Islam et Sociétés au Sud du Sahara
Cahiers annuels pluridisciplinaires, nº 3 Mai 1989, pp. 186-194
L'essentiel des informations utilisées provient d'un entretien avec la population de Daara, dont la famille d'Alfa Oumar, qui a eu lieu en 1985 (1). Quelques informations nous ont également été fournies par El Hadj Tierno Mamadou Kompanya, à Labé, en 1985 (2). Des compléments d'information ont été trouvés dans le mémoire de Mamadou Barry 3, intitulé « L'influence des grandes familles maraboutiques sur l'évolution socio-politique du Diiwal de Labé ». Institut polytechnique de Kankan 1975. Enfin, on pourra consulter l'ouvrage de Paul Marty, L'Islam en Guinée, qui traite du groupement d'Alfa Oumarou en pages 186 et 187 (4). Les chiffres (2), (3), (4). dans le cours du texte signalent les informations empruntées à d'autres sources que l'entretien avec la population de Daara.
Sans avoir été aussi prestigieux au moment du passage d'El Hadj Oumar que les Waliyu (ou saints) appartenant aux générations précédentes (comme Tierno Sadou Dalen, Tierno Samba Mombeya, Tierno Alghasimou Zawiya … ), Alfa Oumar Rafihou est considéré aujourd'hui comme un personnage important dans la diffusion de la Tijaniyya, qu'il répandit après avoir reçu le wird de El Hadj Oumar.
Les documents écrits sur sa vie sont cependant à notre connaispsance peu abondants, bien qu'il ait laissé quelques textes qui permettent de se faire une idée de son sentiment religieux. Nous avons donc choisi d'évoquer son existence en donnant essentiellement la parole à la tradition orale.
Alfa Oumar Rafiou a vécu à Daara-Labe, et dans le village voisin de Gaya, à une quinzaine de kilomètres de la ville de Labé, qui était au 19e siècle la résidence du seigneur souverain sans doute le plus puissant de la confédération du Fouta-Djalon, même si la préséance officiellement à l'Almami de Timbo. Apparenté à la famille royale de Labé, Alfa Oumar Rafihou était également en relation avec les autres waliyu du Fouta, qui se trouvaient pour la plupart dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres autour de Labé.
Ousmane Diala Héra s'est installé à Ruumirgo près de Daara ; c'est le nom de l'endroit où sa femme Wuuri Gulo faisait sa vaisselle. Il n'y avait pas à l'époque de musulman dans les environs… A l'ouest se trouvaient des Sooriyaɓe, éleveurs peuls et paiens, qui faisaient du troc avec les Jalonke cultivateurs. Ousmane était ainsi seul lorsqu'il appelait à la prière. Pourchassé, il fut blessé à mort par une flèche dans le Kollaaɗe (près de Kankalabe) ; il avait eu pour fils Mamadou Dewo-Allah, qui à la mort de son père fut rendu aux Yalarɓe parents de sa mère, Wouri Goulo ; ceux-ci l'épargnèrent, l'élevèrent, et une fois adulte il revint, à Daara ; par contre son demi-frère Ibrahima, rattaché aux Sooriyaɓe par sa mère, fut tué par ses oncles à qui il avait été livré.
Mamadou Dewo-Allah eut à son tour trois fils :
Parmi les descendants de Mousa Tafsir, se trouve Moodi Billo.
Moodi Billo a eu à son tour plusieurs fils :
Epouses |
Fils |
Femme du Fouta-Toro | Oumarou l'aîné, né au Fuuta-Tooro |
Awa | Modi Salihou |
Bappate Sori | |
Aliou Zaynou | |
Femme Jallonke | Abdoul Aziz |
Youwayrou |
Oumarou a été lui-même chef de Daara, ainsi que son fils Modi Abdoullaye Sangoya et Modi Yaya Bouba. Les chefs de Daara-Labe ont été pris dans sa descendance, bien que, comme on le verra, la chefferie ait également appartenu par moments à la branche cadette dont fait partie Alfa, Oumar Rafiou.
