Editions Ernest Leroux. Paris. 1921. 588 pages
Comme pour tous les territoires de notre Ouest africain, l'organisation et le fonctionnement de la justice indigène au Fouta-Diallon ont été réglementés par le décret du 16 août 1912, qui constitue la charte judiciaire de l'Afrique Occidentale française.
Ces textes organiques ont été calqués avec assez de bonheur et toutes réserves faites sur l'ancienne organisation.
Celle-ci comprenait, outre les éléments locaux de conciliation des tribunaux de misiide, les tribunaux de diiwal et le tribunal suprême de l'Almamy.
Ces tribunaux étaient composés du chef territorial assisté de deux ou trois notables représentants de la coutume, et Karamoko représentants de la loi écrite.
Ces membres n'étaient pas forcément réunis au lieu de la misiide ou du diiwal, ou à Timbo. Ils restaient dans leur fulasoo, et le chef leur faisait demander des consultations écrites ou verbales.
La compétence n'était pas exactement déterminée. Le tribunal de misiide était en quelque sorte la juridiction des affaires de première instance, et le tribunal de diiwal la juridiction d'appel, et en même temps la juridiction criminelle. Primitivement, ces pouvoirs de répression criminelle n'appartenaient qu'à l'Almamy, mais avec le temps, ils s'étaient décentralisés, soit que les Almamys en eussent fait la concession volontaire aux chefs de diiwe, comme ce fut le cas pour l'Almamy Sori Mawɗo, qui donna le droit de haute et basse justice sur son territoire à Tierno Souleyman, chef du Timbi-Touni, soit que les chefs du diiwe eux-mêmes, et ce fut le cas du Labé, aient conquis leur indépendance judiciaire, avec leur quasi-autonomie.
Le tribunal de l'Almamy était surtout la juridiction du diiwal de Timbo, mais il était saisi, à l'occasion, des litiges pendant entre différents diiwe. Il n'avait que rarement
l'occasion d'exercer ses fonctions de grand juge de la communauté musulmane. Les chefs de diiwe réglaient ordinairement, les armes à la main, les contestations qui les divisaient.
Le chef territorial, président du tribunal, ne jugeait guère en personne que les affaires pénales. Pour les litiges civils, ils en rapportait à son cadi, conseiller technique, ou aux notables de son entourage. D'ailleurs, dans ces sortes d'affaires, il convoquait souvent l'assemblée des vieillards et des sages de l'agglomération, la djema, comme on dit en Afrique mineure, le « teekun », comme disent les Foula, et le procès était réglé au cours du palabre. Le rôle judiciaire dc ces « teekoy » était considérable. René Caillié, avec sa perspicacité ordinaire, l'avait déjà remarqué (1827). Il souligne que pour le règlement des litiges « on allait rarement trouver les chefs ».
La justice était rendue dans la case même du chef ou sous sa véranda ou dans l'enceinte extérieure de la mosquée, sous les orangers. C'était le mbatirdu ou prétoire. Il était permis de se faire défendre par ses parents et amis. Il n'était pas défendu d'offrir des épices aux juges. D'ailleurs le juriste musulman n'a-t-il pas dit: « Si tu as raison et qu'on te donne tort, tu peux donner un cadeau au juge pour obtenir gain de cause » ? Et l'on sait que les plaideurs ont tous et toujours raison.
La procédure était des plus simples. On signalera ici celle de la preuve qui peut être conservée dans l'état actuel des choses. La preuve écrite avait pleine valeur, mais était extrêmement rare. L'instruction est pourtant répandue, et la majorité des Foula, au moins les gens de condition libre, sont susceptibles de rédiger en arabe ou en poul-poullé [Pular], avec ou sans faute, un document d'une certaine importance. Malgré ces conditions favorables, la preuve par écrit ne s'est pas établie.
La preuve testimoniale était la plus courante. Le plaideur devait, pour obtenir gain de cause, produire au moins un témoin et compléter cette déposition par son propre serment. Quand il pouvait produire plusieurs témoins, on ne lui demandait pas de serment. Ici, comme au quinzième siècle chez nous, « la vive voix passe vigueur de lettre » et le témoignage oral de deux témoins, offrant des garanties de sincérité et d'honorabilité, a force probante complète. Il n'est pas même certain que la déposition écrite de ces mêmes témoins ait une valeur probatoire égale.
Les témoins n'étaient pas astreints au serment.
Les femmes peuvent être témoins. Leur déposition n'a pas toutefois une valeur égale à celle d'un homme. Le coefficient de valeur n'est pas défini. Les cas d'espèce diffèrent.
L'aveu est aussi un des modes de preuves ordinaires, et le juge peut difficilement ne pas l'admettre.
La composition des tribunaux indigènes du Fouta-Diallon a été fixée par un arrêté du Lieutenant-Gouverneur de la Guinée, en date du 22 février 1915, paru au Journal Officiel de la Colonie, le 1er mars suivant.
En voici la nomenclature résumée :
Tribunal de cercle de Mamou, dont le premier assesseur est l'Almamy Oumarou Bademba, le dernier des Almamys Soriya.
Tribunal de subdivision de Mamou, dont le président est Modi Ibrahima, fils de l'Almamy Oumarou Bademba.
Ces deux tribunaux comprennent des jeux d'assesseurs supplémentaires malinké et bambara, pour les éléments ethniques qui habitent le territoire.
Tribunal de cercle de Timbo
Tribunaux de subdivision de Timbo, Ditin
Tribunal de cercle de Pita.
Tribunaux de subdivision de Timbi-Touni, Timbi-Médina,
Maci, Télimélé-Foula Télimélé-Soussou.
Le président et les assesseurs de ces tribunaux sont tous musulmans. Il semble que le tribunal de subdivision de Télimélé-Soussou devrait être complété par un jeu d'assesseurs soussou fétichistes. On éviterait ainsi de travailler officiellement à l'islamisation des Soussou, dont la plus grande partie est encore fétichiste, et on assurerait ainsi à cette catégorie intéressante de justiciables des juges de leur statut.
Tribunaux de cercle de Labé, Tribunaux de subdivision de Labe, Mali, Tougué
Le tribunal de subdivision de Labé est présidé par Tierno Aliou Bouba Ndiyan, le Karamoko foula actuellement le plus vénéré du Fouta-Diallon.
Le tribunal de subdivision de Mali est double; la première chambre est musulmane, la seconde est de statut coutumier à l'usage des Diallonké et Bambara fétichistes.
Tribunal de cercle de Koumbia. Tribunaux de subdivision de Koumbia et Kadé
Youkounkoun. Le tribunal de subdivision de Youkounkoun comprend deux chambres: l'une musulmane, l'autre de statut coutumier à l'usage des Coniagui et Bassari fétichistes. Il semble qu'une troisième chambre devrait être prévue pour la communauté chrétienne assez florissante des Coniagui et des Bassari. Son éducation religieuse la rapproche singulièrement de notre niveau moral et lui infuse nombre de pratiques et de règles juridiques qui s'écartent sensiblement du droit coutumier de leurs frères, restés fétichistes. La création de cette chambre, ou tout au moins d'un jeu d'assesseurs, répondrait à l'esprit et à la lettre du décret du 16 août 1916 qui assure à toutes les catégories de justiciables une juridiction de leur statut.
Tribunal de cercle de Dinguiraye.
Tribunaux de subdivision de Dinguiraye et Bissikrima
Le tribunal de subdivision de Dinguiraye est présidé par Amadou Habibou, chef de la province et petit-fils d'Al-Hadj Omar.
Le tribunal de subdivision de Bissikrima comprend un jeu d'assesseurs de statut coutumier, à l'usage des Malinké fétichistes.
Il n'a pas varié; c'est quelquefois la case du chef ou l'enceinte de la mosquée; c'est le plus souvent la véranda du bureau du cercle ou du poste ou une case spéciale élevée par les soins de l'autorité, à proximité du dit bureau.
Deux critiques ont été émises sur la composition des tribunaux indigènes du Fouta-Diallon, telle qu'elle a été exposée.
La première est générale et a été formulée tant par les administrateurs que par l'élément indigène: les changements du personnel judiciaire sont trop fréquents. Cette règle singulière s'est même établie en Guinée que les juges devaient être changes tous les ans. Rien n'est plus nuisible au bon fonctionnement la justice, et en très peu d'années le recrutement devient impossible. Sans doute possible, il faut revenir ici au principe général appliqué en Afrique Occidentale: les fonctions de juge indigène sont permanentes, et ne doivent prendre fin qu'à la mort, à la démission ou à la révocation du titulaire. La seconde critique émane des Karamoko. Juste en principe, elle serait peut-être moins justifiée dans la pratique et parait formulée par des ambitieux, désireux d'occuper ces fonctions. On dit: « Le juge doit être savant et connaître parfaitement la loi écrite et la coutume. En effet, la plupart du temps le commandement ne fait qu'accepter, avec fort peu de modifications, les avis des assesseurs du tribunal de cercle qu'il préside ou les jugements des tribunaux de subdivision qu'il contrôle et dont il assure l'exécution. Il faut donc que les juges, qui jouissent ainsi de la pleine indépendance judiciaire, soient des hommes pieux, savants et considérés.
Il est hors de doute qu'il faille tenir compte de ces desiderata et choisir avec beaucoup de circonspection le personnel des tribunaux indigènes. Les Karamoko font en effet l'opinion politique dans le monde foula, et il faut éviter à tout prix que la suspicion ou la déconsidération atteigne de leur fait nos tribunaux indigènes. Mais il faut d'autre part éviter le danger de faire des tribunaux indigènes des juridictions foncièrement musulmanes, et on s'exposerait à ce danger en choisissant uniquement comme juges des lettrés, toujours désireux de faire montre de leurs connaissances coraniques, et par piété et conviction de les appliquer. Les Karamoko trouvent qu'il y a trop de chefs et de notables dans le personnel judiciaire et point assez de grands lettrés. Or les chefs, pour être moins instruits, ont avec l'habitude du commandement, plus de connaissances des besoins pratiques des populations, et de leurs coutumes juridiques et traditionnelles L'idéologie religieuse est rarement leur fait, et c'est précisément pourquoi ils doivent être largement représentés dans les juridictions indigènes. Il y a donc une juste proportion à garder, et c'est aux administrateurs à user du plus large opportunisme, suivant les contingences et les personnalités.
