webFuuta
Taariika
Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon
Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages
III
LA FILIATION
La coutume distingue entre :
- la filiation résultant du mariage régulier
- celle qui résulte d'une union passagère, ou du concubinage
- celle qui résulte d'une union illicite, adultérine ou incestueuse.
Les enfants: ɓi, ɓiɓɗo, pl. ɓiɓɓe, terme noble: geɗalɓe, part octroyée par Dieu.
Les enfants d'une femme mariée sont légitimes: ɓiɓɓe halal, ɓiɓɓe dewgal, que cette femme mariée soit de naissance libre (sonnaajo) ou de naissance servile (jariaajo).
Le bâtard : (fattu)
Sont considérés comme bâtards : fattu, pl. fattuuɓe, ou ɓiɓɓe haram:
- l'enfant d'une fille non encore mariée (curbaajo)
- l'enfant d'une veuve qui devient enceinte après le délai de quatre mois, dix jours (heyniiɗo ɓaawo o wuppii, non remariée)
- l'enfant d'une divorcée (seedaaɗo), après le délai de remariage de trois mois.
Les moeurs sont très accommodantes.
Les enfants nés durant le mariage sont généralement reconnus par le mari, même s'il a des doutes sur sa paternité; la religion recommande d'être indulgent, de couvrir (surrude) les erreurs de l'épouse, sans même s'enquérir du nom du père réel.
L'enfant né au bout de cinq à six mois de mariage est, en général, accepté par le mari.
La reconnaissance de paternité est exprimé dans la cérémonie du fembugal et du 'innugol (coupe des cheveux et baptême) qui a lieu une semaine après l'accouchement. Le père fait tuer un mouton, en sadaka; s'il le ne fait pas, il est blâmable.
L'enfant naturel est baptisé par les soins de la mère, assistée de quelques femmes de son parentage, discrètement, honteusement. Il est élevé dans la famille maternelle ou confié au runde des serviteurs.
Enfants adultérins, enfants incestueux et enfants naturels ne se distinguent pas dans la coutume.
Les moeurs sont indulgentes, les maris tolérants l'adage: pater est quem nuptiae demonstrant est de règle; et c'est heureux, car le sort de l'enfant considéré comme illégitime est dur. La coutume et l'Islam sont ici d'accord : on croit que jamais un bâtard ne pourra entrer au Paradis, quels que soient ses mérites; il ne peut prétendre qu'à une sorte de Purgatoire, laarafi. Traiter quelqu'un de bâtard est presque aussi injurieux, que de le traiter de sorcier ou d'incirconcis.
Ces sentiments sont assez forts pour pousser à l'infanticide des filles-mères, avec la complicité des Anciens.
Naissance et baptême
Le premier-né d'une femme est mis au monde chez la mère de celle-ci; les puînés naissent chez leur père, en présence des femmes seulement.
Une semaine, jour pour jour, après la naissance, a lieu l'imposition du nom. Le père dit le nom qu'il donne à l'enfant; le mouton est égorgé par un lettré qui proclame ce nom à haute voix, devant l'assistance des parents réunis à cette occasion. Les « mères » coupent les cheveux de l'enfant : une femme, désireuse d'avoir des enfants, se lave avec l'eau qui a servi à la coupe des cheveux, met le bébé sur son dos, lui met un turban blanc, fait trois fois le tour de la case avec un arc, un sabre et une ardoise d'écolier dans les mains, si c'est un garçon ; et quatre fois, si c'est une fille, avec une cuiller, un fouet à sauce et une puisette, symbole des occupations féminines. Pour un premier-né, l'accouchée reste quelques semaines chez sa mère qui lui apprend à tenir et à soigner son enfant. Jusqu'à sept ans pour le garçon, jusqu'au mariage pour la fille, la mère est la gardienne et l'éducatrice normale des enfants (ne'uɗo).
D'après les Peuls que peut reprocher un fils à son père?
- « Tu ne m'as pas choisi un bon oncle maternel (kaawu), c'est-à-dire que ma mère, que tu as épousée, est d'une basse extraction, ou pis encore; une serve. Et je ne trouverais pas, si tu mourais, l'appui d'un oncle maternel généreux et puissant ».
- « Tu n'as pas égorgé pour moi une victime, (mouton ou boeuf) lorsqu'on m'a coupé les cheveux, le septième jour, c'est-à-dire: tu as manqué à un devoir essentiel en n'avouant pas ta paternité devant la société ».
