cet engagement vis-à-vis de sa complice, Modi Yaya supprima purement et simplement cette dangereuse épouse, par strangulation.
Pour remplacer Alfa Aguibou, l'Almamy nomma Ali Abdoulaye Samba, d'Alfa Ibrahima Sory Mawɗo.
Chef peu énergique, Alfa Abdoulaye n'organisa aucune expédition guerrière contre les païens et n'eut à assurer, pendant son règne, que l'administration directe du pays. C'est pourquoi l'Almamy le déposa dès 1887. Il désigna a sa place Alfa Abdoulaye Danédjo, surnommé Alfa Abdoulaye Tiéwiré. Ce dernier fut choisi surtout en raison de sa piété et
son esprit de justice.
C'est aussitôt après cette nomination qu'Alfa Ibrahima Dongnol Fêla, appuyé par les chefs du Labé et du Koïn, porta la guerre dans le Wontofa, pays limitrophe de ces deux provinces. Il massacra beaucoup de païens,
enleva leurs biens et leurs enfants.
Rentré à Timbo, après cette victoire, l'Almamy Ibrahima n'en sortit plus et mourut début
1888.
Nous verrons plus loin, l'arrivée de la mission Bayol dans le Fouta et la signature du traité de protectorat qu'il négocia
avec les Almamys et les chefs du Fouta.
Nous verrons également l'arrivée de l'explorateur français, Olivier
de Sanderval, qui obtint des chefs du Fouta l'occupation de vastes territoires
tels que le Guémé Sangan et le royaume de Kahel.
Sous le règne d'Almamy Ibrahima Sory Donghol Fêlâ et d'Almamy Ahmadou le Fouta faisait de moins en moins la guerre sainte. Les occasions de razzia devenaient donc plus rares. Les Européens étaient maîtres des pays limitrophes ou avaient signé des traités de protectorat. Le butin manquait pour enrichir les fonds du capital des chefs. Le moyen le plus simple pour en obtenir était la dislocation des grandes provinces afin de multiplier les vassaux à exploiter 18.
Le Labé et le Timbi-Touni étaient les provinces les plus attrayantes. Dans le Labé, les familles régnantes étaient unies au moins apparemment et cette union empêchait toute tentative de dislocation.
Par contre, dans le Timbi-Touni l'occasion était favorisée par les guerres sanglantes qui s'y déroulaient depuis plusieurs décades.
Nous avons, en effet, vu que par suite de la division des membres de la famille de Thierno Souleymane, l'ordre ne régnait plus. Les cantons de Mâdinâ, de Bourouwal-Tappé et de Bomboli n'obéissaient plus au chef de diiwal. Désirant obtenir leur indépendance, les chefs s'étaient rendus à Timbi-Touni. Le Kébou, qui était un district de Mâdinâ, s'était détaché et avait rejoint le Timbi-Touni. Cette secession de Kébou fut l'origine d'une nouvelle guerre plus terrible que les précédentes. Timbo essaya d'intervenir. Une partie du Kébou avec le chef d'Alfa Ahmadou Ouri, se réclama de Timbi-Touni alors que l'autre partie commandée par Alfa Amadou et soutenue par le Mâdina refusa ce retour.
C'est alors que le chef Alfa Amadou Diouldé et Alfa Oumarou tentèrent successivement avec assez de succès d'obtenir des Almamys la reconnaissance de leur fief comme diiwal autonome, sous la souveraineté nominale de Timbo. Tout en acceptant cette demande, les Almamys laissèrent à Touni le district de Kébou. Ce fut l'origine d'une nouvelle guerre plus terrible que les précédentes. Une partie du Kébou, avec le chef Alfa Amadou Ouri, se réclama dui Touni, tandis que l'autre fraction, sous l'autorité d'Alfa Amadou Fello refusait de reconnaître la décision d'annexion signée par Timbo, mais contestée par Mâdinâ. Le chef d'Alfa Issaga N'Denda de Mâdina, battu au cours de cette guerre dut se réfugier à Touba chez les marabouts diakhankés et la région fut dévastée par les guerriers de Timbi-Touni dont l'un des généraux, Thierno Ibrahima de Donghol Touma alla recruter des troupes dans le Rio Pongo (Basse-Côte) et vint dégager la capitale de Kébou, Mallal-Kondo, qui était assiégée par les gens de Mâdinâ. Mais la chance n'était pas avec le chef du diiwal de Timbi-Touni, car sur la Dowal-Balay, ses troupes furent surprises par celles de Mâdinâ et se débandèrent. Thierno Maâdiou, chef de ce diiwal, y trouva la mort alors qu'il faisait son salam (1883).
