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Taariika / Histoire


Thierno Mamadou Bah
Histoire du Fouta-Djallon : des origines au XXe siècle

Conakry : Société africaine d'édition et de communication. 1999. 182 p. : ill.
Préface et notes de Djibril Tamsir Niane


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Préface

Il existe une assez abondante documentation écrite sur l'histoire du Fouta-Djallon, contrairement à la plupart des royaumes qui lui sont contemporains. Les sources écrites indigènes sont de deux ordres : les manuscrits en langue arabe et ceux en pular (langue peule), tous ces manuscrits étant l'œuvre d'érudits peuls. Les sources écrites extérieures, pour l'essentiel, sont de la plume des explorateurs, capitaines de la conquête et autres administrateurs du temps colonial.

Cependant, en dépit de l'existence de cette importante documentation, en dehors de quelques études sur des périodes ou des personnages, il y a peu de synthèses sur l'histoire du Fouta-Djallon. Parmi ces travaux, citons : l'Histoire de la Guinée Française d'André Arcin, Paris, 1911, où l'auteur consacre de longs passages au Foutâ-Djallon ; citons aussi L'Islam en Guinée de Paul Marty, Paris, 1921, qui donne la biographie des marabouts et des lettrés du Fouta-Djallon, ainsi que de précieux renseignements sur les confréries et la vie religieuse à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Dans la collection « Grandes Figures Africaines », Thierno Diallo et Boubacar Biro ont respectivement écrit Alfa Yaya, et Bokar Biro. L'ouvrage Fouta-Dialo de Ismael Barry, publié par l'Harmattan, est une brillante étude sur la conquête et la mise en place du système colonial.
Il manquait donc une synthèse ; l'ouvrage de Thierno Mamadou Bali vient à point nommé combler une lacune en nous donnant une vue générale de l'histoire du Fouta-Djallon des origines, c'est-à-dire de la naissance du royaume théocratique (1727) à la conquête coloniale (1896).
C'est le lieu de dire que l'auteur, fils du célèbre érudit Thierno Aliou Bouɓa Ndiyan, a eu le privilège de grandir dans le milieu maraboutique du Fouta du début du XXe siècle ; il a eu à sa disposition les nombreux écrits de son père ; autour de ce dernier, il a puisé aux sources orales qui sont restées vivaces au Fouta-Djallon en dépit de la pratique courante de l'écriture.
Thierno Aliou Bouɓa Ndiyan était auteur d'un Précis d'Histoire du Fouta-Djallon en arabe ; il avait autour de lui de nombreux talibés ou disciples ; il a été mêlé pour une courte période à la vie politique du Fouta-Djallon, peu après la conquête colomale. Mais il consacra le plus clair de son temps à l'étude et à l'enseignement, car c'est une véritable école qu'il entretint à Labé au début de ce siècle. Thierno Mamadou Bah, lettré en arabe, en poular et en français, était en état de grâce pour entreprendre d'écrire une Histoire du Fouta-Djallon. Il est à souligner que chacune des neufs diiwe, ou provinces du Fouta-Djallon, avait des écoles, des érudits et des traditions historiques — car chaque province jouissait dès l'origine d'une large autonomie politique.
La province de Labé, la plus importante du royaume théocratique, était néanmoins la pièce maîtresse du système politique original mis en place par les fondateurs. Originaire de Labé, l'auteur, par la force des choses, met en relief le rôle de Labé, ainsi que les rapports particuliers entre les Mmamys de Timbo et les Alfa de Labé. L'histoire du Fouta-Djallon pose quelques problèmes qui sont loin d'être résolus. C'est d'abord celui de la chronologie : quand, à quelle date précise, la djihad fut-elle déclenchée ? Depuis l'époque coloniale, la date de 1725 a été avancée ; d'abord simple approximation, aujourd'hui on ne dit plus vers 1725, mais carrément en 1725. Or, d'après Jean Suret-Canale, bon nombre de manuscrits poular mentionnent la date de 1140 de l'Hégire comme début de la djihad, ce qui situerait l'événement en 1727-1728. Quant à la durée des règnes des Almamys et les dates des batailles et autres événements, l'incertitude demeure encore. Cependant, quelques jalons sûrs ont été posés par certains voyageurs ou explorateurs, comme : le Major Gordon Laing, explorateur britannique, qui de Freetown en 1823, gagna le Solima, royaume voisin du Fouta-Djallon, d'où il recueillit d'importantes informations sur le royaume théocratique. La chronologie qu'il fournit couvre le XVIIIe et le début du XIXe siècle ; elle est considérée comme valable. Après le Major Laing, dont l'information est très sûre, nombreux furent les voyageurs et explorateurs qui ont traversé le Fouta-Djallon ou se sont rendus à Timbo même ; parmi eux, citons :

Thierno Mamadou Bah lui-même se heurte à l'écueil de la, chronologie.
Il n'est pas historien, son propos n'est pas de faire une étude critique des sources. Il a voulu nous donner un récit cohérent et des informations précises sur les Almamys et les Alfa de Labé. Sa connaissance intime du milieu peul et des traditions le font evoluer à pas sûrs à travers le dédale des règnes jalonnnés par les meurtres, les coups d'état et autres « putchs » dont l'histoire du Fouta est très prodigue.

