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Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


Chapitre XI
Le Grand Conseil des Anciens ou Assemblée Fédérale de Fugumba
(Kawtital Mawɓe ou Mbatu Manngu)

Sur le nom et l'origine de l'institution

L'Institution était indifféremment appelée Grand Conseil des Anciens ou Assemblée fédérale aussi bien par les auteurs occidentaux que par les chroniqueurs traditionnels 1. On trouvait même d'autres noms tels que Grande Assemblée ou Sénat . Dans la langue peule aussi, il y avait le même flottement de vocabulaire. Mbatu-manngu ou Kawtital Mawɓe traduisant l'idée de Grand Conseil ou d'Assemblée fédérale. Quel que soit son nom, cette institution apparaissait comme la plus haute instance de l'État de l'ancien Fuuta.

Son origine remonte loin dans le temps. Il semble qu'au début, il n'y avait pas une distinction entre le Grand Conseil des Anciens et le Conseil permanent. La distinction a commencé le jour où la capitale politique a été transférée à Timbo, abandonnant Fugumba qui continua à rester le centre spirituel de la fédération, une sorte de capitale religieuse. Dans la nouvelle capitale s'organisa autour de l'Almaami, le Conseil permanent. Pendant ce temps Fugumba continuait à recevoir le Grand Conseil au sein duquel se discutaient les problèmes politiques et religieux du pays. Comme l'État était théocratique ou théocentrique, les problèmes prenaient souvent une couleur religieuse. Les réunions de l'Assemblée à Fugumba revêtait d'autant plus facilement cet aspect qu'elles avaient lieu dans la cour de la mosquée la plus ancienne, la plus vénérée du Fuuta. N'était-ce pas à cause d'elle que la ville de Fugumba était devenue très tôt une sorte de district neutre où personne n'avait le droit de préparer ou de déclarer la guerre ? Pourtant c'est dans cette ville que fut organisée la première expédition de guerre sainte contre les païens. Mais c'est là aussi que s'est tenue la première Assemblée qui décida la création de la Fédération du Fuuta. C'est là enfin que fut couronné le premier souverain du pays. Pour toutes ces raisons Fugumba apparaissait comme une ville sacrée, la ville sainte du Fuuta. Elle fut pour les peuls ce que Reims a été pour les français d'Ancien Régime: une ville de sacre. Mais plus que cela, elle était véritablement une capitale religieuse, puisqu'en dehors des sessions ordinaires de l'Assemblée, les théologiens les plus réputés du pays l'avaient choisie pour la tenue de leur « Concile » annuel ou biennal.

Ainsi l'Assemblée paraît être plus ancienne que l'imaamat, elle fut à la base de sa création. La question qui se pose est de savoir si elle n'était pas l'héritière d'une institution plus ancienne encore, pouvant remonter à la période d'avant l'islamisation du pays. L'on sait en effet que le arɗo des arɓe (le grand chef ou guide des nomades) avait un Conseil rassemblant les chefs des peuls nomades, mais les documents ne donnant aucune précision sur cette période pré-islamique, on est dans l'ignorance la plus complète de cette institution 2. Ce silence s'explique à cause du refus de donner des détails sur la période qui a précédé leur islamisation. Les auteurs des chroniques étant des Peuls musulmans avaient, semble-t-il honte de leur passé. Aussi jetaient-ils un voile pudique sur la longue période où ils vivaient dans le paganisme et l'ignorance (ou jaahiliyya) 3.

Quoiqu'il en soit, l'Assemblée de Fugumba est une institution très ancienne. L'analyse de sa composition et de son rôle peut aider à comprendre la place qu'elle occupait dans les organismes représentatifs de l'ancien Fuuta.

