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Taariika / Histoire


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Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon.
La pénétration européenne et l'occupation française.

Tome 2. Conakry. 2003. 73 pages
Elhadj Bano Bah & Tierno S. Bah, eds.


Dans le Labé

Dès l'arrestation de Alfa Yaya et de son fils Modi Aguibou, le diwal de Labé fut divisé en trois provinces :

Modi Alimou, de la famille Séléyâbe de Koubia, fut nommé chef de la province de Labé. Le père de celui-ci, Modi Oumarou Yété, était originaire de Daralabé et avait émigré de son village pour résider, comme ami d'enfance, avec Alfa Ibrahima, père de Alfa Yaya. Comme courtisan de ce dernier, Modi Oumarou Yété avait participé à plusieurs expéditions organisées par Alfa Ibrahima. Quand Alfa Yaya prit le commandement du Labé, il choisit Modi Alimou comme « suivant » et le plaça, lors de l'arrivée des Français, comme son représentant au poste de Labé.

Modi Alimou sut, par son comportement loyal, gagner l'estime des européens qui se succédèrent à Labé. Dès l'arrestation de Alfa Yaya, aucun autre candidat n'avait plus de chance que lui, pour la succession du roi déchu. Il fut donc nommé chef de Labé et fut un serviteur dévoué, ne comptant que sur l'appui du commandant. Dès sa nomination, il prit le titre d'Alfa.

Bientôt, Alfa Alimou qui était considéré comme un chef modeste, presque effacé, n'étant que le porte-parole des blancs, changea de méthode. Il devint subitement un grand potentat. Il combatit sans pitié les organisations de jeunesse qui étaient dirigées par Alfa Bakar Laria, Tierno Siradiou, Tierno Sombili, Modi Abdoulaye Dougountouni, Saïkou Yaya Pellal etc...Il poussa son audace jusqu'à interdire l'organisation de soirées artistiques ou culturelles. Il défendit toute réunion de jeunes. Il compta sur le commandant blanc pour soutenir son action néfaste. Or ce commandant jugea cette action arbitraire comme constituant un abus de pouvoir.

La réaction des jeunes ne se fit pas attendre. Elle fut des plus néfaste pour le Chef de Labé dont les actes de pillages et d'exactions furent portés à la connaissance de l'autorité administrative.. Des plaintes furent suscitées de toute part. Une enquête fut immédiatement ouverte et aboutit à l'arrestation du chef. Jugé par le tribunal de Labé, Alfa Alimou fut condamné à trois ans de prison. Transféré à Fotoba pour purger sa peine, il y mourut quelques mois après son arrivée, dès suites du mauvais traitement qu'il avait subi lors de son arrestation.

A la suite de cet événement, les deux familles Khalidouyâbé, alfaya et Soriya, dont Alfa Yaya est issu, se reconcilièrent de leur ancienne haine qui les divisait profondément. Sous son règne, Alfa Yaya avait choisi un grand nombre parmi eux, pour leur confier des postes de chef de village ou de district.. Dans leurs fonctions, ces chefs continuaient, malgré l'arrestation de celui-ci, à piller leurs administrés. Ils pensèrent que leur reconciliation leur donnerait la chance de reprendre le pouvoir pour engager une résistance contre la nouvelle administration qui portait atteinte à leurs intérêts.

Le commandant de cercle de Labé, mis au courant, eut pour principal souci, de briser le bloc formé par eux, en épurant le commandement des villages et des districts qui était devenu un monopole pour eux. En effet, sur 99 villages que comptait le cercle de Labé, 40 parmi les plus gros, étaient dirigés par les membres de cette famille. Cherchant à gagner la confiance des masses, le commandant traduisit devant le tribunal, la majorité de ces anciens dignitaires, pour exactions.. Il écarta ainsi cette majorité du commandement.

En bouleversant les cadres de la chefferie pour imposer de nouveaux chefs, nouveau genre l'administration française voulut créer, en sa faveur, un nouveau climat dans ses relations avec les masses laborieuses.

L'arrestation d'Alfa Alimou, remplaçant de Alafa Yaya, conduisit l'autorité administrative à supprimer la province et à garder ses contacts directs avec les chefs de village. Cependant, elle créa auprès d'elle, à Labé, cinq postes de représentants, à raison d'un par groupe de villages, pour la transmission de ses ordres à l'intérieur du pays.. Elle installa, en outre, dans le gros village de Labé, le commandement par famille. Cette politique dura jusqu'en 1912, et à cette date, ce système fut condamné en faveur de la création de petits districts ou provinces. Le cercle fut divisé en 22 districts groupant chacun un certain nombre de villages plus ou moins importants, comme le montre le tableau ci-après :

