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Taariika


Gilbert Vieillard
Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon

Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages


I
ORGANISATION DE LA FAMILLE

Ce mot doit-il s'entendre à la fois: de tous ceux qui vivent, groupés ou non, sous l'autorité d'une même personne ? de la cellule sociale formée par les conjoints et leurs descendants ?

La Société est formée de groupements qui répondent à peu près à chacune des deux définitions proposées.

1. Le parentage

Le parentage est composé des descendants d'un même aïeul, qui reconnaissent l'autorité, ou au moins la prééminence, d'un patriarche, le plus âgé des membres de ce parentage.
Ce groupement se nomme: gorol, « lignée masculine», ou encore « ensemble des parents »: musidal, « ceux qui sont issus d'une même porte »: ɓe dambugal gootal 1.
Le chef de ce groupement est le hoore gorol: tête de lignée masculine; mawɗo musidal: ancien du parentage. Il serait souvent inexact de considérer cet ancien comme un chef ; les manifestations de son autorité, quand autorité il y a, sont intermittentes; il s'agit plutôt d'un président du conseil de famille.
Ce parentage peut être plus ou moins étendu, c'est-à-dire comprendre seulement les descendants d'un même grand-père, surtout chez les pauvres gens sans importance sociale, ou s'étendre aux descendants d'un ancêtre antérieur de cinq, six générations ou plus, dans les groupes aristocratiques; dans ces derniers, les liens généalogiques sont conservés avec plus de soin et les pouvoirs familiaux du Patriarche se doublent d'attributions politiques.

2. Le ménage polygyne

Le ménage polygyne, ou famille réduite, composée de l'homme, de ses épouses et concubines, de ses enfants, de ses serviteurs agricoles, de ses domestiques 2.
On nomme ce groupement: ɓeyngure, c'est-à-dire « acquisition personnelle », agrégat, croît; ce sont les êtres que l'homme a acquis lui-même, qui s'ajoutent à lui, dépendent de lui, lui appartiennent et lui obéissent; on dit encore qu'ils sont « sous ses pieds » (ley koyɗe makko). L'habitation de ce groupe est le galle, ou enclos, à l'intérieur duquel il est réparti en plusieurs huttes (suudu) ; il peut y avoir plusieurs enclos:

Le chef de famille est le jom galle, maître d'enclos, ou jom hoggo.
Les enfants font partie du ɓeyngure (ou galle) paternel; après une période d'attente qui va de la puberté au mariage, les fils fondent, avec l'aide de leur père, un nouveau galle où seront logés l'épouse, une servante, et quelques têtes de bétail, qui seront le noyau de son ɓeyngure personnel. Les galle, essaimés du galle paternel, issu lui-même du galle du grand-père, dont sont issus aussi les galle des oncles paternels, formeront un même parentage (dambugal). L'assemblée des jom galle se réunira sous la présidence de l'Ancien, aîné de ce parentage.
Les pouvoirs de l'Ancien, président du parentage, et celui du père, chef de famille, seront étudiés plus loin.
Nous pouvons dire dès maintenant que la cellule sociale réelle tend à être de plus en plus le ménage polygyne, au détriment du parentage patriarcal : ceci est dû, ici comme ailleurs, à la dislocation sociale causée par la colonisation. D'autre part, il ne paraît pas que le Patriarche ait jamais eu, chez les Peuls du Fouta Djallon, une autorité égale à celle du Patriarche chez les sédentaires cultivateurs, chez les Mandingues, par exemple.
Ci-contre, un schéma généalogique, très ébranché d'ailleurs d'Usman III, où la descendance de père en fils est marquée en caractères italiques.

  1. Tous les descendants de Mamadu Samba, issus de ses trois fils, sont les Sambaya; ils sont la jurriya, « la semence » ou postérité de M. S.
  2. Parmi les Sambaya, on distingue trois dambugal (pl. dambuɗe):
  3. Dans le dambugal d'Hamidu Bamba, on distingue autant de suudu (pl. cuuɗi) que d'épouses:

Nous dirons donc que Usman III descend du gorol (lignage) des Sambaya, du dambugal de Hamidu Bamba et de la suudu de Néné Kaana.