A. Composition

L'Assemblée fédérale ou Grand Conseil des Anciens réunissait à Fugumba, des délégués de toutes les provinces auxquels s'ajoutaient quelques membres du Conseil permanent de Timbo. Le nombre exact des membres de l'Assemblée ne semble pas avoir été fixé d'avance. Si dans les premiers temps, seuls les neuf Karamoko-chefs des provinces se retrouvaient entre eux, très tôt fut signalée la présence des représentants du Conseil permanent. C'est le nom de Moodi Makka, élu président des séances qui le prouve. Son nom est attesté par toutes les sources et vers le début du XIXe siècle, l'Assemblée comprenait treize membres. Les uns représentaient les neuf provinces réparties en trois groupes géographiques 4 :

Timbo et dépendances Bas-Fuuta ou Ley-Pelle
Gaanin-maayo (ou Foode-Hajji)
Ɓuriya Fuuta central ou Hakkunde-maaje
Fugumba
Kebaali
Timbi Haut-Fuuta ou Dow-Pelle
Kollaaɗe
Labe
Koyin

Les autres représentaient le Conseil permanent 5. Ils étaient les descendants des quatre principaux groupes familiaux (teekunji nayi) de Timbo :

Tels étaient les treize délégués qui composaient l'Assemblée fédérale de Fugumba.

Parmi toutes les questions qui mériteraient d'être posées au sujet de cette Assemblée, deux paraissent essentielles. Comment se réunissait l'Assemblée ? Que représentaient ses membres ? Autrement dit ses délégués émanaient-ils des Conseils des Anciens provinciaux ou des Assemblées des hommes libres ?

L'Assemblée se réunissait en deux temps et trois phases: Dans un premier temps, elle se réunissait deux fois: la première, les délégués du Bas-Fuuta (les provinces de Timbo et de Foode Hajji) entre eux seuls; la seconde avec ceux du Fuuta central (les provinces du Buriya, Fugumba et Kebaali). Ces deux réunions avaient lieu à Timbo en général, mais elles pouvaient se tenir aussi à Ɓuriya. Elles constituaient la base de l'Assemblée primaire. Dans un second temps, cette Assemblée primaire s'élargissait aux délégués des autres provinces, c'est-à-dire du Haut-Fuuta (Timbi, Labé Kollaaɗe et Koyin) c'était la troisième phase

Les délégués des trois régions se rencontraient eu séance plénière pour former ainsi l'Assemblée fédérale de Fugumba qui était la plus haute institution représentative du pays 6.

Les délégués à l'Assemblée: ni les chroniques traditionnelles, ni les explorateurs de l'époque, ni la tradition orale ne fournissent de précision sur le mode de leur désignation. Combien de délégués y avait-il par province ? Les documents sont encore muets.

Mais tout laisse à penser qu'aucune province n'envoyait à Fugumba un seul délégué, ceci par une tradition qui subsiste jusqu'à présent.

En pays peul, toute mission comprenait au moins deux à trois membres (le premier pour faire la commission, le deuxième pour confirmer la véracité des propos du premier et le troisième pour témoigner éventuellement que la mission a été accomplie dans les normes traditionnelles) 7. Et dans les Assemblées où les délégués devaient représenter un groupe, pouvant l'engager d'une certaine manière, leur nombre atteignait cinq voire sept. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il leur fallait se consulter, délibérer ensemble pour adopter une attitude commune.

Chaque délégation ne comprenait-elle pas souvent un représentant du chef, un du Conseil des Anciens, un ou deux scribes faisant fonction de secrétaires ? A ceux-là s'ajoutait souvent un griot (gawlo) à cause de son éloquence et de son habileté diplomatique Et parmi ces représentants il y avait au moins un ou deux spécialistes des questions religieuses et juridiques (l'une et l'autre étant liées) En fait ce qui importait c'était moins le nombre que la qualité des représentants 8.