Numéro
Nom du District
Nombre Villages
Chef-Lieu
Nom du Chef Clan
1
Komba
12
Manda Foulbe Modi Bori Balbé
2
Komba occidental
6
Kundu Dhaggi Modi Alimou Djimbalabe
3
Haute Komba
9
Kundu-Tyankoy Alfa Abdoulaye Kaliduyanke
4
Djimma
8
  Modi Sory
5
Koïla
8
Koubia Alfa Bakar Seleyanke
6
Wundu
5
Madina Alfa Bakar Kaliduyanke
7
Wesegele
12
Lafu Modi Siré Wusinayanke
8
Hôré Komba
8
Dalen Modi Gando Séléyanke
9
Haute Kasa
5
Djuntu Modi Bakar Pâtéyanke
10
Misîdé Hindé
7
Popodara Bappa Dyan Kaliduyanke
11
Hôré Djimma
8
Tunturun Alfa Saliou Peredjo
12
Kiyomma
7
Sannun Alfa Abdoulaye Wusinayanke
13
Tomine
6
Téliwel Modo Mamadou Yillâbe
14
Kakrima
8
Léluma Modi Amadou Seleyanke
15
Kasa-Sâla
5
Diari Alfa Bakar Ngeriyanke
16
Sérima
5
Mélikaré Modi Tanu Niogeyanke
17
Donghora
7
Labé Tierno Aliou Bhoubha-Ndiyan Nduyebe
18
Dombélé
5
Tarambali Tierno Souleymane Wusinayanke
19
Hériko
8
Hériko Modi Sory Yillâbe
20
Sempéten
6
Sempéten Modi Abdoul Yillâbe
21
Sintali
4
Labédépéré Tierno Alsaïni Diobboyanke
22
Daralabé
4
Daralabé Modi Aliou Tanu Ngeriyanke

Sur ces 22 nouveaux chefs : 4 seulement étaient haliduyanke (2 Alfaya et 2 Soriya). En 1917, le nombre de ces districts fut réduit par suite :

  1. de la réunion des districts de Donghora, Sérima, Dombélé et Sempéten sous l'autorité de Modi Tanu Mélikaré
  2. du groupement de Horé Djimma et Kiyomma pour former la province de Horé Djimma, sous l'autorité de Alfa Saliou.

En 1930, par suite des critiques formulées contre la dispersion des efforts administratifs dans cette multitude de districts, la majorité d'entre eux fut suprimée pour former seulement 7 cantons. Cette réorganisation, estima-t-on, apportait aux autorités plus de facilité dans l'exercice du commandement.

La province de Yembering passa entre les mains de Alfa Mamadou Cellou, fils aîné de Alfa Gacimou, ancien roi du Labé. Auparavant , ce nouveau chef commandait le village de Merepounta. Sa nomination à Yembering ne l'avait qu'à moitié satisfait, car il convoitait la place de Alfa Yaya depuis la déportation de celui-ci qui avait assasiné son père.

Mais Alfa Mamadou Cellou ne garda pas longtemps ce poste car, dès 1908, il fut l'objet de critiques dans sa méthode de commandement.. Il lui fut reproché de nombreuses exactions, la vente d'esclaves et le refus d'exécuter les ordres de l'autorité supérieure. Pour ces divers faits il fut poursuivi et arrêté par le commandant de Sigon, puis conduit sous escorte à Labé.

A mi-chemin, sur la route de Labé, Alfa Mamadou Cellou demanda à son escorte de lui enlever les menottes afin qu'il puisse faire sa prière. Les gardes acquiescèrent à sa demande et lui rendirent sa liberté. Puis, voulant se détendre, ils détachèrent leur ceinturon comportant des cartouches et déposèrent les fusils près de leur prisonnier. Alfa Mamadou Cellou, profitant d'un moment d'inattention, sauta sur cet équipement et menaça les gardes de mort. Pour sauver leur vie, ils rentrèrent dans la brousse. Le prisonnier, armé, reprit le chemin de son village, emmenant avec lui fusils et cartouches. Dès son arrivée à Merepounta, il réunit ses partisans et attendit une semaine. Dans l'allégresse, il rejoignit la Guinée portugaise.

Le commandant de Sigon n'osa même pas le faire poursuivre sachant qu'il était bien armé. Les autorités portugaises le reçurent à bras ouverts et lui confièrent le commandement d'une grande province.

Dès le départ de Alfa Mamadou Cellou, la province de Yembering fut divisée en deux petites provinces. La première, sous le nom de Yembering, fut placée sous le commandement de Tierno Mamadou Cellou, chef du village de Doghel-Sigon. La seconde, appelée Mali, fut confiée à Modi Bakar Siddi. chef du village de Mali-Missidé.

La même année, sur proposition de l'administrateur-chef Faud, le chef lieu du cercle de Yembering fut transféré sur le mont Dangha et prit le nom de cercle de Mali. L'avantage de ce transfert était de pouvoir placer l'autorité au centre de la circonscription.

Dans la province de Kâdé, ce fut Tierno Maliki qui succéda à Alfa Yaya. Originaire du Fouta-Toro, ce nouveau chef était venu à Kâdé comme marabout auprès du roi. Très estimé par la population, il exerça ses fonctions dans le calme, avec doigté ; ce qui lui permit de rester en place jusqu'à sa mort. Pour le remplacer, Alfa Ibrahima Kâmelé fut choisi. Ce dernier, ancien serviteur de Alfa Yaya, se montra capable et n'eut aucune difficulté pour assurer sa fonction. Il y demeura jusqu'à la constituion des cantons dans cette province.