Publication du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'Afrique Occidentale Française
Librairie Larose. Paris, 1939. 124 pages
La propriété ne paraît pas, d'abord, nettement définie. Les rapports entre l'homme et les autres hommes, entre l'homme et les objets, entre l'homme et la terre, sont exprimés par un même mot : jeyal qui désigne toutes les appartenances de l'homme. On dira:
Tous ces droits sont des droits de propriété.
Dans les trois premiers cas, c'est « un droit d'usage, fondé sur l'habitude
héréditaire de se servir de telles familles, de telles terres, parce
que l'on a trouvé terres et gens utilisés par ceux qui sont venus
avant soi ». Ces droits sont collectifs et inaliénables.
Dans les trois derniers cas, il s'agit d'un droit individuel, entraînant la
libre disposition de la chose appropriée. « Ce droit peut avoir été acquis
par héritage, mais aussi par achat, ou par le travail du propriétaire ».
D'autre part, l'indigène distingue fort bien la simple possession (jogagol),
ou le simple usage (huutorgol), de la propriété proprement
dite (jeyal) qui est un droit, tandis que les deux premiers ne sont que
des états de fait.
Les richesses, jawdi et jawle (étymologiquement:
bélier; cf. pecus, pecunia), correspondent à peu près à nos
meubles. Ce sont des choses transportables, aliénables, appropriées
individuellement, les seules qui soient évaluées et partagées
lors des successions réglées selon le droit musulman.
Ce sont :
Les deux premières catégories sont de beaucoup les plus importantes;
auprès d'elles le reste est négligeable dans le dénombrement
des fortunes ou des héritages. Le vrai capital; c'étaient les hommes
et le cheptel bovin. Chaque fois qu'un enquêteur parle de propriété ou
de régime successoral, les informateurs répondent: bétail,
et surtout: serfs, et ils ajoutent: « Aujourd'hui, il n'y a plus de propriété »,
puisque la servitude est abolie.
Bestiaux et serviteurs sont les jawdi dariindi (ou encore yahoori),
c'est-à-dire des richesses debout, sur pied ou qui marchent: le cheptel.
Les choses inanimées sont les jawdi wirniindi (cachées) ou leliindi (couchées). « Les
dariindi, tout le monde peut les voir dans ton parc et dans ton runde, tandis
que les wirniindi, tu peux les cacher dans ta cave ou dans un coffre ».
Cette distinction est importante en matière de dépôt, de gage;
elle détermine la responsabilité du dépositaire.
Sont biens féminins par leur nature: les vêtements féminins,
ustensiles ménagers en bois, poterie, vannerie, calebasses. Les produits
des jardins potagers, tubercules, condiments. Les biens féminins se transmettent
de femme à femme, de mère à fille, etc., et c'est par cotisations
féminines qu'ils sont constitués au profit des jeunes mariées.
Naturellement, une femme peut avoir la propriété de biens masculins
(bétail etc.), mais elle n'en dispose pas librement. Les ustensiles d'origine
européenne et les bijoux sont des biens masculins qui sont seulement confiés
par les hommes aux femmes.
Le mari peut réclamer quelque chose dans les biens féminins, en cas
de divorce ou de veuvage: si leur travail commun a contribué à produire
les fruits du jardin potager, par exemple.
En dehors des jawdi, le sol et ses aménagements représentent évidemment
une valeur, mais ne sont ni aliénables, ni héritables individuellement.
Les idées élaborées au Fouta Djallon au sujet des relations
entre la Société et le sol proviennent de deux sources:
Le droit musulman a ajouté aussi la notion de « vivification »,
en peul wurnitugol, comme faisant acquérir des droits au « vivificateur ».
Il s'agit là d'une plus-value donnée au sol naturel, par la plantation
d'arbres et l'édification de maisons durables: celle-ci assure au possesseur
un droit durable d'occupation, même sur un sol prêté.
La croyance aux génies, occupants du sol, est orthodoxe: les djinn (en
peul: jinnaaji) n'ont fait que remplacer la grande « mère-brousse » des
malinké.
Le sacrifice du défricheur ou sadaka. « Lorsqu'un laboureur veut défricher un morceau de brousse, une futaie vierge, ou qui paraît telle, il fait une sadaka, de bouillie et d'un poulet blanc, en disant:
« Vous qui habitez ici, ne vous en allez pas; je ne veux de mal ni à vous ni à votre famille; je ne suis pas venu pour gâter votre demeure, mais pour en tirer seulement ma nourriture et celle des miens ».
