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Ernest Noirot
A travers le Fouta-Diallon et le Bambouc (Soudan occidental)

Paris. Librairie Marpon et Flammarion. 1882. 248 p.


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I — Le Cap-Vert

Au mois de mars 1881, je reçus ma nomination d'attaché à la mission de Fouta-Diallon, grâce à l'obligeance du docteur Bayol qui en avait la direction. Le docteur emmenait avec lui M. Billet, astronome, chargé de toute la partie scientifique du voyage.
Le dimanche 3 avril, nous étions complètement parés pour le départ qui eut lieu à huit heures du soir. Les journaux du matin annonçaient le massacre de la mission Flatters. Ma mère, mes frères et quelques amis, venus à la gare pour me faire leurs adieux, étaient consternés. Chacun pensait à l'événement terrible, devenu le sujet de toutes les conversations, et craignait qu'un sort pareil à celui de la mission Flatters ne nous fût réservé. Enfin, jusqu'à la dernière minute, les souhaits de bon voyage et les recommandations ne nous manquèrent pas.

Le 5 avril, nous prenions passage à bord de l'Équateur, paquebot des Messageries maritimes, qui devait nous déposer à Dakar, où nous arrivions le 14 à cinq heures du soir.

En voyant cette terre aride où pousse une végétation rabougrie, quelques baobabs et de rares palmiers, j'éprouvai un sentiment de tristesse et je me demandais quelle désolation avaient dû rencontrer les Dieppois, lorsqu'ils longeaient cette côte d'Afrique, pour qu'ils aient donné le nom de Cap-Vert à la pointe de Dakar.
A peine l'Équateur a-t-il jeté l'ancre que de tous côtés les naturels arrivent dans leurs pirogues qui glissent sur la mer avec une rapidité étonnante. — Dis donc, madame jolie ! Mouchié, toi camarade, jette dix sous, ici! Ici !!! Ici!!!
La pièce n'a pas touché l'eau que, se bousculant, renversant leurs pirogues, une dizaine de gaillards du plus beau noir piquent des têtes, et la pièce de monnaie n'est pas arrivée au fond qu'elle est déjà repêchée par un négrillon qui la montre aux passagers.
—Belle madame, Mouchié, donne cinq francs, moi passer sous bateau.
Tel est l'amusement des passagers à l'escale de Dakar. Il ne faut jeter à ces messieurs que des pièces d'argent, la monnaie de billon ne les tente pas.
Quelques passagers, pour s'amuser de leur déconvenue, enveloppent un sou dans du papier d'étain et le jettent à la mer. Les bons nègres, croyant que c'est une grosse pièce, se précipitent et se disputent à qui l'aura.
Aussi, lorsque l'heureux vainqueur s'aperçoit que l'on s'est joué de lui, il fait une grimace, souvent accompagnée de grossièretés (rares mots de français qu'il connaisse), tandis que ses camarades se moquent de lui et que les passagers s'amusent de toutes ces singeries.
Des que nous avons mis le pied à terre, le docteur, qui sait quelles difficultés l'on a pour trouver un logement à Dakar, surtout à l'arrivée des bateaux, s'empresse de nous retenir trois chambres à l'Hôtel de la Marine, tenu par Mme Genoyer. Tout d'abord, en entrant dans cette maison, on ne sait si c'est un bazar ou un hôtel. C'est l'un et l'autre ; on y vend de tout et fort cher, sans excepter le logement et la nourriture.
Dakar est trop connu aujourd'hui pour nécessiter une description. C'est une ville en formation ; à part les bâtiments de l'administralion, une église et la mission, les habitations européennes y sont peu nombreuses.
La ville indigène, composée de cases en paille, n'est pas d'une propreté rigoureuse.
Dès le lendemain de notre arrivée, le docteur s'occupait des engagements de notre personnel et j'installais ma photographie, faisant gratuitement le portrait de messieurs les noirs; les clients ne me manquaient pas.
Je visitai Gorée, celte île rocheuse, si étroite que l'on se demande comment, avec un castel qui occupe la moitié de sa superficie, la ville peut contenir trois mille habitants.
Ne trouvant pas à Dakar les chevaux qui nous étaient nécessaires, nous allâmes en chercher à Rufisque. Pour faire ce voyage, M. Billet et le docteur montaient deux excellentes mules du train. Quant à moi, j'avais un petit cheval du pays qui préférait de beaucoup l'écurie à la promenade.
Nous devions parcourir une distance de vingt-cinq kilomètres en cheminant sur le sable de la plage. Ne trouvant pas de son goût la brise de mer qu'il recevait debout, mon cheval se refusait à prendre une autre allure que le pas et il me fut impossible de suivre mes compagnons que je ne tardai pas à perdre de vue.
La nuit vint rapidement ; suivant une route qui m'était complètement inconnue et obligé par la marée montante de traverser la brousse, je marchais avec difficulté, manquant à chaque instant de me rompre le cou dans quelque ravine. Enfin, me dirigeant sur un feu que je prenais pour un phare, j'atteignis la ville. A quel hôtel étaient descendus mes amis ? Je l'ignorais. A tout hasard je me dirigeai vers une maison très éclairée, supposant que c'était une auberge.
J'arrive. Un grand bruit de voix confirme mon opinion. Je hèle le docteur ; un : « Ah! le voilà! » poussé par plusieurs voix m'indique que je ne me suis pas trompé ; mais on ne m'attendait plus.