Il n'est pas question ici d'entreprendre une étude approfondie du droit coutumier des Foula du Fouta-Diallon et des Toucouleurs de Dinguiraye. La matière exigerait un ouvrage tout entier, et au surplus il faudrait compléter cette étude par les nombreuses efflorescences coutumières,
qui se manifestent dans les institutions juridiques des classes inférieures de la société foula, à savoir la masse diallonké, libre socialement, mais politiquement et économiquement asservie, et les très nombreux captifs diallonké, malinké, bambara, soussou, tenda, etc.
Il suffira dans cette étude fractionnée de l'lslam guinéen de faire ce que j'ai déjà tenté d'effectuer pour l'Islam sénégalais : prendre ce qu'on pourrait appeler les « institutions fondamentales » de tout droit, noter dans une succession de rapides monographies d'ensemble les côtés par où l'empreinte islamique s'est peu ou prou fait sentir, et signaler en même temps les déformations que l'attachement de ces peuples foula et toucouleur à leurs coutumes ancestrales, mos majorum, a fait subir à ce droit d'importation.
Au surplus, le droit musulman semble avoir constitué plus d'une fois l'arsenal où Karamoko, Almamy et chefs territoriaux puisaient des arguments juridiques, pour justifier leurs abus et coups de force.
Quant à la coutume, elle est par définition et la plupart du temps, fort mal déterminée, changeant avec le temps, les lieux et les circonstances. Elle a été plus d'une fois enfantée par l'arbitraire des puissants du jour.
La situation parait aujourd'hui en voie de transformation. Le Fouta juridique cherche son assiette. Le fonds des institutions du droit est toujours constitué par la coutume antique, doublée du droit musulman; mais avec ce fait nouveau; I'occupation française, des textes, des règlements, des ordres apparaissent dont il faut bien que le juge tienne compte, auxquels le souple foula sait parfaitement s'adapter. Ce n'est donc plus le règne de la coutume islamisée et ce n'est pas encore celui de la loi. C'est le stade de la jurisprudence, et ce sont les tribunaux indigènes qui travaillent cette jonction du passé et de l'avenir par l'élaboration d'un droit prétorien.
La famille foula est nettement patriarcale, comme aussi la famille toucouleure du Dinguiraye. Elle est à la base même de la société foula, comme à celle des autres peuples moins avancés et moins islamisés (Pulli, Diallonké...) qui habitent le Fouta. Nulle part on n'y trouve cette promiscuité générale, ni sa forme restreinte, la polyandrie, que l'école matérialiste a mise à l'aurore des premières civilisations. Aucun vestige ne permet même de supposer qu'elles ont existé. La famille est la cellule initiale des sociétés fouta-diallonké, comme elle est le noyau de leur vie sociale ; et cet état de choses, conforme aux institutions de l'Islam, n'est pas sans avoir favorisé indirectement au moins le succès de cette religion.
Le père est le chef incontesté de la famille. A sa mort, ses fils et ses filles non mariés, restent sous l'autorité du fils aîné. Quant aux femmes du défunt, elles se dispersent dans leurs propres familles, et rentrent sous l'autorité paternelle en attendant de pouvoir se remarier au plus vite. Celles qui ont de grands enfants et ne veulent pas quitter le carré conjugal peuvent y demeurer, mais alors l'autorité du fils aîné s'étend sur elles comme sur les autres membres du groupement familial. C'est lui en particulier qui, le cas échéant, donnera ces veuves de son père, y compris sa mère, en mariage.
L'autorité politique du défunt, si sous ce nom on veut comprendre ses fonctions administratives, quand il en a, et en tout cas, sa notabilité, son influence, l'hérédité du nom et des gestes ancestraux, passent au frère du défunt, et après lui aux frères suivants, pour revenir finalement au fils aîné du défunt. Cette situation lui vaut d'être consulté dans le cas de remariage de ses belles-soeurs.
Le lévirat est couramment pratiqué en pays foula, ainsi d'ailleurs qu'à Dinguiraye et chez les colonies malinké du Fouta-Diallon. Les Toucouleurs toutefois, plus fidèles observateurs du Coran, ne considèrent pas, à l'instar des Foula, le lévirat comme une institution quasi obligatoire. Pratiquement tout Foula, qui n'a pas encore ses quatre femmes, admet au nombre de ses épouses légitimes la veuve de son frère aîné ou cadet. Celle-ci peut d'ailleurs ne pas accepter la coutume, mais le cas est des plus rares. Chez les Malinké, la règle est plus dure encore, et le lévirat est obligatoire.
Le carré familial ou galle, comprend nécessairement:
Dans le Dinguiraye , les femmes se partagent, dans un ordre très rigoureux, les journées de leur mari. Chacune a droit à son jour qui commence et finit à six heures du soir. Quand le mari veut rester seul, il le signifie à l'intéressée, mais il n'a pas le droit de faire venir une autre femme dans sa case, et on peut croire que la femme délaissée surveille étroitement ses coépouses. Si trois fois de suite son tour est ainsi passé, elle dépose une plainte devant le tribunal de conciliation du village pour faire adresser des remontrances à son mari, ou même devant la juridiction compétente pour faire prononcer le divorce en sa faveur. C'est une injure qu'une femme toucouleure ne supporte pas. Au surplus, l'obligation du tour de rôle entre les femmes ne signifie pas autre chose que cohabitation avec le mari. Malgré la vigueur génésique bien connue du noir, il ne suffirait pas à la tâche, s'il fallait aller, chaque nuit, plus loin.
Les femmes foula sont beaucoup moins rigoristes sur leurs droits. Le tour de rôle est plus large . quoiqu'il arrive généralement tous les jours, il peut se reproduire tous les trois jours, tous les sept jours, tous les quinze jours même. La femme, peu jalouse, reste facilement dans sa case, si le mari ne la fait pas demander. Les maris foula reconnaissent eux-mêmes qu'il n'y a pas une « grande justice » dans le partage de leur temps entre leurs femmes. Quant aux femmes mêmes, le fait est surprenant mais hors de doute, elles servent d'entremetteuses à leur mari et lui procurent, pour avoir la paix conjugale et la liberté d'allures dont elles ne se font pas faute d'user, des femmes du dehors.
Les relations serviles sont une des sources ordinaires de la famille foula et toucouleure. Tout homme libre a une ou plusieurs concubines (jaariyabhe, en poul-poullé, de l'arabe djaria; taarabhe en toucouleur). Ce sont des captives, admises dans le lit du maître. La naissance d'un enfant entraîne d'office l'affranchissement pour elle et la condition d'homme libre pour l'enfant. Elle n'est plus taarajo ou jaariyajo, elle est ummul waladi, terme dérivé de l'arabe: « la mère des enfants ». Sa nouvelle situation ne lui confère pas de droit à la succession du maître, mais ses enfants ont les mêmes droits successoraux que les enfants légitimes.
Malgré la suppression officielle de la captivité, ces problèmes juridiques se posent encore de nos jours, car un homme libre n'admettra pas une jaariyajo au nombre de ses épouses légitimes. Si la servitude n'existe plus, le concubinage n'est pas interdit. Or, captive et concubine étant une même personne, les règles qui les régissent sont les mêmes, et les tribunaux indigènes continuent à appliquer le droit coutumier et la loi coranique dans les cas d'espèce, toutefois, ce n'est plus à la captive qu'ils les appliquent, mais à la concubine.
La concubine ne peut pas contracter union avec un homme sans l'assentiment de son maître, même s'il l'a chassée de son galle. Cet assentiment n'est donné que contre une indemnité, le garibal (Dinguiraye) qui signifie étymologiquement « mouton castré », parce que c'est en un mouton qu'ordinairement elle consiste, mais qui peut être tout autre chose Dans le Fouta, les Almamy et chefs mariaient quelquefois leurs concubines à leurs mbatula ou à des notables, surtout quand ils n'étaient pas contents d'elles. Le consentement de la concubine est aussi requis, quand elle a eu des enfants, et elle doit toucher une dot qui lui appartiendra.
La jaariyajo qui a eu des enfants de son maître, et qui par conséquent est devenue libre, contracte par sa nouvelle union un véritable mariage, et elle a tous les droits d'une femme légitime sur la succession de son nouveau mari.
A remarquer que les enfants de cette union ne peuvent pas entrer en possession de leur part d'héritage, tant que le premier maître vit encore, à moins qu'il ne déclare devant témoins, et ordinairement à la mosquée, qu'il ne fait d'opposition à cet envoi en possession
Les captifs d'hier, ou serviteurs d'aujourd'hui, font partie de la famille globale. Si ceux qui ont été achetés (soodaɗo) ou faits prisonniers de guerre fellaaɗo) sont un peu considérés comme bétail et monnaie d'échange, ceux qui sont nés dans le galle du maître, les « captifs de case » comme on les appelle, les dima, ne sont pas autrement traités que le fils du maître. Il n'y a, pour ainsi dire, pas d'exemples qu'ils soient vendus! Le maître pourvoit à tous leurs besoins et les marie. Quand le fils de famille convole en justes noces, certains s'attachent à lui et le suivent dans son nouveau mariage. Les captifs prient à la mosquée à côté de leur maître et la plupart du temps sont aussi bien habillés que lui. Ils sont quelquefois plus riches que lui.
L'affranchissement était pratiqué, quoique assez rarement. Il était surtout l'oeuvre de Karamoko voulant donner un pieux exemple, ou de chefs politiques voulant récompenser de fidèles serviteurs. Le captif libéré ne se séparait pas ordinairement de son maître de la veille et continuait à vivre de la même vie que par le passé, mais sous le nom de disciple. A la mort du maître, ils abandonnaient généralement le galle, car les fils de famille les méprisaient et ne se résignaient pas à les regarder comme leurs égaux. Beaucoup même, avec le temps, affectaient de les considérer comme non affranchis et les poursuivaient et les tracassaient comme tels. La suppression officielle de la captivité en 1907 a laissé subsister une distinction très nette entre les affranchis de l'ancien régime, qui sont traités aujourd'hui en hommes libres, et les affranchis de la France qu'on regarde et regardera longtemps encore comme des gens d'une caste inférieure.
Les filles affranchies sortaient peu de la famille. Elles se mariaient avec des enfants ou clients dévoués du maître.