Et encore:
« Que Dieu nous fasse échapper au mal et aux dangers qui sont dans cette futaie ! ».
Quelques arbres formant bosquet sont épargnés, afin que les « invisibles » s'y réfugient; c'est le « su'un » de la terre, la partie taboue et dangereuse. Les hameaux et les paroisses ont aussi un ou plusieurs lieux sacrés (hormaaku) connus des Anciens. Quoique plus solennelle pour un défrichement
de sol vierge, la sadaka est cependant de règle pour tout début
de culture, même sur une ancienne jachère. C'est là-dessus que
se fonde le droit du maître du sol, jom-leydi ; celui-ci est souvent
un autochtone et donc un sujet des Peuls conquérants; les maîtres du
sol sont des Peuls waawaɓe, « impuissants », placés au
bas de l'échelle sociale.
En théorie Karamoko Alfa , le
chef de la guerre sainte du XVIIIe siècle, n'a retiré la propriété à personne
; tous les droits antérieurs à la conquête ont été maintenus,
parce que c'est Dieu qui les avait établis. « La propriété du
sol restait intacte. Les occupants restaient sur les terres qu'ils cultivaient ou
que leurs ancêtres avaient cultivées et les conquérants « bien
qu'ils aient la propriété des gens, les priaient de leur accorder
telle ou telle parcelle de terre pour y habiter et y cultiver ».
C'est ainsi que, près de Diolake, les Sempiyaɓe ont prêté des
terres à Karamoko Alfa: ce prêt dure encore à l'heure actuelle
et le bénéficiaire est l'Almami régnant.
C'est dire que le droit des maîtres du sol est assez illusoire.
« Celui qui est possédé ne possède même pas ce qu'il porte sur la tête ».
Le droit éminent du souverain (Almami)
A qui appartient le sol ?
« A tous les gens, chacun en possède quelque chose; mais à chaque chef, qui est nommé par les gens, est confié ce sol».
Celui sur qui le choix de tous s'est porté, disant :
« Aujourd'hui, nous tombons tous d'accord sur l'élection de X. C'est lui le chef des croyants; c'est lui qui nous possède, qui nous possède nous et la terre, ensemble, la terre en long et en large, parce que cela lui a été confié, depuis qu'il a été fait le successeur du Prophète, son Khalife, l'Abbasside » 2.
Celui-ci, après son enturbannement, dit :
« C'est la part de mes ancêtres qui m'a été rendue; moi, à mon tour, je rends à chacun son bien, qu'il l'administre comme un berger fait paître son troupeau, qu'il l'administre selon la Loi; son enclos, son parc à bétail et sa bergerie ; que celui qui pénètre dans ces trois endroits avec un mauvais dessein soit saisi, qu'il me soit amené, que le Livre soit lu entre le propriétaire et l'intrus ».
On voit dans quelle mesure le Souverain était le maître éminent du sol et le protecteur des droits particuliers de ses sujets.
« Mais le Maître Unique, c'est Dieu (Jeyɗo, le Propriétaire est une des épithètes classiques qui le désignent). Celui dont la propriété n'a pas de fin, tandis que celle des hommes périt en leurs mains et leur échappe par la mort ».
Le droit foncier n'a jamais acquis ici les caractères absolus atteints par la propriété mobilière individuelle exercée sur les jawdi. Cela tient à la faible valeur des terres, vu la faible densité de la population, les méthodes de culture et à la conception familiale de la tenure des terres et des habitations.
La terre et ses différents états
La brousse. wulaa : la brousse déserte et inculte, comme il en existe surtout aux frontières du Fouta Djallon ; buruure - la brousse entre les lieux habités.
Le sol cultivé.
Le sol habité.
Au point de vue juridique, les plus importants de ces termes sont: l'enclos et l'ancien enclos: hoggo, saabeere ; le champ et l'ancien champ : ngesa, fakkeere. Car ce sont les deux sortes de terrains revendiqués par le parentage : ils sont cultivés ou habités par les Anciens.
Les chefs d'enclos (ɓeynguure, galle) dépendent d'un parentage (musidal, gorol) qui est lui-même une subdivision d'une « race » (lenyol). [Erratum: il faudrait lire lignée plutôt que race. — T. S. Bah]
Ces « races », groupées autour d'une mosquée (juulirde),
occupent le territoire d'une paroisse (misiide), qui fait partie d'une province (diiwal) du Fouta Djallon.
