Mémoires de l'Institut Français d'Afrique Noire
No. 6 Librairie Larose. Paris, 1944. 84 pages
La mort d' Alfa Yaya fût bientôt suivie d'une réorganisation territoriale des circonscriptions administratives du Fouta-Djallon. Les limites des cercles et des subdivisions, calquées à l'origine sur celles des diiwe, s'en écartaient peu à peu à mesure que disparaissaient les grands commandements indigènes. Dans l'immense territoire dont elle avait la charge, l'administration faisant table rase d'un passé encore récent que les indigènes n'avaient certes pas oublié, découpait et ressoudait au hasard. Il lui arrivait d'assembler ainsi des populations qui avaient toujours été placées sous des chefs distincts alors qu'ailleurs elle séparait des groupements de tout temps unis. Pendant les années qui vont suivre, on assistera à des essais de reconstruction presque toujours entrepris prématurément et qui aboutiront en 1914 au chaos complet.
C'est d'abord un arrêté du gouverneur général Ponty qui crée, le 23 novembre 1912, le cercle de Labé, formé des territoires des anciens cercles de Labé, de Mali et de Tougué.
Pour la première fois le Koïn (chef-lieu Tougué) est rattaché au Labé ; le moment est donc venu d'en faire brièvement l'historique.
Il semble qu'à l'origine la région de Koïn comme le Labé, ait été peuplée de bagas ; puis vinrent les Diallonkés fétichistes. C'est au XVIe siècle qu'apparaissent les premiers hommes rouges, les Dimboubés (au singulier dindimbo). Ces Dimboubés, du groupe des Ourourbés, venaient du Macina sous la conduite d'un certain Tierno Ibrahima et ils s'établirent d'abord à Tolou, dans le canton de Horé-Djima. Suivant une première tradition répandue de nos jours par ses descendants, Tierno Ibrahima était un marabout vénéré au Macina et il n'en partit que pour répandre la bonne parole parmi les mécréants. Son fils Tierno Dioubaïrou, né à Tolou, alla s'installer à Koïn pour y faire connaître le Coran. Là, il eut de nombreux talibés et bientôt il put faire construire la première mosquée du pays, à Koïn-missidi. D'après une autre version, les Dimboubés étaient encore fétichistes lors de leur entrée au Fouta-Djallon. Quoi qu'il en soit, ce sont eux qui ont fondé les villages de Tangali, Fatako, Nienéméré, Horékollé, Kéniéoula, etc…
Ils furent bientôt rejoints par un autre groupe d'Ourourbés, les Koulounankés Balla, originaires eux aussi du Macina et qui étaient conduits par Mama Saliou. Ces Koulounankés étaient d'une classe sociale plus élevée que les Dimboubés, peut être parce que leur ancêtre descendait d'une femme libre alors que les Dimboubés étaient issus d'une esclave. Etymologiquement leur nom signifie « piroguier ». Au XIIIe siècle, au temps des grandes invasions arabes au Macina, il existait sur le Niger près de Tombouctou, une caste d'indigènes chargés d'assurer la traversée du fleuve. C'est la famille des Baldé qui, jusqu'au XVIe siècle, conserve cette fonction ; à ce moment le nommé Mama Hamadi Bhaledyo Saliou Balla ne voulut plus faire métier de passeur et vint avec sa famille s'installer dans le Fouta-Djallon, au village de Kondéya-Kolladé qui appartenait alors aux Poullis fétichistes. Les Koulounankés Balla qu'il amenait avec lui étaient-ils musulmans ? Leurs descendants le prétendent alors que les notables du Labé affirment qu'ils étaient fétichistes et que c'est Karamoko Alfa mo Labé qui les a convertis à l'islamisme. Tout foulah cherche ainsi à se donner de nobles origines pour en imposer aux familles rivales. Après sept années d'études coraniques sous la direction de Karamoko Alfa, Mama Saliou devenu Tierno serait venu s'établir avec ses gens dans la région de Koïn. Là, il fût bientôt rejoint par les Koulounankés Sempi que conduisait Tierno Ousmane. Ce karamoko était allé du Macina dans le Boundou pour accroître son savoir au contact des Toucouleurs ; il vint ensuite avec ses gens se fixer au milieu des Dialloubés fétichistes à Sempi, près de Kankalabé et il y répandit la connaissance du Coran, puis il rejoignit à Koïn les Dimboudés et les Koulounankés Balla.