Si nous remontons dans le passé, les Sambaya, avec d'autres branches, font partie des Maliki-Siiɓe 3.
Maliki-Siiɓe et Nuhu-Siiɓe sont, à leur tour, des fractions d'une race (lenyol): les Seydiyaaɓe, postérité de Fodé Seïdi, frère de Fodé Séri, qui est l'ancêtre des Seriyaaɓe.
Tous les Sambaya, Maliki-Siiɓe, Seydiyaaɓe savent qu'ils appartiennent à un même groupe, de plus en plus vaste.
Remontant même à un ancêtre mythique, père de la tribu des Dayeeɓe (dont tous les membres sont honorés du nom de Bari), les Seydiyaaɓe sont une subdivision de l'une des quatre, tribus peules classiques: Dialloɓe, Dayeeɓe, Ferobɓe, Ururɓe.
Il va de soi que si Usman, dernier chaînon de la lignée, connaît parfaitement sa généalogie, c'est que sa famille est illustre et qu'elle a compté dans l'histoire politique du Fouta Djallon. Les pauvres diables sont incapables d'une telle érudition nobiliaire.

Droits et obligations du chef de groupe

Nous avons dit que « chef de groupe » est un terme trop fort pour désigner ce doyen des anciens, président du conseil de famille, qu'est le Mawɗo musidal (ou, absolument: mawɗo). En fait, l'organisation du parentage est beaucoup plus parlementaire que monarchique: ce sont les Anciens qui gouvernent, non le Patriarche ; on entend dire souvent: « nos anciens ont décidé ceci », — à propos des événements familiaux : baptêmes, mariages, successions, ou des décisions concernant cultures et troupeaux; on entend dire beaucoup moins: notre ancien. La vie familiale peule, comme la vie politique, s'écoulait dans une atmosphère de palabres (réunions: pottal).
Nous reviendrons sur les droits et devoirs du Mawɗo, dans les sections relatives au mariage et surtout à la propriété. Nous verrons ici les obligations du parentage envers l'Ancien.

Obligations du parentage envers l'Ancien

Il a droit, naturellement, au respect des membres plus jeunes; de même, d'ailleurs, que tous les vieillards qui sont « honorés » par leurs puînés dans un langage spécial (Haala Teddungal) ; celui-ci comporte: un vocabulaire différent pour les parties du corps, les vêtements, les gestes et les états du corps ; l'emploi du pluriel quand on s'adresse aux supérieurs et quand on parle d'eux ; et, d'une façon générale, l'euphémisme, le souci d'éviter les sujets considérés comme indécents, ou de les voiler par des termes nobles.
L'Ancien convoque les membres du parentage, préside les réunions, demande l'avis des présents, et donne le sien le dernier de tous; son avis peut l'emporter, il est accueilli avec politesse et quelquefois suivi... L'Ancien est informé des projets de mariage, reçoit une part des cadeaux d'usage en pareil cas (colas, etc.), est invité à présider les fêtes de baptême, de circoncision, de diplôme d'études juridiques et religieuses. Lors des sacrifices funéraires, ou plus simplement chaque fois qu'un animal est partagé entre les membres du parentage, il a droit à une portion déterminée : un membre antérieur, la moitié de la poitrine. Des rivalités entre anciens ont pris naissance à l'occasion de la dévolution de ces morceaux de choix.
(En matière économique, nous verrons son rôle, ou ce qui en reste, au Chapitre V.)
Le Mawɗo n'est pas grand prêtre d'un culte familial, celui qui dirige la prière est le membre le plus instruit de la famille, quel que soit son âge: ceci n'a pas dû peu contribuer à rendre le patriarcat peul différent du patriarcat mandingue. En résumé, beaucoup de marques extérieures de respect, dans le langage et dans l'attitude. « Sa part, c'est d'être honoré, d'être recherché pour l'efficacité de ses prières d'intercession, et pour sa bénédiction. »
Il est fort peu question de lui obéir.