La misiide, chef-lieu du territoire communal, n'est qu'un hameau central qui possède la mosquée ; tous les habitants sont éparpillés sur le territoire en hameaux (marga, des Peuls, et runde, des serfs) 3.
Les « races », au nombre d'une douzaine ou plus, se groupent en deux, trois, souvent quatre « quartiers »: teekun (par exemple « ceux du Haut », « ceux du Bas », « ceux de l'Amont », « ceux de l'Aval », « ceux de la Vallée », etc.), sous la direction d'une fraction suzeraine par quartier; les « impuissants » suivaient leurs patrons.
Toute la terre est appropriée, qu'elle soit cultivée ou non. Partout
on peut dire: « ceci est à telle misiide; son territoire finit
ici, ensuite commence la terre de telle autre misiide ».
Sur le territoire de la misiide, tout le sol appartient à la communauté paroissiale,
chaque « race » ayant des droits sur les terres de ses ancêtres,
et, dans chaque « race » chaque parentage connaît les terres de
l'aïeul. Seulement la répartition est irrégulière ; les
terres habitées, cultivées ou l'ayant été, sont des îlots
dans la brousse vierge ou redevenue telle et un plan cadastral montrerait souvent
l'enchevêtrement des parcelles appartenant à chaque race, éparses
le long des cours d'eau, au fond des vallées, au flanc des collines, entre
les plateaux latéritiques, les pentes rocheuses et les marécages.
Partout où il n'y a pas trace de culture ou d'habitation et après entente avec les occupants des terrains cultivés, un nouveau venu peut obtenir l'autorisation du chef de paroisse (celui-ci étant généralement le chef de la « race » issue du fondateur de la misiide) d'habiter et de cultiver. Cette autorisation serait gratuite, selon les uns; selon d'autres, il est bon de faire un cadeau (« laaroogal ») au chef de misiide... Les terres étant abondantes, « le nouveau venu est le bienvenu, car en défrichant un peu plus on écarte les singes et les oiseaux; un champ isolé dans la brousse est très difficile à garder; les champs se protègent les uns les autres, et cela fera des bras de plus pour les services d'entr'aide collective (kilee) ».
On l'a dit, les droits d'usage sur les terres sont hérités par les membres de la famille, de la même façon que les alliances, les privilèges et obligations héréditaires vis-à-vis des autres groupes sociaux, droits politiques, etc., parce que ces droits fonciers, d'occupation, d'habitation et d'exploitation dépendaient de la force du groupe : « Ce sont des groupes sociaux qui occupent un pays, non des individus ».
Evolution. D'autre part, l'individu veut disposer de toutes les valeurs échangeables qu'il possède, même la maison et le terrain dont il n'est que l'usufruitier ou le gérant temporaire, et le droit foncier devient personnel et aliénable lorsque toutes les valeurs sont devenues monnayables; on ne pouvait devenir propriétaire qu'en s'incorporant au groupe propriétaire; mais aujourd'hui, où les groupes se désagrègent, la propriété foncière individuelle s'établit peu à peu.
On commence à considérer comme valeurs aliénables les arbres
fruitiers et les constructions ; les parcelles cultivables auront le même
sort.
Mais la morale commune réprouve encore les ventes d'enclos; même s'il
s'agit d'un enclos fondé par son occupant, planté par lui en orangers
et en manguiers, contenant des cases bâties par lui; son parentage verra d'un
mauvais oeil la vente de l'enclos ; s'il ne veut pas l'utiliser pour lui-même,
ne pourrait-il y installer un parent, un cadet, un fils, un neveu, des cousins ?
C'est un tort fait au parentage tout entier: la terre vient des Anciens et doit
aller aux descendants.
Cueillette, affouage, puisage, pâturage, chasse, pêche
Tout ce qui se trouve dans la brousse, que ce soit la grande brousse déserte
(wulaa) ou les espaces non cultivés dans la zone habités (buruure),
est à tous ceux qui se l'approprient.
Produits végétaux spontanés, bois de construction, de menuiserie,
de chauffage, herbe de pâturage, paille à toiture, feuilles à vannerie, écorces à corderie,
fruits, racines, etc. : celui qui les recueille en a la propriété,
d'où qu'il vienne.
