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Thierno Diallo
Institutions politiques du Fouta-Djallon au XIXè siècle

Collection Initiations et Etudes africaines
Dakar, IFAN, 1972. 276 pages


d. Attitude des Peuls en face de l'industrie artisanale et du commerce.

A l'égard de l'industrie artisanale et du commerce les Peuls prirent une attitude encore plus hostile que celle qu'ils avaient à l' égard de l'agriculture.
Envers cette dernière, il s'agissait d'une incapacité réelle alors qu'ici il s'agit d'une attitude psycho-sociologique refus systématique d'approcher de près ou de loin l'exercice de tout métier exigeant une dextérité quelconque. Comme ces métiers étaient nécessaires à la société peule, ils furent tolérés voire sollicités sans doute avec des privilèges importants que ne connaissaient pas les autres couches laborieuses de la population. Nul besoin de leur accorder des monopoles, puisque l'exercice d'un métier spécial constituait en soi un monopole.
La division du travail et la spécialisation étaient si poussées 1 dans certains aspects de l'économie que la société n'a pas manqué d'assimiler l'exercice de tel métier à l'appartenance à telle ethnie. C'est ainsi que les Peuls devenus maitres du pays, ont réparti aux différentes couches de la société, le travail qu'elles devaient effectuer au profit de la communauté toute entière. Ils se sont eux-mêmes réservés des tâches bien précises. Et c'est la répartition de ces tâches qui a permis et permet encore de classer les diverses couches de la population suivant les fonctions occupées par chacune d'elles. Elle permet ainsi de comprendre l'organisation sociale de la communauté Peule du Fuuta Dyalon.

Ce bref aperçu concernant l'élevage, l'agriculture, l'artisanat et le commerce donne une idée de ce qu'était l'organisation economique.
L'élevage qualifié de "sentimental" apparaît bien au regard d'un occidental comme un élevage inutile puisqu'il est sans intérêt immédiat et sans profit. Il n'est pas destiné à une commercialisation, c'est-à-dire que pecus ne vaut pas pecunia, pour reprendre l'expression de Jacques Richard-Molard. Néanmoins si l'on observe le problème en dehors de tout préjugé et de tout "fétichisme" de la monnaie, force est de constater que cet élevage n'est pas aussi inutile qu'on le dit. Il sert à conserver les biens acquis jouant ainsi le rôle de banque de dépôt ou de trésor. Cet élevage constitue une des formes de la thésaurisation de la richesse en Afrique noire en général et en pays peul, en particulier.
Aussi le métier "d'éleveur" de bétail, est-il considéré comme un des plus nobles principalement par les Peuls et les pasteurs de l'est africain. Cette situation privilégiée se trouve confrmée. En effet grâce à la supériorité de leurs armes et à leur monture les conducteurs de bétail livrèrent des combats victorieux aux peuples agriculteurs. Faisant figure d'envahisseurs, ils obligèrent les sédentaires à les reconnaître comme leurs supérieurs, et c'est ainsi que ceux-ci arrivèrent à estimer, à tort ou à raison, que le chemin de la noblesse et de la dignité passait par la possession du bétail.
L'agriculture, dans ce massif montagneux couvert en grande partie de latérite s'est trouvée defavorisée par le départ massif des paysans traditionnels qu'étaient les Jalonke. Ceux-ci connaissaient leur métier, alors que les Peuls, après la conquête, ne furent pas en mesure d'obtenir les mêmes rendements que leurs prodécesseurs, malgré l'emploi systématique d'une main-d'uvre servile.
Par fierté du nomade et par orgueil du pasteur, le Peul a toujours considéré le travail de la terre comme méprisable. Il ne consentait à courber le dos au soleil que s'il ne trouvait personne pour le faire à sa place.
L'industrie artisanale fut revalorisée par les commandes des Peuls beaucoup plus importantes que celles des Jalonke anciens maîtres du pays.
Chaque corps de métier avait ses spécialistes et nul ne pouvait exercer la profession d'un autre.
Le commerce, dans un système économique autarcique où il n'y avait ni monnaie, ni marché, ne pouvait être très florissant.
Seuls quelques échanges, par troc, tenaient lieu de commerce national et international, et ces échanges étaient-ils entre les mains d'étrangers.
Cette situation économique reflétait à tel point la situation sociale que seule une question de méthodologie empêche leur étude concomitante, simultanée.


Note
1. Cette division très poussée n'est nullement la conséquence d'un développement technique important, c'est-à-dire qu'elle n'est pas le résultat d'une technologie avancée de la société comme ce fut le cas dans les sociétés européennes à l'aube de la grande révolution industrielle.