Obligations de l'Ancien envers le parentage

Que peut-on exiger de lui ?
On peut s'attendre à quelques cadeaux; il arrive qu'il aide à constituer le douaire d'une bru, ou la dot d'une fille, dans le parentage; qu'il offre un animal pour une fête en l'honneur d'un étudiant, mais on ne voit pas qu'il soit tenu à des obligations précises. La disparition des fortunes, qui étaient constituées en serfs et en bétail, est aujourd'hui une excuse à son manque de générosité.
Le Mawɗo était aussi le représentant du parentage vis-à-vis des chefs politiques ou vis-à-vis des autres parentages, supérieurs, égaux et vassaux; ce rôle est, lui aussi, bien affaibli car l'Ancien se retranche derrière l'insubordination des membres du groupe. Dans les hameaux, peuplés d'un même parentage, on ne dit plus mawɗo marga ou mawɗo gorol (l'Ancien de la famille), on dit hoore kaydi, celui qui vient en tête sur la liste de recensement, la tête de liste : c'est un titre modeste...
Aujourd'hui: chacun pour soi — mo kala e hoore mun.

Le nom, son attribution et sa transmission : « Inde » ou nom individuel

Toute personne possède un nom individuel, 'inde, qui est attribué une semaine après la naissance, au cours d'une cérémonie (fembugal ou 'innugol), où les cheveux du nouveau-né sont coupés. Le père fait égorger un animal en sacrifice: cela équivaut à un aveu de paternité; s'il s'abstient, c'est un désaveu. De même, lorsqu'une personne veut adopter l'enfant d'un serviteur, elle accomplit cette même cérémonie et donne un nom à l'enfant. L'enfant né hors du mariage, ou désavoué par le mari de la mère, ce qui est très rare, est nommé par la mère; seules prennent part à la cérémonie, qui reste discrète : la grand'mère maternelle, une soeur, des voisins.

Choix du nom

Le nom est choisi par le père, qui donne le plus souvent à l'enfant un nom déjà porté dans son parentage masculin : c'est ainsi que l'enfant porte le nom: d'un ancêtre, d'un oncle paternel, d'un grand-oncle; d'une grand'mère ou d'une sœur du père ; on tient surtout à faire revivre le nom des grands-parents. Parfois aussi, le père nomme un enfant d'après une personne qui lui est apparue en rêve, un défunt souvent. Le père et la mère peuvent s'entendre pour nommer alternativement leurs enfants : l'aîné au père, le cadet à la mère, etc.. L'enfant porte rarement le nom de ses père et mère ; à moins qu'il ne s'agisse d'un enfant posthume, à qui l'on donne presque toujours le nom du père.
La personne en l'honneur de qui est nommé un enfant doit offrir à celui-ci quelques cadeaux; c'est de bon ton. C'est pourquoi certains, par discrétion, ne donnent à leurs enfants que des noms de personnes défuntes.
Les noms habituels sont les noms islamiques courants chez les Soudanais, prononcés avec la vocalisation de l'arabe littéral et légèrement déformés par l'usage 8. Il est admis qu'à chaque nom musulman correct correspondent des doublets, des abréviations, des diminutifs, qui permettent de varier un peu les appellations. L'habitude de baptiser les enfants selon le jour de leur naissance n'est pas de règle au Fouta Djallon.

Interdictions

Comme un homme ne peut appeler par son nom ni son père, ni sa mère (ou ceux qui lui en tiennent lieu), ni ses beaux-parents; comme la femme joint à ces interdictions celle du nom de son mari, et comme ces noms deviennent interdits même s'ils sont portés par des personnes étrangères à la famille, on conçoit que beaucoup de gens ne peuvent employer le vrai nom de baptême. De là vient que beaucoup de gens sont connus sous un autre nom que le leur, sans aucune intention de tromper. Le garçon qui porte le nom d'un grand-père est appelé Baaba Galle ; la fille qui porte le nom de sa grand'mère : Neene Galle 10, puisqu'ils ne peuvent être nommés par leurs parents.
Les titres acquis au cours des études (tierno, alfa) ou par le professorat (karamoko) ou par l'exercice d'un commandement (almami) précèdent le nom, ou sont employés seuls. Ils sont employés même par les parents, à peu près comme si la mère d'un médecin ou d'un prêtre appelait son fils: Docteur ou Monsieur l'Abbé.
Lorsqu'un nom interdit est porté par un étranger, on le nomme : Tokora Baaba, Tokora Neene, homonyme de mon père, homonyme de ma mère. Beaucoup d'enfants portent les noms respectables de Tierno, Alfa, en l'honneur de grands personnages du pays. De même Neene Fuuta, titre porté par la mère d'un almami, est donné à des enfants en l'honneur de celle-ci; c'est fréquent dans les bonnes familles. Quelques femmes portent des noms masculins que leurs parents leur ont donnés dans l'espoir que leur mère enfanterait des garçons.
Les 'inde, simples prénoms, étant peu nombreux, on leur ajoute des suppléments pour aider à identifier les personnes :