Il semble cependant que ce n'était qu'une tolérance et que les habitants
des hameaux protestaient si des abus se produisaient: « le signal des cueillettes était
donné dans chaque groupement par les Anciens: chef du hameau, chef de la
paroisse, etc. ».
Certaines essences, comme le netehi ou nere (parkia biglobosa) étaient
considérées comme appartenant aux propriétaires du terrain,
au moins dans les champs et jachères.
Le gibier gros et petit est à celui qui le capture; le souverain se réserve
la peau des fauves: les battues annuelles, les destructions de singes sont organisées
par les Anciens.
Pour le poisson, tout le monde peut le pêcher dans les rivières; sur
certains marigots, les riverains se réservent le droit de faire des barrages
et de disposer du poisson pris à la baisse des eaux.
L'eau n'est pas appropriée, sources et rivières sont à tous
; mais les puits creusés dans les enclos sont à celui qui les a fait
creuser et à ses héritiers.
Le parentage, composé des chefs de galle issus d'un même aïeul, forme une communauté, sous la présidence d'un Ancien, l'aîné des membres vivants. En matière foncière:
« Il n'y a pas de champs collectifs. Il y a parfois travail collectif;
les gros travaux, défrichements, labours, récoltes, étaient
souvent faits par kilee, équipes de parents, de voisins, de compagnons
d'âge ou de serviteurs. A charge de revanche bien entendu. Mais : à chacun
son champ et sa récolte ». Des frères peuvent ainsi s'entendre
pour travailler les uns chez les autres, leur père et l'aîné d'entre
eux ayant la priorité à cause du respect qu'on leur porte. Le prêt
d'un terrain ne peut être effectué sans que l'Ancien en soit informé et
ait donné son consentement. Le rôle de l'Ancien, gérant de la
communauté familiale, se borne donc le plus souvent à un rôle
présidentiel: rien ne peut se faire sans lui, il ne peut rien faire tout
seul.
L'habitation étant très dispersée chez les Peuls, il arrive
souvent que les cultures d'un même parentage soient éparpillées,
ce qui rend l'autorité de l'Ancien, ou mawɗo, encore plus illusoire.
Il se produit alors des délégations, tacites ou expresses, du patriarcat,
aux aînés des groupements locaux, à charge de rendre compte
des décisions graves. « En fait, on se perd de vue, si on habite trop
loin les uns des autres ».
Les jachères des ancêtres (pakkeeji mawɓe) sont les terrains
qui ont été défrichés par un aïeul, aussi loin
que le souvenir des vivants peut remonter; il n'y a pas prescription, tant que les
témoignages peuvent être fournis; mais la brousse vierge est libre;
c'est « la jachère du Prophète Salomon » !
Si l'usufruit est « la jouissance des fruits, du revenu, des intérêts d'un capital dont la propriété appartient à un autre », on peut dire que l'usufruit des terres appartient aux membres vivants du parentage et que la propriété appartient au lignage ancien et futur, c'est-à-dire aux ancêtres et à la postérité, considérés comme formant un tout.
Mais un droit moderne se crée autour des postes administratifs; les fonctionnaires, les employés, en activité ou en retraite, tous « gens du service », les artisans et les commerçants, bref tous les indigènes qui mènent une vie citadine en sont les auteurs. Ils font des jardins, bâtissent, enclosent leur terrain : appelés à se déplacer, ils prétendent monnayer ce qu'ils ont acquis et la vente et le louage des parcelles bâties sont fréquents. S'agit-il du fond lui-même ou de ses aménagements de surface? Dans la pensée des vendeurs et des acquéreurs, il s'agit évidemment du droit d'occuper et de jouir de la possession, sans être troublé par quiconque, et d'une façon permanente; peu leur importe la qualité juridique de leurs droits. Mais que devient en ce cas le droit de la communauté villageoise, de la misiide ? Les étrangers l'ignorent totalement; ce sont des « évolués » qui gravitent autour des Européens et profitent de leur prestige. Qu'il y ait parfois des abus de pouvoir, c'est probable; personne ne proteste, par timidité et parce que le voisinage des nouveaux venus est indésirable: mais le peu de densité de la population rend les conflits sans acuité, jusqu'ici du moins: les gens lésés vont ailleurs.