Comme tous les Foulahs, lorsqu'ils cherchent à pénétrer en pays étranger, les Dimboubés et Koulounankés furent d'abord très prudents mais ils n'eurent d'autre souci, dès qu'ils se sentirent les plus forts, que de se débarrasser des Diallonkés fétichistes et de s'emparer de leurs terres. Les kalidouyabés n'avaient pas fait autrement dans le Labé. Maîtres du pays, ils se partagèrent le pouvoir : l'administration politique et religieuse, c'est-à-dire le commandement, fût réservée aux Koulounankés. Les Dimboubés eurent la justice et la répartition des butins de guerre. Enfin, il fut décidé que Balla et Sempi commanderaient à tour de rôle, mais pratiquement ce furent toujours les plus forts qui eurent le pouvoir. Entre Balla et Sempi existait une rivalité aiguë ; les premiers avaient attaché leur fortune aux soryas, les seconds aux Alfayas. Après Tierno Saliou Balla, considéré comme le premier chef peuhl du Koïn, Tierno Ousmane Sempi prend le commandement et pendant un demi siècle c'est la branche des Sempi qui, sauf une exception, donne des chefs au Koïn. Il semble qu'ils n'aient réussi qu'à épuiser leur pays dans ces expéditions sans fin contre les Diallonkés et à provoquer ainsi la guerre civile. Leurs successeurs Balla ont conservé le pouvoir jusqu'à nos jours.
Au temps où les Français établissent leur protectorat sur le Fouta-Djallon, le diiwal de Koïn comprend :
La population totale est d'environ 55.000 habitants dont :
Le premier document officiel relatif au Koïn est un télégramme en date du 29 juillet 1899 adressé de Castel français (Ditinn) au gouverneur de la Guinée par le résident du Fouta-Djallon; il y est dit : « Commis Rauche arrivé hier. Formons cercle Castel français qui comprend diiwe Fougoumba, Kébali, Koïn, Koladé et provisoirement les Timbis (Massi, Tounni et Médinah)… A la fin de la saison des pluies aurai honneur soumettre votre sanction les dispositions pour donner à nos cercles existence légale… »
Le 13 janvier 1900, l'administrateur-adjoint Liurette, à la recherche d'emplacement pour son poste de commandement, arrive à Koïn-Dantaré où le chef de diiwal Alfa Abdourahmane le reçoit avec des protestations d'amitié. L'endroit ne paraît pas convenir ; en saison sèche, l'eau manque et en hivernage c'est un marais qui entoure le village. Le 23 janvier, Liurette est à Dabaléa, petit foulasso dépendant de la missidi de Horékollé, situé sur la rive droite de la Kollé, à peu près au centre d'un cirque de 3 kilomètres de diamètre. On ne sait pourquoi, ce foulasso lui plaît ; il décide aussitôt de s'y installer. Son arrivée est diversement commentée ; parmi les notables, les uns se mettent de suite à sa disposition, les autres attendent prudemment. Alfa Abdourahmane affaibli par l'âge et sans grand caractère, se montre docile et laisse faire.
Le cercle de Koïn devait être créé le 23 février 1901 par un arrêté qui constitue le Fouta-Djallon — non compris le diiwal de Labé qui en était détaché — en « région » divisée en quatre cercles. Il comprend alors le territoire qui forme de nos jours la subdivision de Tougué et une partie de la région de Missirah, formée des villages de Missirah, Mélia, Maliéa, Yolokouré, Kounda, Firghia et Bagdalia. L'autre partie, la plus riche, située sur la rive gauche de la Kounda, non loin des terrains aurifères et comprenant les villages de Maléa, Sérébaya, Santankoto, Morékondé avait été attribuée au Sénégal lors de la délimitation de 1899 ; l'Alfa mo Koïn ne cessait d'en réclamer la restitution. Quant au Wontofa, il avait été rattaché au cercle de Satadougou dépendant de la colonie du Soudan.
Dès le mois de novembre 1901, le commis des affaires indigènes Fruchard, successeur de Liurette, juge que le poste de Dabaléa est trop éloigné de Timbo et qu'il ne se trouve sur aucune route commerciale ; le chef Abdourahmane voudrait qu'il soit plus rapproché de Koïn où il a ses terrains de cultures. Bientôt Fruchard découvre Kollangui, missidi toute proche de Koïn-Dantari et il y voit l'emplacement rêvé pour un chef-lieu de cercle. En 1902, le nouveau poste est construit à Kollangui, sur un monticule qui domine la plaine environnante, à proximité des misside de Kansangui, Sangaran, Sababia, Gabalan, toutes très peuplées.