- « Tu ne m'as pas fait apprendre le Coran. Sans instruction religieuse, un homme n'est pas un membre complet de la cité; il ne peut obtenir la considération en ce monde ».
- « Tu tardes à me faire circoncire. Autre cérémonie indispensable au croyant, suivie d'une sorte d'émancipation, habillement d'adulte, construction d'une petite case, etc...
- « Tu tardes à me marier, c'est-à-dire à assurer la satisfaction légale des besoins sexuels, et donner l'indépendance du chef de famille ».
Droits et devoirs des parents
- Droits
- Garde des enfants (jogagol). Les enfants sont sevrés vers deux ans; la mère les garde avec elle; à sept ans, le père peut reprendre les garçons; il peut les confier comme pensionnaires à un professeur, ou les faire étudier s'il est lettré lui-même, ou les garder chez lui et les envoyer à leur professeur dans la journée.
Le garçon reste souvent dans la case de sa mère, mais ne couche plus dans son lit; il couche sur une natte, par terre, après 7 ans.
Selon son âge, c'est successivement:
de 0 à 2 ans: un bébé: boobo, boobohun, pl. boobohoy
de 2 à 7: un sevré: entaaɗo, entaakun, pl. entaakoy
de 7 à 14: un écolier: karanden, pl. karandenjo
de 14 à 20: un jeune homme: hellifaaɗo, pl. hellifaaɓe.
- La circoncision coïncide avec la puberté ou la précède de peu (dès que le garçon a des rêves érotiques : (o hoyɗi). Le garçon quitte alors l'enclos paternel et habite une petite case (buguru, waaleeru: dortoir) entouré d'un petit enclos (hurgo), soit seul, soit avec d'autres garçons de son parentage ou seulement voisins.
C'est une période de crise ou l'enfant n'est plus la chose du père et où le jeune homme n'est pas encore devenu indépendant. Le père ne se mêle pas de sa vie sexuelle; père et fils « ont honte l'un de l'autre ». C'est pourquoi on se dépêche de marier le garçon.
A noter que si garçons et filles sont élevés en principe chez le père, chaque épouse gardant ses enfants dans, sa case, il y a souvent des arrangements par lesquels on confie un enfant à un grand-parent ou à un oncle, à une tante sans enfant, ou encore les filles mariées emmènent avec elles une cadette, etc...
- Réprimande, correction. Tant que l'enfant est dans le galle paternel, le père le commande et, lorsqu'il désobéit, le gronde, le corrige; il peut même le mettre « aux fers » (dans une bûche percée de deux trous); par exemple, « lorsqu'il refuse d'étudier, qu'il injurie les gens, qu'il casse sa planchette d'écolier », chaque fois enfin qu'il se montre désobéissant ou irrespectueux. Ces mêmes droits de correction appartiennent au tuteur, au professeur et, en général, à tous ceux à qui l'enfant est confié. Les incorrigibles étaient parfois confiés au saatigi, intendant du hameau des serfs.
- Droit de tuer. On admettait que le père qui tue son enfant n'est pas justiciable des tribunaux; cela ne regarde que la justice divine; mais la mère est jugée comme infanticide « parce que l'enfant n'est pas à elle ».
- Bénédiction, malédiction. L'enfant peut être chassé et maudit par son père. La bénédiction (barki) et les prières (du'aa) du père sont très recherchées, et sa malédiction (kuddi) très redoutée; c'est la conception populaire chrétienne: « Tes père et mère honoreras, afin de vivre longuement »; même après son émancipation, même en cas de départ contre le gré du père, le fils ne quitte pas son père sans lui dire: Priez pour moi, duanee lan.
- Autorisation du mariage. Le père choisit la première femme de son fils, parfois aussi l'époux de sa fille; il les consulte, mais, en général, le premier mariage de l'un et de l'autre est un arrangement familial où les intéressés n'ont qu'à obéir. Le père reçoit le toraare, « présent de la demande », il en dispose à son gré (ne pas confondre avec le teŋe ou douaire). La mère reçoit les cadeaux du prétendant à la main de sa fille, vêtements, etc... (voir section II).