Ceux-ci formaient un tout, même s'ils avaient été désignés par des personnes différentes (le chef ou les membres des conseils ou des Assemblées). Mais comment étaient-ils choisis ? Étaient-ils élus ou nommés ? Encore une fois, les documents ne le précisent pas, mais d'après ce qu'on sait par ailleurs de la « manie » électorale de l'époque, il ne serait pas exagéré de penser qu'ils étaient élus individuellement à l'intérieur d'un certain nombre de familles héritières de la charge ou de la fonction. Cette hypothèse trouve sa justification dans l'origine d'un des délégués du Conseil permanent à l'Assemblée : celui du teekun de Moodi Makka.

Dès la première réunion de l'Assemblée de Fugumba, Moodi Makka avait été porté à la présidence comme porte-parole de tous les membres. Cette fonction resta toujours dans sa famille par élection et par héritage. C'est ainsi que vers la fin du régime de l'Imaamat, la mission Bayol-Noirot en 1881 trouva l'Assemblée de Fugumba présidée par Moodi Jogo, petit-fils ou arrière-petit-fils de Moodi Makka 9.

On peut donc dire que les délégués étaient élus parmi les candidats nommés par les familles héréditaires. Toutes les élections chez les Peuls du Fuuta reposaient sur ce même principe.

Ainsi vouloir tracer une ligne de démarcation entre la représentation de type démocratique (par voie d'élection) et la représentation du type traditionnel (par héritage) c'est ne rien comprendre à la structure des institutions de l'ancien Fuuta. Il n'y a jamais eu en effet, opposition ou contradiction entre les différents modes de représentation Voilà pour ce qui est du choix des membres de l'Assemblée.

Une autre question vient à l'esprit: les délégués en allant représenter leur province à Fugumba, recevaient-ils un « mandat impératif » ? En d'autres termes étaient-ils tenus de se conformer strictement aux instructions de leurs mandants ? Dans l'affirmative, cela voudrait dire qu'ils n'avaient pas la liberté d'exprimer leurs opinions et leurs votes, n'importe comment.

Or il est difficile de l'affirmer devant le silence des documents. Mais la tradition orale permet de dire que s'ils ne recevaient pas un « mandat impératif » à cause de la souplesse de vote qui leur était laissée, ils se soumettaient néanmoins à des instructions dans le cadre desquels ils n'avaient pas le droit de sortir. Mais ce cadre était suffisamment large et leur laissait une grande liberté d'action. D'ailleurs, les consultations entre les membres d'une même délégation d'une part et les apartés fréquents entre ceux de différentes délégations, d'autre part, confirment l'existence d'une certaine liberté de manœuvre dans les réunions de l'Assemblée. De plus la présence des spécialistes de telle ou telle question, rendait possible l'interprétation des instructions données au départ, même si celles-ci revêtaient un caractère catégorique voire impératif. Certains de ces délégués n'avaient-ils pas été les auteurs de ces instructions reçues ? Mieux encore, on peut dire qu'il n'y avait même pas lieu de donner un « mandat impératif » lorsque le chef de la province et les principaux personnages du Conseil des Anciens faisaient partie de la délégation. Ainsi composée, elle pouvait manoeuvrer en toute liberté à Fugumba, puisque sa représentativité la mettait à l'abri des critiques 10.

Le mandat « impératif » trouvait sa justification dans la composition des délégations. Suivant la qualité des membres ou l'importance des problèmes à résoudre, il se révélait nécessaire ou superflu. Ce qui comptait en fait, c'était la valeur des délégués et le rang qu'ils occupaient dans la hiérarchie sociale. Ne les choisissait-on pas pour leur compétence beaucoup plus que pour leur popularité ? Si cette dernière pouvait influer dans certains cas, elle n'entrait pas en ligne de compte dans les raisons du choix.

D'ailleurs, les membres des délégations ne représentaient pas directement le peuple, aussi leur popularité apparaissait-elle comme un luxe superflu.

