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Taariika / Histoire


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


Chapitre XI
Les feux de brousse

Peu de questions sont aussi complexes et irritantes.
Le déboisement de l'Afrique, surtout le recul de la forêt devant l'envahissement du steppe sahélien, est un fait prouvé. Il est particulièrement grave au Fouta-Djallon, d'où sont issus la plupart des fleuves de l'Afrique occidentale. Les forestiers prophétisent son dessèchement à brève échéance. Il est exact que l'homme est l'auteur du déboisement. Plus le peuplement humain est dense, moins la forêt a subsisté.
Dans le Labé, et surtout dans les Timbis le spectacle de la campagne évoque une campagne française. Il n'y a plus d'arbres qu'autour des habitations, les plaines, sont nues, en jachère ou en culture, et malheureusement souvent épuisées. On est arrivé au dernier stade, après lequel il n'y a plus qu'à émigrer pour cultiver ailleurs. Les procédés de culture et d'élevage des « primitifs » sont très exigeants.
Il ne faut d'ailleurs pas jeter la pierre aux Africains : l'agriculture européenne est passée par les mêmes étapes, la jachère, l'écobuage, le défrichement intensif de la forêt. Les populations de l'Europe moderne n'auraient pu subsister avec les moyens de culture employés il y a deux siècles sur le territoire européen. Si la population du Fouta-Djallon s'accroît, elle ne pourra pas y vivre sans changer ses méthodes de production.
Le feu est l'agent de destruction le plus actif, mais le défrichement de la forêt suffira à la détruire même sans aide.
Les habitants mettent le feu pour plusieurs raisons:

  1. Pour « y voir clair »; pour éclaircir la brousse. Les pluies font pousser en tout lieu une savane de hautes herbes, geenal, pl. geene, dans laquelle l'humanité de faible densité se trouve noyée, submergée. Les sentiers sont « tués », les fauves viennent rôder aux abords des parcs à bestiaux, les singes viennent voler sous les yeux des paysans. Sans le feu, l'homme est « comme un chimpanzé dans la nuit ». Il est perdu dans le foisonnement végétal.
  2. Pas de culture sans feu. On ne peut pas défricher un champ dans la galerie forestière, qui donne les bonnes rizières au terreau épais, sans mettre le feu à la broussaille et aux grands arbres. Les cendres fertilisent le sol. On met le feu en mars.
  3. Pas d'élevage, sans feu. En novembre, tout commence à se dessécher. L'herbe est devenue ligneuse et immangeable: même au printemps, au temps de la repousse naturelle, les animaux ne peuvent paître l'herbe nouvelle parce qu'ils se blessent aux tiges de l'an passé. Il faut donc mettre le feu en novembre, les rosées font lever ensuite un regain sans lequel le bétail ne pourrait passer la saison sèche.
  4. Enfin, si l'on ne met pas le feu volontairement, on est la victime des incendies allumés par d'autres. Car, de novembre à avril, la végétation est inflammable, desséchée et, surchauffée. Les habitations, les hommes et le bétail seront dévorés par l'incendie. Il faut donc brûler la brousse autour des lieux habités pour lutter contre les feux inattendus.

Dans de pareilles conditions, on conçoit que les règlements interdisant les feux de brousse inspirés par le service forestier, soient considérés par les Noirs comme d'incompréhensibles brimades.
Au printemps 1937, j'avais réussi à obtenir une entrevue avec les Chefs peuls du Sierra-Leone, émigrés depuis longtemps et qui pouvaient avoir leur franc parler, avec un Français qui n'avait sur eux aucun pouvoir :

« Est-ce vrai, me dirent-ils, que vous êtes devenus fous ? Il paraît que vous voulez la mort des habitants du Fouta et de leur bétail ? Vous avez interdit le feu »

Il est très exact que l'interdiction des feux de brousse soit très préjudiciable aux moyens d'existence des cultivateurs et des pasteurs. On ne peut pas répondre: « ils n'ont qu'à changer de méthodes... » On n'improvise pas la culture avec engrais, assolement, labour, ni l'élevage avec stabulation, aliments desséchés, etc.
Il n'y a pas d'engrais. Les 9/10e des cultivateurs sont sans bétail; le labour est impraticable dans beaucoup de cas. Le peu d'épaisseur des sols cultivables et les fortes pentes, les moyens d'achat ne le permettent pas. Il n'y a pas de foin pour la nourriture des animaux parce que les graminées africaines sont peu comestibles une fois desséchées, etc.
Il faut tolérer, au moins pour le présent, les méthodes anciennes; les mesures draconiennes et incomprises nous font le plus grand tort et sont réellement inhumaines.