En 1885, alors que la tension ne cessait entre les districts de Timbi-Touni, de Mâdinâ et de Kébou, Almamy Ahmadou, rentrant d'une expédition contre le Kolissoko, passa dans le Kébou et réussit à réconcilier les chefs. Il rendit à Mâdina la souveraineté sur le Kébou, ce qui ramena le calme dans les esprits. Devant lui, les trois chefs se serrèrent la main et jugèrent fidélité aux Almamys.
Devant le succès de Mâdinâ, le Mâci finit, lui aussi, par se soulever. Ce fut un coup très dur porté à Touni. Très riche et peu peuplé, le Mâci obtint son indépendance vis-à-vis du diiwal de Timbi-Touni et devint ainsi libre de ses actions.
La dislocation d'une si grande province, qui fut jadis très unie, fut la conséquence de la désunion des descendants de Thierno Souleymane lesquels oublièrent que « l'union faisait la force ».
Un autre district, le Bantiŋel, qui s'était détaché de Fougoumba pour s'allier, un moment, au Touni obtint de Timbo son indépendance.
Au moment de l'occupation française, l'ancien diiwal fractionné, comprenait désormais cinq districts :
Nous donnons ci-dessous la liste des chefs hélâyabé descendants de Thierno Souleymane qui commandèrent successivement le diiwal de Timbi-Touni :
Quand la nouvelle du massacre de l'Almamy Ibrahima Sory Dara parvint à Timbo, en 1872, son frère Ahmadou présenta aussitôt sa candidature pour le remplacer. Son couronnement était acquis. Seulement, il ne pouvait rentrer en fonction qu'à l'expiration du tour de l'Almamy soriya. Cependant, par suite d'une dissension avec ce dernier, le Conseil des Anciens et quelques membres de sa propre famille, l'Almamy soriya fut déposé par trahison de Thierno Abdoul Wahabi, doyen du conseil. Almamy Ahmadou prit donc le pouvoir par anticipation. Comme de coutume, il procéda au renouvellement de la chefferie de toutes les provinces.
Mais Almamy Ibrahima Donhol Fêlâ était un homme courageux. Rentré à Sokotoro, il prépara un contingent de sofas et de partisans pour tirer vengeance de l'affront qui lui était fait. Il surprit l'Almamy Ahmadou à Timbo et l'en délogea. L'Almamy alfaya fut obligé de rejoindre Dara.
Almamy Ahmadou n'était pas un homme riche, comme ses collègues soriya. En mourant, son père était lui-même pauvre et n'avait laissé, dit-on, qu'un seul esclave et quelques têtes de bétail. Or, ses héritiers étaient nombreux. A la suite d'une réconciliation avec son collègue soriya, Almamy Ahmadou espéra reprendre bientôt le pouvoir. Cet espoir était d'autant plus légitime qu'il allait, une fois sur trône, pouvoir se faire une fortune en guerroyant hors des frontières du Fouta ou par les gros cadeaux qu'il attendait des chefs de provinces qu'il allait conquérir. Il entre en fonction en 1876.
Il déposa aussitôt Alfa Gâcimou, chef du diiwal de Labé, qui venait d'assassiner son frère Abdoulaye dont la mère était une cousine des Almamys.
Il le remplaça par Alfa Souleymane, fils d'Alfa Abdoul Gadirî Sarekali. Mais ce chef ne resta pas longtemps en fonction. Alfa Gâcimou, toujours turbulent, avait pu obtenir son retour au pouvoir et dès 1878, il reprit le turban du Labé.