L'on comprend dès lors la grande influence des marabouts, détenteurs de la culture théologique (la seule concevable à l'époque dans ce type de société) et le rôle prépondérant qu'ils jouaient dans les Conseils et Assemblées de l'ancien Fuuta. A Fugumba, ils constituaient la majorité de l'Assemblée. C'est cette prédominance des vieillards qui la faisaient apparaître comme une sorte de Sénat à la romaine. Des hommes mûrs souvent fort âgés, composaient les délégations. Leur culture et leur expérience acquises avec l'âge, les rapprochaient de l'homme idéal tel que l'éthique peule le concevait à l'époque 11. Mais si sa composition semblait réduite, l'Assemblée grâce à la qualité de ses membres avait un rôle qui la rehaussait au niveau d'une véritable institution nationale.

B. Rôle

Pour comprendre le rôle que jouait dans l'ancien Fuuta, l'Assemblée de Fugumba, il convient de se demander si elle était souveraine ou consultative. S'il lui arrivait de donner des avis sur telle ou telle question soumise par l'Almaami de Timbo ou un des chefs de province, I'Assemblée prenait souvent des décisions. Elle apparaissait comme une institution souveraine parce que non soumise à une autorité ou à un organe quelconque.

Mais à cause de la conception théocratique de l'Etat sa souveraineté était limitée par le pouvoir divin.

Cette souveraineté n'émanait pas du peuple, mais de la religion, car l'Assemblée loin d'être l'expression de la volonté populaire, était l'expression d'une minorité aristocratique dont l'ancienneté dans la pratique religieuse tenait lieu de lettres de noblesse 12.

Bien que choisie par une couche restreinte de privilégiés, elle ne prétendait pas moins représenter toute la communauté des croyants.

Ses membres réunis à Fugumba, ressemblaient davantage à des « pères conciliaires » qu'à des députés à une Assemblée nationale. Ils étaient plus théologiens que politiciens même si les problèmes politiques dominaient toute leur activité. D'ailleurs, les questions même les plus profanes, prenaient souvent une teinte religieuse dès qu'elles étaient soumises à discussion. Ce qui se comprend aisément puisque l'Imaamat du Fuuta, tout comme le califat médiéval du Moyen-Orient, inspiré des principes de l'Islam, ignorait la séparation des pouvoirs spirituel et temporel 13.

La souveraineté de l'Assemblée venait aussi du fait qu'elle se considérait comme la plus haute autorité de l'État théocratique Porte-parole des croyants plutôt que représentants du peuple, ses membres paraissaient tout-puissants puisqu'ils n'avaient de comptes à rendre qu'à leurs mandants, or on a vu qu'ils pouvaient être les mandants d'eux-mêmes. L'autonomie des provinces donnait en plus un relief particulier à la souveraineté de cette Assemblée.

Pourtant ce n'était ni la base étroite de sa composition ni la valeur intrinsèque de ses membres qui lui conféraient son importance, mais plutôt son rôle.

Autant son activité était réduite dans les domaines économiques et sociaux, autant elle était grande dans les domaines politiques et culturels

Economique et social

Le système fédéral laissait aux provinces toute liberté d'action en matière économique et sociale. L'assemblée ne donnait que des directives et des conseils d'ordre général. Elle se contentait de négocier les traités de commerce, de fixer les taxes de douane et de faire signer des licences ou des permis de circulation pour les étrangers, à l'intérieur du Fuuta.

Elle organisait les garde-frontières pour empêcher la sortie massive des richesses du pays : troupeaux, récoltes et esclaves. Forteresse assiégée pendant très longtemps, le Fuuta n'a connu qu'une économie de subsistance autarcique. Produire pour se suffire et non pour exporter ou échanger, telle fut sa règle d'or. Les transactions commerciales étaient presque nulles durant toute la période. Les échanges étaient plus fréquents d'une province à l'autre qu'avec les pays étrangers. Néanmoins les souverains (surtout ceux du parti soriya) ne restaient pas indifférents devant les problèmes que posait le commerce extérieur. Aussi s'intéressaient-ils aux relations avec les comptoirs européens installés sur la côte, à Bissau, Boké, Boffa, Dubréka, Iles de Loos, Benty et Freetown 14.