  1. Le nom de la résidence, qui suit le 'inde. Exemple: Umaru Petel Dyiga, Umaru, du Hameau-de-la-Roche-au-Vautour
  2. Le nom du père, précédé de mo. Ex.: Umaru Mo Sori; Umaru, celui de Sori
  3. Un sobriquet, généralement ironique. Ex. : Umaru Kinal; Umaru au-grand-nez;
  4. Le nom du groupement généalogique. Chaque groupe a un nom commun, celui d'un ancêtre souche de la lignée, celui du village ou du pays d'origine. 11
    Ex.: Umaru Diafunanke; Umaru, du groupe des Diafunaɓe, dont les ancêtres viennent du Diafunu.

Le nom d'honneur

L'usage administratif, scolaire et militaire des Européens, d'accoler au innde le yettoore comme un nom de famille, est exceptionnel chez les Peuls. C'est l'administration qui fabrique des Oumarou Bari et des Bari Oumarou calqués sur les Jean Dupont et les Dupont Jean. Le yettoore est un nom d'honneur qui n'est guère utilisé qu'entre gens de yettoore différents, en guise de salutation initiale. C'est une interpellation de style noble, à laquelle on répond par une interpellation semblable; on s'en sert aussi en guise d'encouragement ou d'applaudissement, mais il est toujours employé seul, sans le prénom. Par exemple, un Peul sediyanke croise sur une piste un forgeron; ce dernier lui crie. Bari ! ; l'autre répond: Keïta ! [du reste un peu au petit bonheur, parce que dans la région de Timbo, Bari est le yettoore des aristocrates; on l'applique à ceux que l'on veut flatter].

Il y a, on le sait, quatre noms d'honneur peuls, correspondant à quatre tribus, issues des quatre enfants d'un ancêtre mythique, confondu, par les Musulmans, avec 'Oqba, général arabe du Calife Omar.

Nom Tribal
Nom d'honneur
Singulier Pluriel Peul Equivalent wasulu
Ngirlajo Yirlaɓe Diallo Diallo
Ururo Ururɓe Ba Diakité
Ndayeejo Dayeeɓe Bari Sangare
Pereejo Feroɓɓe Sidibé

Les Ururɓe sont salués souvent du yettoore: Mbalde, au lieu de : Ba. Les Yirlaɓe sont les Dialluɓe du reste du monde peul. Au Fouta Djallon, on dit le plus souvent Yirlaɓe et Yillaɓe.
La règle est que le yettoore se transmet de mâle en mâle. Mais elle n'a rien de rigoureux; les enfants élevés dans la famille maternelle, les étrangers absorbés dans un groupe, sont souvent salués d'un yettoore qui n'est pas celui de leur famille masculine. C'est une étiquette appliquée sans beaucoup de discernement.

Denɗirɓe ou Sanakuuɓe

Les quatre tribus peules sont groupées deux par deux :

