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Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


b. Cultures secondaires.

Les autres cultures sont d'importance secondaire :

Par ailleurs, quelques legumes sont cultivés pour servir souvent de condiments :

Les arbres fruitiers sont nombreux dont la plupart d'origine étrangère au Fuuta

Le cotonnier, hottolohi, peut se trouver partout dans les champs, mais c'est une plante surtout de l'enclos familial, presque dans chaque carré du Fuuta et principalement dans les dume (plur. de runde : villages de culture où habitent les serviteurs). Le coton cueilli à la maison, cardé et filé par les femmes (libres ou serviles) est envoyé chez le tisserand du village pour être transformé en bandes de cotonnade ; base de l'habillement au Fuuta avant l'introduction de tissus manufacturés provenant des comptoirs européens de la Côte.
Toutes ces cultures se pratiquent dans des terrains différents, sur lesquels l'orographie a une certaine influence. Leurs noms géographiques en fulfulde (langue peule) se recoupent souvent avec ceux de l'élevage à quelques exceptions près et chacun de ces terrains n'est cultivable qu'un laps de temps limité.
Le wondiire : ce mot désigne la terre qui n'a pas été cultivée depuis des siècles ou terre vierge, une espèce de forêt. Ce genre de terrain est rare, c'est le vestige de la grande végétation tropicale, domaine d'arbres géants entrelacés de lianes formant un rideau épais de verdure. Nombre de ces forêts n'ont jamais été exploitées parce qu'elles conservent le caractére sacré que leur donnaient les coutumes animistes qu'ont respecté les musulmans (Peuls conquérants), nouveaux venus. Les Peuls éprouvaient d'autant plus de peine et d'effroi d'y cultiver que les infidèles dont c'était les bois sacrés, y avaient enfoui autrefois leurs fétiches et leurs idoles. Cependant de plus en plus, cette forêt "sacrée" est attaquée.
Le travail se fait collectivement. On choisit un jour 1 et tout le village et parfois les villages voisins accompagnés de leurs serviteurs venus des dume (villages réservés à eux), se rassemblent dans les wondiije. Dépourvus de scie, ils s'attaquent à cette nature sauvage à coup de simples haches. Lorsque les équipes des défricheurs en viennent à bout, et que toute la forêt est mise à bas, il reste encore à débarrasser le terrain des lianes, des feuilles et des troncs dont certains pèsent plusieurs tonnes. Alors n'ayant aucun moyen technique approprié, impuissants physiquement à s'en débarrasser, ils y mettent le feu qui consume cette végétation que le soleil a desséchée. Ce que le feu n'a pu brûler, est découpé en menus morceaux et trainé en bordure du terrain; la cendre seule est laissée car c'est un bon engrais sur un sol déjà riche, parce que neuf.
C'est alors que d'autres équipes viennent compléter les premières pour piocher et semer. La semence montant avec les premières pluies, il faut encore lutter contre le retour offensif de la nature ; en effet à partir des troncs d'arbres mutilés, surgit une nouvelle végétation qui menace d'étouffer les jeunes et frêles tiges de riz. Il faut donc biner, sarcler sans relâche jusqu'à ce que la céréale noble (le riz) ait triomphé de mauvaises herbes.
L'homme victorieux du règne végétal doit encore s'attaquer au règne animal. Les petits rongeurs et les gros singes embusqués sur les grands arbres voisins d'où ils ont observé les équipes d'hommes en train de peiner. Et du haut des arbres où ils ont dressé leurs nids comme des berceaux, les oiseaux incités au pillage par les cris de leurs petits affamés s'élancent à tire d'aile et par nuées sur les champs pour dévorer les futurs récoltes au mépris des gardiens, impuissants à réprimer leur audace. Ainsi pour le cultivateur d'un wondiire, les ennemis viennent de partout : de la terre et du ciel.
Lorsque la moisson est mûre, si par bonheur, le fléau de sauterelles n'a pas fait son apparition, il faut encore des jours durant, récolter et décortiquer le grain de riz de sa cuirasse piquante.
Tel est l'exploit héroïque que le Peul doit livrer chaque fois qu'il s'attaque à un wondiire ou forêt vierge. Le combat est si inégal et la bataille si disproportionnée que longtemps encore le wondiire demeurera "bois sacré" non pas tant à cause de la peur qu'inspirent quelques fétiches déracinés ou quelques idoles incinérées, mais seulement parce que l'homme ne s'est pas lancé à la conquête de la nature avec des armes capables de le rendre invicible !
Le wondiire n'est cultivé qu'une année en riz, à la seconde année peut-il tout au plus fournir une récolte de fonio.
Il est laissé ensuite inculte pendant une durée de sept à huit ans (7 à 8 ans). Il devient un fitaare.

Le fitaare (plur. pitaaji) signifiant bois, brousse ou taillis, est le plus commun des terrains de culture et un des meilleurs. C'est une espèce de woondiire plus petit en voie de reconstitution après un défrichement initial. Il est surtout fréquent sur les pentes des collines et des falaises abruptes. Pour sa mise en culture, le même effort que pour le wondiire est exigé à l'homme, heureux de trouver là une terre épaisse et riche, dont la fertilité ne nécessite pas l'utilisation d'engrais. Le riz et le fonio se succèdent pendant deux ans au moins.

