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Taariika / Histoire


Ernest Noirot
A travers le Fouta-Diallon et le Bambouc (Soudan occidental)

Paris. Librairie Marpon et Flammarion. 1882. 248 p.


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Conclusion

Le Fouta-Diallon est compris entre le 9° et le 13° 30' de latitude nord et le 16° et le 11° de longitude ouest.
Pour les Foulahs, le Fouta s'étend jusqu'à la mer, en réalité il n'en est pas ainsi. Les populations Landoumans, Soussous, Nallous, etc., qui habitent le littoral, paient un tribut aux Peulhs, il est vrai, mais leur territoire est bien à eux.
Grâce à son altitude élevée, le Fouta jouit d'un climat tempéré et relativement très sain. Les observations thermométriques n'ont jamais indiqué plus de 30° centigrades et le plus souvent le thermomètre se maintenait entre 20° et 28°. C'est donc une chaleur très supportable et les Européens peuvent vivre dans ces sites magnifiques sans courir les dangers que l'on rencontre au Sénégal et dans le voisinage de la côte, Les fleuves Sénégal, Niger, Gambie, Rio-Grande, Kakrima, Falémé et tant d'autres moins importants prennent tous leur source sur les hauts plateaux du Fouta. Un nombre considérable de petits cours d'eau, affluents des grandes artères, arrosent le pays et sont les causes de sa végétation vivace et de sa grande fertilité. L'hivernage, ou plutôt la saison des pluies, dure sept mois. La flore est plus riche eu arbres de haute futaie qu'en plantes herbacées. On rencontre très peu de fleurs des champs, mais de hautes herbes à grosses tiges recouvrent les parties de terrain non cultivées.
Les forêts produisent beaucoup d'essences de bois propres à l'ameublement et à la construction. Les principaux arbres du pays sont :

Le caoutchouc y est très abondant. Toutes les variétés de palmiers sont représentées. Les orangers, les citronniers, les bananiers, les papayers sont des arbres de luxe que l'un ne rencontre pas à l'état sauvage. De nombreux arbres fruitiers sauvages poussent dans la brousse. Quant aux caféiers, on n'en trouve que dans le Bambaya et sur le Fatala, ce qui pourrait faire supposer que cet arbuste a été importé par des Européens qui avaient établi des plantations à une faible distance de la côte. Par malheur, les indigènes n'en prennent pas un grand soin. Les purguères (épurges), dont la graine oléagineuse est si recherchée, entourent toutes les propriétés. Enfin, la vigne se trouve partout ; mais les Peulhs, qui appellent cette piaule poude tiolli (graine d'oiseaux), n'en tirent aucun parti. La vigne du Soudan est une espèce de vigne tuberculeuse. La racine est vivace, mais les sarments meurent annuellement et se détachent de la racine au ras du sol. Sur le même sarment on peut voir des feuilles alternes et opposées, assez semblables à celles de notre vigne. Les grappes de raisins acquièrent différentes grosseurs et peuvent atteindre le poids de 500 grammes : les grains sont noirs, de forme allongée et ont une pulpe très épaisse, le goût en est un peu amer, les pépins sont très gros. Les antilopes et les oiseaux sont, paraît-il, très friands de ces grains de raisin et en font une grande consommation.
Les produits cultivés sont :

Mais à part les arachides qui sont l'objet d'une grande culture en vue de l'exportation, les autres produits ne sont guère cultivés que pour les besoins du pays.
On y trouve également des patates, des oignons (soblés), des haricots (niébés), du manioc, etc.
Sans avoir de grandes connaissances agricoles, il est facile de se rendre compte que bien des produits des régions tempérées s'acclimateraient au Fouta.
La faune comprend des lions, des léopards, des chacals, des hyènes, beaucoup de singes. On y trouve aussi des oiseaux magnifiques, des perdrix, des pintades et des lièvres. En revanche, ce qu'il y a de fourmis de toutes espèces et de toutes dimensions, est effrayant. On pourrait croire que toutes les fourmis de la création se sont donné rendez-vous dans ces pays. Cependant la culture doit les détruire, car si on rencontre fréquemment dans la brousse des amas de terre ressemblant à des huttes, ouvrages des termites, ou fourmis blanches ; dans les terrains cultivés on n'en voit pas du tout.
Presque tout le commerce des Rivières du Sud et de Sierra-Leone se fait avec le Fouta ou par le Fouta ; il porte principalement sur :

