Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane
Les historiens et les chercheurs ethnologues qui ont poussé leurs investigations sont, dans leur majorité, d'accord que le peuple foula est d'origine sémitique. En effet, les divers livres, documents, récits de voyage et rapports a ministratifs que j'ai eu l'occasion de lire et relatant la question, ont tous apporté des preuves suffisantes à l'appui de leur conclusion. 12un de ces éminents ethnologues, Edmond D. Morel, Directeur de la West Africa Meil de Londres, dans son livre Problèmes de l'Ouest Africa, traduit en français par A. Duchène soutient que, vers l'an 2000 avant J.-C., l'Egypte, alors sous la dynastie thébaine, fut envahie par des hordes nombreuses d'Asiatiques, amenant avec eux leurs troupeaux de boeufs et de moutons. Ces nombreuses tribus belliqueuses et avides de conquêtes, afin de trouver des terres pour élever leurs troupeaux, leur richesse unique, se précipitèrent sur la vallée fertile du Nil. Connues sous le nom de « Hyksos ou rois pasteurs » elles engagèrent une lutte sanglante et réussirent à s'établir définitivement dans la Basse-Egypte et, peu à peu, étendirent leur domination sur la Haute-Egypte dont, néanmoins, elles ne purent se rendre complètement maîtresses. Leur suprématie dura environ cinq siècles. Elles furent finalement renversées du pouvoir et chassées du pays par les représentants de l'ancienne dynastie thébaine. A la recherche de terres nouvelles, pour l'élevage de leur bétail, elles se dispersèrent dans le pays, les unes suivant le Nil en se rendant vers le sud, les autres s'enfonçant dans les régions de l'Ouest. Elles évitèrent ainsi leur retour sans gloire dans le pays d'où elles étaient venues. Car, pendant leur séjour en Basse-Egypte, elles s'étaient unies aux autoclitones et avaient contracté des mariages avec eux. Ces liens de famille les attachaient donc à l'Afrique et elles en étaient devenues les enfants adoptifs. En même temps qu'elles pratiquaient l'élevage, elles cultivaient les terres, d'où leur appellation de « Fellah » qui a donné naissance au mot « Foula ».
L'arrivée de ces Hyksos dans la Basse-Egypte fut, d'après ce même auteur, approximativement contemporaine de l'émigration juive qui eut lieu, sous l'invitation du souverain de l'Egypte dont le Prophète Joseph fut l'intendant.
Les Juifs occupèrent la partie Est de l'Etat.
Avec les Hyksos, qui sont comme eux, d'origine asiatique, ils n'hésitèrent pas à prendre contact et eurent, entre eux, des relations matrimoniales soutenues.
A l'effondrement de la dynastie des Pharaons, au temps du Prophète Moïse, les juifs ne tardèrent pas à rejoindre les Hyksos dans leur nouveau refuge, pour continuer avec eux la poursuite du chemin à la recherche des pâturages. Ainsi, les deux races qui se sont rencontrées dans le malheur formèrent la même famille.
Suivant la thèse européenne, c'est cette famille qui forma le peuple Foula lequel, pendant des siècles, ne put se fixer sur un point définitif.
D'après la thèse africaine, rapportée par Thierno Aliou Boubha Ndiyan, dans son Précis d'Histoire du Fouta-Dialô écrit en 1915, c'est dès l'an 42 (644) de l'Hégire que l'islam fit son apparition en Egypte et, comme nous le dit Thierno Aliou Boubha Ndiyan, dans son ouvrage, le deuxième Khalif Saïdina Oumar Boun Khattab chargea son Représentant en Egpypte, Amrou Boun Ass, d'étendre la nouvelle religion dans tout le pays. Il lui prescrit d'employer la force lorsque le besoin se fera sentir et de soumettre les réfractaires à l'impôt. Ce fonctionnaire s'acquitta de cette mission avec doigté. Il arriva même de poursuivre les Egyptiens pasteurs-nomades dans le désert. Le Chef de cette tribu le reçut avec considération. Dès qu'il lui exposa l'objet de sa visite, tous ses sujets répondirent avec enthousiasine et embrassèrent l'islam. Amrou Boun Ass resta avec eux pendant un certain temps pour leur enseigrier les principes fondamentaux de la religion. Quand il décida de prendre congé deux le roi lui demanda de lui laisser un maître pour noursuivre l'enseignement à ses administrés. Son compagnon Ougbatou Boun Yâssin était tout désigné. Celui-ci s'acquitta consciencieusement de sa tâche et lorsqu'il conquit l'estime et la confiance du peuple, le roi lui accorda, en récompense, la main de sa fille en mariage. Cette heureuse union occasionna la naissance de quatre garçons :
Ce sont les descendants de ces quatre garçons qui formèrent le
peuple Foula.