A l'intérieur de la famille, les relations entre frères et soeurs sont loin d'être toujours bonnes. Elles arrivent même quelquefois à l'état d'hostilité et de jalousie le plus aigu et se dénouent par l'assassinat. Il y a presque toujours rivalité entre les enfants de différents lits. C'est ici et souvent ailleurs une des plus fâcheuses conséquences de la polygamie. Le terme de « frère » tout seul n'implique guère d'affection, mais quand on a dit: « C'est son frère de père et de mère », on a donné le summum de la cordialité et des relations affectueuses.
La polygamie est universellement pratiquée et les ménages polygames sont de beaucoup supérieurs en nombre aux ménages monogames.
La population est en moyenne la suivante. Sur dix Foula mariés:
Sur dix Toucouleurs mariés :
ce qui fait donc une moyenne de vingt-quatre à vingt-cinq épouses légitimes pour dix hommes Cette disproportion est encore accentuée par les multiples servantes et concubines que les Foula libres entretiennent dans le galle.
Comme au Fouta-Diallon, comme partout ailleurs, le nombre des femmes est sensiblement égal ou à peine supérieur au nombre des hommes, il s'ensuit qu'un grand nombre d'hommes ne peuvent pas se marier. La correction se fait par l'adultère qui est d'un usage extrêmement courant, et est entré pratiquement dans les moeurs. Les Foula sont d'une étonnante libéralité dans cette matière. Certains villages, comme le gros bourg de Sigira Mawnde, dans le Koyin, ont même la réputation d'encourager l'adultère des femmes pour l'exploiter par l'escroquerie. Le Ouali de Goumba se plaignait amèrement dans des lettres personnelles que son fils Taïfourou fit des propositions à toutes ses femmes. Les unes venaient le dire, et cette plainte le rassurait. Mais les autres se taisaient et ce silence était aussi inquiétant que celui des moustiques: il annonçait le danger. Aussi n'est-il pas exagéré d'estimer à plus de la moitié le nombre des ménages renfermant des enfants adultérins. Les maris tolèrent ouvertement que leurs femmes aient des amants et soient entretenues par eux, et ces prétendus sigisbées, camarades d'enfance, et coeurs dévoués et désintéressés qui ont été signalés par certains auteurs, ne sont pas autre chose que leurs amants. Chez les Malinké peut-être, cette camaraderie, cette « amitié spéciale » si l'on veut, n'a pas des conséquences aussi radicales que chez les Foula. Les Toucouleurs sont bien plus sévères sur ce chapitre. C'est donc une erreur profonde que de prétendre, comme l'ont fait certains auteurs orientaux et même certains polémistes européens, que la polygamie est une institution des plus heureuses. Elle a entraîné au Fouta-Diallon un relâchement complet du lien familial et une grande dissolution des moeurs.
Le mari n'est pas polygame dès le premier jour. Ce n'est guère qu'à partir de la deuxième année qu'il prend une seconde femme, peu après que la première est immobilisée par l'allaitement et les grossesses subséquentes. Par la suite, les femmes se multiplient rapidement; la fréquence des divorces permet de les renouveler sans arrêt.
Les beaux-parents conservent une grande influence sur leur fille après son mariage. Le gendre a une grande déférence envers son beau-père. Le dicton foula dit :
« Celui qui se bat avec son beau-père et le met à terre peut s'asseoir et attendre : son mariage est cassé »
signifiant par là que la femme prendra parti pour son père et abandonnera son mari. La belle-mère s'entremet perpétuellement dans les discussions de ménage. Foula et Toucouleurs sont d'accord pour reconnaître qu'elle y a un rôle fâcheux. Elle dit à la fille: « Tu ne peux pas supporter cela. On n'a jamais vu rien de tel. Tu es femme, tu es belle, tu te remarieras. Un tel te recherche, etc. » Aussi le proverbe local dit-il :
«Tant qu'on n'a pas enterré sa belle-mère, on n'a pas de femme. »
Et le proverbe, toucouleur de Dinguiraye complète-t-il :
« Si le martin-pêcheur peut faire ce qu'il veut dans l'eau, la pochette de sa belle-mère vient de s'y noyer »
signifiant par là qu'il ne portera secours ni à la pochette, ni à celle qui la porte.
Les femmes d'un même mari sont extrêmement jalouses Dans le Dinguiraye, les disputes sont fréquentes, et très souvent le divorce par la volonté de la femme lésée, ou prétendue telle, s'ensuit. Cet état d'hostilité fait que chacune vit chez soi, entretient peu de relations avec sa compagne et ne lui fait pas ces mille petits cadeaux et échanges dont les noirs sont coutumiers. Aussi la chose est-elle, passée en proverbe et le Toucouleur dit à son ami qui ne lui fait qu'un présent de minime importance :
« Quelle chose insignifiante me donnes-tu là ! C'est le cadeau d'une femme à sa co-épouse ! »
Chez les Foula, la bonne harmonie est moins souvent troublée, mais la jalousie est non moins extrême. Quand Karamoko Dalen rentra de Dakar où il avait été convoqué par le Gouverneur général, il constata qu'une de ses femmes manquait dans son harem de Timbo, et il eut toutes sortes de peines à conserver les deux autres.
Les trois épouses n'admettaient pas en effet qu'il eût emmené la quatrième seule. Il y eut de même de grands conflits entre les femmes, au sujet des cadeaux rapportés. Celles qui étaient restées trouvaient que l'autre était mieux partagée, et le mari dut déguiser la vérité pour avoir la paix, et déclarer que ce n'était pas lui l'auteur de ces cadeaux, mais ses amis de Dakar.
Ces dissensions intestines ne sont pourtant pas les plus fortes, puisque le proverbe foula dit:
« La rivalité entre les femmes de deux frères a vaincu la rivalité entre coépouses. »
Il n'y a pas, à proprement parler, de fiançailles, mais on trouve souvent des promesses d'union échangées entre les parents au sujet de leurs enfants en bas âge. C'est vers l'âge de dix ans chez les Toucouleurs, de sept à huit ans chez les Foula que ces enfants sont ainsi engagés, et cet engagement n'a pas d'ailleurs de valeur juridique. Les parents du garçon font à l'occasion des grandes fêtes, de petits cadeaux à la jeune fille: pagne, boubou, foulard, bijou... L'avare Foula tient un compte soigneux de ces dons, et si par la suite le père de la jeune fille reprend sa parole, il doit rendre intégralement les cadeaux. Si c'est le père du garçon qui ne veut pas donner suite à la promesse d'union, il n'a rien à réclamer. Dans la caste des cordonniers et chez les Malinké, cette institution est d'un usage courant.
Les conditions requises pour le mariage ne diffèrent pas de celles du droit musulman: majorité ou puberté convenable, santé, ressources suffisantes, et en plus, pour la jeune fille, consentement soit du père, si elle est vierge, soit d'elle-même si elle a déjà été mariée. Ce droit de contrainte matrimoniale est dévolu au père, ou à son défaut, à son fils aîné, ou au tuteur testamentaire. Il ne s'exerce pas d'ailleurs avec la sévérité des pays arabes. Il est très rare de voir une jeune fille mariée d'office et contre sa volonté. A Dinguiraye, où on se pique d un Islam plus rigoureux, il arrive que le père passe par-dessus les désirs de la jeune fille. Celle-ci d'ailleurs n'ose pas protester trop haut, car elle s'attirerait, avec une réputation déplorable, les railleries du village. Mais il y a une contrepartie immédiate: elle reprend sa liberté par le divorce dans le plus bref délai. On cite plusieurs cas où, du consentement du père, le mariage ne s'est fait qu'à la condition de rupture dans la huitaine. Et aussitôt après, devenue libre et échappant cette fois à la contrainte (djabr), elle épousait l'objet de ses rêves
La dot est une condition essentielle du mariage. A Dinguiraye, elle est classiquement de 500 francs, 5 bufs ou 3 captifs. Mais ces chiffres sont fictifs; une partie seulement en est payée, avant le mariage; le reste ne sera jamais versé. C'est pourquoi on voit des Toucouleurs de la condition la plus modeste promettre pour la galerie les quinze boeufs réglementaires et en donner un. Le chiffre élevé fait honneur au prétendant, comme à la jeune fille et à leurs familles. Il ne faut pas que les tribunaux le prennent au sérieux. Le chiffre réel est fixé, après débat, à la mosquée, au sortir de la prière. Le débat a lieu publiquement entre les pères, ce qui assure les témoignages nécessaires en cas de contestation et une publicité convenable pour le futur mariage. La dot, ordinairement versée aujourd'hui, est de 100 à 150 francs ou de 2 à 3 boeufs. Cette tractation est suivie d'une petite cérémonie religieuse: le Karamoko lit une sourate du Coran pour sanctionner l'accord, et en même temps le mariage, puisque les conjoints ne viendront pas à la mosquée. Dans le Fouta, la dot est ordinairement de 5 boeufs ou d'un captif, elle ne consiste presque jamais en argent. Les fils des Almamys de Timbo ou des chefs de Labé devaient donner deux captifs. Les descendants de Karamoko Alfa n'ont longtemps donné, sur l'ordre de leur père, qu'une génisse et un boeuf. Aujourd'hui encore, ils manifestent cette prétention. Chez les Pulli ou Fulbhe Buruure, la dot est plus modeste que pour le commun des Foula: elle consiste en un boeuf et une vache : Elle est payée sur-le-champ, en entier, devant les membres de la famille de la jeune fille. Il n'y a donc pas de complément à payer dans l'avenir.
Pour les captives, la dot était souvent versée au chef du runde (saatigi ou manga) qui en donnait une partie aux parents et gardait le reste pour lui. Quelquefois, il gardait le tout. Avec la réaction actuelle, certains ont argué que ces mariages étaient inexistants. C'est évidemment à tort : du fait que le père n'a rien reçu on ne saurait conclure à l'absence de dot et à la nullité du mariage.
La suppression de la captivité n'a pas supprimé tous les problèmes qui s'y rattachent. Souvent, par exemple, la femme légitime, pour retenir son mari à la maison, introduit sa propre captive dans la couche de son mari. Le divorce intervient, et la captive, plus attachée à sa maîtresse
seigneur d'une nuit, veut suivre celle-ci; si elle est
devenue femme légitime, elle doit rester au domicile conjugal, ou du moins rembourser la dot. Si elle n'était que concubine (ou captive), elle est libre de sa personne et peut aller où bon lui semble.