sont entre eux denɗirɓe ou encore: sanakuuɓe (du mandingue), c'est-à-dire qu'ils se considèrent comme des cousins croisés, fils d'un frère et d'une sœur. Chaque membre du groupe salué du nom Ba peut interpeller son sanaku du groupe Diallo, le plaisanter et l'insulter, sans que l'autre puisse faire autre chose que riposter sur le même ton. Un Ururo dira par exemple: « Hé ! Regardez ce farceur qui reluque les cases des femmes ! On les connaît ces dialluɓe ! », ce qui serait de très mauvais goût s'ils n'étaient entre eux sanakuuɓe. C'est tout ce qui reste d'un état social antérieur, où les liens entre sanakuuɓe ont dû être beaucoup plus importants, au point de vue matrimonial, économique et militaire. Aujourd'hui, yettoore ou jammu ne signifient plus grand'chose, et n'indiquent nullement le rang social de l'homme. Les affranchis, rinɗinaaɓe, sont honorés du yettoore de leur ancien maître, mais les serviteurs prennent rarement le yettoore de celui-ci ; ils s'affublent d'un dyammu malinké (Camara, Keïta, etc. ... ). Beaucoup avouent n'en pas avoir, faute d'avoir connu leur père, et donnent seulement le nom du pays où ils ont été achetés ou capturés (Kissi, Kouranko, etc.).

La parenté s'établit-elle en ligne paternelle, en ligne maternelle, ou dans les deux lignes ?

Le « gorol » ou lignée de mâle en mâle

La parenté s'établit dans les deux lignes: lignée paternelle: lenyol gorol (baabala), lignée maternelle: lenyol dewol (neenela); mais la ligne paternelle l'emporte tout à fait au point de vue juridique, économique et politique, car les enfants appartiennent au père et viennent s'ajouter au parentage de celui-ci, non à celui de la mère. Ceux qui disent: « nous autres », c'est le groupe paternel, consanguin: des hommes unis par le sang, unis surtout par l'appartenance à des pères (baabiraaɓe) qui appartiennent, eux-mêmes, aux mêmes anciens (mawɓe). Les épouses viennent d'autres groupes; elles leur sont empruntées afin qu'elles donnent des fils qui accroîtront le parentage de l'époux. C'est pourquoi l'épouse est toujours un peu une étrangère, toujours prête à retourner « chez eux », ce qu'on lui laisse faire sans trop insister quand elle a fourni des enfants.

Parenté, en peul, s'exprime par deux mots explicites :

Le premier fonde le lien social sur la propriété du mâle, sur ceux qu'il possède, commande et protège; le second sur la maternité physique. Mais le premier principe l'a emporté de beaucoup, si bien qu'on entend dire par exemple: remmiraaɓe ko keerol 'enɗam, les enfants de deux soeurs sont à peine parents, ce qui serait un non-sens si enɗam avait conservé son sens, étymologique.

Le « deyol » ou lignée maternelle

Cependant, la parenté consanguine ne peut empêcher l'existence des liens naturels de mère à enfant, de frère à sœur; les parents de la mère, qui ne sont juridiquement rien à l'enfant, sont souvent ceux chez qui il trouve le meilleur accueil, justement parce que l'affection n'est troublée par aucune préoccupation d'intérêt. Ceci est encore plus vrai en ce qui concerne les filles, élevées par la mère et qui restent soumises à son influence (plus qu'il ne le faudrait pour la paix des ménages). Le frère de la mère, le kaawu, est pour ses neveux un confident affectueux et souvent généreux; on peut en dire autant des grands-parents maternels (mama-soro et pati ga neene). Sous la construction sociale masculine: le parentage consanguin, une conspiration féminine, appuyée sur les sentiments naturels, force à reconnaître l'existence de la parenté en ligne maternelle.
En fait, l'enfant n'est pas tiraillé par ces deux sortes de parenté, à cause des mariages entre cousins, proches ou éloignés, qui sont extrêmement fréquents: de cette façon, gorol et deyol se confondent. Dans une autre sorte d'union, le mariage avec une serve devenue concubine, le deyol est inexistant ; l'infériorité de statut social des parents maternels les fait considérer comme négligeables..
C'est pourquoi le fils de la concubine peut reprocher à son père: « Pourquoi ne m'as-tu pas choisi un bon oncle maternel ? ». L'idéal, c'était la concubine achetée enfant, d'où suppression de la belle-famille de l'époux et des parents maternels de l'enfant.
Nous avons vu qu'à l'intérieur du lignage issu d'un même aïeul (le dambugal), on distinguait les différentes maisons (suudu) issues des différentes épouses de cet aïeul. La parenté maternelle intervient donc, même dans la généalogie masculine groupant ensemble les fils de même mère (neene-gootoɓe), pourvu naturellement qu'ils soient de même père (baaba-gootoɓe). C'est ainsi que lorsque l'héritage d'un défunt revient à ses frères, le frère consanguin et utérin hérite à l'exclusion des frères seulement consanguins. Lorsque deux groupes consanguins s'unissent par mariage de génération en génération, c'est donc dans la parenté maternelle que sont choisies les épouses. Le groupe maternel est le groupe des alliés. Des frères utérins peuvent donc donner naissance à deux gorol différents, mais qui gardent le souvenir de leur commune aïeule, et d'excellentes relations entretenues par des mariages à chaque génération.
C'est ainsi que Mamadou Samba (v. tableau) avait pour frères utérins, les fils que sa mère avait eus de Mamadou Baya; ce gorol des Baya-si-ɓe a fourni des épouses au gorol des Maliki-si-ɓe jusqu'à ce jour.

