Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane
Nous avons donné au début de cet ouvrage un aperçu sur l'installation de l'Islam dans le Fouta par les Neuf Karamokoblhe fondateurs du régime.
Depuis, l'islam ne cessa de progresser malgré les vicissitudes de la vie politique du pays.
Nous allons voir maintenant son développement jusqu'à la fin du règne d'Almamy Ibrahima Sory Mawɗo, qui fut un grand leader musulman.
Notre étude portera sur la religion et sur l'enseignement de la langue arabe dans le Fouta durant cette période.
Nous avons dit que le Foula s'est converti très tôt à l'islam en en acceptant toutes les exigences. En effet, le Foula ne connaît qu'un Dieu Unique et Puissant. Il Le reconnaît par ses créations : l'homme, le ciel, le soleil, les étoiles, la terre, les montagnes, les rivières, etc., qui sont d'une perfection incomparable. Il Le reconnaît comme Bienfaiteur ayant accordé aux êtres tout ce dont ils ont besoin dans ce monde. En retour, Il leur demande tout simplement de L'adorer et de Le reconnaître Seigneur de tous les temps.
Le Foula reconnaît l'existence des anges et attend le Jour Dernier, durant lequel ses actes seront évalués et récompensés suivant leur valeur intrinsèque. Il compte sur l'apparition du Messie (Mahdi') à l'approche de la fin du monde, laquelle sera annoncée par la trompette de l'ange Asrafil, ainsi que la résurrection qui s'en suivra par le rassemblement de tous les êtres sur la place publique, qu'ils atteindront en passant par le pont Sirat posé au-dessus de l'Enfer.
Le Foula pratique le Salam, la prière prescrite cinq fois par jour, ainsi que d'autres prières dites Nafila, à des heures de jour et de nuit. Cette prière consiste en une suite d'exercice d'immobilisation debout, de génuflexion, de prosternation et de pause.
Pour adorer Dieu le Foula pratique les cinq principes fondamentaux (ou cinq piliers) de l'islam qui sont :
La prière
En adoptant la prière, il s'est soumis à toutes ses règles édictées dans les livres. Parmi les cinq prières obligatoires, il y a une qui comprend deux rak'ats, une qui comprend trois, et trois qui comprennent quatre rak'ats. Ces prières ont été désignées, dès le début, par les appellations suivantes :
Par suite du développement de la religion dans le pays, des marabouts éminents propagèrent le Wirdu à la tête de groupements culturels, dont nous parlerons plus loin.
Le jeûne
Le jeûne est strictement pratiqué par le Foula dès le début. Homme de plus de dix-huit ans et femme mariée font le carême de l'aube au coucher du soleil.
En dehors du Sumayee (c'est le nom du mois de carême en pular), le Foula pratique des jeûnes surérogatoires dans le courant de l'année, le jour de l'an, le radjah, la mi-Sabbordu Sumayee, etc, sont des dates régulièrement observées 1.
La dîme ou zakkat
Payée par les riches, fut également exécutée dans le Fouta dès le début. Ses règles sont connues du peuple.
Chaque année le montant est versé au chef de diiwal ou à l'Imam de la mosquée, qui en assure la distribution aux ayant-droits.
L'aumône est distribué quotidiennement aux pauvres qui se promènent de case en case.
Le pèlerinage
Le pèlerinage est resté longtemps sans application dans le Fouta. L'éloignement des Lieux saints de l'islam, le manque de voies de communication, les maladies qui frappent les voyageurs ont longtemps empêché le Foula de se rendre à la Mecque.
Cependant, il faut reconnaître que l'El Hadj qui visite le pays jouit d'une grande considération.
Les mosquées
Pour pratiquer la prière en commun, les Foula construisirent dès le début, des mosquées de plusieurs formes.
Le personnel appelé à assurer le fonctionnement d'une mosquée comprend : un imam ou Almamy qui dirige la prière, des muezzins ou salli qui font l'appel des fidèles à la prière. Aucun d'eux n'est rétribué officiellement. Seuls des cadeaux ou aumônes leurs sont distribués.