La pratique de l'enlèvement (diflade) est des plus rares en pays foula ou toucouleur. Ce n'est pas que les jeunes gens se privent de conter fleurette, et plus, aux jeunes filles, mais on ne les enlève pas dans le but de forcer la main aux parents qui se refuseraient au mariage. Un Karamoko, qui connaît quelque peu ce néo-français que parlent les gardes de cercle et les anciens tirailleurs, disait avec crudité:
« On vole la calebasse, mais pas la fille. »
Les jeunes gens coupables de relations illicites sont frappés et injuriés. A la lisière du Fouta, les Foula Kounda pratiquent au contraire couramment l'enlèvement de la jeune fille.
Les empêchements à mariage ne sont jamais dirimants, sauf dans le cas de parenté en ligne directe. La différence de religion est le cas le plus observé, mais n'est pas absolue, surtout chez les grands. On cite plusieurs nobles foula, y compris des Almamys de Timbo et des Alfa du Labé, et des personnalités toucouleures, qui ont épousé des femmes infidèles et qui ne leur ont jamais fait faire le salam. L'Almamy Aguibou, à Dinguiraye, avait épousé une Kafira qui continua à pratiquer dans le galle conjugal ses pratiques fétichistes. Bien plus, il avait marié sa fille Kadidiatou à un chef malinké de Siguirindi (Siguiri), et celle-ci ne tarda pas à
abandonner la prière et à manger et boire comme son mari. Cet exemple s'est rencontré aussi maintes fois au Fouta et, si l'on en croit la rumeur publique, il tendrait aujourd'hui à se développer.
Les diverses cérémonies qui accompagnent l'union sont décrites à la monographie sociale du mariage. Il suffit de dire ici que la jeune femme non reconnue vierge par son époux peut être renvoyée dans sa famille, ce qui est loin d'être le cas général, et qu'alors la restitution de la dot et des cadeaux, mais non des frais du mariage, s'impose.
La jeune femme entre en ménage avec un douaire (sogge) que lui a constitué son père. Ce douaire se compose d'abord de la dot, et aussi de quelques boeufs, bijoux et hardes provenant de sa famille. Les meubles restent dans la case de la femme; les boeufs entrent dans le troupeau du mari, mais demeurent la propriété indubitable de la femme qui les administre comme elle l'entend. Son droit de disposition est complet, sous la seule condition de l'assentiment du mari, qui au surplus ne peut pas faire d'opposition sans causes légitimes. Les maris dilapident souvent les biens de leurs femmes, sans que celles-ci y fassent une opposition bien sérieuse.
Les devoirs réciproques des époux sont les mêmes que ceux fixés dans le droit musulman. Celui sur lequel on insiste le plus est l'entretien de la femme par le mari. Il lui doit la ration journalière, ou hebdomadaire, ou mensuelle, de grain. Il lui doit en outre, au moment de la récolte, des cadeaux de grains, proportionnés au douaire qu'elle a apporté. Pendant son absence, le mari doit une pension alimentaire à sa femme. Le défaut de pension entraîne le divorce au profit de la femme, qui prend son douaire avec sa liberté, et se retire chez ses parents.
Le droit de correction est universellement reconnu au mari. Il consiste en coups de corde, à condition que la corde ne coupe pas la chair, et en coups de bâton. La modération est recommandée. La brutalité exagérée est une cause de divorce. Les Foula, et surtout les Toucouleurs, ne se gênent pas pour user de leur droit, et le fouet de la case sert aussi bien pour les femmes que pour les enfants.
La femme doit travailler aux champs de son mari, soit de ses propres mains et avec les captifs si elle est de condition modeste, soit comme surveillante des travailleurs. Les mères et femmes des Almamys et chefs de diiwe tenaient à donner le bon exemple dans cette matière. On les voyait présider à tous les travaux agricoles. Elles continuent aujourd'hui la tradition. Les diverses femmes d'un mari se piquent d'émulation et veulent toutes avoir mis en valeur des lougans plus vastes que ceux de leurs compagnes. Pendant ce temps, les maris foula prient pour les travailleurs ou palabrent sous les orangers voisins. Peu d'entre eux participent au labeur des femmes ou des captifs.
On a vu plus haut comment est appliqué le devoir de fidélité conjugale. Les époux se reprochent mutuellement leurs fautes, ce qui paraîtrait bien choquant à un Arabo-Berbère.
« La femme suit son mari qui sort la nuit, disent les Foula; elle constate ce qui se passe et en fait autant. Elle ne se cache pas d'ailleurs, et si son mari le lui reproche ou la bat, elle lui répond : Tu es le plus fort, tu es le maître; bats-moi, mais je ne fais que ce que tu fais. »
L'adultère entraîne très rarement le divorce. Il faut qu'il tourne au scandale, pour que le mari se décide à renvoyer sa femme. D'après les notables foula, le nombre des adultères aurait encore augmenté depuis la conquête française, à la suite de la suppression des châtiments corporels.
Les Foula paraissent croire à la justice immanente dans cette matière de la fidélité conjugale. Leur proverbe dit :
« Celui qui mange à petites bouchées (qui croque) la tête de son voisin verra tôt ou tard sa tête mangée de la même façon. »
Le divorce est relativement rare chez les Foula, patients, peu jaloux, peu exigeants sur leurs prérogatives maritales. Au surplus, on ne s'enrichit pas à de perpétuelles répudiations, et le pingre, Foula le constate dans son proverbe :
« Trois personnes meurent dans la pauvreté :
celui qui n'épouse que pour répudier
celui qui a beaucoup de dettes
et celui qui ne s'installe que pour déménager. »
Il est au contraire extrêmement fréquent chez les Toucouleurs du Dinguiraye. On n'y rencontre pas un seul ménage où, à un âge avancé, la première femme soit encore femme légitime; tandis que ce cas se rencontre assez souvent dans le Fouta-Diallon. C'est ainsi que le chef actuel de Timbo, Alfa Oumarou, fils de l'Almamy Ahmadou, a toujours sa première femme, Néné Ami, fille de l'Almamy Ibrahima Sori Daara, âgée aujourd'hui de cinquante ans.
La femme âgée est ordinairement répudiée, souvent sur sa demande, mais reste, surtout si elle a des enfants, dans le galle de son mari. Elle a cédé volontairement la place à une jeune femme pour conserver, par cette condescendance à
la passion de son mari, le droit à son attachement. Elle lui a dit :
« Prends une autre femme, jeune et fraîche, qui te satisfera. Moi, je resterai avec toi et te soignerai. »
Elle est servante, gardienne, duègne, bonne d'enfants. Elle est donc répudiée, et il faut remarquer en passant que le mari a déjà deux ou trois femmes ; et cette répudiation entraîne naturellement pour elle, malgré les honneurs et le titre de femme dont elle pourra encore jouir, l'exclusion de tout droit successoral. Aussi le mari lui fait-il des cadeaux, et prend-il, en sa faveur, des dispositions testamentaires.
Comme en tout pays noir et au grand dam de l'orthodoxie islamique, le droit à la dissolution en mariage appartient également aux conjoints. On distingue donc :
Dans les deux premiers cas, c'est celui qui répudie qui fait les frais de la dot. Cette faculté de répudiation, qui appartient à la femme et parait si monstrueuse aux yeux des musulmans d'aujourd'hui, existait dans l'Arabie préislamique. Peut-être est-elle, ici comme là-bas, une survivance du régime matriarcal. Dans le troisième cas, un accord entre les époux supprime toute contestation d'intérêt. C'est le plus commun et le dicton foula le constate :
« Le mariage, c'est le manioc : c'est par une seule main qu'il sera planté, mais il ne sera pas arraché par une seule main. »
Quand le divorce est prononcé judiciairement, c'est le tribunal qui détermine les condamnations et réparations.
Quand un conjoint est répudié par l'autre, la chose ne va pas toujours facilement, et l'époux renvoyé exige des explications. Si elles sont insuffisantes, il refuse de quitter le galle conjugal et la question en reste là quelque fois.
Les principales causes de divorce sont : la mésintelligence entre époux, le défaut d'entretien par le mari, et le désir de remariage de l'un ou l'autre époux avec une personne aimée.
L'impuissance est aussi une cause de divorce, souvent même elle s'aggrave de pénalités accessoires. Et l'on a vu des chefs politiques, et tout récemment encore, le chef du Kolen, séquestrer les boeufs d'un de ses administrés qui, après enquête judiciaire, avait piteusement démontré qu'il était au-dessous de sa tâche conjugale.
La garde des enfants appartient en principe à la mère. Chez les Toucouleurs, le garçon reste avec elle jusqu'à 7 ans; à cet âge, le père le prend et l'envoie à l'école chez un Karamoko. La fille reste chez sa mère jusqu'à son mariage. Chez les Foula, c'est l'homme qui, le plus souvent, garde les enfants, sauf quand ils sont tout petits et ont encore besoin des soins de la mère. Après quoi, ils rentrent au galle paternel. Toutefois, les fillettes restent plus longtemps avec leur mère, souvent jusqu'à sept ans, et même jusqu'à leur mariage.
Le délai d'attente est canoniquement de quatre mois et dix jours pour la jeune épouse légitime et de deux mois et cinq jours pour la veuve concubine; de trois mois pour la femme divorcée. Pratiquement il est assez rarement appliqué, sauf dans les familles de Karamoko. La veuve reste en deuil dans le galle de son mari, en principe jusqu'à la fin du délai et, si elle est enceinte, jusqu'à sa délivrance. En pratique, dès qu'elle est l'objet d'une demande, elle se hâte de se remarier. Elle attend encore moins l'expiration du délai de la pureté légale pour faire à son mari défunt ce qu'elle lui faisait si largement sa vie durant. Pendant l'attente, elle ne doit pas être nourrie sur l'héritage du mari, mais doit recevoir sa ration soit de son père, soit de son beau-père.
La femme divorcée passe quelquefois le délai d'attente dans le galle du mari, mais le plus souvent, elle regagne la case paternelle et se hâte de se remarier à la première occasion. Quand elle reste dans le galle du mari, elle a droit à la ration jusqu'à son départ définitif.