La parenté peule

Elle est du type dit classificatoire, parce qu'elle englobe, dans une même classe, des parents qui, dans la famille européenne, portent des noms de parenté distincts.
Les termes peuls assimilent à la parenté physique des liens de parenté que nous exprimons par des termes spéciaux. Exemple: tous les oncles paternels sont des pères, toutes les tantes maternelles sont des mères, tous les cousins sont des frères, tous les neveux sont des fils, etc.

Les termes de parenté

Neene: mère.
Le peul Usu a pour mères: sa mère Julde, qui l'enfanta, et les sœurs de Julde, aînées et cadettes, et les cousines de Julde, aînées et cadettes, et les co-épouses de Julde, femmes de son père à lui Usu. A celle qui l'enfanta, il dit: Neene; aux autres, il dit: Neene une telle, ou Neene ; toutes sont ses neeniraaɓe, singulier: neeniraawo. On dit encore: yumma ou yummiraawo, pluriel, yummiraaɓe: terme noble: jiidho.
Baaba: père.
Usu a pour pères: Allay, qui était l'époux de Julde au moment de sa conception, et qui l'a légalement engendré, et aussi tous les frères de Allay, et tous les cousins de Allay. Il leur dit à tous: Baaba, ou Baaba un tel; ou encore il emploie pour ses oncles paternels (qui peuvent n'être que des cousins consanguins de son père au sens français du mot) les noms de rang:

Baaba ou baabiraawo, pl. baabiraaɓe; ou berraawo, pl. berraaɓe ou bappaadyo, pl. bappiraaɓe. (Chaque terme de parenté a une forme courte et une forme longue, en -iraawo.)
Pour toutes ces mères, pour tous ces pères, Usu est un ɓiɗɗo: un fils.
Ɓiɗɗo: enfant.
Usu est le ɓiɗɗo, non seulement de Allay et de Julde, mais encore de tous ceux et celles auxquels il dit: Baaba et Neene.
Ɓi ou ɓiɗɗo, pl. ɓibɓe. Terme de respect: geɗalɓe.
Si Allay veut dire qe Usu est son fils selon la chair, il dira:

Musidɗo: frère.
A vrai dire, c'est un terme général, désignant étymologiquement ceux qui ont sucé la même mamelle (muynuɓe) : aujourd'hui, il signifie parent à un degré quelconque dans la même génération; mais le plus souvent, on dit:

Liens sociaux autres que ceux du sang

En dehors de la parenté consanguine (gorol) de la parenté utérine (deyol), des alliés (esiraaɓe), les individus connaissent encore d'autres liens sociaux qui peuvent être notés ici.

Les gens dans la maison (yimɓe nder suudu)

« Ce sont ceux qu'on a trouvés dans la famille, ceux qui existent avec nous depuis le début du monde 15; ceux qui ont été créés avec nous ».
Ce sont des familles clientes, à qui d'ailleurs on s'alliait par mariage et dont les ancêtres s'étaient soumis aux ancêtres de la famille patronne.
Ces relations pouvaient ainsi d'établir:

  1. Entre conquérant et possesseur primitif du sol
  2. Entre conquérant installé et immigrés postérieurs à la conquête
  3. Entre le conquérant militaire et « ceux qui sont venus avec l'encrier » (savants religieux qui servaient de chapelains et de conseillers juridiques)
  4. Entre le conquérant et des marchands, « ceux qui sont venus avec leurs paniers de portage » et qui commerceront dorénavant de compte à demi avec leurs protecteurs
  5. Entre le conquérant et des artisans spécialistes, ouvriers en cuir, par exemple, qui travailleront pour la famille patronale;