En dehors des prières ordinaires, les Foula célèbrent trois fêtes religieuses au cours de l'année :
L'enseignement se répartit en quatre degrés :
Le Primaire. Il se subdivise en trois niveaux :
L'Elémentaire, où l'enfant lit couramment le Coran et écrit déjà lui-même sur la planchette ; il commence à apprendre la signification des mots par la traduction en pular. A cet effet le maître lui traduit un petit livre de théologie (Bur'bane ou Sulaymi-bobo) ou un livre de droit (la Risala), etc.
Le Secondaire. L'élève apprend la littérature arabe par la traduction du Muhîbi (louanges du Prophète), puis le Yusy (morale) ou Hariri (contes et récits). Il poursuit ses études par d'autres livres en possession de son maître ou les emprunte ailleurs.
Le Supérieur est dispensé aux adultes qui commencent par apprendre la grammaire, s'ils ne l'ont déjà commencé au cours du précédent degré. Ils comprennent maintenant l'arabe, et ils approfondissent la langue par les cours de littérature, de grammaire, de droit et d'exégèse (tafsir), etc.
C'est à partir de ce moment seulement que l'étudiant peut porter valablement le titre universitaire de Tierno. Toute personne qui a terminé la traduction du Coran a le droit de porter ce titre, sauf dans le Timbi où il est appelé Karamoko. Dans des cas exceptionnels, il peut porter le titre d'Alfa lorsque le chef de diiwal ne le porte pas déjà ou le lui consent.
La langue
Pour pratiquer la religion islamique, les fidèles sont obligés d'apprendre la langue arabe. En général tous les Foula récitent par coeur des chapitres du Coran pour pouvoir faire la prière.
Dès les premiers temps de l'invasion, plusieurs Foula se rendirent dans le Bhundu, le Fouta-Toro ou en Mauritanie, pour se former dans la langue arabe. Ils revinrent avec un bagage culturel assez solide. Grâce à eux des écoles furent créé dans un grand nombre de villages et même dans des hameaux. Des petits marabouts formés rapidement se mirent au service du peuple pour apprendre aux enfants le Coran, et aux adultes les préceptes de la religion (droit, théologie, etc.). Sous l'action des chefs, l'islam fut solidement installé dans le Fouta.
L'enseignement de la langue arabe fut dispensé bénévolement dans des écoles de plein air (dudhe), chaque école (dudhal) n'ayant qu'un maître quel que soit le nombre d'élèves. Quand ce nombre est important les élèves les plus avancés aident le maître en lui servant de répétiteurs ou de moniteurs.
Les nombreux marabouts qui s'établirent ainsi dans le pays, se consacrèrent uniquement à l'enseignement. Cependant ceux qui en avaient le temps, purent se livrer à l'agriculture en utilisant souvent leurs élèves à ce travail.
Chaque marabout foula a sa petite bibliothèque comprenant des manuscrits du Coran, du Risala, du Muhayyabi, de l'Akhlari, du Dala'ilal Khayrati. Chez les plus grands marabouts, cette bibliothèque est étoffée par des livres de littérature, de grammaire, etc. Ils possèdent également des livres imprimés au Maroc, en Algérie ou en Egypte.
Les élèves
Les enfants des deux sexes forment en général la population scolaire de chaque école. Le nombre varie suivant l'influence du marabout et sa capacité professionnelle. L'âge scolaire est fixé à sept ans en moyenne pour les garçons comme pour les filles.
Pour enseigner, le maître emploi la planchette (alluwal), en bois, sur laquelle il écrit la leçon.
Dès leur arrivée dans le pays, les marabouts fabriquèrent de l'encre (ndaha) avec des produits trouvés sur place : feuilles d'arbustes, pierres, résidus de minerais de fer ramassés chez le forgeron, etc. Ils utilisèrent des roseaux taillés pour l'écriture. Pour laver la planchette pour le renouvellement de la leçon, ils employèrent les fouilles de nyennye (arbre répandu dans tout le pays) ou à défaut, du sable.
