Defte Cernoya. Labé. 1998. 150 p.
El hadj Cerno Abdourahmane Bah est, en cette fin de siècle, l'un des représentants les plus éminents de la science islamique et de la culture peule en Guinée, l'un des meilleurs produits de l'école coranique classique du Fouta-Djallon.
Il est l'avant-dernier des neufs fils de Cerno Aliou Ɓuuɓa-Ndiyan qui ont laissé une postérité. Cerno Aliou fut; au début de ce siècle, et reste encore un des représentants les plus marquants de la culture foutankée. Cerno Abdourahmane est né à Labé, précisément à Doŋol-Cernoyaa, troisième des quatre garçons de Neenan Mariyama Fadi, décédée plus que centenaire en 1978.
Dans le clan, les garçons prénommés comme lui sont : dès leur baptême, appelés Cerno, par respect pour l'ancêtre Cerno Abdourahmane Nduyeejo, fils de l'immigré Cerno Malal Jaafunanke, le premier imam de Labé, charge qui lui avait été confiée par Karamoko Alfa, et qui depuis lors, a été assurée presque sans interruption par ses descendants.
La notoriété d'une personne fait de celle-ci un objet d'interrogations pour ses contemporains, et aussi pour la postérité à qui cette notoriété parviendra. Cette personne, produit social de sa communauté cl de son époque, en devient un représentant dans la mémoire de cette communauté, et partout où la renommée portera son nom et ses oeuvres. La curiosité scientifique, la réflexion pédagogique, s'intéressent à la genèse de sa personnalité ct de ses oeuvres, au contexte dans lequel l'une et les autres sc sont épanouies, contexte que cette personne a d'ailleurs contribué à faire évoluer.
Les lignes qui suivent ambitionnent de fournir un objet de réflexion à ceux que préoccupe la crise pédagogique quasi-universelle.
En fait, l'idée de rédiger ce travail me trotte sous le crâne depuis des lustres, nourrie successivement par divers évènements cl situations dont je prenais conscience au fur et à mesure de leur manifestation. Nourri dans mon enfance de poésie peule que chantaient autour de moi tantes et grandes soeurs, mon goût pour ce genre littéraire a été par la suite développé méthodiquement par l'étude de la littérature française classique, grâce entre autres à l'excellent Monsieur Comte, qui nous enseigna à l'Ecole Normale de Sébikotane. C'est à cette époque que Bappa-en publia l'Hymne au Fouta (Fuuta hettii Ɓuttu), dont le succès fut immense et immédiat dans tout le pays. Je fis naturellement le rapprochement et la jonction entre les deux formes de création poétique dont les canons diffèrent pourtant si profondément.
Plus tard, lorsque fut décidé l'enseignement en langues nationales dans ce pays, je fus (et reste) de ceux qui applaudirent à cette initiative progressiste, bien que j'avais conscience des problèmes ardus, mais solubles pourvu qu'on s'y mette, que pose le succès de l'entreprise. La littérature écrite pular est suffisamment riche et appréciable pour alimenter un enseignement valable dans son domaine propre, un enseignement apte à former l'honnête homme, et même des personnes de classe comme les cerno du passé et ceux de notre temps. Les auteurs sont suffisamment nombreux, les oeuvres suffisamment variées, pour fournir la matière de manuels de littérature à l'usage des écoles. La publication à la même époque de la magistrale anthologie de Alfa Ibrahima Sow, La Femme, la Vache, la Foi, démontrait cette possibilité de façon péremptoire.
Mais, si les auteurs sont nombreux, la plupart d'entre eux ne sont connus que par leur nom et leurs oeuvres. Bien d'autres éléments importants ou intéressants de leur existence n'ont pas été retenus, qui permettent de mieux les insérer dans leur espace-temps, en améliorant du coup la connaissance de celui-ci. Ainsi en est-il, hélàs ! des Seeleyanke Cerno Mamadou Samba Mombeya, Cerno Sadou Dalen, Cerno Boubacar Poti LugguɗHi, pour ne citer que ces trois grands. Il importe de veiller à rémédier à une telle négligence, au moins pour les contemporains. C'est ce que j'ai souhaité entreprendre pour l'auteur de Fuuta hettii Ɓuttu, que j'ai côtoyé depuis toujours et qui a toujours manifesté, comme ses frères et soeurs, une grande sympathie envers les enfants de mon père.
J'ai vécu une adolescence heureuse, dans l'atmosphère qui fut le cadre où s' épanouit le talent de Cerno Abdourahmane. Il n'est pas inutile, me semble-t-il, d'évoquer celte atmosphère clanique d'antan, alors qu'une évolution accélérée et souvent mal contrôlée distend de plus en plus les liens qui autrefois assuraient la cohésion dans les familles et dans les cités. Ces liens qui ont pour noms amour, fraternité, respect mutuel , solidarité, je les ai vus à l'oeuvre entre mes oncles et leurs soeurs, entre les uns et les autres et leurs enfants. J'en ai été comme tous mes cousins, largement bénéficiaire. Des liens si tenus qu'ils sont à peine perceptibles à ceux qui ne sont pas pris dans leurs lacets, mais des liens si tenaces qu'aucune épreuve ne peut les rompre véritablement. Dans une telle atmosphère, la notion de droit ne se pose pas, remplacée qu'elle est par la fraternelle solidarité qui rend chacun et chacune attentifs à favoriser en toutes circonstances l'épanouissement de l'autre, et son propre épanouissement du même coup.
En évoquant cette atmosphère clanique, j'ai nommé spontanément les personnes comme on le fait chez nous : les soeurs de mon père sont yaaye, ses frères et cousins bappa, leurs épouses, belles-soeurs et mères neenan, mes frères et cousins aînés kotoo, les cadets et cadettes miynan, etc … Ces termes sont, pour le Peul du Fouta-Djallon, pour ainsi dire, partie intégrante du nom des parents auxquels ils sont appliqués. Ils vêtissent en quelque sorte ce nom. Ce serail une incongruité de la part d'un Pullo, ici au Fuuta-Jalon, d'appeler quelqu'un ou de parler de lui, en évoquant simplement son prénom de baptême : ce serait comme le dévêtir aux yeux de son interlocuteur et à ses propres yeux !
J'ai étoffé l'ouvrage par quelques poèmes dont je donne le texte pular et une traduction en français. Les pièces ici présentées se veulent un échantillon pour illustrer la diversité de l'inspiration qui les a créées. Je ne désespère pas de mener à bien la traduction d'autres textes, ni de faire faire des traductions des oeuvres en arabe, dont un figure ici, traduit en poular par l'auteur même, et en français par ma femme Hadja Aminatou Diallo.
Puisse la curiosité du lecteur qui se donnera la peine de lire les pages ci-après être satisfaite, ne fût-ce que partiellement. Je souhaite qu'elle lui donne l'envie d'entreprendre un travail similaire, et meilleur, pour d'autres personnalités de chez nous, pour des hauts lieux de chez nous , afin de contribuer à l'enrichissement désirable de la bibliothèque de notre identité nationale.
L'auteur.