Et, d'une façon générale, entre forts et faibles; les waawaaɓe (les faibles) se mettaient sous la protection héréditaire d'une famille puissante (waawuɓe).
Ces familles échangeaient des services, des cadeaux, et, dans certains cas, des épouses.
Si le patron, ambassadeur du souverain dans une province, avait reçu des présents au cours de sa mission, il en faisait profiter les clients héréditaires de sa famille; de même s'il revenait de la guerre avec du butin: s'il allait en guerre, les clients aidaient à son équipement, lui offraient une monture, etc..., et l'accompagnaient. S'il avait des démarches matrimoniales à faire, les clients fournissaient des suivants ou des intermédiaires, les porte-parole si fréquents dans la vie soudanaise, où l'on évite les démarches directes. Quand on tuait un animal pour un sacrifice ou pour une fête, le sacrificateur était, de droit, pris dans telle famille cliente, il avait droit à la peau et à tel ou tel morceau. Dans telle famille se recrutait le porteur de timbale, insigne et organe du commandement; telle autre fournissait le porte-étendard; ceux-ci offraient des gardes-malades, des guérisseurs, etc..., pour le souverain. Privilèges et obligations étaient héréditaires.

Le possessif de propriété et de solidarité

Pour tous ces gens, on emploie le possessif : les patrons disent: nos Uururɓe, nos Ferobɓe, nos cordonniers, nos marchands, nos chapelains; et les clients disent: nos seediyaaɓe, nos Peuls, nos maîtres, etc...
Tous avaient conscience de former un bloc d'alliés dans le passé et dans l'avenir.

Maîtres et serfs

Il convient naturellement de noter ici le lien qui unissait les maîtres à leurs esclaves et à leurs serfs : lien qui était d'ailleurs conçu comme une sorte de parenté, puisque, comme nous l'avons vu, les notions de parenté et d'appartenance se confondent 17 (Cf. IV bis).

Evolution moderne

Les organisations héréditaires n'étaient pas forcément groupées géographiquement: si les artisans et les marchands, comme les serfs, étaient généralement logés non loin des familles. patronales, beaucoup de clients et de sujets, habitaient très loin de celles-ci.
Les découpages administratifs et la politique indigène française ont été pour beaucoup dans la désagrégation de groupes sociaux qui d'ailleurs se disloquaient d'eux-mêmes.
Aujourd'hui le besoin de protection militaire, économique et politique se fait moins sentir; il ne subsiste plus guère que des relations de politesse, maintenues seulement par les gens « bien élevés ».

Suzerains et vassaux dans la Fédération du Fouta

En dehors des « gens de la maison » proprement dits, tous les « faibles » d'une province relevaient de familles supérieures, lesquelles relevaient à leur tour de familles suzeraines habitant la province centrale de Timbo, l'« Amont » et l'« Aval » du Bafin « (dow maayo et ley maayo). Ces familles suzeraines étaient à la fois des collèges de grands électeurs, des introducteurs auprès du souverain, l'Almaami, et des hôtes obligatoires, lorsque les provinciaux de leur fief venaient à la capitale.
C'était bien une sorte de féodalité, mais fondée sur l'hérédité du vasselage entre familles, non sur la terre.

Termes exprimant l'alliance

D'une façon générale, le parentage du conjoint est désigné par le mot: esiraaɓe, les beaux-parents, père et mère du conjoint et, par extension, tout leur groupe. Cependant, des parentés spéciales existent vis-à-vis de ceux que nous appelons beaux-frères et belle-sœurs.

Frères et sœurs des conjoints (et par extension leurs cousins). Exemple: Amadu épouse Fatumata.
Pour Amadu:

Pour Fatumata.

Conjoints des frères et sœurs (Et. par extension, leurs cousins). Pour toute personne.