Il reste à constater que dans la formation, comme dans la dissolution du mariage, aucune autorité religieuse n'intervient. A peine voit-on le tribunal être saisi en cas de conflit d'intérêt, lors du divorce. La fixation de la dot entraîne seule une sorte de cérémonie mi-religieuse, qui parait surtout avoir pour but, vu le lieu et le moment choisis, d'assurer pour l'union en perspective, le plus de publicité possible
Malgré l'affection très réelle des parents pour leurs enfants, le lien paternel parait bien lâche à nos conceptions familiales. On voit des enfants enlevés presque de vive force par des notables et surtout par des Karamoko, qui les gardent en les utilisant. Or les parents ne viennent réclamer leurs enfants que deux ou trois ans après seulement, par exemple quand la fille est nubile et que la question de la dot va se poser. Ils reconnaissent eux-mêmes que ce n'était pas par crainte du ravisseur qu'ils ne se plaignaient pas. Serait-ce que sachant leurs enfants en de bonnes mains, ils voulaient les laisser bénéficier de cette éducation de choix.
On leur suggère cette explication, et ils ne répondent même pas. En résumé, si l'enfant ne s'échappe pas ou s'il ne fais pas dire qu'il est malheureux, les parents l'abandonnent facilement à son nouveau toit.
Les enfants naturels abondent au Fouta-Diallon, enfants simplement illégitimes, nés en dehors du mariage du père ou de la mère, et qui dans ce cas comptent à la mère; enfants naturels issus des relations de la femme, antérieures à son mariage, et qui sont gardés par le mari, moyennant le versement supplémentaire d'une vache; enfants adultérins surtout, dont plus de la moitié des ménages du Fouta compte un ou plusieurs représentants dans son sein.
La plupart du temps, l'enfant adultérin est gardé dans le galle de son père putatif, fait partie de la famille au même titre que les autres enfants et jouit des mêmes droits. Le vrai père ne se gène pas d'ailleurs pour voir son enfant, qui souvent lui ressemble parfaitement, pour le caresser et le traiter comme tel, et même pour lui donner des frères. La faiblesse du lien conjugal et le relâchement des moeurs familiales dans le Fouta-Diallon sont si grands, qu'on serait tenté d'y voir les plus graves adultérations que la société foula a fait subir à l'Islam classique.
En cas de remariage, les enfants des autres ne sont pas franchement adoptés par l'autre conjoint, le proverbe de Dinguiraye le dit d'ailleurs nettement:
« Pour le mari d'une femme, l'enfant qu'elle a d'un autre lit n'est pas son fils. »
Il arrive parfois que le père, surtout pour écarter un enfant qui n'est pas le sien de sa succession, le désavoue publiquement. Cette procédure de désaveu est négative. Elle consiste à ne faire en faveur ou en l'honneur de l'enfant aucune des cérémonies traditionnelles; nom, réjouissances, visites, amulettes et gris-gris, qui accompagnent la naissance d'un enfant. C'est la mère qui devra lui donner son nom, le raser, faire égorger un boeuf en son honneur, etc. La chose est sue et l'enfant est désormais reconnu illégitime (fattu). Cet ostracisme se continue par la suite, assez mitigé il est vrai, et le père affecte, deux ou trois fois par an, au cours de fêtes publiques, d'oublier cet enfant dans les distributions de mets ou de vêtements à ses fils. Le fattu désavoué n'a aucun droit à la succession paternelle. Quelquefois les Almamys et chefs de diiwe les envoyaient, dès leur puberté, vivre dans leurs runde de captifs.
Pourtant la moralité générale est telle que les enfants légitimes eux-mêmes n'acceptent pas toujours le désaveu infligé par leur père à leurs frères adultérins. C'est ainsi qu'Alfa Ibrahima, chef du Labé, avait désavoué un grand nombre d'enfants (fattu), « que ses femmes lui avaient faits sur sa couche » à la suite de relations illicites. Mais à sa mort, ce désaveu n'eut aucun résultat, car son fils Alfa Yaya, en parfait accord avec ses frères, légitima ses frères adultérins et les admit au partage de la succession. Ces faits se sont reproduits un peu partout dans le Fouta.
Le père peut prendre les mesures de rigueur contre le fils dont la conduite est coupable. Il peut lui mettre les fers au pied, l'amarrer et le conduire au tribunal pour qu'une correction de coups de corde lui sait donnée publiquement. Il peut encore le chasser du galle : l'enfant se réfugie alors chez un parent ou un notable, et quelques jours plus tard, quand la colère paternelle est apaisée, l'ami intervient et obtient le pardon. Il peut enfin le chasser complètement du pays.
Le jeune homme doit disparaître alors et ne plus se montrer aux yeux paternels. Dans ce cas, la mère souffre toujours de cette situation; c'est elle que l'opinion foula rend responsable de cette situation.
« Quand un enfant ne se conduit pas bien, dit-on, c'est toujours la faute de sa mère. Si elle avait bien soigné le père au moment de la conception, si elle lui avait donné une bonne nourriture, des jours heureux, etc., l'enfant serait venu dans de meilleures conditions. »
On dit encore :
« Un homme est un homme, et c'est à la mère de celui qui est battu que vont les reproches. »
La déchéance de l'autorité paternelle est inconnue. L'enfant qui est en butte aux mauvais traitements de son père prend la fuite et se réfugie auprès de parents maternels dans un autre village. Mais rien ne vient sanctionner la conduite indigne du père.
La reconnaissance judiciaire de l'enfant naturel n'est pas autorisée. L'enfant reste attaché à la mère et à sa famille.
Toutefois, le mariage des parents entraîne par la possession d'état une certaine légitimation qui ne va pas toutefois jusqu'à conférer à l'enfant des droits successoraux.
L'adoption est rare; elle se produit, non point à l'égard d'enfants qu'on veut s'attacher, mais en faveur de serviteurs ou de talibé dont on veut récompenser le zèle. L'almamy, le chef de diiwal ou de misiide, à qui un serviteur a rendu de longs et précieux services, le Karamoko pour qui l'étudiant s'est montré dévoué et fidèle, l'affranchissent, lui font des cadeaux, lui donnent un nom arabe, s'il n'en a pas, le font entrer dans leur tribu avec jammore et interdiction tabouiques, ne manquent pas de le comprendre dans leurs dispositions testamentaires, etc. C'est une sorte d'adoption mitigée.
L'incapacité provient de deux causes : la minorité et l'aliénation mentale.
L'enfant mineur est sous la tutelle de son père, puis de sa mère, puis de sa grand-mère paternelle ou maternelle, puis du tuteur testamentaire ou coutumier, qui est ordinairement le fils aîné ou le frère du défunt. On voit par cette vocation de la mère et de la grand-mère à la gestion de la tutelle combien la coutume diffère ici du droit écrit.
A défaut de tuteur connu, le chef de village peut en désigner un.
Le tuteur doit élever le mineur comme son enfant, et dès l'âge de sept ans si c'est un garçon, à neuf ans si c'est une fille, l'envoyer chez le Karamoko pour y apprendre le Coran. Il doit marier ses pupilles dans de bonnes conditions
La puberté pour le garçon, le mariage pour la fille mettent fin à la tutelle.
Le tuteur doit gérer avec honnêteté la fortune du mineur, et par la suite rendre des comptes au jeune homme, ou au
mari de sa pupille. Ce n'est pas toujours ainsi que les tuteurs entendent leur office, et l'on en a vu qui, mis au courant de leurs devoirs, et informés qu'ils seraient l'objet d'une surveillance étroite, déclaraient décliner la tutelle puisqu'ils ne pouvaient disposer à leur gré des biens du mineur ».
L'aliénation mentale entraîne la mise en tutelle du dément. Cette tutelle est soumise aux mêmes lois que la tutelle pour cause de minorité.
Les fous, assez rares dans l'ensemble du Fouta-Diallon, passent pour être nombreux dans le Labé et la région de Pita. S'ils sont inoffensifs, on les laisse errer, et ils en profitent pour voyager perpétuellement, ce qui parait être aux yeux des Foula, si sédentaires, si attachés à leur coin de montagne, le critérium le plus sûr de leur folie. S'ils sont dangereux, on leur met les fers aux pieds et on les enferme dans une case. D ailleurs la complète aliénation mentale est assez rare, ce que le proverbe foula exprime par ces termes:
« Le fou connaît bien le carré où l'on a mis des chiens. »
Dans cette note succincte sur le régime foncier du pays foula il faut distinguer.:
Sous le nom de « brousse » on entend l'ensemble des terrains qui n'ont jamais été cultivés et n'ont fait l'objet d'aucune appropriation ou possession. C'est en quelque sorte le domaine public, dont chacun peut, sous la seule réserve de l'autorisation des chefs politiques (almamy, chefs de diiwe ou de misiide, conseils de notables), brûler une parcelle, y constituer un lougan, y édifier un galle. Cette prise de possession précaire d'abord, peut avec le temps devenir définitive. Du point de vue coutumier, rien n'interdit donc, semble-t-il, de considérer aujourd'hui la « brousse » comme domaine public, sur lequel l'Etat français avait un droit éminent. Il faut, bien entendu, réserver le droit de vivification et de mise en valeur des habitants du pays
L'ensemble de la superficie cultivée du Fouta-Diallon. appartient, non point au peuple foula, maître politique dans le dernier état de l'ancien régime, mais au peuple Pulli qui l'a précédé. On retrouve ici comme dans la plupart des pays noirs d'Afrique Occidentale, cette curieuse institution du maître de la terre. Lors de la grande insurrection islamique qui fit passer la souveraineté politique du Fouta des mains des Pulli dans celles des Foula, . ceux-ci respectèrent les droits des maîtres de la terre. Les Karamoko, qui veulent fournir une explication de cette situation, la prennent dans le droit musulman : ils disent que les Pulli, s'étant convertis à ce moment à l'Islam, bénéficièrent de la capitulation, prévue par la loi coranique, et furent laissés propriétaires de leurs terrains. En réalité, il semble bien que l'on ne fit que suivre les traditions des peuples noirs et qu'on n'osa pas arracher à ces maîtres et prêtres du sol, intercesseurs traditionnels auprès des génies agraires, leur droit de propriété intimement uni à leurs fonctions sacerdotales.
Arcin a noté à juste titre qu'ils étaient « les grands propriétaires du pays », qu'ils étaient « en communion intime avec les esprits protecteurs du pays », encore qu'il attribue par erreur cette qualité aux seuls Nduyeebhe et aux Ferobbhe.
