Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane
Karamoko Alfa, à son retour à Timbo, eut comme première tâche, la confirmation des marabouts comme chefs des diiwe. Il procéda ensuite à la répartition du travail entre les membres du Conseil des Anciens, qui forme le grand conseil auprès du pouvoir central.
L'Almamy choisit ses proches collaborateurs et occupa une concession où il établit sa famille.
L'Imam de la mosquée et les membres du Conseil des anciens choisirent également leurs concessions autour de celle de L'Almamy.
L'Imam de la mosquée, Thierno Abdourrahmane, qui s'était installé du côté Est fût chargé de l'administration du quartier s'étendant à l'est et au sud. Ce quartier fut baptisé « Dow-Saare ». Tous les étrangers venant à Labé furent placés sous sa responsabilité. Ce fut une coutume et c'est pourquoi, jusqu'à nos jours, tout étranger arrivant à Labé, se dirige directement sur ce quartier où il est reçu en parent.
Les autres clans occupèrent le quartier connu sous le nom de « Ley-Saare ».
Ce quartier occupe les parties nord et ouest de la ville.
Alfa Mamadou Cellou procéda également à la répartition des places dans la mosquée.
Les Wolarɓe se classèrent avec la famille de l'imam, c'est-à-dire à « Alluwal Dow-Saare ».
Ainsi dans cette mosquée, chaque habitant de Labé connait sa place et respecte scrupuleusement cette répartition aussi bien dans le travail que pour la prière.
Cette répartition fut poussée jusqu'aux cimetières, afin d'éviter des heurts entre familles ; sur la rive gauche de la rivière Doŋora, trois cimetières furent créés. Le premier, situé à l'Est, près du foulasso Dombi, fût réservé aux Talibaɓe porte-drapeau du diiwal. Le second en bordure de la rivière fut attribué aux Khaliduyaɓe, parents du chef de diiwal ou à ses courtisans. Le troisième, à cheval sur le ruisseau Dombihoun qui se jette dans la Donhora. Tout près de la ville, un autre cimetière fut aménagé pour ensevelir les femmes et les enfants ainsi que les étrangers morts à Labé.
A son retour de Timbo, Alfa Mamadou Cellou rencontra à Demben, un marabout très influent, Tierno Malal, du clan N'Duyeɓe qui venait de Diafounou ou ses ascendants, après avoir quitté Macina en même temps que les autres émigrants Foula, s'étaient arrêtés pour enseigner le Coran. Alfa Mamadou Cellou, jugeant le nouveau venu par ses qualités de grand marabout, lui confia le poste d'Imam à la mosquée de Demben. Malheureusement, ce marabout mourut peu de temps après son arrivée. Son premier fils, Thierno Abdourahmane, non moins remarquable par ses qualités, prit sa place à la mosquée. Depuis cette date, c'est sa descendance qui se succède dans cette fonction à Labé jusqu'à nos jours.
A la même époque, deux autres notables influents arrivèrent à Demben.
Le premier, Modi Bakar Bolâro, chef du clan du même nom, arrivait de Bakounou (Mâsina), à la suite de ses parents qui vivaient dans le Labé. Alfa Mamadou Cellou lui donna le territoire situé entre la rivière Donhora (sud-sud-est) et la rivière Garambe (au nord-ouest). Ce fut le quartier des Wolarɓe qui y habitent toujours, Modi Bakar construisit une mosquée à Koulidara et fonda plusieurs foulasso sur ce territoire. Dans la répartition des tâches politiques, Alfa Mamadou Cellou confia à Modi Bakar Bolâro le soin de « guider » les orateurs dans les assemblées locales. Cette fonction resta héréditaire chez les Wolarɓe.
Le second notable, Fodouyé Diallo, chef du clan Jimbalaɓe fut installé à Maléya, près de Labé ; il eut le rôle de conclure les séances des assemblées locales. Sa descendance resta encore bénéficiaire de cette fonction. Ces trois nouveaux compagnons furent intégrés dans le Conseil provincial comme membres à part entière.
Avant de clore ce chapitre, nous devons parler du cinquième compagnon d'Alfa Mamadou Cellou, et non moins influent, mais avec lequel il se brouilla pour un fait peut important.
Il s'agit de Thierno Tafsirou du clan Wuyaɓe de Daralabé dont le premier ancêtre, Bambâri Barry, venu dans le Fouta s'installa dans le Baïlo, territoire situé à l'Est de Timbo. Son premier fils, Toumani Barry résida comme lui dans cette région et c'est seulement son descendant Hammadi mo Déyel, qui vint dans le Labé, à l'époque où Khâlidou s'y installait. Hammadi fut très fervent musulman et de ce fait fut nommé par ses disciples Hammadi Dewo Allah. Il fonda avec les Yâlalɓe et les Sogiyaɓe le village de Daralabe. Il eut deux enfants : Thierno Tafsirou et Alfa Oumarou Mawɗo. Très instruit et très bonnête, Thierno Tafsirou fut un serviteur dévoué d'Alfa Mamadou Cellou, chef du diiwal de Labé.
Ayant apprit que son vassal de Kompanya, Dian Buusu Bâ, chef du clan des N'Duyeeɓe Kompanya, près de Labé, avait renonçé à l'Islam, Alfa Mamadou Cellou envoya à Kompanya une mission comprenant Thierno Tafsirou et des notables influents. Cette mission fut très bien reçue à son arrivée, par Dian Buusu Bâ qui lui prouva par ses actes religieux, que la nouvelle répandue sur lui était fausse.
Cette constatation enthousiasma Thierno Tafsirou qui divulga à l'hôte l'objet du déplacement de la mission et lui suggéra de prendre la fuite, puisqu'elle avait l'ordre formel de l'exécuter. Dian Buusu Bâ prit donc la fuite.