- Aide ouvrière: « toanagol ». - Le père fait travailler ses enfants sur ses champs dès qu'ils peuvent rendre service, au moins cinq jours par semaine, du samedi au mercredi inclus : le matin, le jeudi et le vendredi, le garçon travaille souvent pour sa mère, ou la famille de celle-ci, ou la famille de sa fiancée. (Ce sont souvent les mêmes, lorsque le frère de la mère est le futur beau-père). Dans les familles pauvres, les enfants assurent tous les travaux domestiques, corvée de bois, d'eau, de paille, commissions, etc... On sait à quel point le travail de l'enfant est utilisé en pays noir; qu'il soit serviteur ou libre, c'est entre huit et quinze ans que le noir travaille le plus. Les domestiques sont toujours de « petits » serviteurs (suufahun), palefreniers (korkahun), servantes (paykun), etc...
Quand l'enfant a quitté le logis pour vivre en célibataire dans une petite case individuelle, il travaille toujours sur les champs paternels et maternels, comme il est dit ci-dessus; souvent aussi, chez les pauvres, il se débrouille pour lui-même et voyage: il s'en va « en quête » (ɗaɓɓere) de sa subsistance et, aujourd'hui, en quête surtout du montant de l'impôt. Lorsqu'il s'est marié, qu'il a fondé son galle à lui, il travaille pour lui et son ɓeynguure, c'est-à-dire son ménage personnel.
- Après le mariage. Il peut aider ses parents dans une mesure variable: le père s'adresse encore à ses fils mariés
pour les équipes de kilee, quand il a besoin d'une nombreuse main-d'uvre. Quand le père est vieux et incapable de travailler, il doit être entretenu par ses enfants: « Je t'ai nourri quand tu étais petit enfant, nourris-moi maintenant que je suis redevenu aussi incapable qu'un petit enfant. » Le père n'est pas recueilli chez un de ses enfants: ils lui envoient du grain ou lui confient un de ses petits-enfants pour s'occuper de lui, etc. Tout dépend de leur situation de fortune. En général les vieux sont plus riches que les jeunes: mêmes s'il ont partagé leurs biens de leur vivant, ils se réservent toujours de quoi vivre honorablement: nul n'oserait s'abandonner complètement à la merci de ses enfants. La piété filiale est cependant suffisante pour que les abandons scandaleux de vieux parents soient rares ; ils sont très sévèrement jugés.
- Pécule. L'enfant peut avoir un pécule personnel (kasubu). Il possède souvent du bétail qui lui a été donné par le père, la mère ou un parent, au moment de l'imposition du nom ou au moment de la circoncision, ou à l'une des fêtes qui marquent les étapes des études coraniques; ce pécule est confié à la mère.
- Mise en gage. Le père peut mettre son enfant en gage (seke, tiginde). Le cas est fréquent au moment des disettes; le père empruntait de quoi se nourrir et de quoi faire les semailles ; à la récolte, il se libérait et reprenait son enfant. Celui-ci était le gage de la dette et travaillait pour le créancier. La même opération se produit au moment du recouvrement des impôts.
- Vente. En cas de grande famine, le père vendait son enfant définitivement: mais le fait paraît avoir été exceptionnel et admis seulement en cas d'absolue nécessité.
- Devoirs des parents. Complémentaires de leurs droits
- Entretien. L'enfant est nourri par ses parents jusqu'à son émancipation; il est logé et nourri par eux selon leurs moyens.
- L'émancipation. L'émancipation n'est pas une date très nettement tranchée. Vers sept ans, le garçon devenu karanden-hun, écolier, commence ses études; chacun de ses progrès, constatés par examen, est fêté par un repas familial, une sadaka dont le professeur a une part déterminée.
- Sawngal. Vers treize ans, on fête la fin des études primaires qui suffisent à la majorité des enfants : la circoncision coïncide à peu près avec cette époque.
- Hellifaaɗo. L'enfant reçoit les « trois vêtements » (conci tati): bonnet, blouse, culotte. Il reçoit, entre autres conseils, celui de ne plus pénétrer dans un galle sans dire « Assalam Alaykum » et d'attendre pour entrer d'avoir entendu la réponse : « Alaykum Salam ». Il est devenu un adulte, un hellifaaɗo, et doit se conduire en homme.
- Transition. Il sort du galle paternel et va vivre dans une petite case (buguuu, waleeru), seul ou avec quelques « contemporains » dans le même cas que lui. C'est l'époque des voyages, des premières aventures amoureuses. Son père se hâte de le marier, de l'établir dans un galle qu'il lui a préparé: s'ils sont trop pauvres, le fils va travailler chez un homme qui lui donnera sa fille en mariage, mais le fait est rare.