Il fut donc établi, et la tradition s'est perpétuée jusqu'à nos jours, que tout Fouta-Diallonké et a fortiori tout étranger, ne pouvait cultiver une terre ou édifier un gallé dans un village déjà existant qu'après en avoir eu la concession de la famille Pulli, propriétaire foncière. C'est ainsi que les familles Pulli Jaafunabhe, à Timbo, Dongayabhe à Fougoumba, Nduyeebhe à Satina (Labe), etc., sont les maîtres du sol dans ces centres, et c'est d'elles qu'il faut y obtenir la concession urbaine ou rurale. C'est le cas des districts les plus peuplés et les plus cultivés du Fouta:
A Sokotoro, village des Almamys Soriya, ces souverains du Fouta devaient obtenir l'autorisation des Wosogoroma, famille Pulli du Saïn, pour obtenir la parcelle de terrain nécessaire à l'édification d'un nouveau galle. Il en était de même dans cet autre centre soriya de Donhol-Fella, où commandaient foncièrement les Younoussaya.
Il ne faut pas se laisser induire en erreur par ce fait que c'est quelquefois le chef politique qui accorde la concession. C'est qu'il en a obtenu l'autorisation générale et permanente de la famille Pulli. C'est ainsi que lorsque le chef du diiwal de Fode Hadji voulut créer la misiide de Tere, il sollicita des maîtres du sol, une fois pour toutes, et pour avoir les coudées franches, l'ensemble des terrains nécessaires au nouveau centre.
Comme contrepartie de ce droit foncier souverain, les Pulli avaient à payer un impôt aux familles foula, détentrices de l'autorité politique. Cette taxe qui parait avoir été d'origine coutumière et qui était dénommée farilla (peut-être de l'arabe fardh) fusionna avec le temps avec la dîme coranique ou zaka (zakka en foula). Elle est encore connue sous ces deux noms.
Cette concession du sol par le Poulli est généralement précaire. Elle finit lors de l'enlèvement dc la récolte et doit être renouvelée tous les ans. Quelquefois elle est accordée en viager à un Foula, mais elle prend fin avec la mort de celui-ci, à moins que ses successeurs n'en demandent le renouvellement.
Il peut y avoir compétition entre Foula au sujet d'un terrain, et dès lors le Pulli n'est pas le maître de trancher la question. La coutume reconnaît des prérogatives plus étendues au compétiteur qui a plus haute situation sociale. De même, le droit du père prime celui du fils, comme celui du mâle prime celui de la femme.
Elle est parfaitement connue au Fouta et se présente sous sa double forme familiale et individuelle. La propriété familiale, forme ordinaire de propriété foncière en pays noir, est la plus courante. C'est l'ensemble des terres qui appartient au groupement des individus, descendants d'un ancêtre commun, et dont le pater familias a l'administration, la gestion et le droit de partage. C'est le cas ordinaire des propriétaires Pulli, et de celle des propriétés foula qui ont été acquises à titre définitif par achat ou donation, ou même quelquefois par violence, dans les temps troublés de la lutte pour l'indépendance.
Mais, et c'est ici que pour la première fois on saisit vraiment l'influence, au moins partielle du droit musulman, la propriété familiale se disloque souvent, à la mort du pater familias. Nul n'étant tenu de rester dans l'indivision, chaque fils (à l'exclusion des filles) demande sa part immobilière d'héritage. Le partage est opéré et chacun des cohéritiers entre en possession d'un lougan qui lui appartiendra en propre et primitivement, et dont il pourra disposer de la façon la plus absolue.
Cette propriété individuelle, analogue au dominium romain, au melk arabe, et à la nôtre, s'est développée dans les régions particulièrement cultivées et peuplés, où il n'y a plus de terrains disponibles, et où, par conséquent, la valeur et le rapport de la terre se sont précisés. C'est le cas de la plus grande partie du Labe, de Timbi (Pita), du Kollaaɗe, de Ditin, de certains districts de Timbo et de Mamou, tel Daara, etc. Ce phénomène ne se rencontre que chez les Foula, à l'exclusion des Pulli.
C'est par la même raison que les partages successoraux y sont les plus fréquents, et tendent à reconstituer, à chaque génération, l'unité et la personnalité du propriétaire foncier, ce qui, du coup, est exactement le contraire de ce qui se passe généralement dans les successions rurales des pays arabes.
Dans les districts moins peuplés plus incultes (Timbo, Mamou, Tougué, le Houré, le Fitaba...), la brousse couvre la plus grande partie de la terre. Le cultivateur n'a que l'embarras du choix pour varier ses lougans. Les partages sont rares et la propriété demeure surtout familiale.
Les servitudes sont les mêmes que les servitudes classiques du droit musulman.
Elles s'acquièrent par l'usage. Aucun délai n'est nettement déterminé, et si, à la première génération, le droit du bénéficiaire paraît encore précaire, à la deuxième, il lui est acquis définitivement.
La coutume de la jachère est générale en pays foula. Après une période ininterrompue de travail qui peut aller d'un à sept ans, on laisse les lougans au repos pendant une période identique de sept ans. Pour le fonio, cette jachère ne dure que cinq ans. Pendant ce temps, la brousse pousse abondante et forme de hauts bois, qu'on brûle par la suite.
La plupart des contrats se nouent et se dissolvent suivant la forme coutumière. Rarement les deux témoins classiques y président. Une poignée de main, sacramentelle en quelque sorte, scelle quelquefois l'obligation.
La vente est d'un usage courant, et plus encore. Le Foula qui a besoin de grains pousse un de ses boeufs vers le village voisin et l'échange contre du mais, du mil ou du fonio. Les objets de ces échanges ordinaires sont: les bovins, les ovins, les chèvres, les tissus du pays, les grains, le sel, qui est surtout du sel d'importation européenne, le sel indigène ne dépassant pas Kankan. Quand un individu veut constituer des charges de caoutchouc pour aller les échanger contre des produits européens à la boutique du plus prochain traitant ou dans une factorerie de la côte ou de la voie ferrée, il annonce quelques jours à l'avance qu'il égorgera un ou plusieurs bufs. Chacun se met aussitôt en campagne et transporte une petite provision de caoutchouc. Au jour fixe, il vient l'échanger contre un morceau de viande.
Le prêt est courant et porte sur les bufs, les grains, les étoffes, l'argent. Il doit rester sans intérêts, en principe au moins. Un homme aisé prête une vache à une famille pauvre, pour qu'elle puisse en boire le lait; une certaine quantité de grains à un miséreux pour qu'il puisse ensemencer ses lougans, ou vivre jusqu'à la récolte. Toutefois, quand il est fait aux Blancs, il peut être productif d'intérêts. C'est ainsi que certains Foula se prêtent assez facilement à des associations en commandite avec des Syriens. C'est ainsi encore que d'autres achètent des valeurs mobilières françaises (rentes, titres de la Défense nationale, etc., et touchent gravement leurs coupons.
Au surplus, certains riches commerçants, tant foula que toucouleurs, ne se gênent pas pour pratiquer ouvertement le prêt à intérêts. On cite en ce sens le cas de Baba Goureissi, de Dinguiraye, qui est d'autre part un moqaddem tidiani très respecté.
Le contrat de louage de services affecte les formes les plus variées; rarement le numéraire intervient comme prix de rémunération.
Aux grands phénomènes du labeur agricole : labours, ensemencements, récolte, le Foula rassemble ses parents, amis et serviteurs, égorge des bufs, prépare des calebasses de maïs, et pendant huit ou quinze jours pousse activement les travaux et entretient tout son monde. Il rendra par la suite le même service à ses amis. C'est le « Kilee » La tête et la peau de la bête sont réservées au chef des travaux.
Le petit propriétaire fait de même avec ses deux ou trois voisins, en l'honneur de qui il égorgera un mouton ou une chèvre.
Le sarclage est fait dans les mêmes conditions, par les femmes.
Le gardien du galle, serviteur ou domestique permanent, est défrayé de toutes dépenses par son maître. Il est logé, nourri, habillé, soigné en cas de maladie. Il reçoit des graines pour ensemencer son petit lougan personnel. On le marie et on marie ses enfants. On lui donne parfois de petits cadeaux.
Le gardien des troupeaux bénéficie du lait des vaches et des chèvres le lundi et le vendredi. Il a droit à un boeuf tous les ans, et il le surveille dans le troupeau de son maître, où il l'a incorporé. Il est nourri et reçoit de temps en temps un boubou. Aux jours de fête, il vient prendre part aux réjouissances familiales chez son maître.
La location de monture est d'un usage courant. A Timbo, on évalue cette location journalière à celle de quatre porteurs, soit 3 fr. 50. A Labé, à 1 franc seulement. Le propriétaire doit la sellerie, le palefrenier et la ration.
Tout d'abord la concession immobilière faite par le Pulli à un Foula est une véritable location, encore que le prix n'en soit pas déterminé et souvent pas payé. Mais il y a en outre, entre Pulli même ou entre Foula, des contrats de location ou d'association agricole qui rappelle le kham messat arabe. Le propriétaire du terrain ne fait aucune avance de grains, d'argent ou cheptel. Il donne simplement le lougan et reçoit une rémunération du dixième de la récolte.
Les riches propriétaires fonciers prêtent généralement, à titre gratuit, une partie de leurs lougans incultes aux miséreux qui viennent les leur demander.
Les locations de cases sont inconnues. On prête la case dont on n'a pas besoin, et le bénéficiaire saura reconnaître le service par un cadeau.
Le développement économique du pays depuis l'établissement des Européens et la construction du chemin de fer a développé la forme du salariat pour terrassiers, ouvriers d'art, porteurs, etc. Le prix de la journée est de 0 fr. 50 à 1 franc par jour auquel on ajoute une petite ration de riz ou de mais.
Les ouvriers de castes : cordonniers, forgerons, bijoutiers, et les tisserands reçoivent leur rémunération, suivant prix convenu, ou suivant la valeur coutumière de l'objet qu'ils vendent. La pioche par exemple vaut 0 fr. 50 en temps ordinaire. Au moment des cultures elle vaut 1 franc. Les marchandages sont inutiles. Dans les coins retirés de la brousse, ces variations, filles d'un certain esprit commercial, ne se font même pas sentir.