On a vu, en étudiant la classification des biens, ceux qui sont considérés comme jawdi et qui ont toujours été considérés comme biens individuels. Ce sont tous des capitaux détachés de la nature, rendus par l'homme utilisables et échangeables (y compris les animaux et les hommes « domestiqués »). Nous avons vu que le sol n'en fait pas partie, au moins en droit ancien. Les arbres et les constructions forment une catégorie intermédiaire.
Arbres à fruits. Les arbres fruitiers cultivés, manguiers, orangers, colatiers, caféiers, etc., ont toujours, ainsi que les plantations de bananiers, un propriétaire individuel. Parfois même, s'il s'agit d'arbres peu communs, il est spécifié que les branches de l'ouest sont à X, les branches de l'est sont à Y, pour un colatier par exemple; ce sont des arrangements familiaux.
Maisons. Les constructions d'un caractère définitif, comme la maison de banco et de chaume, dite wageeru, font acquérir au bâtisseur des droits sur le terrain qu'il occupe, même à titre précaire; le propriétaire d'un enclos doit avertir son locataire qu'il se réserve le droit de l'expulser, mais s'il laisse l'occupant « vivifier » le terrain (wurnitugol), il ne pourra plus réclamer. Cette notion vient du droit musulman.
Champs. Le champ de- plantes annuelles (riz, fonio, millet, maïs, etc ... ) est soumis au droit foncier familial ; une fois la récolte enlevée, ces cultures ne font acquérir aucun droit nouveau, si le cultivateur n'est pas le défricheur initial ou son descendant.
En matière de terrain, il n'y a de propriétaire que le défricheur,
c'est-à-dire celui qui a coupé les arbres spontanés de la brousse
vierge (leydi, jeyɗo 'alaa, si wanaa soppuɗo) ».
« Mais la récolte, grain et paille, est au cultivateur parce que c'est
le fruit de son travail: elle est à lui, même s'il a usurpé le
terrain, et il ne peut être expulsé qu'après l'enlèvement
des fruits ».
Bétail. Le bétail est approprié individuellement;
pourtant, on a parfois l'impression qu'il existe un troupeau familial, ou même
tribal, collectif, mais ceci est dû aux méthodes d'élevage.
Les bovins sont parqués en saison sèche dans un dingira, près
des habitations; on dit: le parc de X, mais chaque bête a un propriétaire,
c'est le parc seulement qui est commun, soit à un ɓeynguure, ou ménage,
soit à un parentage, soit à un hameau tout entier.
Les femmes sont chargées des soins à donner aux bestiaux, aidées
par des enfants et des serviteurs. Elles sont d'ailleurs propriétaires d'une
bonne partie des animaux, à titre de dots, douaires, achats personnels, donations,
etc., si bien que, dans le parc de Untel, Untel peut très bien ne pas avoir
la propriété « d'un seul poil », et n'avoir que le titre
et les droits d'un administrateur. 1
Cependant, quoique incontestables en droit, les droits féminins sont quelquefois
traités légèrement, et le troupeau prend alors toutes les apparences
d'un bien collectif géré par le chef de famille. Pendant les cultures,
les habitants des hameaux envoient souvent leurs animaux paître sur les collines,
loin des champs; les bergers y campent tout l'été, autrefois sous
la surveillance des épouses (qui répugnent aujourd'hui à faire
ce métier). Parfois, tous les habitants d'une région s'entendent pour
réunir leurs animaux dans ces campements de saison des pluies (wuro, gureele).
Les Anciens possédaient autrefois de gros troupeaux ; au cours de leur vie,
ils avaient vu croître leur cheptel, grâce à un élevage
heureux, grâce aux héritages familiaux, à la gestion des biens
de mineurs surtout: mais il n'y avait pas pour cela de troupeau collectif. Aujourd'hui,
ces grosses fortunes en bétail ont disparu ou beaucoup diminué.
Remarque. Cette appropriation individuelle des bêtes apparaît en matière de dommages. Il peut arriver qu'un Ancien, administrateur du troupeau, désigne un taurillon à remettre comme compensation au propriétaire du champ où des dégâts nocturnes ont été commis; mais, ou bien ce taurillon lui appartient, ou bien l'Ancien est tenu d'indemniser son propriétaire.
Basse-cour. Le petit bétail est toujours approprié, ainsi que les poulets ; confié aux soins des femmes il leur appartient souvent et constitue leur pécule, ainsi que celui des pauvres gens.