Alfa Gâcimou entreprit la même année, une expédition contre le Kêbâo. Il fut victorieux et enleva tous les biens des habitants et réduisit à l'esclavage une partie de leurs femmes et enfants.
En 1880, en raison toujours de sa turbulence, Almamy Ahmadou révoqua Alfa Souleymanc pour le remplacer par Alfa Mamadou Pellel Kahi, fils d'Alfa Madou. Mais ce chef tint pendant quelques mois seulement, puis revoqué, céda la place à Alfa Mamadou Aliou Bendiou, dernier fils d'Alfa Saliou.
Alfa Mamadou Aliou Bendiou, quoique du parti soriya, fut choisit malgré son âge avancé, pour remplacer un Alfaya, par le Conseil des Anciens de Labé, afin de permettre à ce vieillard de porter le turban de chef avant sa mort. Il s'était plaint au Conseil d'être abandonné, car étant le fils d'Alfa Saliou, ancien roi de Labé, il avait droit à cette place.
Mécontents de cette nomination, Alfa Gâcimou et Alfa Mamadou Pellel Kalil se coalisèrent pour combattre le nouveau chef. Une bataille les mit aux prises à Hoore-Sâla, près de Labé, où des pertes nombreuses furent subies par chacune des parties. Ils se séparèrent dos à dos. N'ayant pu supporter l'affront qui lui était fait, Alfa Mamadou Aliou Bendiou fut atteint de folie mentale et en mourut peu de temps après. Alfa Gâcimou reprit alors le pouvoir.
Au cours de cette même année, Almamy Ahmadou porta la guerre Madina-Kouta, dans le Kourounya. Sa défaite fut totale.
En 1885, il se rendit dans le Kolissoko pour imposer la religion musulmane aux habitants du pays. A cet effet, il rassembla une importante armée composée notamment de guerriers du Labé avec Alfa Gâcimou en tête. En apprenant la nouvelle de l'arrivée de cette armée, les Soussous et les Bagas évacuèrent leurs villages, et n'y laissèrent que les vieillards. Prenant contact avec ces derniers, l'Almamy leur proposa les règles de l'islam. Pour éviter la guerre, ils acceptèrent et se soumirent à l'autorité de l'Almamy, qui leur imposa le paiement du tribut. Avant la fin des pourparlers tous les habitants rejoignirent leur domicile et souscrire, d'un commun accord, au désir de l'Almamy.
Mais, précisément, Alfa Gâcimou, chef du Labé, abandonna l'Almamy pour rejoindre son diiwal avec son armée. Quand l'Almamy apprit ce départ précipité, il fut fort indigné, à tel point qu'il maudit le fugitif en ces termes : « Me laisser en pays païen et s'enfuir ! Il ne s'arrêtera pas de fuir ! Il ne s'arrêtera plus jamais. »
Ce n'est qu'à l'arrivée d'Alfa Gâcimou à Labé qu'il justifia son départ précipité.
Une vieille rancune l'opposait à l'Almamy Ahmadou depuis 1870, date de la chute d'Almamy Ibrahima Sory Dara. Alfa Gâcimou, alors chef alfaya du Labé, avait pris part avec ses troupes à la guerre contre les Houbbous de Bokéto, guerre de laquelle l'Almamy Ibrahima Sory fut tué. Revenant de cette guerre, Alfa Gâcimou rencontra à Timbo, Modi Ahmadou, alors simple candidat à la succession de son frère défunt. Celui-ci demanda gentiment à Alfa Gâcimou son appui pour son couronnement. Modi Ahmadou était pauvre. Alfa Gâcimou, d'un ton moqueur lui répondit arrogamment : « Il ferait bien de commencer d'abord par chercher un boubou. » Cette réponse vexa Modi Ahmadou qui en garda rancune. Quand il fut couronné, il dit à Alfa Gâcimou : « Je n'ai pas gagné le boubou que tu m'avais recommandé de chercher, mais j'ai gagné le boubou du Fouta. » La haine créée s'attisa et le nouvel Almamy fit tout pour supprimer Alfa Gâcimou à titre de vengeance.
