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Taariika / Histoire


Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon : des origines au XXe siècle

Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane


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Troisième Partie
Formation de l'Etat du Fouta-Djallon
Les Diiwe, les Karamokobhe, les Almamis et les Chefs des Diiwe

Chapitre Premier
Le deuxième congrès du Fouta-Djallon à Timbi-Touni

Lorsque les musulmans parvinrent à éliminer politiquement les Djallonkés fétichistes et à asseoir la religion musulmane, le Fouta se trouvait divisé en huit provinces dirigées chacune par un marabout combattant. Ces provinces étaient les suivantes :

En 1743, Alfa Ibrahima Sambégou convoqua un deuxième congrès qui se réunit à Timbi-Touni chez le doyen des Karamokobés. Tous les marabouts combattants y répondirent.

Ce congrès avait pour ordre du jour :

Après l'exposé de chaque marabout, les membres du congres se rendirent compte que les Foula étaient devenus les maîtres du pays. Constatant qu'une unification du pays sous un seul commandement serait irréalisable, en raison de son étendue le congrès décida la division du Fouta en neuf provinces ou diiwe avec la nouvelle création de la province de Fodé-Hadji. Ce diiwal, situé à l'est de Timbo, au-delà du fleuve Bafing, est une région peuplé de Malinkés musulmans et de quelques Foula 1.

Chaque marabout combattant fut nommé chef de la province qu'il a pacifié. Pour le poste de chef suprême, aucume candidature ne se manifesta ouvertement. Alfa Mamadou Cellou du Labé suscita celle de Alfa Ibrahima Sambégou qui, en raison de son activité pour la cause de l'Islam, lui semblait plus capable.
Voici comment il procéda pour parvenir à son élection :

Avant la réunion de l'assemblée, Alfa Mamadou Cellou demanda au doyen Thierno Souleymane d'organiser un hémicycle en réservant au centre une place spéciale. Il suggéra discrètement à Alfa Ibrahima Sambégou d'arriver le dernier sur le lieu de réunion. Quand tous les marabouts prirent place dans l'hémicycle, Alfa Ibrabima Sambégou arriva et aussitôt Alfa Mamadou Cellou l'invita à prendre la place du centre, la seule qui restait inoccupée. D'emblée, il fut considéré comme l'élu du congrès. Ainsi, après les discussions sur les divers points de l'ordre du jour, son élection comme chef suprême du Fouta se déroula sans objection. Il fut appelé Karamoko Alfa.

Après la clôture du congrès, Thierno Soudeymane offrit à chaque province un boeuf. Alfa Ibrahima Sambégou égorgea le sien et partagea la viande entre ses compagnons.

A partir de cette date, le partage d'un animal entre les provinces du Fouta ne posa pluis de problème. Le morceau que chaque province reçut ce jour-là, fut sa part pour l'avenir (gebhal).

Dès leur nomination, chaque chef fut autorisé à choisir le titre qui lui convient.

Ceux de Bhouria, de Timbi-Touni et de Koyin prirent le titre de Thierno, ceux de Labé, de Fougoumba, de Kébâli et de Kollâdhe choisirent le titre d'Alfa. Le Fodé-Hadji, qui était en réalité une annexe de Timbo, fut confié provisoirement à Ibrahima Sory, cousin d'Alfa Ibrahima Sambégou.
Les membres du congrès se rendirent immédiatement à Fougoumba pour procéder à la consécration du chef suprême.

Le couronnement se déroula dans la cour de la mosquée de cette ville. Alfa Mamadou Sadio, chef du diiwal, fut chargé de ce travail. Chaque diiwal fournit un turban blanc en bande de coton, long de quatre coudées. Il ceignait autour de la tête de Karamoko Alfa les neuf turbans en commençant par celui de Timbo.

Après avoir mis le dernier turban, Alfa Mamadou Sadio fit la déclaration suivante :

« Par la volonté de Dieu, le Très Haut, l'Unique dont Mohamed est le Prophète, nous te nommons et sacrons chef suprême du Fouta-Djallon, composé de neuf diiwe. Nous te devons tous respects, obéissance, nous, nos familles et les habitants. Ces turbans sont les symboles du commandement qui t'est confié. »

Karamoko Alfa fit alors asseoir tous les marabouts devant lui et à tour de rôle, ceignit la tête de chacun d'eux d'un turban de même genre. Quand il eut fini, il déclara :

« Au Nom de Dieu et par Sa Volonté, je te fais Alfa du diwal de ... Tout le monde devra t'obéir, te respecter et te considérer comme son maître. »

On remarquera que Thierno Ciré qui a été désigné comme combattant du diiwal de Timbi-Touni n'a pas été confirmé à Bourou-Kaayhe. Il paraîtrait que celui-ci, ayant commis une grave erreur dans son commandement, fut intimidé par Thierno Souleymane. De ce fait, il eut peur de se présenter devant le congrès qui l'aurait sévèrement condamné. Il perdit ainsi son pouvoir et de ce fait aussi le diiwal de Timbi-Madina fut supprimé et rattaché à celui de Timbi-Touni.

Aussitôt après le couronnement des chefs des diiwe, l'assemblée adopta une constitution respectant non seulement les prescriptions du Coran, mais aussi les Hadiths et les coutumes foula dans tout ce qui n'est pas contraire à l'islam. Dans cette constitution, le Fouta-Djallon fut déclaré Etat souverain et indépendant, composé de neuf diiwe :

sous l'autorité d'un chef suprême appelé Almamy, assisté d'un conseil des Anciens. Chaque diiwal fut reconnut autonome.

Le congrès, instance suprême de l'Etat, dont le siège fut fixé à Fougoumba élit l'Almamy a vie et le sacre à Fougoumba. L'Almamy nomme les chefs de diiwe.

La guerre sainte est déclarée par le congrès, sur proposition de l'Almamy qui agit en accord avec le conseil des Anciens. Elle est faite par l'ensemble des diiwe sous le commandement du chef suprême. L'effort de guerre incombe en commun à toute la population.
Les musulmans, citoyens de l'Etat, sont déclarés libres et égaux devant la loi et tous les hommes adultes soumis aux obligations de la guerre contre les infidèles. En plus de cette constitution, des règlements intérieurs furent adoptés concernant le mode d'élection et de couronnement de l'Almamy, les prérogatives accordées à chaque chef de diiwal, la vie sociale, l'enseignement, l'information, la justice et les mesures de capacité et de longueur 2.

Notes
1. La tradition enseigne que les Malinkés islamisés prirent une part importante à la guerre sainte aux côtés des marabouts Peuls. Peu avant la bataille de Talasan, ce sont les Dioulas, ou marchands Malinkés, qui se rendirent en Sierra-Leone pour y acheter des fusils au compte de l'armée musulmane. Ces armes à feu firent la différence et assurèrent le succès aux combattants de la foi. C'est dans le Fodé Hadji que se recrutèrent les contingents malinkés qui se bâttirent dans les rangs de la Jihad. La création de cette province fait droit à la participation des non-Peuls à la guerre sainte.
2. La Constitution et les Règlements malheureusement ne sont pas formalisés dans un document. Mais les nombreux écrits des lettrés en donnent des extraits, comme on le verra plus loin, s'agissant des mesures de capacité et autres dispositions qui font partie du vécu peul.