- Obligation de marier ses enfants. Le père doit procurer une épouse à son fils. C'est un devoir essentiel. Il arrive que le père a constitué le cheptel de son fils dès son plus jeune âge : les bêtes restent confiées à la mère et les dépenses que le jeune homme aura à faire pour se marier. seront assurées grâce à son troupeau.
- Surveillance, éducation. Le père assure l'éducation de son fils, lui donne de bons conseils (waajaade, tindinde), lui donne de bonnes manières, dans une société où elles importent beaucoup, où le garçon bien élevé (ne'aaɗo) est distingué avec soin du mal élevé (mo waasi needi).
Il lui assure surtout une bonne instruction religieuse, devoir primordial au Fouta Djallon, dans les « bonnes familles », soit chez lui, soit chez un karamoko. Un père qui utiliserait le travail manuel de son fils sans lui laisser le temps d'étudier serait un mauvais père. Il donne au professeur le salaire qui lui est dû à certaines occasions, les sadaka à chaque examen, etc.. Quant au métier manuel, il l'enseigne tout naturellement, en se faisant aider par son enfant dès qu'il peut rendre des services (cultures, artisanat).
- Dettes et dommages. Le père est responsable de son fils tant que celui-ci n'est pas devenu un jon galle, un maître d'enclos; il paie les dettes et les compensations prévues en cas de dommages, tant que l'enfant est « sous ses pieds ». Après le mariage de l'enfant il n'est plus tenu de le faire ; mais il le fait souvent, pour éviter à quelqu'un de son sang une humiliation ou un châtiment ».
- Mère et fille. La mère et la fille vivent ensemble: l'éducation de la fille lui est confiée entièrement. Elle utilise ses services et lui apprend ainsi les besognes féminines: cuisine, blanchissage, culture potagère, tressage des vanneries, filage du coton, soins à donner aux enfants.
- Lestingol. La mère fait exciser son enfant au runde des serviteurs 1; elle paie les frais de la fête qui suit sa guérison, ou s'adresse à son mari pour ces dépenses.
- Mère et enfants. La mère allaite ses enfants jusqu'à deux ans environ; ils mangent avec elle ensuite, le père donnant à chaque épouse du grain selon le nombre de ses enfants. La mère et le fils sont unis; le fils fait profiter sa mère de tout ce qui lui échoit; il lui donne une part de ses grains plus volontiers qu'à son père, et elle lui garde ses économies.
Dans la famille polygyne, c'est le suudu, la case maternelle, qui est le vrai nid, le foyer affectueux.
La mère reçoit les demandes en mariage des prétendants à la main de sa fille et fait les premières démarches nécessaires au mariage, de son fils. Elle accueille sa bru quand elle vient emménager « et lui met en main une cuiller et une écuelle, symboles de ses devoirs ».
Elle accompagne sa fille chez son gendre le jour de l'emménagement, avec tout le cortège des parents, portant vases, écuelles, calebasses, coffres, provisions et mobilier du jeune ménage, qu'elle est tenue d'offrir avec l'aide des femmes ses parentes. Elle se mêle généralement des jeunes ménages, celui de son fils, et souvent plus qu'il ne serait souhaitable.
Devoirs des autres parents
Les oncles paternels et tantes maternelles, absorbés par leurs propres familles, s'occupent assez peu de leurs neveux et nièces qui doivent être respectueux et polis envers eux : mais les oncles sont les tuteurs éventuels.
Les oncles maternels (kaawu) et les tantes paternelles (yaaye) sont pour les enfants des personnages plus familiers, affectueux, souvent généreux, parce que, ne faisant pas partie de la famille officielle.
La yaaye joue souvent un rôle important dans l'éducation et lors des mariages, comme conseillère du père qui a souvent plus confiance en elle qu'en ses femmes.
Les grands-parents, les grand'mères surtout sont, comme chez nous, très affectueux avec leurs petits-enfants ; il n'y a pas entre eux la gêne qui existe souvent entre père et fils.
- Les enfants naturels. Il y en a fort peu de considérés comme tels à cause des mariages précoces, de l'indulgence des maris.