Tous ces produits sont apportés par les caravanes qui viennent quelquefois de très loin. Certaines même venant du Ouassoulou, pays situé sur la rive droite du Niger, accaparent l'or du Bourré et apportent tous ces produits, surtout l'ivoire et l'or, aux comptoirs européens où elles les échangent contre des produits de notre fabrication et du sel. Il est aisé de voir par ce qui précède que tous ces produits du sol pourraient être plus importants. Les arbres à caoutchouc, les caféiers, cultivés, soignés par des Européens, se multiplieraient à l'infini et deviendraient une grande source de richesses, les troupeaux de boeufs considérables déjà s'accroîtraient encore. La culture du tabac donnerait d'excellents résultats. On se rend parfaitement compte du développement que ce pays peut atteindre avec l'aide du commerce et de la colonisation.
Le Fouta-Diallon est donc merveilleusement placé pour devenir une florissante colonie, où l'excédent de nos forces pourra s'épancher librement. Les colons qui iraient peupler ce pays, non seulement y trouveraient le nécessaire, mais même le superflu. Avec du courage, du travail et de l'énergie, les déshérités de la vieille Europe pourraient se créer des ressources multiples en cultivant les fertiles terres du Fouta.
Malheureusement, la population du Fouta-Diallon est d'une faible densité. En cherchant bien, on n'y trouverait pas un million d'habitants, et ce territoire est grand comme la France.
Des sentiers relient les villages les uns aux autres et suffisent, aux besoins des habitants ; mais, si les Foulahs se servent un jour d'outils aratoires et de chariots, les moyens de communication s'agrandiront ; se multiplieront, des routes convenables seront créées. Un traité lie le Fouta Diallon à la France ; il autorise nos concitoyens à y établir des comptoirs et à cultiver le sol. Pourtant il ne faudrait pas pour cela conclure que nous n'avons qu'à nous y installer tranquillement comme nous irions le faire dans quelque coin perdu d'un département français.
On l'a vu au courant de ce livre, le Peulh est sociable, hospitalier, d'un commerce facile avec les blancs ; mais, comme tous les peuples primitifs, il est défiant à l'excès, et, par défiance, il pourrait quelquefois se livrer à des tracasseries fort gênantes. Il sera donc nécessaire, le jour où nos nationaux iront s'installer au Fouta, que notre gouvernement se fasse officiellement représenter, près de la cour de Timbo, par un commissaire chargé de régler les différends qui pourraient survenir entre les colons et les naturels. A cette condition, étant donné le caractère des Peulhs, on peut se porter garant du succès.