L'autorité du commandant de cercle n'est encore reconnue que dans les villages voisins du poste ; le commis des services civils Cugnier, qui a succédé à Fruchard en mai 1902, reconnaît qu'il ne sait absolument rien de ce qui se passe dans les villages diakankés et diallonkés. Le 28 juin 1902, tous les chefs de village sont convoqués à Kollangui pour être présentés à l'administrateur commandant la région ; aucun n'est là. Le commandant de région s'en prend au chef de diiwal et lève la séance sans vouloir entendre aucune explication. Le 30, les retardataires sont enfin arrivés et la palabre a lieu. Elle a pour but d'affermir l'autorité du chef de diiwal mais à la condition que l'appui de l'administration française soit payé d'un dévouement absolu. Il faut donc qu'Alfa Abdourahmane choisisse entre l'autorité française et l'influence des vieux notables qui nous refusent leur sympathie. Plus de compromis. Les chefs devront être dévoués, sinon ils seront éliminés. La justice indigène sera contrôlée par le commandant de cercle qui aura le droit de casser les jugements « faussés » ; en ce cas, le tribunal jugera de nouveau en présence de l'administrateur. Le commandant de région montre ensuite aux chefs la nécessité de faire apprendre le français à leurs enfants; une école va être ouverte. Les cultures devront être développées; des plantations collectives de landolphia seront faites près de chaque village. Enfin, il est distribué aux chefs de missidi des pavillons de couleur jaune, portant la devise arabe « Alhamdoullillaye », et dans lesquels le drapeau français occupe le coin supérieur, près de la hampe. Ces pavillons seront le signe de commandement des chefs. Le palabre terminée, Alfa Abdourahmane remet au commandant de cercle 1.330 francs, montant de la collecte faite parmi les indigènes pour l'érection d'un monument à la mémoire du gouverneur Ballay.
Au mois de janvier 1903, tous les chefs et les marabouts sont, de nouveau, réunis à Kollangui et le commandant de cercle leur explique qu'il est décidé à mettre fin à la traite des captifs. Pour éviter une transformation trop brusque de la société, le gouverneur n'a pas voulu rendre d'un coup leur liberté à tous les captifs, mais il entend que ceux-ci soient traités humainement, qu'ils ne soient jamais un objet de trafic et qu'en aucun cas un homme libre ne soit mis en captivité. Des peines sévères seront édictées contre ceux qui passeraient outre à ces principes ; les chefs eux-mêmes et les marabouts sont invités à se prononcer sur les propositions que leur présente à ce sujet le commandant de cercle. Après discussion il est décidé que l'achat ou la vente d'un captif sera puni de 5 ans de prison : en outre les captifs du vendeur ou de l'acheteur seront libérés. Si l'acheteur et le vendeur font habituellement le commerce des captifs, la peine sera de 10 ans de prison et les biens des condamnés seront confisqués.
Le 1er février 1904, le chef de diiwal Alfa Abdourahmane, meurt à Timbo où il est allé avec le commandant de cercle saluer le gouverneur général. Le 20 février, le commandant de la région du Fouta-Djallon rencontre à Kollangui le nouveau commandant de cercle, l'adjoint des affaires indigènes Cavard et s'occupe avec lui de donner un successeur au chef de diiwal. En présence de tous les chefs de missidi et des notables, il décide de diviser le diiwal en deux zones :
La première zone, dans laquelle se trouve le poste de Kollangui, est habitée par des Foulas disséminés dans tout le pays ; il sera procédé à la nomination du chef de diiwal pour cette partie du Koïn. La deuxième zone dont la population comprend un grand nombre de Diakankés, Diallonkés et Sarakollés groupés en villages indépendants qui, de tout temps, ont cherché à échapper à l'autorité des chefs du Koïn et pour lesquels un chef de province n'est pas nécessaire, sera placée sous la direction immédiate d'un chef de poste relevant du commandant de cercle. Ceci établi, le commandant de la région désigne comme chef de diiwal le frère d'Alfa Abdourahmane, Modi Oumarou, homme jeune et intelligent, ayant rendu des services à l'administration. Ce choix est accueilli avec satisfaction par les chefs de missidi et les notables.
Il restait à trouver un emplacement convenable pour le poste à installer dans la région Est du cercle. Le commandant de cercle choisit le village de Missirah et en remit provisoirement le commandement à l'écrivain indigène Fournier qui prit ses fonctions dès le mois d'avril 1904. Le chef de poste avait comme auxiliaire, un interprète et huit miliciens.
Au mois d'août, M. Liurette vint remplacer M. Fournier ; quelques semaines plus tard, il était atteint d'une fièvre bilieuse et il fallut l'évacuer.