Cette fuite ayant été remarquée par les autres membres, Thierno Tafsirou fut accusé d'avoir été l'instigateur et à leur retour à Labé, ils rendirent compte à leur chef de ce qui s'était passé.
Pour se justifier, Thierno Tafsirou déclara à Alfa Mamadou Cellou qu'aucune preuve ne pesait sur l'accusé et demanda le pardon pour lui en ajoutant qu'il savait où il était caché. Comme toute réponse, Alfa Mamadou Cellou l'expulsa de sa « cour » et lui donna l'ordre de prendre à sa charge Dian Buusu Bâ. Thierno Tafsirou comprit ce qui l'attendait s'il restait sur place. Rentré dans son village avec Dian Buusu Bâ, il estima que son salut était dans une fuite momentanée, de son domicile. Il se rendit donc dans le Bhoundou où il se mit activement à s'instruire.
Pendant son absence, le village fut désorganisé et son territoire confié a un autre chef. Les siens furent bafoués. Retrouvant une telle situation à son retour, il se dirigea sans retard sur Timbo pour demander la protection de Karamoko Alfa. Mais celui-ci venait d'être atteint d'une folie mentale. Il présenta son affaire au chef intérimaire, qui n'en fit pas cas. Il prit alors la décision de soigner Karamoko Alfa qui pourrait, en cas de guérison, s'occuper de lui. Il se mit au travail et le résultat des premiers soins confirmèrent son espoir. Karamoko Alfa reprit connaissance et le bruit courut dans Timbo que le vendredi suivant, il dirigerait lui-même la prière dans la mosquée et reprendrait aussitôt le pouvoir.
Le chef intérimaire, Ibrahima Sory Mawɗo, se sentit menacé. Il comptait prendre la place en cas de décès du chef suprême. Il convoqua donc le guérisseur pour prendre sa plainte en considération. Thierno Tafsirou ne demandait pas mieux. Ibrahima Sory le renvoya à Labé avec une délégation et un ordre formel au chef de Labé, de lui restituer son village et de lui ajouter un morceau pris dans chaque diiwal de Timbi-Touni et de Kollaaɗe, dont Daralabé était limitrophe. Thierno Tafsirou se réinstalla dans son fief avec plus de considération grâce à sa science. Karamoko Alfa retomba dans l'inconscience et resta dans cet état jusqu'à sa mort.
Bien installé dans son village, Thierno Tâfsirou chercha à consolider ses relations avec Timbo. En témoignage de ses bonnes relations, Ibrahima Sory le nomma conseiller politique dans le Labé. Cette charge fut héréditaire dans sa famille. Ses descendants jouèrent un rôle important dans le choix des chefs du Labé, car leur avis était toujours prépondérant.
La postérité de Thierno Tafsirou fut florissante.
Son petit-fils, Modi Saliou, fut un grand marabout, disciple d'El Hadj Oumar. Lors du voyage de ce dernier dans le Labé, Modi Saliou le reçut chez lui à Daralabé et mit à sa disposition toute sa famille, hommes, femmes ainsi que de nombreux serviteurs. Il émigra même avec lui à Dinguiraye ou il prit une part active dans la construction de la mosquée de ce village.
Lorsqu'El Hadj Oumar décida d'entreprendre la guerre sainte, il s'adressa à ce marabout pour lui demander ce qu'il en adviendrait. Modi Saliou aurait fait une retraite de quarante nuits au bout desquelles, il annonça à El Hadj Oumar ses multiples victoires. Mais en faisant sa déclaration, il ajouta : « La preuve en est que je vais mourir sous peu. Tu prieras sur mon corps. Aussitôt après mon enterrement, tu devras quitter Dinguirave, sans même plus rentrer dans ta case. »
Modi Saidou mourut peu de temps après. Sitôt après son enterrement, El Hadj Oumar prit immédiatement le chemin de la guerre sainte.
Jeune, Alfa Oumarou Rafiou, premier fils de Modi Saliou se rendit avec son père à Dinguiraye. Il y poussa ses études et devint un érudit. Devant ses mérites, El Hadj Oumar lui conféra le titre de « Khalifat » dans la Tidjania. Après le décès de son père, Alfa Oumarou Rafiou rejoignit Daralabé où il fut très populaire. Par ses prédications, il était capable de dire à n'importe qui, ce que l'avenir lui réserve. Dans le chapitre « Groupements religieux du Fouta », nous parlerons plus longuement de lui.
C'est après le deuxième congrès que les Chefs de provinces entreprirent également la délimitation de leurs diiwe respectifs. La rivière, la montagne furent adoptées comme limites naturelles. Quand les deux faisaient défaut, une ligne conventionnelle devait servir de base à cette délimitation.
Pour parvenir à une juste limite, les chefs convinrent de quitter chacun sa capitale à l'aube et de marcher vers la province voisine. Le point de rencontre devait servir de départ pour la ligne de démarcation entre les deux diiwe.
Le chef de Kollaɗe, trahissant cette convention, partit de Kankalabé la veille ; à l'aube il était dans la banlieue de Labé. Alfa Mamadou Cellou l'obligea à rebrousser chemin jusqu'à la rivière Dombélé, à environ dix kilomètres de Labé. La limite entre les deux provinces y fut fixée. Le chef du Labé voulut se rattraper sur Timbi-Touni. A la date fixée, il quitta son domicile la veille, à l'instar de Kankalabé et avant l'aube, il était dans la ville de Timbi-Touni. Il fut obligé de faire demi-tour jusqu'au village de Pellel-Bantan où la limite fut fixée d'un commun accord. Pour les autres provinces, la convention fut scrupuleusement appliquée et aucune tractation ne fut enregistrée. Les limites établies depuis cette époque restent encore valables de nos jours.