A table, où se trouvent une douzaine de personnes, rien que des hommes, le dîner touche à sa fin ; toujours persuadé que je suis à l'Hôtel, je ne reviens de mon erreur que lorsque le docteur me présente à mon amphitryon, M. Verger, agent principal des diverses factoreries de la maison Maurel et Prom. Les autres convives sont les employés placés sous ses ordres. Je m'excuse d'avoir pris la maison pour une auberge ; mais M. Verger me répond que Rufisque n'en ayant pas, l'étranger qui vient se perdre dans ce pays est toujours sûr d'avoir dans la factorerie bon souper et bon gîte.

Rufisque, construite au bord de la mer, est percée de cinq grandes rues perpendiculaires à la plage et de cinq autres transversales. Une épaisse couche de sable fin qui rend la marche difficile y remplace le macadam. Malheureusement cette ville commerçante n'a pas de port. Les navires sont obligés de mouiller en rade, assez loin de la plage, et le transbordement des marchandises s'opère à l'aide de légères embarcations ou de pirogues indigènes, souvent condamnées au repos par les raz-de-marée très fréquents sur cette côte.
Rufisque a un autre inconvénient, bien préjudiciable à sa population. Un marigot (marais) très large entoure la ville; pendant la saison des pluies, ce cloaque fait de Rufisque une Ile et devient un foyer de fièvres paludéennes dont les Européens souffrent beaucoup.

A Dakar, j'employai mes courts moments de loisir à faire quelques promenades dans les environs de la ville. Un de mes endroits préférés était l'anse Bernard, où les piroguiers indigènes échouent leurs embarcations. C'est un des lieux les plus pittoresques de toute la côte. On y voit, dans sa plus simple réalité, la vie des noirs. Ils sont là, raccommodant leurs filets de pêche et les étalant ensuite sur des perches pour les faire sécher au soleil. D'autres, avec de grands éclats de rire et cette gaieté naïve propre à ces grands enfants, organisent de véritables régates et glissent sur la lame avec une rapidité extrême, cherchant à se bousculer pour faire chavirer leurs légers canots.
Des bambins, n'ayant pour tout vêtement qu'une cordelette pendue au cou, au bout de laquelle se balance un mauvais couteau, courent sur la plage, se pourchassent, se faisant mille niches ; tout à coup, changeant d'idée et de direction, ils piquent une tête dans la mer.
Tout cela, sous l'oeil attentif des mamans qui jacassent avec un bruit étourdissant, comme font les bonnes commères de nos pays.
On regagne la falaise par les dunes de sables, où l'on enfonce jusqu'aux genoux; ce sable, d'une finesse presque impalpable, s'infiltre dans la chaussure, brûle et déchire les pieds, tandis que son éblouissante blancheur, encore avivée par l'éclat d'un soleil torride, aveugle et vous contraint à fermer les yeux à tout moment.
Le paysage se transforme alors et devient d'une mortelle monotonie. C'est à peine si ça et là quelques palmiers rabougris agitent leurs feuilles longues et étroites, qui grincent comme des lames de zinc, sous l'effort de la brise venant du large. Cette désolation serre le cœur et donne à l'Européen nouvellement débarqué une triste opinion du Sénégal. A la vérité, ce n'est là qu'un de ses multiples aspects et il est des coins où l'oeil rencontre un spectacle plus agréable.
Au pied Je ces dunes, on aperçoit un groupe d'une trentaine de cases. En longeant une palissade de roseaux qui borde le sentier et en se rapprochant de ces cases, on entend un tic tac continu semblable à celui que font les métiers des tisserands.
En effet, ce groupe de cases constitue un village habité par ces travailleurs ; village des sorciers, disent les nègres, car chez eux les tisserands ont une haute réputation de sorcellerie.
Comme chez nous, c'est pendant la saison d'hiver (la saison des pluies, dans les pays chauds) que les femmes cardent et filent le coton, qui provient de l'intérieur. A la belle saison, elles le donnent au tisserand qui le prépare en bandelettes d'environ quinze centimètres. Une fois teintes, ces bandelettes sont cousues les unes aux autres et font un pagne : le jupon de ces dames.
Le métier du tisserand noir ne diffère pas sensiblement, dans son ensemble, du métier en usage dans nos campagnes. Il est plus pauvre, plus rudimentaire dans ses parties, voilà, tout. Ainsi les courroies qui mettent les bois en mouvement sont remplacées ici par de simples ficelles. Mais, tel quel, il suffit largement à l'industrie et aux besoins du pays.