A Kolissoko, une belle occasion s'offrit à l'Almamy pour mettre son projet à exécution et supprimer Alfa Gâcimou. Mis au courant assez tôt par un ami, Alfa Gâcimou ne put mieux faire que de fuir pour échapper à la mort qui frappait à sa porte. C'est ainsi qu'à la tête de ses troupes, il fit une marche forcée pour atteindre le premier fleuve sur sa route. Après sa traversée, il coupa le pont qui y était construit, pour barrer le chemin et empêcher d'être rejoint. Quand l'Almamy reprit le chemin de retour avec ses compagnons, il tenta de traverser le fleuve à la nage. Plusieurs de ses hommes y périrent emportes par le courant.
C'est au cours de ce voyage que l'Almamy traversa le Kébou et réussit réconcilier le chef de ce district, Alfa Amadou avec les chefs de Timbi-Touni et de Timbi-Mâdinâ, qui se disputaient depuis la sécession du Kébou. Devant lui les trois chefs se serrèrent la main et jurèrent fidélité au chef suprême du Fouta.
Continuant son chemin pour rejoindre Timbo, Almamy Ahmadou apprit à Bantiŋel, par un informateur provenant du pouvoir central, que l'Almamv soriya avait pendant son absence, occupé le trône, son tour au commandement ayant sonné. Il se hâta de rentrer et de rejoindre Dara, son village de retraite.
Quant à Alfa Gâcimou, il apprit en touchant Labé que les Djallonkés du Sangalan avaient envahi Mérépounta, son village natal, tué deux hommes et une femme pour prendre la hâte. Sans retard, il se mit à la poursuite de la bande de pillards, qu'il rattrapa dans le village de Dombayâ. Il en tua un nombre important et razzia tous leurs biens avec quelques femmes et enfants.
Ayant reprit le pouvoir, en 1888, Almamy Ahmadou nomma à Labé, Alfa lbrahima Bassanya, comme chef alfaya en remplacement du turbulent Alfa Gâcimou. Celui-ci, informé de cette mutation, s'y opposa énergiquement et rassembla immédiatement ses troupes pour combattre le nouvel élu de Timbo. Il le rencontra à Bantiŋel sur la route du retour. Après une bataille acharnée, Alfa Gâcimou fut vainqueur. Alfa Ibrahima Bassan'ya, en fuyant avec lui, se dirigea sur Timbo où les deux Almamys résolurent de faire respecter leur décision. Ils donnèrent l'ordre à Alfa Abdoulaye Tiéwiré, chef soriya a l'époque dans le Labé, de porter secours à Alfa Ibrahima Bassan'ya, avec l'armée soriya. Attaqué, vaincu et échappant de justesse à la mort, Alfa Gacimou s'enfuit à son tour, mais très loin et rejoignit Mâdinâ Khasso, près de Kayes. Cette fuite était la confirmation de la prédication d'Almamy Ahmadou à Kolissoko où il disait : « Il s'est enfui, il ne s'arrêtera plus jamais. »
Après un séjour de quelque mois dans le Mâdinâ-Khasso, Alfa Gâcimou poursuivit son chemin jusqu'à Kayes, où il rendit visite au colonel Archinard qui commandait alors les troupes françaises du Soudan. Ayant fait part à cet officier supérieur de son aventure, Archinard lui proposa de lui accorder son soutien pour le réinstaller dans ses fonctions, par la force qu'il mettrait à sa disposition. Alfa Gâcimou estima que la réalisation de cette proposition mettrait son pays d'office sous la domination française. Dédaignant d'être responsable d'une telle domination, il déclina et préféra rejoindre son pays natal quand il pourra, par ses propres moyens. Il reprit donc le chemin de Labé, où il arriva courant 1889.