Les études sont réparties en trois temps. Le matin, la classe commence dès le lever du jour. Les enfants apprennent un à un la leçon ; et quand tout le monde a bien appris, ils se reposent et déjeunent.
Après le Fana (après-midi), ils répètent leur leçon pendant une heure environ. Puis à l'heure d'Alansara, ils vont tous en brousse chercher du bois mort pour l'éclairage du soir, afin de leur permettre une nouvelle lecture pendant environ ume ou deux heures dans la nuit.
Les adultes, eux, commencent leur lecture après le Fana et la répètent le soir, à la même heure que les enfants.
Pendant la période des cultures ou des récoltes, petits et grands accompagnent le maître au champ où il travaillent suivant leur capacité.
Au cours de la semaine, tous les élèves bénéficient de deux jours de repos, du mercredi après-midi au vendredi midi. En outre, à la suite de chaque fête religieuse (Sumayee et Donkin) ils ont une semaine entière de congé. A la fête du nouvel an ils ont deux jours seulement.
Le régime scolaire général est l'externat. Les élèves étrangers au village du maître sont seuls internes.
Des fêtes sont célébrées chaque fois qu'un élève atteint un certain degré d'instruction. Elles sont marquées par des réjouissances plus ou moins importantes, accompagnées de repas copieux, sans tam-tam.
Correction des élèves. Tout maître a le droit et le devoir de corriger ses élèves ; à cet effet il est autorisé à tirer les oreilles des paresseux ou des indolents pour les stimuler. Il peut également gifler. Dans les cas graves, il petit utiliser le fouet et administrer quelques coups aux jambes ou au dos, sans jamais faire couler du sang.
Le maître reçoit comme compensation de son travail, un salaire minime qui se présente sous diverses formes (grains, volailles, ovins, caprins, bovins).
Tous les mercredis, les élèves ont le devoir de lui porter chacun un fagot de bois mort. De temps en temps, les parents portent au maître un plat de riz ou de couscous, on lui donne un bonbon ou encore des grains. Quand l'élève a terminé la première lecture du Coran, le maître reçoit une génisse ou un bœuf. En fin d'études, il reçoit également un animal ou tout autre cadeau important que les parents estimeront suffisant pour récompenser le marabout.
Les Almamis comme les chef des diiwe, appuyèrent de tous leurs efforts, l'enseignement arabe. De nombreux marabouts rentrés de l'extérieur où ils s'étaient rendit pour compléter leur formation, vinrent consolider l'organisation de l'Islam dans le pays qui, désormais, fut nécessairement dirigé par le pouvoir temporel et par le pouvoir spirituel unis.
Parmi les grands marabouts de cette époque, nous citerons les plus éminents, installés notamment dans le Labé, centre de rayonnement de l'Islam :
Les deux premiers furent des disciples d'Alfa Saliou, premier fils de Karamoko Alfa mo Timbo. Ils donnèrent à Timbo, lors d'un séjour prolongé, des cours d'arabe à de nombreux fidèles et furent de célèbres muftis de leur époque. Thierno Aliou Soufi y mourut et Thierno Ismaila rejoignit Labé quelques années plus tard.
Comme nous le voyons, le Labé fut un foyer ardent de l'Islam, d'où plusieurs savants furent dénombrés et allumèrent le flambeau de la religion. Ils furent, pour les Almamys comme pour les chefs des diiwe, des conseillers éminents dans l'exercice de leurs fonctions 3.
Notes
1. Les noms de mois sont en pular ; les noms arabes n'ont été conservés que pour le Radjab.
2. La mosquée construite au chef-lieu du diiwal, c'est la Dyami'u, où tout le monde se rend pour la prière du vendredi. C'est là que l'on lit les lettres et correspondances officielles qui viennent des capitales Timbo, Labé, Timbi, etc. La Miside (de l'arabe masjid) ou mosquée, est aussi l'appellation du chef-lieu de province où se tient la prière du Vendredi.
3. Sur le rayonnement de l'Islam dans le Labé, voir le mémoire de Diallo Dalanda, Institut Polytechnique, Conakry, 1971.