On le voit, ces parentés sont réciproques:

Attitude à observer envers les alliés

  1. Les 'esa (pl. esiraaɓe) sont des parents « respectables » vis-à-vis desquels est prescrit une attitude et une conduite spéciale, faite de grande politesse, de contrainte aussi. Toute familiarité est proscrite 18.
    Le gendre (esiraawo) doit à son beau-père (esiraawo), en dehors des « compensations » spéciales avant le mariage, certains services (v. II).
  2. Les ƴeeka (pl. ƴeekiraaɓe) sont des parents « familiers », avec lesquels on peut plaisanter sans vergogne; les ƴeekiraaɓe du sexe féminin sont des conjoints éventuels, en cas de veuvage (v. lévirat, II).
  3. Les keyna (pl. keyniraaɓe) sont aussi des parents « familiers » et les keyniraaɓe du sexe féminin sont des conjoints éventuels (v. sororat, 11).

Les relations avec le groupe des beaux-parents seront étudiés à la section II ( mariage).

Les hiérarchies familiales

Le sens du respect, sinon de la discipline, est généralement très fort. Chaque personne doit le respect:

  1. Aux générations antérieures, pères et anciens (baabiraaɓe et mawɓe)
  2. Aux aînés de sa propre génération (mawniraaɓe)
  3. Aux beaux-parents: esiraaɓe, c'est-à-dire ceux auxquels le conjoint doit lui-même le respect.

En revanche, on notera une nuance d'affection spéciale entre baaɗiraaɓe et kaawu, les neveux et l'oncle maternel et surtout une parenté dite à plaisanteries entre cousins croisés, fils d'un frère et d'une sœur (les denɗirɓe, issus des bandiraaɓe) ; ceux-ci peuvent être plaisantés à l'aise, voire insultés.
Relations analogues entre une partie des beaux-frères et des belles-sœurs.
Relations analogues entre les membres des « tribus »: Bari vis-à-vis des So, Diallo, vis-à-vis des Ba.

Notes
1. Le dambugal peul, mot et chose, est calqué sur le bolonda malinké; ce dernier d'ailleurs plus discipliné.
2. Parfois aussi on y comprend le bétail, comme dans la famille romaine.
3. Mot poullo-mandingue : maliki-si : race [Erratum: il faut lire plutôt nom, lignéeT.S. Bah] de Maliki, en mandingue; ɓe, suffixe du pluriel de la classe humaine en peul ; exemple : Fulɓe, les Peuls; à Bandiagara, on dit de même :Talisiiɓe, descendants d'El-Hadj Omar, Tal.
4. Sans doute: Sayyidi - Sidi, seedi, seeri : doublets mandingues issus de l'arabe
5. Cet emploi d'un langage réservé aux supérieurs est d'origine mandingue.
6. Surtout: le nom de Mahomet (et ses équivalents), des autres prophètes, les quatre califes justes, les anges, le mot 'abd (esclave) suivi d'une épithète divine ; et, pour les filles, le nom des femmes de la famille de Mahomet, mère, nourrice, fille, épouses.
7. Père du galle.
8. Mère du galle.
9. C'est le nom de groupe qui fait connaître le plus souvent la classe sociale des individus.
10. Mot à mot : sont à la limite de la parenté.
11. Ɓiɗɗo : enfant, sans distinction du sexe : le peul n'a pas de féminin, et sauf termes spéciaux ne distingue pas les sexes.
12. Un esclave qui veut changer de patron va fendre l'oreille de celui dont il désire devenir l'esclave : on peut donc appeler « fendeur d'oreille » celui qui cesse d'appartenir à une maisonnée.
13. En fait depuis le XVIIIe siècle, quelquefois moins, quelquefois plus.
14. Tendance poussée si loin qu'elle aboutit à la formation de castes dont le rôle essentiel est d'assurer les relations entre les familles et les états (jaawamɓe, maabuɓe, etc.).
15. On dit: men jeydaa fulɓe, men jeydaa enɖan, c'est-à-dire: nous n'appartenons ni aux mêmes maîtres, ni à la même parenté physique.
16 Les obligations paraissent être aujourd'hui moins rigoureuses : elles ont été atténuées par l'Islam et elles sont naturellement moins fortes lorsque les beaux-parents sont des parents, dans le cas fréquent du mariage entre cousins.