Une autre version dit qu'Alfa Gâcimou avait demandé à Archinard de lui fournir des troupes pour rentrer à Labé et reprendre le pouvoir. Mais, son arrivée à Kaye coïncidant avec celle des insurgés de Nioro, tous membres de la famille d'Elhadj Oumar, Alfa Gâcimou, écuré par l'atrocité avec laquelle ceux-ci avaient été traités, préféra retirer sa demande et rentrer dans son pays par ses propres moyens.
Dans tous les cas, dès son retour à Labé, les Almamys propagèrent le bruit que le voyage de ce chef n'avait qu'un seul but : vendre le Fouta au Français. Cette accusation ajoutée à sa conduite incorrecte vis-à-vis de l'autorité supérieure valut à Alfa Gâcimou la condamnation à la peine de mort pour intelligence avec les païens, ennemis de l'islam. En exécution de cette condamnation par le pouvoir central, Alfa Gâcimou fut fusillé à Labé en 1892 par les hommes d'Afa Yaya, nouvellement nommé chef du Labé.
Alfa Ibrahima Bassan'ya, après l'éviction de son adversaire, prit donc pouvoir et régna avec son collègue soriya jusqu'à l'occupation du pays par les Français.
Au cours de ce règne, il conquit le Néguena dans le N'Gâboui, en 1892. Il remporta une victoire totale.
A la fin de son mandat, il se retira dans le Yâmé où il continua à vivre de rançon et de pillage.
C'est ainsi qu'aidé par son fils Aguibou, en octobre 1896, il se rendit coupable d'agression, de pillage et de meurtre contre une caravane du Dioula Ouolof Samba Nafâ, provenant du Sénégal avec des chevaux. Puis, en juillet 1899, il conquit le village de Dînguilitiré, près de Yâmé, dont il vendit les habitants comme esclaves. Samba Nafa était un employé de la compagnie française Chaumet de Saint-Louis. En venant dans le Fouta, il avait pour mission de vendre les chevaux au roi Alfa Yaya. De passage à Yâmé, Samba Nafâ reçut la promesse d'Alfa Ibrahima Bassan'ya de lui payer en bétail, le prix de ses montures, qui fut fixé d'un commun accord. Dans l'attente de la réalisation de cette promesse, cet étranger fut assailli dans son campement par les hommes de son hôte. Ses compagnons et lui furent assommes à coups de bâton et de sabre. Deux d'entre eux purent, cependant, s'échapper et rejoindre le Sénégal où ils rendirent compte de leur mésaventure. Plainte fut déposée immédiatement contre le coupable Alfa Ibrahima Bassan'ya auprès du gouverneur général. Dès que l'autorité française s'installa dans le Fouta, l'affaire fut transmise par voie hiérarchique à Labé et Bassan'ya et son monde furent traduits devant le tribunal indigène de Labé ; les deux criminels furent condamnés à la peine de mort ; la sentence prononcée, des notables influents intervinrent pour obtenir, en faveur des condamnés, une atténuation de cette peine en une peine d'amende et de dommages et intérêts très élevés. Le roi du Labé, Alfa Yaya s'y opposa et les deux condamnés furent exécutés sur la place publique de Bowounloko, en présence du représentent du roi, Modi Tanou Mélikaré. Les condamnés obtinrent une simple faveur, celle d'être enterrés en dehors du cimetière des malfaiteurs. Leurs tombes sont connues et situées près du lieu d'exécution à Bowounloko.
Alfa Ibrahima Bassan'ya fut le dernier chef alfaya dans le Labé.
Nous avons vu plus haut qu'apprenant la prise du pouvoir par son collègue soriya, Almamy Ahmadou avait rejoint directement Dâra, pour attendre son tour de commandement, qui eut lieu en 1888. Mais quelque temps après, son prédécesseur Almamy Ibrahima Donhol Fêlâ. Almamy Ahmadou eut beaucoup de peine à assurer sa fonction. Des troupes ne cessaient de faire irruption à partir des provinces djallonkés et soussous voisines. Affaibli par une maladie qu'un asthme chronique aggravait, il ne pouvait lui-même diriger une guerre contre les rebelles. Son premier fils, Alfa Oumarou, le remplaçait parfois à la tête de ses troupes.