Le forage d'un puits, effectué par les ouvriers soudanais (malinké, bambara, etc.), comporte un prix fixe de 40 francs à Timbo. L'édification de la margelle et de l'enceinte protectrice est de 10 francs. Le nettoyage annuel est de 6 à 10 francs. Dans les autres régions, les prix varient suivant les difficultés du travail, mais le principe reste le même.
La constitution de petites sociétés commerciales entre dioula locaux (Foula, Toucouleurs, Sarakollé, Malinke, etc.), et même entre dioula et Syriens, est courante. Le riche Foula ou le traitant syrien compose un gros ballot de marchandises, et le confie à un dioula qui parcourt les villages environnants et souvent s'établit pendant plusieurs mois en un point intéressant. Il en rapportera la valeur en caoutchouc, peaux, cire, et autres produits locaux. Le bénéfice est en principe pour le dioula, mais le bailleur de marchandises n'y perd rien, ayant gagné une première fois sur la vente de ses marchandises et devant y gagner une deuxième fois sur la vente des produits qu'on lui rapporte.
Dans certains centres, le désir des Syriens de se procurer des peaux les incite à des associations répétées avec des bouchers locaux. Ils donnent un boeuf au boucher. Celui-ci le débite et rembourse au Syrien le prix antérieurement convenu, gardant la différence pour lui. La peau revient d'office au Syrien, et souvent un cadeau d'un morceau de viande.
Le gage est couramment usité en pays foula. Il est mobilier. On gage son sabre, un buf, des livres arabes, des boubous pour garantir le payement ou la restitution d'un prêt. Le nantissement immobilier est inconnu.
Il faut distinguer dans la masse successorale; les cases, les livres et armes, les vêtements, l'argent et les richesses agricoles, les immeubles.
Les cases sont dévolues aux seuls fils. S'il y a plusieurs galle, chacun en prend un. S'il n'y a qu'un seul galle et qu'il soit suffisamment vaste, les fils s'en partagent les cases et constituent des galle de plus petites dimensions. S'il est trop petit, c'est le fils aîné; qui en hérite et les autres s'en vont ailleurs.
Les livres arabes, les armes et le cheval du défunt sont dévolus au fils aîné, comme attributs symboliques du chef de famille. Quand il y a beaucoup d'ouvrages arabes, les cadets en prennent quelques-uns. On remarquera cette faveur spéciale dont le fils aîné est entouré dans la succession et qui constitue une survivance très nette de la coutume. La chose est passée en proverbe :
« La pauvreté suffit au fils aîné, mais que du moins, s'il n'hérite pas, il ne soit traité comme une part de la succession. »
Les vêtements paternels sont partagés entre les fils; les vêtements maternels, ainsi que les bijoux de minime valeur, entre les filles.
Les grains, les troupeaux, et toutes les richesses agricoles sont partagés entre les enfants, les parents et les conjoints survivants; suivant les règles ordinaires du droit islamique. On peut le noter, c'est la principale et presque seule trace d'influence de ce droit dans la coutume successorale foula.
Les immeubles sont répartis par fractions sensiblement égales entre les seules filles du défunt. On admet toutefois que la part du fils aîné est supérieure aux autres.
Les captifs étaient hérités, comme les autres biens, et étaient partagés entre les fils. S'il n'y avait qu'un seul captif, il allait au fils aîné qui devait indemniser ses frères. La suppression de la captivité n'a pas supprimé la dévolution successorale des captifs. Ceux-ci d'ailleurs réclament souvent et avec instance cette dévolution, exigeant qu'on referme sur eux la porte de leur cage, que le mort a ouverte
C'est ici le lieu de signaler cette curieuse institution de la Kummabite, ou prélèvement, que les almamys, les chefs de diiwe et de misiide et les Foula libres exerçaient sur les biens des Fulbhe Buruure défunts : animaux (bufs et chevaux, moutons et chèvres), grains (riz, fonio, etc.), bijoux. Les immeubles en étaient exemptés : ce prélèvement atteignait facilement 50 % de la succession. Il n'avait guère d'autres limites que l'arbitraire du chef. Le chef qui, dans son prélèvement, voulait bien tenir compte de la quantité des biens et du nombre des enfants du défunt était réputé honnête et vertueux. C'était le chef de misiide qui opérait généralement le prélèvement. Il donnait sa part au chef de diiwal ou à l'almamy sous forme de cadeaux périodiques ou de cadeaux de circonstance. Il faut croire que cette coutume, qui parait dater de l'insurrection islamique, était d'un bon rapport, car le dicton foula proclame que :
« s'il n'y avait pas de Fulbhe Buruure, ce ne serait pas la peine d'être chef ».
Ces diverses masses successorales sont constituées, dès la mort du de cujus, mais après la reprise du douaire par la femme.
Les mariages séniles sont exclusifs de tous droits réciproques de succession entre conjoints. On permet bien à deux personnes âgées d'unir leurs vieux jours, mais comme on paraît craindre des captations d'héritage, on ne leur accorde aucun droit successoral. Le mariage doit en effet avoir pour but la procréation, et ce n'est pas le cas pour deux vieillards.
Les captifs, et dans une certaine mesure, les forgerons et les griots, étaient sujets à des restrictions au profit de leur maître ou patron, dans la dévolution successorale de leurs biens.
La fondation pieuse de mainmorte (habous) est inconnue au Fouta-Diallon. Les karamoko disent quelquefois du terrain sur lequel s'élèvent les mosquées qu'il est hubuusu, mais ils veulent faire entendre par là qu'il est sacré (haram). Aucune constitution juridique de habous ne peut être citée. Il y a partout quelques exemples de fondations pieuses, se rapprochant sinon de la nature, au moins du but du habous. Il arrive qu'on donne à un karamoko, à un Oualiou ou à tout autre pieux personnage une vacher ou trente mesures de grain, afin qu'il récite des prières pour une personne défunte.
En matière de testaments, la coutume foula s'écarte aussi sensiblement du droit musulman. La quotité disponible n'est pas limitée au tiers; elle peut atteindre la moitié, et même les deux tiers de l'hoirie.
Les testaments sont assez fréquents et il arrive que le testateur, pour prévenir toute difficulté future, met, dès son vivant, les bénéficiaires en possession des legs et parts d'hoirie qu'il leur a réservées.
Les legs sont aussi d'un usage courant. On donne un buf à un karamoko, à son talibé, à un serviteur, à un ami, à un voisin.
L'exhérédation est des plus rares . Mais on admet qu'un enfant, objet des malédictions de son père, ne devra recevoir qu'une part inférieure d'héritage, au moment de la constitution des lots.
Les formalités testamentaires sont simples. Le testateur fait connaître ses volontés à deux ou trois personnes honorables qui serviront de témoins au jour de sa mort. Il laisse quelquefois une note écrite; le fait est rare.
La liberté des donations entre vifs est entière, mais on peut croire qu'avec leur rapacité bien connue, les gens du Fouta-Diallon n'en abusent pas Les marabouts surtout, tant peul que toucouleurs, sont mendiants entre les mendiants, d'où vient qu'à la Mecque, parait-il, les pèlerins Fulbhe sont l'objet d'un mépris particulier. Les marabouts des autres races noires y mettent plus de pudeur. Les Peuls se dépeignent eux-mêmes d'ailleurs par un proverbe significatif dans sa crudité:
« Les biens des Fulbhe, disent-ils, sont les poils de l'anus : quand on tire dessus, les larmes viennent aux yeux. »
Voilà pour l'avarice des pasteurs.
Quant à celle de la gent Torodo ou Peul de la classe maraboutique, on la dépeint en deux mots :
Toroodo ko torotooɗo
Qui dit Toucouleur dit mendiant
La prescription était peu connue tant dans sa forme acquisitive que dans sa forme libératoire.
Sous l'influence des Karamoko, les règles de la prescription islamique, d'ailleurs très diffuses, tendent à se répandre.
Une sorte de prescription spéciale aux immeubles urbains existe dans certains villages foula. La possession effective et ininterrompue d'un lot de gallé pendant vingt ans emporte prescription acquisitive du terrain au bénéfice de l'occupant.
Les servitudes sont définitivement acquises par usucapion à la deuxième génération.
Les épaves, objets perdus, animaux errants, doivent toujours être restitués à leur propriétaire. L'inventeur les garde chez lui et informe le public par une communication à la mosquée, à la suite de la prière. Au bout de quelques jours, si l'objet n'est pas réclamé, on le remet au chef, qui le conserve dans sa case, son grenier ou son troupeau, jusqu'à ce que le propriétaire se fasse connaître. Si l'objet est fongible, il le consomme, mais devra restituer un objet de même valeur.
Les institutions pénales du Fouta-Diallon sont beaucoup moins développées que la coutume civile et le droit pénal coranique n'y fait lui-même l'objet d'aucune étude.
L'étude des causes du crime et de la peine est inconnue Comme en tout pays noir, on s'en tient pratiquement à cette définition de l'infraction: « un acte extérieur qui trouble l'ordre public ». De l'aveu de tous, c'est le fait même d'avoir troublé la paix sociale et l'ordre établi qui mérite une répression, dont le principal but sera d'éviter le renouvellement d'un pareil acte.
L'intention coupable n'est pas punissable ici-bas, mais Allah la châtiera en l'autre monde.
La coutume pénale est essentiellement territoriale; elle s'applique à tout individu, indigène ou étranger, qui s'est rendu coupable sur le territoire du diiwal ou de la misiide d'un délit que réprime la coutume ou la loi.
L'extradition était d'un usage courant à l'intérieur du Fouta. Les chefs de diiwal, soit directement entre eux, soit par l'intermédiaire de l'Almamy se livraient réciproquement, et sans enquête, les coupables demandés. Elle était même pratiquée avec l'extérieur : almamys de Dinguiraye, almamys soussou, chefs malinké, chefs du Gabou, quand les bonnes relations politiques le permettaient. L'extradition n'était accordée que pour les seuls individus de la race du chef qui les recherchait. Il semble bien qu'il y avait dans cette coutume une sorte de solidarité entre chefs et souverains.
La tentative est sévèrement punie. Beaucoup opinent pour une répression égale à l'infraction elle-même.
La responsabilité est personnelle, familiale ou collective. Elle est personnelle, quand le coupable est connu, que son acte délictueux est l'uvre de sa propre volonté, et que la réparation par lui seul est possible. Elle est familiale, surtout en matière de réparations civiles. Elle est collective au village ou à la tribu, dès que la participation matérielle ou morale de ses membres est reconnue. Il est des cas, le cas des meurtres par exemple, où la réparation doit être répartie sur tous les membres de la fraction, fussent-ils dispersés dans les villages les plus éloignés du diiwal et étrangers par conséquent à toute espèce de complicité, même morale.