Des deux thèses qui précèdent, il ressort que les Foula sont d'origine sémitique, nés d'un Arabe venu du Hadjaz et d'une mère descendante d'un père
pasteur (Hyksos).
D'ailleurs, pour soutenir l'attribution à ce peuple d'une origine orientale, Edmond D. Morel fonde son avis sur des études anthropomé triques ou plutôt crâniologiques qui sont d'un extrême intérêt. Bien que ces études aient été peu développées, elles fortifient, d'une manière appréciable la thèse orientale. Le Docteur Verneau, dont la réputation comme anthropologue est bien établie, publie, au début du XXe siècle, le résultat de l'examen auquel ont été soumis cinq crânes de chefs foulas originaires du Fouta-Djallon. Les trois premiers appartiennent à des personnages connus de leur vivant aux autorités françaises de l'époque. Les deux autres auraient été apportés en France par le Docteur Maclaud qui avait séjourné à Timbo en 1898 comme Résident de France. Il avait beaucoup voyagé parmi les Foulas. Aucun de ces personnages, dit l'auteur cité, n'était un Peul de sang pur. Celui qui se rapprochait le plus du type oriental était un condamné a mort par les Français. Sur le crâne de cet individu, le Dr Verneau s'exprime ainsi : « D'après les éléments distinctifs de son crâne et de sa face, au type pentagonal cintré qu'on rencontre dans la population de l'Egypte ». Sur deux autres parmi les examinés, le Dr Verneau fait les remarques suivantes:
« Leurs possesseurs avaient sans doute une certaine dose de sang nègre dans les veines d'où résultaient un épaississement de l'ossature et un prognathisme accentué, c'est-à-dire des mâchoires avancées. Néanmoins, ces deux chefs n'étaient pas des nègres. La largeur du front, le dessin très net des os du nez, les proportions du nez lui-même et la forme du menton excluent toute connexion avec la race nègre. »
Sur les deux crânes restants, le Dr Verneau conclut ainsi :
« Je n'insiste pas davantage sur les caractères céphaliques de ces deux Peuls de race profondément croisée. J'observerai simplement que malgré ces croisements, ils offrent deux formes de crânes, crânes que nous rencontrons partout où l'influence des Ethiopiens s'est fait sentir. »
Par ailleurs, le Dr Blyden, qui visita Timbo, la capitale du Fouta-Djallon, à la fin du XIXe siècle et qui, comme le docteur Bayol et tant d'autres voyageurs européens, fut profondément intéressé par ce qu'il fit parvenir au Gouvernement de l'époque :
« En entrant dans une ville peule, la première chose qui frappe un étranger est l'aspect caucasien des traits dit visage, surtout parmi les habitants les plus âgés ; et pourtant, quelquefois, parmi les enfants nés de parents ayant tous les caractères physiques de la famille sémitique ; on voit réapparaître le type nègre indélébile. Il est évident que s'il y a là, parmi ce peuple, une forte dose de sang étranger, on trouve aussi l'influence d'une race puissante qui a complètement assimilé les éléments du dehors et c'est par là que s'explique l'extrême fierté que les Foulas conservent de leur origine.»