Il semble que l'on ait considéré à Conakry que le diiwal de Koïn n'avait pas une importance suffisante pour constituer un cercle mais en même temps on ne savait à quoi le rattacher ; aussi, à partir de 1905, verra-t-on modifier à chaque instant l'organisation de ce territoire, sans que rien du double point de vue politique et administratif ne justifiât ces transformations incohérentes. C'est d'abord un arrêté général du 14 février 1905 qui rattache le cercle de Ditinn au cercle de Koïn, la nouvelle circonscription ayant comme chef-lieu Kollangui, avec des postes secondaires à Ditinn et à Missirah. En fait, le chef-lieu est bientôt transféré de Kollangui à Ditinn (décision 1er juin 1905) de sorte que ce n'est pas le cercle de Ditinn qui est rattaché au Koïn mais bien l'inverse. Le chef de poste de Kollangui fait alors observer avec raison que la région de Missirah relèvera désormais de Ditinn alors que politiquement elle est une dépendance de Koïn. Pour mettre fin à la contestation, le gouverneur décide d'annexer le territoire guinéen de Missirah au cercle de Dinguiraye.
Le rattachement du Koïn au cercle de Ditinn n'avait pas duré quatre années, qu'un arrêté général du 14 décembre 1908 rétablit l'ancienne organisation ; le Koïn, toujours amputé du territoire de Missirah, devient cercle de Tougué. De Kollangui, le chef-lieu avait été, en effet, transféré, vers la fin de l'année 1906 à Tougué, missidi importante choisie comme siège des services administratifs à cause de sa position centrale dans le Koïn.
Dans l'administration du cercle, le chef de diiwal, Alfa Oumarou, ne joue aucun rôle ; il est tenu à l'écart de toutes les affaires. Le commandant de cercle s'adresse directement aux 97 chefs de villages officiellement reconnus. De ces villages
neuf ont moins de 200 habitants, dix en comprennent de 200 à 300, vingt et un de 300 à 400
Cette division poussée à l'extrême avait été encouragée par les premiers administrateurs et au début elle avait rendu des services en affaiblissant le commandement indigène, mais à partir du moment où l'administration française, ayant éliminé les résistances, résolut de se passer de la collaboration du chef de diiwal et de commander directement, le nombre excessif des chefs de village, leur inconsistance, leur médiocrité même, devinrent une gêne. Chaque ordre du commandant de cercle devait être adressé à 97 chefs et son exécution contrôlée dans 97 villages. La suppression de cette poussière d'unités administratives s'imposait. Le gouverneur Poiret en entreprit alors le regroupement. Le village de Soumpoura est ainsi rattaché au village de Tougué ; les villages de Dambi et Leye-Pandjia sont réunis à Oulenko, le village de Horé-Kolima à Kénia-Maoundé, etc… (arrêté du 15 mai 1912).
En même temps qu'ils cherchent à diminuer le nombre des unités territoriales, misside ou villages, les commandants de cercle (de Kersaint-Gilly en 1910, Dupuch en 1911) proposent au chef de la colonie de diviser le cercle en deux districts :
L'on revenait ainsi, à peu près à l'organisation de 1904. Entre les deux districts la limite proposée était à partir du Bafing, la rivière Kollé jusqu'à sa source, puis la route de Kobi-Tangali à N'Diré jusqu'à sa rencontre avec la rivière Koumbama, puis le cours de cette rivière jusqu'à son confluent avec la Kioma. Les deux districts avaient à peu près la même superficie, mais le Koïn comptait près de 50.000 habitants et le Gada-Kollé 13.000 seulement.
Les raisons de cette division sont de deux sortes. Les commandants de cercle prétendaient que la province de Koïn était trop vaste pour être dirigée par un seul chef, pourtant on vient de voir que l'administrateur du cercle adressait ses ordres directement aux chefs de missidi sans utiliser les services du chef de province. Il s'agissait plutôt de récompenser le chef du village de Tougué, Amadou Baïlo, dont l'administrateur Dupuch écrivait « pour ma part je n'ai jamais rencontré de chef indigène dont le dévouement soit comparable au sien. Il vient chaque jour avec la régularité d'un fonctionnaire. » Les propositions des commandants de cercle ayant été approuvées, Amadou Baïlo devint chef de la province de Gada-Kollé le 1er janvier 1912 et à peine en place, il n'eût d'autre souci que de supplanter son oncle. Ce n'est qu'après la mort de celui-ci, survenue le 14 décembre 1929, qu'il réussit à prendre sa place 1.
Ce cercle de Tougué n'eût qu'une existence éphémère puisque dès la fin de l'année 1912, il est réduit au rang de subdivision et rattaché au cercle de Labé dont il fait encore partie aujourd'hui.
Note
1. Amadou Bailo Baldé est mort à Tougué le 13 avril 1941.