Ils essayaient de bien traiter les voyageurs et explorateurs qui arrivaient à la cour de Timbi, souvent porteurs des traités d'amitié et de commerce. Si ceux-ci n'arrivaient pas souvent à les faire signer, c'est que les princes du Fuuta, anciens conducteurs de peuples nomades n'avaient pas le sens des affaires aussi aigu que leurs voisins Mandeng ou Hawsa, les vrais commerçants de l'Afrique soudanienne.

Et si l'Assemblée pour toutes ces questions s'en remettait à l'Almaami régnant et aux chefs de provinces, elle s'intéressait de près au sort des étrangers de passage, commerçants ou non et n'hésitait pas à rappeler le droit à l'hospitalité traditionnelle au nom des principes de l'Islam et des coutumes ancestrales.

Quant aux problèmes sociaux les plus graves, ils ne se posaient pas comme dans les pays avancés de l'époque: le chômage et les troubles qui en résultent, n'existaient pas dans ce type de société où le luxe de l'abondance était inconnu. La concentration de la main-d'oeuvre servile était un phénomène rare même dans les champs ou les plantations de grands chefs.

La famine latente, menaçait à la fin de chaque saison au moment de la soudure, mais néanmoins chacun pouvait subsister grâce à la solidarité de tous.

Il n'y avait donc pas lieu de faire intervenir l'État par la voix de son Assemblée qui était l'expression de cette solidarité. Ce n'est donc pas dans le domaine économique et social qu'il faut rechercher l'activité essentielle de cette institution, car le système fédéral ne lui permettait pas d'avoir directement prise en cette matière. Les provinces y consacraient l'essentiel de leurs activités, limitées qu'elles étaient sur le plan politique.

Politique et culturel

Dans ces deux domaines, le Grand Conseil des Anciens de Fugumba, apparaissait vraiment comme une Assemblée souveraine tant son rôle était important. Déjà à plusieurs reprises, il a été fait état de l'importance du rôle culturel des Conseils et des Assemblées du Fuuta. Qu'il suffise de rappeler pour mémoire, qu'à Fugumba se réunissait une ou deux fois par an ou tous les deux ans, une assemblée de théologiens, sorte de « concile » pour examiner la situation générale du pays sur le plan religieux.

L'Assemblée Fédérale des Anciens n'était pas étrangère à ces réunions et elle s'intéressait à toutes les manifestations de la vie culturelle.

Mais comme le mécénat n'était pas très développé, I'intervention de ses membres se limitait à des vœux et à des recommandations allant dans le sens du respect de la foi et des coutumes. Ils invitaient les chefs à favoriser la construction de mosquées et le progrès de l'enseignement pour les enfants des deux sexes y compris ceux des serviteurs et des hommes castés 15. On les consultait aussi pour la transformation de certaines mosquées simples en mosquées plus grandes susceptibles de servir à la prière commune du vendredi 16.

Mais l'action politique de l'Assemblée était de beaucoup la plus importante. Elle s'orientait principalement dans trois directions, la guerre, la paix et la défense de la foi.

La guerre : pays essentiellement musulman, dont le gouvernement était théocratique, le Fuuta ne connaissait que des guerres saintes (jihaadi). Déclarées au nom de la communauté des croyants par l'Assemblée fédérale; qui donnait son accord et son appui, et déterminait le nombre des contingents participants, elles ne devaient être menées que contre des infidèles. Toutefois, I'initiative pouvait venir de l'Almaami ou de tout autre chef de province. Seulement l'accord de l'Assemblée était nécessaire pour déclencher les hostilités. Personne, pas même l'Almaami, chef des Armées, ne devait se lancer dans une aventure guerrière sans s'être assuré l'appui des vieillards de Fugumba. Eux seuls étaient habilités à engager dans une guerre toute la communauté des croyants. Et si le souverain, ou un chef de province prenait le risque de passer outre, il devait se contenter du seul contingent recruté dans son fief et en cas de défaite, il en récoltait toutes les conséquences 17.