Et Edmond D. Morel de conclure : « Les Foulas, au nez aquilin, au cheveux plats, aux lèvres relativement minces, à la taille élancée, au teint cuivré ou bronzé, au crâne développé, aux extrémités fines ; la femme foula à la peau claire, aux seins arrondis, aux grands yeux, aux sourcils teints à l'antimoine, aux mouvements gracieux, aux formes élégantes dont toute la personne est remplie de charme et d'attrait, sont des Asiatiques. Ils sont les descendants directs des Hyksos qui ont émigré vers l'ouest à la chute des pasteurs conquérants. Leurs coutumes conservent le souvenir de leurs ancêtres ayant subi l'influence du peuple d'Israël dont la présence dans le delta du Nil est contemporaine de la domination des Hycsos. Leur arrivée en Afrique remonte, au moins, à deux mille cinq cents an 1.»
Comment ce peuple a-t-il été désigné sous divers noms : Foula, Peul, Poullo ou Pouli, etc. ?
L'hypothèse la plus répandue est celle qui dit que ces pasteurs ne sont pas venus d'Asie avec les appellations sus-mentionnées. Mais ayant occupé dans la Basse-Egypte les vallées fertiles du Nil où ils pratiquèrent l'agriculture en même temps que l'élevage, ils reçurent le nom de « Fellah » qui signifie en arabe, paysan, cultivateur. Les mots Foula et Peul sont une déformation de ce mot « Fellah ». Pouli est le nom donné aux premiers Foulas émigrés dans le Fouta-Djallon. Les multiples noms donnés aux Foulas sont utilisés suivant les régions. Le mot peul qui est Ouolof est plus répandu en Afrique occidentale et il y est officiel. En Guinée, le mot Foula est malinké et est plus usité. Dans le Fouta Djallon, c'est Pullo et Pouli qui sont courants. Cependant, Pouli tend à disparaître avec la minorité arriérée à laquelle il est attribué. Cette minorité vit généralement dans les confins du pays. Au fur et à mesure qu' elle s'en éloigne vers l'extérieur, elle emprunte le mot le plus élégant, utilisé dans le nouveau refuge : Peul ou Foula.
Note
1. L'auteur fait siennes les nombreuses théories sur l'origine des Peuls ; on leura attribué une origine berbère, hamitique, juive, arabe, hindoue, malayo-polynésienne, etc.
Les Peuls eux même n'ont pas une théorie unique sur leur origine ; les Peuls islamisés ont fondés leur généalogie sur le thème d'une origine juive ou arabe. Ainsi les Peuls du Fouta-Djallon, dans les manuscrits qui nous sont parvenus se rattachent à Okba Ben Nafi, conquérant du Maghreb et fondateur de Kairouan. (669). Mais aujourd'hui les chercheurs sont d'accord sur l'origine nilotique ou éthiopienne ; une longue migration aurait conduit le peuple peul jusqu'au Sahara alors pays verdoyant, traversé par des cours d'eau. Les proto-Peuls seraient les pasteurs bovidés auteurs des magnifiques fresques du Tassili N'ajjer, représentant la vie pastorale de ces éleveurs de bœufs. Le préhistorien français Henri Lhote,évèle au monde ces fresques d'une grande beauté ; on y voit tantôt un chef de famille guidant son troupeau, tantôt des bergers au milieu de leurs boeufs. Scènes vivantes avec les couleurs jaunes, bleutées, brunes sur les parois rocheuses. La péjoration du climat saharien entraîne une désertification qui pousse les pasteurs à trouver abri plus au sud dans la zone sahélienne : c'est le lent mouvement migratoire qui conduira les Peuls au fil des siècles, du Tassili à l'Adrar, au Tékrour, au Macina, au Fouta-Djallon et au Cameroun, etc.
Concernant l'islamisation des Peuls, celle-ci est relativement récente, contrairement à la théorie qui attribue l'introduction de l'islam chez les Peuls au VIIe siècle par les soldats de Okba. Les Peuls ont eu contact avec l'islam à l'époque des Almoravides (1050 après J.-C.) au plus tôt. Mais l'islamisation en masse ne se fit qu'à partir du XVIIe siècle.