Modi Salihou, deuxième fils de Moodi Billo et père de Alfa Oumar, fut chef de Daara à plusieurs reprises. Il était très instruit. Il eut pour enfants :
Alfa Oumar Rafiou fut d'abord formé par son-père. Il était très doué, sut réciter le Coran en bas âge, puis étudia la grammaire, le droit, et enfin la théologie dans laquelle il excellait. Il termina sa formation auprès de Tierno Soulé, marabout qui avait lui-même étudié au Fouta-Toro, et qui, revenu au Fouta-Djalon, y avait la réputation d'être "illuminé à sa façon".
Les dons hors du commun de Alfa Oumar Rafiou expliquent aussi son rayonnement et une certaine aura de mystère qui entoure le personnage (3). Il était en particulier renommé pour sa capacité de prédire l'avenir. Il aurait ainsi annoncé des événements futurs, prévoyant la destinée des enfants. Quand un individu se présentait à lui pour recevoir ses bénédictions, la réponse du Saint se réalisait. On cite par exemple l'anecdote suivante : un jour où une femme mécontente de sa co-épouse vint lui demander sa bénédiction, apportant un coq en cadeau, il lui dit : « Tu auras un coq ! », et bien qu'avancée en âge, elle eut un fils.
Son oeuvre connue est peu abondante, et écrite en Arabe. On connaît d'abord deux brefs poèmes, qui témoignent du rôle du Saint auprès des Almaami pendant les guerres saintes, et de sa capacité à influencer le destin par la puissance et la vertu de ses prières.
Ainsi le poème sur Koutan, qui lui avait été demandé par Alfa Ibrahima, son parent, chef du Labé et père de Alfa Yaya. Koutan se trouve à la limite de la Guinée et de la Guinée-Bissau. Et le poème, qui commence par la phrase « Nous entrons à Koutan au nom de Dieu », a pour objet la commémoration d'une bataille gagnée par Alfa Ibrahima, à la suite de laquelle Alfa Oumar reçut en récompense trois esclaves. Alfa Yaya s'est ensuite battu trois fois au même endroit.
Le poème sur Boukari Tamba commémore une bataille menée dans le Koyin, contre les Jallonke de Tamba. L'Almaami de Timbo demanda au roi du Labé d'aller au secours du Koyin. Ce dernier demanda le secours d'Alfa Oumar Rafiou, qui vint et fut victorieux. On dit que le Saint favorisa la victoire en chantant « Que Tamba soit maudit si les habitants de Tamba refusent de se convertir », condition qui permit le succès (3).
Alfa Oumar était d'une extrême générosité, veillant par exemple à ne pas laisser ses bêtes dévaster les terres d'autrui. Car, en dehors de son enseignement, il s'occupait particulièrement d'élevage. Il aimait la nature et la brousse, qu'il parcourait accompagné de son troupeau. Il lui arrivait ainsi, au lieu-dit Buruwal Feroɓɓe, de rester plusieurs heures assis immobile, dans une concession située en hauteur. Mais sa volonté de rechercher les endroits paisibles venait également de son désir d'y faire des retraites spirituelles : il se faisait bouvier pour ne pas être soupçonnné de “folie” pendant ces périodes d'isolement.
Alfa Oumar a commandé pendant huit ans le village de Daara-Labe. Aujourd'hui, l'imamat de Daara appartient à sa famille.
Il avait de bons rapports avec les autres Waliyu du Fouta-Djalon, et en particulier avec Tierno Sadou Dalen, qui était de loin son aîné, mais à qui il rendit visite plusieurs fois. Il composa un poème à l'occasion du décès de Tierno Sadou Dalen. Il écrivit également à propos d'autres contemporains qu'il estimait être des Waliyu, comme Tierno Lamnahou et Tierno Mousa Mouta.