Malheureusement, les envoyés se contentaient de piller le pays et de rentrer à Timbo avec un énorme butin.
Après la mort d'Almamy Ibrahima Donhol Fêlâ, le parti soriya, comme nous le verrons plus loin en détail, avait choisi Boubacar Biro dit Bocar Biro, pour le remplacer.
En juin 1894, Almamy Ahmadou prétextant sa vieillesse, mais surtout son affaiblissement par la maladie, abandonna le pouvoir au nouvel Almamy soriya. Le puissant Modi Diogo, président du Conseil des Anciens, n'était pas étranger à cette décision. Les anciens avaient exercé une forte pression sur le démissionnaire auquel ils reprochaient sa maladresse lors de la réception de Beecknann, l'officier français qui était venu négocier l'autorisation d'installer un poste français à Timbo.
Cependant Almamy Ahmadou resta chef politique des Alfayas, à titre symbolique, jusqu'à sa mort.
Pour lui succéder, deux puissants candidats sont en présence : son premier fils, Alfa Oumarou et son neveu Oumarou Bademba, fils de Bademba, chef de guerre qui vainquit les Houbbous.
Oumarou Bademba, après les démarches habituelles auprès des notables alfaya et des anciens de Timbo, prit le chemin de Bhouria pour y demander son investiture. Il fut accompagné de son frère Alfa Mamadou Dian et d'un certain nombre de sofas et de partisans.
Apprenant ce départ inopiné, Alfa Oumarou se hâta de le rejoindre à Bhouria pour demander également son investiture. Parti de Gabalan où il s'était retiré depuis le décès de son père, il était accompagne, comme son adversaire, de quelques sofas et partisans.
L'Almamy régnant, Bocar Biro, absent de Timbo, était en roue pour le rendez-vous avec de Beecknann, représentant de la France, au bord du fleuve Konkouré, pour procéder avec lui, à la délimitation du Fouta et de ses voisins.
Les anciens et le chef de Bhouria ne portèrent leur choix sur aucun candidat, car le choix leur semblait ardu.
Devant une telle situation, les candidats préférèrent se départager par les armes et engagèrent une bataille dans les rues de Bhouria. Durant une journée entière, leurs sofas et partisans s'affrontèrent et s'entre-tuèrent. Même les femmes y prirent part. Nous citerons notamment Neene, première femme d'Alfa Oumarou, qui se distingua par l'aide matérielle qu'elle apporta à son mari.
Pour faire cesser le feu, les notables de Bhouria employèrent un crieur public qui monta sur une colline voisine et cria à tue-tête :
« Continuez votre bataille, Almamy Bocar Biro arrive dans un instant. Il vous massacrera tous. »
La bataille cessa immédiatement.
Le lendemain,Oumarou Bademba et ses frères quittèrent Bhouria pour rendre visite à Beckmann à Sangoya, sur les bords du Konkouré.
Son concurrent, Alfa Oumarou, reprit le chemin de Gabalan, mais fut rejoint par un représentant de Bocar Biro qui, apprenant la bataille, avait gagné Bhouria et désirait s'entretenir avec lui. Avec cet entretien, il l'incorpora dans son armée et reprit son chemin avec lui sur Bambéto, d'où il comptait gagner le bord du Konkouré. Aucun des candidats n'ayant été couronné, le parti alfaya perd ainsi droit de succession à la couronne de Timbo et de ce fait, Almamy Ahmadou fut le dernier Alfaya, selon la constitution de Fougoumba.
Notes
1. La chronologie des règnes des Almamys n'est pas définitivement établie ; l'auteur ici s'inspire du travail de plusieurs sources qui présentent des dates généralement admises (voir annexe). Nous avons adopté la chronologie proposée par le Major Gordon Laing.
2. Les Alfaya sont les descendants de Karamoko Alfa Mo Timbo, premier Almamy ; les Sorya sont les descendants et partisans de Almamy Sory Mawɗo, le deuxième Almamy.