Le Bambouc, autrefois grand pays homogène, est aujourd'hui morcelé en petits Etats indépendants. S'il n'offre pas les mêmes conditions de salubrité que le Fouta-Diallon, ce n'en est pas moins un pays d'avenir. Le Bambouc n'est ni plus ni moins sain que le haut-Sénégal. Lorsque la voie ferrée qui doit relier le Sénégal au Niger sera construite, si l'on tente des essais de colonisation dans cette contrée, il n'y a point de raison pour que l'on n'exploite pas le Bambouc.
Ce pays recèle des produits agricoles en quantité : riz, mil, maïs, fognié, coton, arachides, tabac, bois de teinture, etc., etc. De plus, l'or y est très abondant et deviendra l'objet d'une grande exploitation. Sans trop s'avancer on peut dire que, de la Gambie à la chaîne du Tambaoura, dans tout le bassin de la Falémée, en quelque endroit du sol que l'on pratique des fouilles, on y trouvera de l'or.
Tous les explorateurs qui, depuis Compagnon jusqu'à nos jours, se sont succédé au Bambouc, nous ont représenté ce pays comme le plus malsain que l'on puisse habiter. Il y a là beaucoup d'exagération. Le Bambouc est un pays généralement plat ; çà et là quelques mamelons de peu de hauteur rompent seuls la monotonie du paysage. Une unique chaîne de montagnes arides sépare ce pays de nos possessions du Sénégal. C'est la chaîne du Tambaoura, plateau de deux cents à deux cent cinquante mètres de relief au-dessus du fleuve et qui a environ soixante-dix kilomètres de largeur.
Il sera donc très facile de Bakel, de Kayes, de Médine ou de Bafoulabé de se rendre au Bambouc. Au pied de la chaîne, du Tambaoura, on trouve les mines d'or de Sirimana et de Sadiola. La création de routes carrossables n'offrirait aucune difficulté, puisque le sol est le plus souvent plat. Mais en tout cas, le Bambouc est desservi par une voie naturelle d'une importance capitale : je veux parler de la rivière Falémée. La Falémée, ou Faléma, le plus grand affluent du Sénégal, prend sa source au Fouta-Diallon sur le plateau du Labé. Elle arrose le Bambouc qu'elle sépare du Boundou et se jette dans le fleuve Sénégal à vingt kilomètres en amont de Bakel. Elle n'est pas navigable toute l'année pour les navires à vapeur ; mais pendant la saison des hautes eaux, les avisos de la station de Saint-Louis remontent jusqu'à Sénoudébou. En 1859, le Griffon, aviso à roues, remonta même jusqu'à Farabana. Au delà de ce point, cette rivière est pour ainsi dire inconnue.
A Guéséba, où nous avons traversé la Falémée, elle n'a pas moins de cent cinquante mètres de largeur et elle est très profonde. Il est vrai que quelques roches se montrent au milieu du fleuve, en face du village même, mais pas de façon à empêcher la navigation. Guéséba, Farenkounda, Kérékoto sont des points où l'or est très commun ; de plus, il est facile de se rendre, même actuellement, à l'aide de chariots, de ces points aux villages de l'intérieur. Il est donc très important de savoir si la Falémée est praticable pour des chalands de faible tirant d'eau, car la question des transports serait résolue.
Comme celle du Fouta-Diallon, la population du Bambouc est très clairsemée ; les guerres et les négriers en sont les causes. Il serait à souhaiter, afin de rétablir le calme dans ce pays, que tous ces Etats infimes fussent placés sous notre protectorat ; ils ne pourraient plus se nuire. Faire la fédération du Bambouc, lui rendre son autonomie serait une oeuvre humanitaire. Avec les Malinké du Bambouc, nous n'avons pas à nous heurter contre le fanatisme musulman. Ils sont ou fétichistes ou indifférents en matière religieuse et, pour ces raisons, ils seront moins rebelles que les croyants à l'influence de notre civilisation.
Un seul blanc, énergique, sévère même, mais d'une grande justice, entouré seulement d'une garde de vingt-cinq noirs, pour relever son prestige, et sûr d'être appuyé en cas de danger grave, pourrait maintenir la concorde entre tous ces seigneurs féodaux qui deviendraient les vassaux de la France, et l'abolition de l'esclavage ferait un pas de plus.
Il ne faut pas nous le dissimuler, l'esclavage est le plus grand obstacle à notre marche en avant. Les pires ennemis des explorateurs sont les négriers de toutes couleurs et les prêcheurs de guerre sainte. Les uns et les autres spéculent sur la chair humaine, ils savent que nous ne voulons pas d'esclaves, ils feront toujours leur possible pour nous empêcher de pénétrer dans l'intérieur ; leur grenier à esclaves.

L'oeuvre de l'abolition de l'esclavage trouvera dans le commerce et l'agriculture ses plus grands moyens d'action.
Les négociants assez audacieux pour porter leurs produits au milieu de ces peuplades pliées sous le joug de potentats cruels, non seulement y réaliseront de grands bénéfices, mais feront encore oeuvre d'humanité et auront plus travaillé pour tuer l'esclavage que toutes les théories et les décrets émis jusqu'à ce jour.
Lorsque les naturels du Soudan, au lieu d'acheter près des courtiers noirs ou maures les produits qu'ils échangent exclusivement contre des esclaves, trouveront et le sel qui leur coûte si cher et les autres productions en échange seulement de ce que leur donne le sol, ils travailleront davantage pour satisfaire à leurs besoins et, dès qu'ils auront compris qu'avec une charrue et une paire de boeufs, deux hommes peuvent faire l'ouvrage de cinquante, l'esclavage mourra de lui-même.
Sans préconiser un système pour réduire cette question toujours pendante, je suis en droit de croire que, mieux que tout autre peuple de l'Europe, nous pouvons contribuer à l'abolition de l'esclavage. Nous sommes tolérants, notre caractère plaît aux noirs, nous respectons les usages, les coutumes et les convictions religieuses. Parfois, il nous arrive bien de châtier, mais c'est pour faire respecter notre autorité et malgré cela les noirs ont de la sympathie pour nous.
Reprenant l'innovation du général Faidherbe, avec les écoles, nous élèverons les sentiments des noirs. Sans arrière-pensée, ils viendront s'asseoir autour d'un maître qui leur enseignera à parler français. Tout en développant l'intelligence des fétichistes, nous nous efforcerons, à l'aide de l'instruction, d'apaiser les rigueurs de l'Islamisme. Enfin, sous notre protection, ces pays fertiles se repeupleront et notre commerce trouvera là un grand débouché. En vivant avec les noirs, j'ai appris à les connaître ; j'ai pu apprécier leurs bonnes qualités, malheureusement enveloppées de coutumes barbares mais qui disparaîtront peu à peu.

Je suis donc persuadé que le noir est un être facile à développer, susceptible d'un grand dévouement, et que l'action du blanc exercera sur lui une influence salutaire. Le tout est de savoir s'y prendre.

Fin.