Dans les hautes classes islamisées, l'enfant naturel est une grave honte, mais on s'arrange pour que la chose ne soit pas sue : c'est le devoir d'un père de famille de « couvrir » les fautes de ses épouses. Juridiquement l'enfant naturel est à sa mère et à la famille de sa mère. En fait, une femme avec un enfant naturel trouve toujours à se remarier, mais pas avec un homme de bonne condition ; son enfant est traité par le mari comme un enfant d'un autre lit légitime.
Les serfs, mariés par les soins de leurs maîtres, sont peu difficiles en ces matières.
- Déchéance des parents
On répugne à admettre qu'on puisse enlever au père ses droits sur ses enfants.
Il faut une folie déclarée, auquel cas le père est considéré comme un mort, et le fils tombe entre les mains d'un tuteur. Mais il faut que ce soit un véritable aliéné (feetuɗo), et non un demi-responsable comme il en existe souvent dans les villages.
Les mauvais traitements ne paraissent pas suffire à motiver la déchéance paternelle: « Si un homme est trop méchant pour ses enfants, ceux-ci se sauvent et sont recueillis par un oncle . mais ce n'est qu'un fou qui peut être le bourreau de ses enfants »; chacun est maître de châtier ses enfants comme il juge bon ». Tout individu incapable, par folie ou maladie incurable, tombe sous la puissance d'un parent, oncle ou frère aîné, qui en devient responsable, ainsi que de ses enfants. S'il n'y a pas de parents, le chef politique, chef de province, se charge de leur entretien et profite de leurs travaux.
- Déchéance maternelle. La mère de mauvaise conduite peut se voir enlever ses enfants qui seront confiés à une femme du parentage paternel, grand'mère, tante, etc…
Devoirs des enfants
On vient de les voir, en étudiant droits et devoirs des parents. Ce sont l'obéissance et le respect. L'obéissance aux ordres du père entraîne l'accomplissement de tous les travaux commandés par celui-ci.
Ces devoirs, tant paternels que filiaux, sont des obligations morales qui n'avaient guère de sanction juridique. Là où le groupe social est solide, ils sont observés tout « naturellement » et sous la pression d'une opinion publique puissante; mais lorsque les déracinés (les taƴa-majja : retranchés, perdus) ont quitté leur groupe d'origine, pour habiter un centre européen, par exemple, les devoirs s'oublient trop souvent. Les indigènes accusent aussi l'école européenne de faire perdre aux enfants le respect de leurs pères et des Anciens, la politesse et leurs devoirs filiaux. Ce reproche paraît fondé.
Les devoirs filiaux sont des échanges de services :« l'enfant élevé par l'adulte est utilisé par lui, tant qu'il est incapable et il protègera ce dernier à son tour quand il sera redevenu incapable ». C'est de la morale naturelle plus que du droit. On peut en dire autant de tout l'ensemble coutumier, qui reposait beaucoup plus sur la morale générale que sur des sanctions judiciaires: « agir selon les liens de parenté » (jokkude enɗan), c'est bien; couper la parenté, c'est mal. L'opinion publique, puissante en groupement fermé, rend la vie impossible à celui qui viole les usages, mais, hors du groupement, c'est très vite l'anarchie.
La coutume indigène admet la filiation adoptive, mais exceptionnellement. Elle la confond un peu avec une forme de l'affranchissement. C'est, en général, un homme sans enfant qui adopte un serviteur. Il doit en demander l'autorisation à son parentage mâle. L'adoption s'accompagne de l'affranchissement du serviteur; celui-ci est « baptisé » par les soins du père adoptif qui lui donne un nouveau nom islamique. Un mouton est sacrifié comme pour une imposition de nom ordinaire. L'adopté prend alors tous les droits d'un « fils des reins». Il est instruit par les soins de soit père adoptif ; il fait désormais partie du lignage mâle de son père adoptif. Une femme stérile peut également demander à son mari la permission d'affranchir et d'adopter un de ses serviteurs à elle. Il lui faut aussi la permission de son propre parentage : l'adopté prend le yettoore, ou nom d'honneur, du mari. En dehors de ces cas, l'adoption paraît avoir été inusitée. Un oncle peut nourrir, élever, combler de cadeaux ses neveux orphelins, mais ceux-ci ne prennent jamais la place d'un fils.
On confond dans le langage : l'adopté et l'affranchi (rinɗinaaɗo), le père adoptif et l'ancien maître (rinɗinɗo).
Note
1. Euphémismes courants : elle est allée au runnde: elle a été excisée elle a battu la rivière (o piyii caangol), allusion au bain qui suit la guérison.