El Hadj Oumar est venu à Daara lors de son deuxième passage au Fouta, après son pélerinage. On montre encore, près du village de Daara, l'arbre de Doŋol-MBalɓe, où il s'est reposé. La case où il a logé à Daara n'a été démolie que tout récemment. Daara fut pour El Hadj Oumar une base d'action en direction d'autres villages.
Il s'y est lié d'amitié avec Modi Salihou, le père de Alfa Oumar Rafiou. On lui offrit du tissu et du sel, et il rassembla ces cadeaux qu'il confia à un frère de Modi Salihou pour les troquer contre des esclaves.
El Hadj Oumar aurait affirmé sa volonté de donner le wird aux habitants de Daara sans qu'il leur soit besoin de suivre une initiation, et que ce wird resterait valable, même sans renouvellement, pour les habitants vivants du village et leurs descendants, ceci jusqu'à la fin du monde. Fiers de cela, les gens de Daara ont pris entre eux le wird Tidjani.
Selon Paul Marty, El Hadj Oumar aurait donné le wird à Alfa Oumar Rafiou au cours de son séjour à Diegounko (4). Les informateurs actuels sont unanimes pour penser que cet événement eut lieu plutôt à Dinguiraye.
Quoi qu'il en soit, Modi Salihou, le père de Alfa Oumar, abandonnant la chefferie de Daara, qu'il avait occupée à plusieurs reprises, rejoignit El Hadj Oumar à Dinguiraye et participa à son jihad. Ainsi commençait-il la guerre sainte par ces mots, adressés à Sheikh Oumar.
« Voilà, nous avons fait la prière pour demander à Dieu qu'il nous aide à vaincre les infidèles ; maintenant il faut avertir tout le monde : c'est la guerre sainte qui est déclarée ! » (2).
Alfa Oumar aurait alors suivi son père à Dinguiraye, où, après la prière de fana avait lieu chaque jour une lecture collective du Coran. Par deux fois, Alfa Oumary rectifia la position des voyelles ; chaque fois l'assistance fut mécontente. Mais lorsqu'El Hadj Oumar eut fait venir le Coran, on constata qu'Alfa Oumar Rafiou avait raison. Modi Salihou était lui aussi mécontent, car il ne voulait pas rectifier ces gens-là, qui étaient des Toucouleurs, gens trop sûrs d'eux. Alfa Oumar Rafiou dut ainsi, après avoir reçu le wird, revenir à Daara.
Son père Modi Salihou est mort à Dinguiraye, et après l'arrivée des Français à Dinguiraye, on dit qu'en traçant des rues dans la cité administrative on trouva son cadavre intact. Les vieux dirent que c'était une preuve de sa sainteté, tandis que l'officier expliqua le phénomène par l'absence de pluies.
Ici aussi la version des informateurs actuels est différente de celle recueillie par Paul Marty (4). Selon celle-ci, Alfa Oumar Rafiou, refusant d'aller à Dinguiraye, aurait su contraindre son père à le rejoindre à Daara-Labe. Face à ces contradictions, nous ne pouvons pour l'instant que poser le problème en ces termes : ou bien Paul Marty ferait erreur — ce qui est rare, mais non pas rarissime — ou bien la tradition postérieure a pu avoir tendance à atténuer des tiraillements perçus entre Alfa Oumar Rafiou et El Hadj Oumar. Cela peut s'expliquer notamment par l'important rôle de relais joué par Alfa Oumar dans la diffusion du wird Tidjani, qu'il avait reçu de El Hadj Oumar et qu'il transmit en particulier à Tierno Aliou Buuɓa-Ndiyan, considéré aujourd'hui au Fouta-Djalon comme le plus grand Waliyu du vingtième siècle et le maître spirituel de tous les adeptes de la Tidjanya …
Tierno Aliou Buuɓa-Ndiyan avait rencontré Alfa Oumar Rafiou à Gaya. Il lui dit qu'il était venu le saluer. Au moment de son départ de Gaya pour Labé, Alfa Oumar Rafiou l'accompagna et lui dit :
— « Tu as oublié de me dire pourquoi tu es venu ; mais je le sais ; voilà donc, je te donne le wird. »
Alfa Oumar a également initié les gens de Basara, près de Koubia, qui est un autre foyer islamique important aujourd'hui du Fouta-Dialon.