Bijoux. Les bijoux de valeur sont aux hommes, en règle générale, Ceux-ci en parent leurs épouses, mais en restent propriétaires.
Numéraire. Le numéraire est rare et ne compte guère dans la composition des fortunes indigènes ; il est naturellement approprié avec âpreté.
Etant donné l'absence de charroi, la dispersion des parcelles cultivées, la question des servitudes de passage ne se pose pas. On peut cependant noter ici que les pistes fréquentées ne peuvent être supprimées par les propriétaires des terrains qu'elles traversent. On admet un léger détour, s'il s'agit d'un petit sentier peu fréquenté et s'il n'y a pas de gêne sérieuse pour les usagers. S'il s'agit d'un sentier d'intérêt général (ballaŋal), il ne peut pas être touché. Celui qui enclôt un champ traversé par un sentier doit ménager des ouvertures (narrugol) dans sa haie pour permettre le passage des piétons.
Cours d'eau. Les riverains d'amont doivent payer à ceux d'aval tout dommage causé par eux et remettre les choses en l'état. Ils ne peuvent accaparer à leur profit l'eau d'une rivière ou d'une source.
Qui peut être propriétaire à titre
personnel ?
Ici reparaît la notion de propriété des hommes sur d'autres
hommes, admise au Fouta Djallon. Par conséquent, ce qui est possédé par
une personne, elle-même possédée par une autre personne, est
la propriété de cette dernière : « Celui qui est possédé,
la charge qu'il a sur la tête n'est pas à lui ». Etaient dans
ce cas les femmes, les enfants non émancipés, les serfs et, à un
moindre degré, les sujets et clients divers des puissants. On peut y ajouter
les fous et les idiots, ceux qui ne sont pas « complets », les diminués
('uytiiɓe).
L'épouse. Les femmes possèdent, en principe, leur douaire et leur dot, qu'elles tiennent du mari et de leur père, mais on ajoute : « Elle n'a la propriété de rien, puisqu'elle n'a pas la propriété d'elle-même; elle est la propriété de son mari ». En fait, elle a un pécule (kasubu), qu'elle accroît des profits de la vente du lait des vaches et des produits du jardin, du coton filé, etc... Elle en dispose à son gré, s'achète des chèvres, des moutons, etc.. Le mari ne s'en mêle pas; il est vrai que, souvent, l'épouse prend soin de confier le produit de ses bénéfices à sa mère ou à une amie.
L'enfant. L'enfant non émancipé ne possède, en théorie, rien en propre. En fait, il se constitue un pécule et son père l'y encourage quelquefois; souvent aussi son père, son oncle maternel, sa mère ou un parrain généreux lui donnent quelques génisses, dont le produit s'accroît à mesure qu'il grandit, lui constituant un troupeau à sa majorité. L'enfant qui touche un salaire ou qui fait un petit commerce doit en faire profiter ses parents; c'est une question de morale filiale plus qu'une obligation juridique: s'il n'est pas logé chez son père, il arrive souvent que l'enfant garde tout ce qu'il gagne pour lui.
Le serviteur. Les serviteurs se constituaient eux aussi un pécule
auquel le maître ne touchait pas, quoi qu'en théorie il eût pu
le faire; il se rattrapait d'ailleurs à la mort du serf en prélevant
la grosse part.
Pour ces catégories de personnes, les tendances individualistes, et surtout
l'introduction du numéraire facile à cacher, à transporter, à dépenser,
ont beaucoup contribué à la formation de la propriété individuelle
des personnes en tutelle, épouses et enfants.
Pour les serviteurs, la question ne se pose plus.
Les fous et les « diminués » congénitaux ont un tuteur
qui doit les entretenir; sinon, ils sont à la charge du souverain (beït
el mali: Trésor de l'Etat). Ils ne possèdent rien en propre.
Notes
1. Conception antérieure à l'abolition de
l'esclavage, bien entendu.
2. L'Almami du
Futa porte le titre d'Abbassiu, l'Abbasside (2e dynastie des Khalifes de Bagdad,
750-1258 J.-C.).
3. Quelques agglomérations de Malinké, Noirs
agriculteurs, étaient désignées sous le nom de saare, comme
les postes administratifs aujourd'hui.
4. Nous entendons par droits réels les droits sur
les fonds, et droits personnels les droits sur les personnes.