Les seules causes d'irresponsabilité sont l'enfance et la folie. Les dommages et intérêts sont néanmoins dus par les parents ou tuteurs à la partie lésée. L'enfant doit être puni par ses parents, et le fou doit être enfermé dans une case avec les fers aux pieds. Le fou extrêmement dangereux doit même être mis à mort. L'ivresse est une circonstance aggravante. On punit dans le coupable et le délinquant et l'ivrogne.
La légitime défense allant jusqu'au meurtre de l'adversaire est universellement reconnue. Il faut toutefois qu'il y ait un certain nombre de circonstances justificatives : attaque à main armée, envahissement du galle la nuit, etc. Il faut même que l'on sache d'une façon absolue que l'agresseur a l'intention de tuer. Attaqué par un ennemi qui veut vous bâtonner, il faut se défendre de la même façon ou prendre la fuite.
Les infractions contre la puissance publique sont beaucoup plus graves que contre les particuliers. Les injures, les mauvais traitements contre les agents ou les parents des almamys et des chefs de diiwal sont sévèrement réprimés. Les infractions au simple protocole étaient elles-mêmes punies. Quand l'Almamy est assis, on ne peut le saluer qu'en retirant ses chaussures, ce qui n'est pas le cas quand il est en marche. On n'a pas le droit de s'asseoir aux côtés mêmes de l'Almamy. Il doit garder avec le public une distance respectueuse.
L'exercice de l'action publique est entre les mains de l'Almamy, du chef de diiwal, du chef de misiide; celle de l'action privée entre les mains des parties lésées, mais elles n'ont pas le droit de se faire justice elles-mêmes et doivent s'adresser à l'autorité.
Le caractère de la peine est d'être essentiellement indéterminé. Par exemple, l'incendie d'une case habitée peut être puni de vingt-cinq coups de corde, quand il n'y a eu
que quelques gerbes de chaume consumées. Si la case a brûlé entièrement et si des personnes ont péri, le coupable peut être condamné à mort, encore que la gravité de sa faute soit égale dans les deux cas. On fait donc intervenir à chaque instant dans l'application de la peine toutes sortes de circonstances étrangères à la volonté ou l'acte du coupable.
Les peines étaient de natures diverses :
Les peines morales n'existaient pas.
La mort consistait dans la décollation à coups de sabre. Elle était ordonnée par l'Almamy ou les chefs de diiwe, qui avaient aussi le droit de grâce. Il n'y avait pas de bourreau attitré; l'office en était rempli par un serviteur, un mbatula ou un captif. Dans le dernier état du droit, on fusillait aussi les condamnés à mort. C'était une innovation, imitée des exemples d'Al-Hadj Omar à Dinguiraye. La famille de la victime pouvait demander que la peine du talion fût appliquée au coupable. L'opération capitale était effectuée en dehors de la misiide, dans un fourré épais ou dans une caverne [Pammel Hammadi]. Le corps était abandonné et les hyènes et vautours venaient le dévorer.
L'ablation d'un membre, et quelquefois de l'oreille, était pratiquée assez souvent, surtout à l'égard des voleurs. Le membre sectionné était enfoui.
Les coups de corde, de fouet ou de bâton (foccude) étaient d'un usage plus courant encore. Ils étaient distribués par un suivant du chef et sur le dos du patient couché sur le ventre et vigoureusement maintenu. Ils étaient quelque fois appliqués sur le ventre. Cette peine était considérée comme très dure. La race foula est frêle en effet et cent coups de corde bien appliqués entraînaient souvent la mort.
Les condamnations portaient d'ailleurs toujours des chiffres considérables: 300, 1.000 coups de corde. Au cinquantième ou au centième, il fallait s'arrêter et on n'y revenait plus.
Cette peine était appliquée aux enfants sans beaucoup de ménagements.
La torture (yangude, lettude) n'avait pas d'autre but que de faire avouer le coupable. On l'amarrait fortement et on lui tordait les membres. Délivré de la question, il devait répéter en toute liberté ses aveux. Sinon, on les considérait comme nuls, et on ne le soumettait plus à la torture.
L'emprisonnement (geyude) était surtout une peine préventive. Mais on mettait quelque fois aux fers d'incorrigibles récidivistes et on les y laissait pourrir. On y mettait aussi les captifs qui prenaient la fuite.
L'expulsion, équivalente en somme à notre interdiction de séjour, était couramment employée dans le Fouta. Les Almamys, et même les chefs de diiwe, bannissaient tout individu qui, sans tomber positivement sous le coup de la loi ou de la coutume: quêteurs, vagabonds, etc., constituaient un embarras pour la société.
L'amende (ngeenari) est courante. Le produit en est acquis au chef.
Des réparations civiles sont dues à la partie lésée. Le prix du sang (di'a, en poul-poullé comme en arabe) pour une personne libre (homme, femme, enfant) est coutumièrement de trente-trois bufs. Ils sont répartis sur les principales familles de la fraction, et quelquefois de la tribu du coupable, habitant la région. Les gens de caste sont des personnes libres et bénéficient de la même di'a que les Rimbhe (personnes de condition libre). Pour les captifs comme pour les animaux, il n'y a pas de prix du sang fixe, mais une valeur à déterminer suivant l'âge, la beauté,la vigueur, et les services que rendait l'animal ou le captif.
La séquestration et la confiscation des biens accompagnement ordinairement toute répression. C'est la rémunération des bons offices de l'autorité.
Le complice est puni en principe des mêmes peines que l'auteur principal. Pratiquement, il bénéficie d'une certaine indulgence.
La récidive entraîne une aggravation de la peine, peut doubler le nombre des coups de corde. Le fait d'amputer un second, puis un troisième membre, rend de plus en plus invalide celui qui en est l'objet, etc. Au surplus, les antécédents du prévenu intervenaient pour beaucoup dans l'aggravation ou l'atténuation de la peine.
Le juge jouit de la plus grande liberté pour l'application de la peine. La nomenclature des peines coutumières, s'appliquant à des infractions déterminées est assez imprécise.
Le meurtre, les coups et blessures sont punis de la peine du talion. L'homicide par imprudence n'est puni d'aucune peine, à condition qu'il n'y ait pas de circonstance aggravante, comme l'état d'inimitié. Mais la composition est toujours due à la famille.
Les crimes politiques entraînent la bastonnade et la mort.
Le vol est puni de l'ablation d'un membre et quelquefois de l'oreille. On procède dans l'ordre suivant: main droite, pied gauche, main gauche, pied droit. On n'a pas souvenir dans le Fouta que l'opération complète ait été effectuée, mais on rencontre quelquefois des amputés de deux membres. Celui qui trouve une vache dans la brousse et la cache dans son troupeau n'est pas considéré comme un voleur, mais reçoit une correction de coups de corde. Les trois quarts des vols qui se commettent au Fouta-Diallon sont des vols de bestiaux, et ce n'est pas le désir de la viande qui incite le voleur à perpétrer son acte, mais le désir de la peau. Il égorge la bête, la dépouille, mange un quartier de chair, abandonne le reste aux hyènes et aux vautours, et s'en va vendre la peau à un Syrien ou à un traitant sarakollé. Les esclaves, récidivistes du vol, étaient notés d'infamie et signalés à la méfiance publique par de grandes raies cicatricielles, zébrant la joue du menton à la tempe.
De même qu'en Europe il est reconnu que ce sont les atteintes à la propriété qui sont les délits les plus sévèrement réprimés, de même au Fouta-Diallon, ce sont les vols de bestiaux qui soulèvent le plus fortement l'indignation générale et la sévérité des juges. On raconte même qu'un Almamy avait décidé que les voleurs de boeufs auraient la tête coupée. Il tint parole et en fit exécuter 100 en un même jour avec un sabre spécial qu'il avait fait confectionner à cet usage. Or, dès le premier soir, le sabre lui-même disparut, ce qui faisait honneur à l'adresse, à l'ironie et à la méthode des voleurs foula. L'Almamy, dégoûté, revint à la coutume.
L'incendie est puni de 200 coups de corde, la récidive, de 300, ce qui est une sorte de condamnation capitale. S'il y a eu mort d'homme, la peine du meurtre est appliquée.
L'abus de confiance, l'escroquerie, les manoeuvres frauduleuses, les injures sont punis de coups de corde.
Les discussions injurieusement réciproques n'entraînent aucun châtiment. Encore faut-il qu'elles aient lieu entre égaux, car, comme le dit le proverbe foula:
« Si les projectiles de la bouche sont égaux, que ceux de la force le soient aussi. »
L'adultère est puni de coups de corde par les deux coupables. Souvent, on arrange l'affaire, sur les sollicitations secrètes du mari, par une indemnité à celui-ci. Le mari meurtrier de son épouse surprise en flagrant délit d'adultère n'est pas poursuivi. La jeune fille qui n'attend pas l'heure du mariage pour en savourer les plaisirs, doit subir en principe la peine de la mutilation des joues, mais pratiquement, elle est simplement rasée, enduite de bouse de vache et fouettée jusqu'à ce qu'elle ait dénoncé son amant.
Celui-ci vient aussitôt la rejoindre et reçoit le même châtiment. Dans ce cas, et à cause du consentement de la jeune fille, le séducteur n'est tenu à aucune indemnité. S'il y a eu viol, le séducteur est seul puni et doit la dot.
Les chefs mariaient souvent leurs femmes adultères ou leurs filles séduites avec des mbatula ou des captifs de leur entourage. C'était une humiliation et une déchéance morale et matérielle qu'ils visaient à leur infliger.
La violation de domicile est punie de coups de corde. Le maître du galle a ici le droit de se faire justice lui même et de jeter l'intrus au dehors à coups de bâton. Il ne se prive pas pour demander, le cas échéant, des indemnités plus ou moins justifiées, si l'on en croit le dicton foula :
« Celui qui entre là où il n'a pas été autorisé, remboursera ce qu'il n'a pas dérobé. »
La prescription pénale est inconnue dans la peine, et l'on doit toujours compte de ses actes délictueux. Pratiquement toutefois, et surtout s'il n'y a pas de poursuites privées, le temps efface l'infraction.