Mais ses disciples et initiés étaient présents dans de nombreuses régions du Fouta. On en trouvera une liste dans l'ouvrage de Paul Marty auquel je renvoie pour plus de précisions (4).
Femmes |
Enfants |
Awa | Safiyatou |
Tierno Souleymane | |
Fanta Saama, du Gabou | Tierno lsmaïla |
Aissatou | |
Djenabou Ndantawi, épousée tardivement et mère des plus jeunes de ses enfants | Alfa Salihou |
Tierno Mamadou Wouri |
Alfa Salihou fut chef peu longtemps ; il n'avait pas la trempe de la chefferie. Lors de l'inscription des assujettis pour l'impôt, sa générosité lui faisait écarter comme impotents ceux qui venaient se lamenter auprès de lui. Il avait reçu sa formation coranique de son père. Dans la technique du savoir, il était peut-être mieux outillé que son père, mais avec moins d'intuition. Lorsqu'il eut récité le Coran, son père, qui se sentait proche de la fin, lui demanda d'aller étudier chez Tierno Mahmoudou de Labe-Ɗeppere. Il composé un éloge à la mémoire de ce dernier. A la mort de son père, ii n'avait que quinze ans. Il eut pour fils Tierno Mahmoudou, de Gaya, qui comme son grand-père récitait déjà le Coran encore en bas âge, et a été formé chez Tierno Koulabiou de Kouraba. Après avoir poursuivi son instruction coranique, il recopia de nombreux exemplaires du Coran.
Tierno Amadou Wouri a étudié avec Tierno Oumar Pereejo de Daara-Labe, et avec Tierno Aliou Buuɓa-Ndiyan. Il a écrit plusieurs oeuvres, dont la biographie de son frère Alfa Salihou, empreinte de lyrisme, où il évoque les difficultés de l'orphelinat rencontrées par son frère. Il a également composé des écrits de Waaju (conseils). Tiernou Aliou fils de Tierno Amadou Wouri, se consacrait aux seules activités spirituelles. Il invoquait Dieu pour certaines personnes et connaissait la première partie du Coran par coeur. Il est célèbre pour avoir écrit quarante et un Corans à la main. Il est mort en 1968, et son fils Mama Salihou, très instruit, vit à Gaoual.
Tierno Ismaila, qui était plus âgé, et a vécu plus longtemps que Tierno Wouri, était un autodidacte, car il avait été quelque peu mis à l'écart pendant que l'on enseignait à Alfa Salihou. Il dut apprendre par lui-même à réciter le Coran. Le descendant direct de Tiemo Ismaila, Karamoko Amadou Sajo, est en Sierra-Leone où il a répandu l'Islam parmi les païens.
Tierno Souleymane a fait ses études avec Tierno Oumar Pereejo.
La famille de Tierno Oumar Rafiou a donc continué de jouer un rôle important à Daara-Labe et dans le village voisin de Gaya. Bien qu'au cours du vingtième siècle le premier rang au point de vue du savoir islamique ait été occupé à Daara-Labe par la famille des Sow de Daara, dont Tierno Oumar Pereejo, neveu de Tierno Aliou Bhuuɓa-Ndiyan, est le plus célèbre représentant.
Note
La majorité des noms propres (noms de personnes et noms de lieux) ont été écrits dans l'orthographe la plus couramment rencontrée en Guinée et dans les textes imprimés existants à ce jour.