L'Assemblée gardienne de la foi et de l'orthodoxie, refusait d'une manière catégorique, aux armées du Fuuta d'entrer en campagne contre un pays ou un peuple déjà islamisés. C'est ainsi qu'elle refusa aux Almaami de faire la guerre aux Hubbu qui étaient des Peuls musulmans pourtant révoltés contre le pouvoir central de Timbo.

La paix

L'Assemblée qui déclarait la guerre, pouvait aussi signer la paix. Les traités de paix, d'amitié ou de commerce étaient signés par les souverains au nom de l'Assemblée, porte-parole de la communauté. Le problème de la paix ne se posait pas seulement avec les pays voisins, mais à l'intérieur même du Fuuta : entre les différentes provinces, entre une province et ses gros villages révoltés, entre les villages et les hameaux, entre les membres de familles, entre les hommes libres et les esclaves pour l'équilibre du système, enfin tout ce qui avait trait à la concorde, aux rapports de bon voisinage et à l'entente fraternelle entre les croyants.

Et elle avait à coeur de régler pacifiquement tous les différends qui surgissaient entre les membres de la communauté musulmane.

Le problème de la paix se révélait d'autant plus intéressant que le Fuuta était régulièrement en état de guerre soit pour se protéger contre des menaces d'invasion, soit pour envahir au nom de l'Islam. Ses voisins le harcelaient et il ne les laissait en répit que pour restaurer ses forces. Il passait souvent de la défensive (forteresse assiégée) à l'offensive (forteresse assiégeante) 18.

La défense de la foi

Mais pour l'Assemblée, la guerre et la paix n'avaient pas d'autres buts que celui de servir la religion. Protectrice de la foi, elle s'élevait contre toutes les atteintes qu'elle pouvait subir à l'intérieur ou à l'extérieur. Dans le pays elle censurait la vie et les mœurs des fidèles. Elle fustigeait le comportement de certains chefs envers l'Islam. Elle mettait à l'index les œuvres littéraires jugées peu orthodoxes. Les « Conciles » de Fugumba remplissaient souvent le même rôle.

Rien d'étonnant à cela, puisque dans les deux assemblées, on retrouvait fréquemment les mêmes personnes. A l'extérieur l'Assemblée contrôlait les expéditions militaires pour qu'elles ne soient pas détournées de leur but initial : la conversion des infidèles. Elle surveillait les soldats et les chefs souvent aveuglés par le désir de faire du butin. Or leurs actes ne devaient en aucun cas être contraires aux prescriptions de l'Islam. Et ceux qui passaient outre, devaient s'attendre à de violentes critiques de la part des membres de l'Assemblée qui ne ménageaient alors personne.

Si ces précautions dénotaient un réel souci de justice, elles avaient surtout pour but d'éviter que des actes de pillage, d'incendie et d'assassinat ne discréditent la cause que les croyants étaient censés défendre au cours de leurs expéditions.

Ainsi l'Assemblée fédérale défendait la cause musulmane à l'intérieur et à l'extérieur du pays, par la guerre et la paix.

En définitive, le fait de rassembler des délégués venus de toutes les provinces, donnait à l'Assemblée son caractère représentatif. Même si sa base semblait étriquée et le mode de désignation de ses membres anti-démocratique, elle n'en jouait pas moins un rôle primordial. Au nom de l'Islam qui lui donnait sa souveraineté, elle contrôlait la gestion politique de l'Almaami régnant.