Le hollaande (plur. kollaaɗe) est un terrain plat ou faiblement incliné dont le sol se recouvre d'humus mélangé à l'argile. Il ne porte aucune végétation forestière sauf de loin en loin quelques petites touffes d'arbres avec des lianes : le vestige d'un petit fitaare ou pitahun (plur. pitahoy). Pour qu'il donne des récoltes qui vaillent la peine, il faut le fertiliser par l'engrais avant d'y mettre le riz. Cet engrais consiste surtout en fumure :

brûler d'abord les herbes sèches labourer une première fois ensuite piocher en mettant des mottes de terre en petits tas alignés sur le sol introduire dans chacun d'eux de la bouse de vache, asséchée, et des morceaux de bois puis y mettre du charbon enfin, le tout une fois consumé, les cendres sont répandues sur le terrain à cultiver lors d'un nouveau labour. C'est cette préparation d'engrais qu'on appelle en peul le muki.

Le hollaande est utilisé aussi bien pour l'agriculture que pour l'élevage.

Le ndantaari (plur. ndantaaji) succède directement au fitaare. [La végétation forestière a cessé d'y croître, la faibIe inclinaison du terrain ne l'exposant pas aux ravages du ruissellement, sa grande perméabilité lui assure une absorption instantanée des pluies. Pour le cultiver, il faut la fumure : pour fumer le ndantaari, nul besoin de faire le muki, un simple séjour du troupeau suffit. Il faut alors un premier labour pour retourner la terre afin de la mélanger avec la bouse de vache et un second au moment de la semence. Dès lors, il ne reste plus que quelques binages peu difficiles avec une surveillance moins stricte contre les oiseaux seulement, car les singes en terrain plat et découvert, ne s'y risquent pas souvent et encore faut-il qu'ils soient en bandes !

Le hollaande et le ndantaari, suivant la quantité de fumure enfouie, peuvent être cultivés de deux à trois ans sur trois récoltes, une seule est du riz, les deux autres ne peuvent consister qu en fonio avant d'être laissés en jachère au moins huit ans (8 ans).

Le loriire (plur. lorrije) ou dunkiire (plur. dunkiije), ces deux terrains presque identiques ne sont rien d'autre que le parawol dont il a été fait mention pour l'élevage. Sortes de poches marécageuses dont la fertilité est très grande mais qui nécessitent des travaux de canalisation et de vannage . Dans le dunkiire ou loriire la fumure est inutile, donc travail moindre ; il suffit de maîtriser les crues des cours d'eau pour éviter l'inondation des champs. Les bordures des marigots (dunkiije) constituent les meilleures terres de culture, mais les risques d'inondation sont trop grands et la technique de canalisation assez limitée ; or les Peuls ne sont pas spécialistes de l'agriculture comme leurs voisins, les Mandeng (Malinke et Djalonke) qui obtiennent sur ces berges des ruisseaux, des rendements meilleurs. A cette carence technique il faut ajouter la peur que les Peuls éprouvent au bord de ces rivières insalubres pour leur troupeau et pour eux-mèmes : crainte du paludisme dont ils sont, dit-on, les plus grands véhiculaires dans l'ouest africain. Dans le dunkiire, les matières fertilisantes sont nombreuses : le limon est le plus important.
Le limon charrié par les cours d'eau permet deux à trois années de culture, voire une quatrième avec une récolte suffisante. Le riz, le mil, le maïs et certains légumes y sont cultivés. Ce terrain n'est mis en jachère que pour une courte durée, 3 à 5 ans.

Le suntuure (plur. tyuntuuje) ou champs qui entourent les maisons à l'intérieur des enclos. Ces champs, véritables jardins recevant les détritus de la vie ménagère et des quantités abondantes de fumier transportées du dingiraa ou parc à bétail, sont les seuls à être cultivés tous les ans, sans interruption. Sa mise en jachère (c'est-à-dire le saabeere) correspondrait à un abandon d'habitation.
Lorsque l'année a été mauvaise, le Peul vit sur le produit des cultures faites dans son carré ; le maïs, le manioc, la patate, le taro, l'igname, le coton et d'une façon générale toutes les tubercules et tous les condiments entrant dans l'alimentation. C'est le suntuure qui préserve le Peul de la famine au Fuuta.

Ainsi cette diversité des terrains de culture ferait croire à une richesse, en réalité c'est un signe de pauvreté. Toutes ces cultures, malgré leur variété, ne sont pas destinées à la commercialisation, mais à une consommation locale, à peine suffisante dans certaines saisons ou certaines années. Mais la manière dont ces terrains étaient répartis entre les différentes couches de la population, permet de se faire une idée sur la propriété et le régime foncier.


Note
1. Ce jour n'est jamais choisi au hasard. On ne s'attaque à la forêt qu'après avoir récité un çertain nombre de versets coraniques (sûrat), censés étre bénéfiques pour tous les participants et protecteurs contre les mauvais sorts, en particulier contre les fétiches et les effets maléfiques des idoles des animistes. lls demandent l'autorisation de s'attaquer à la foret, à ces anciens habitants et aux génies locaux, c'est-à-dire aux maîtres de la forêt.