3. L'épisode de l'invasion du Fouta par Condé Birama est relaté par toute les traditions. Cette invasion eut lieu vers 1762 ; voir le récit qu'en donne Saint-Père dans son article : « La création du royaume du Fouta-Djallon », B.C.E.H.S., Paris, 1930, pages 484-555.
4. Ici, nous sommes dans l'anecdote. Il y a beaucoup d'anecdotes sur la fin de Condé Bourâma. Certaines traditions affirment que Condé Bourama était un chef peul du Wassoulou. Cf. le Major Gordon Laing, Les mystères de Sierra-Leone, Paris, 1972.
5. Il fut en fait le 4è Almamy, puisque Sadou fils de Sory Mawɗo usurpa le pouvoir et se fit reconnaître Almamy de 1784 à 1791 (?)
6. De fait, il fut le premier Almamy.
7. Shahâdat : Premier pilier de la foi islamique, consistant en la profession qu'« il n'y a nul dieu autre qu'Allah et que Mohammad est l'Envoyé d'Allah.»
8. Le vainqueur reconnaît qu'Almamy Sadou était véritablement un érudit et un saint. Il a transcrit de mémoire le Coran sept fois et n'a jamais fait la cour à la femme d'autrui. Cet assassinat est le prélude aux luttes fratricides qui jalonnèrent l'histoire du Fouta-Djallon jusqu à la conquête coloniale.
9. Sofa : guerrier, mot malinké
10. Bérékolon était 1'une des plus grandes forteresse du Gabou, défendue par le célèbre Galan Sonko réputé invincible. Il mourut sous les murs de Bérékolon. Il est le héros d'une belle épopée recueillie par l'IFAN de Dakar ; cf. Histoire des Mandingues de l'ouest, de D.T. Niane, Paris, 1989 ; cf. également Ethiopiques, Dakar, 1982, Traditions Orales du Gabou.
11. Nous n'avons aucune preuve que les troupes peules aient atteint le pays kissi au sud de Faranah.
12. Alfa Ibrahima est le second de ce nom, comme chef du diiwal de Labé. Si le premier est surnommé Alfa Ibrahima Mawɗo (l'ancien), pour éviter les confusions, nous désignerons le second par le surnom de Alfa lbrahima le jeune.
13. Le Furoya et le Pakis étaient des provinces du royaume fétichiste du NGabou, que le Fouta va combattre jusqu'à la destruction de sa capitale, Kansala. Le Tiapi était le pays des Cocoli, voisins des Koniagui.
14. Pourada ou Pirada et Tabadian étaient aussi des provinces du Gabou.
15. Les Peuls désignent Kansala, la capitale du NGabou, par le terme de Tourouban. Ce terme veut dire « extermination de la race » ; expression employée par les Mandingues pour affirmer qu'ils mourront tous à Kansala plutôt que d'abdiquer devant les Peuls. La guerre de Kansala, qui fut couronnée par la victoire de ces derniers, est connue dans les traditions mandingues sous l'appellation de Tourouban Kelo (la guerre de l'extermination).
16. Sur la fin de Dianké Waly, les traditions mandingues affirment que le roi se fit sauter dans son palais en mettant le feu à la réserve de poudre. Cf. Mamadou Mané, 1978, D.T.N, Histoire des Mandingues de l'ouest, Karthala, Paris, 1889, pages 145-170.
17. A partir du milieu du XIXè siècle, la règle de succession est fondée sur l'alternance, tous les deux ans. Mais cette règle ne fut jamais appliquée avec rigueur.
18. Après 1885, date de la tenue de la Conférence de Berlin qui précisa les règles de partage de l'Afrique, les Européens se ruèrent sur le Continent. Français et Anglais envoyèrent de nombreuses missions au Fouta-Djallon. Déjà en 1819, G. Mollien s'était rendu à Timbo pour proposer à l'Almamy de diriger les caravanes sur Saint-Louis où les Français lui feraient beaucoup de faveurs ; H. Hecquard, en 1850, fit la même demande à l'Almamy Oumarou ; à partir de la Sierra-Léone, les Anglais n'étaient pas moins actifs. Les rivalités entre les factions royales du Fouta rendaient ces dernières très vulnérables.