Celui-ci conformément au principe islamique de l'infaillibilité de la communauté devait lui être soumis, mais cette soumission semblait plus apparente que réelle. En effet le système était organisé de façon à ne pas mettre le souverain en position d'infériorité. Autrement dit, les membres de l'Assemblée faisaient tout pour éviter de faire sentir aux Almaami le poids de leur institution. Pourtant la verdeur de leur langage ne laissait présager aucune tendresse à leur égard. Mais les uns et les autres exerçaient leur fonction avec tact et circonspection. Leur rivalité, souvent sourde, n'autorisait aucun écart de langage. Tout se passait entre gens de même éducation, entre privilégiés défendant la pérennité du même système 19.

Si l'Assemblée fédérale de Fugumba était la plus haute institution de l'Imaamat du Fuuta Dyalon, elle ne représentait pas directement tous les croyants, seules les Assemblées populaires jouaient ce rôle.

Notes
1. Bayol, 1888, p. 77, Arcin, 1911, p. 96 et 97, Guéɓard, 1910, P. 18 et suiv., Tauxier, 1937, p. 337 et suiv., Vieillard, Notes sur les Peuls, 1939, p. 131 et suiv. et Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 12, 21, 30, 31 et 32.
2. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 10, 16, 21, 31.
3. Ce mot d'origine arabe (ghahiliyya) désigne la période anté-islamique considérée comme une période de ténèbres, de l'ignorance ; c'était pour l'opposer à la clarté divine apportée par l'Islam. Or il y avait en fait une brillante littérature arabe à cette époque.
4. Vieillard, Notes sur les Peuls, 1939, p. 101 et suiv.
5. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 31 et 32.
6. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 12, 21 et 31.
7. Cette précaution répond au souci des Peuls en général et ceux du Fuuta en particulier de bien faire quand ils sont envoyés en mission. C'était l'application d'un proverbe qui leur servait souvent de devise dans l'accomplissement de leur tâche: « la manière de faire vaut mieux que ce que l'on fait ». On entend souvent répéter ce proverbe aujourd'hui.
8. Cf. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 12, 21 et 31.
9. Noirot le décrit ainsi :
« Il (Modi Dioko) (i. e.; Moodi Jogo) a dépassé la soixantaine. Sa figure est fine et bienveillante. Son regard doux et pénétrant ; sa toilette est soignée et simple à la fois... Outre la belle vallée de Heriko, il possède des « rounde » sur toutes les montagnes du voisinage et dans plusieurs contrées du pays. Il aurait dit-on, cinq mille captifs. Jamais il ne manque de riz et comme il est très généreux, il secourait ceux dont les récoltes sont mauvaises. »
Cité par Arcin dans son Histoire de la Guinée Française, Paris 1911, p. 98.
10. Vieillard, Notes sur les Peuls et aussi Fonds Vieillard, docum. hist., cahier n° 32.
11. Cf. Vieillard, Notes sur les Peuls, 1939, p. 163 et suiv.
12. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 31 et 32.
13. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 12 et 21.
14. Bayol, Voyage en Sénégambie, 1888. Cf. le traité de protectorat qu'il a signé au nom de la France avec les Almaami du Fuuta en 1881 à Timbo. Cf. Notre mémoire annexe de DES: La Mission du Dr Bayol au Fouta Djalon (Paris, Sorbonne 1964, dactylographié, p. 50 et suiv.).
15. Cf. ci-dessus, 1ère partie la structure sociale et aussi Fonds Vieillard, docum. littéraire, cahier n° 58.
16. Au Fuuta il y avait deux types de mosquée :

Seules ces dernières servaient aux prières communes du vendredi et partant aux assemblées populaires dont il va être question plus loin. 17. Cf. Aperçu historique, Ière partie.
18. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 25, 36, 37, 39 et 41.
19. Fonds Vieillard, docum. hist., cahiers nos. 12, 21, 30, 31. Cf. aussi docum. ethno-sociolog., cahier n° 90, sur le langage respectueux des Peuls du Fuuta Dyalon.