Pour résoudre le problème de la chronologie, il faudra passer au crible de la critique les données fournies par les sources écrites, qu'elles soient indigènes ou extérieures au Fouta-Djallon. Un travail remarquable a été fait par Louis Tauxier dans Moeurs et Histoire des Peuls, Paris, Payot, 1937. Analysant les écrits des voyageurs et autres explorateurs, de Laing à Bayol, il fournit une chronologie des règnes très cohérente. C'est à partir de sa chronologie que nous avons fourni les dates des règnes (entre parenthèses dans le texte). Nous reproduisons son tableau chronologique en annexe. Louis Tauxier a procédé à une étude critique des oeuvres de M. Machat Les Rivières du Sud et le Fouta-Djallon, Paris, 1906, Madrolle, En Guinée, Paris, 1895 et des études citée plus haut.

C'est le lieu de souligner qu'il existe à l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) à Dakar de nombreux manuscrits du Fouta-Diallon qui avaient été pour la plupart recueillis par l'administrateur des colonies, Gilbert Viellard, qui a servi de longues années au Fouta-Djallon et avait su nouer de solides relations avec les chefs, les marabouts et autres lettrés du Fouta-Djallon. Il parlait lui-même poular et avait une grande admiration pour la culture peule. Il put donc, grâce à l'excellence de ses relations avec l'aristocratie, se procurer des manuscrits et constituer une riche collection qu'il emporta avec lui en France. Gilbert Viellard tomba au front lors de la guerre 1939-1945. Sa veuve déposa ses manuscrits à l'IFAN à Dakar, où ils constituèrent le riche fonds « Gilbert Viellard ». Rappelons qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale quand, après la Conférence de Brazzaville, la France amorça la «libéralisation du système colonial et que le droit d'association fut reconnu aux « indigènes » des colonies, les fonctionnaires peuls du Fouta-Djallon créèrent une amicale dénommée « Amicale Gilbert Viellard ». Il n'est pas inutile de souligner que c'est celle-ci qui parraina la candidature de Yacine Diallo, premier député de la Guinée Française (1945) à siéger au Palais Bourbon.
Pour revenir aux manuscrits du Fouta-Djallon, il faut dire qu'il en existe encore beaucoup entre les mains des descendants des lettrés et des marabouts. Il y a donc un travail de collecte à faire en commençant par créer des conditions favorables à la récupération en faveur de la Nation de cette précieuse documentation qui reste encore un bien familial. La chronologie restera flottante, tant que l'on n'aura pas procédé à une étude critique des sources de l'histoire du Fouta.

La richesse de la documentation indigène réside aussi dans le fait que pratiquement chaque diiwal ou province possède ses sources propres, sa version propre de l'histoire du Fouta. Evidemment l'accent est mis sur l'action du Marabout, fondateur de la province ; l'exemple le mieux connu étant la version du Koyin recueillie par l'administrateur Saint-Père, et publiée sous le titre « Création du royaume du Fouta-Djallon», Paris, 1930 (In Bulletin. Com d'et. Hist. et Sc., p 484-555). Ces versions provinciales sont très différentes les unes des autres ; recueillies ou collectées, elles offriraient aux chercheurs matière à une critique intéressante sur l'histoire politique mouvementée du Fouta-Djallon. Thierno Mamadou Bah déplore qu'il n'ait pas eu accès à cette importante documentation. Mais il a connu l'œuvre de Saint-Père.

Un des mérite de l'ouvrage de Thierno Mamadou Bah est de mettre en lumière les articles clés de la constitution du royaume, mais nous déplorons qu'il n'ait pas donné le texte intégral du document. Il a, en tout cas, mis en lumière les bases de l'union des provinces : la force de cohésion fut l'islam qui a su résister à toutes les forces centrifuges, si l'on excepte le cas des Houbbou. Mais si à l'heure décisive, face aux Français, les Peuls se présentèrent en ordre dispersé, la désunion des chefs avait un fondement politique. Les Français surent habilement tirer profit des oppositions latentes, ainsi ils détachèrent Labé dont le chef Alfaya fut proclamé « Roi de Labé » ; ainsi, à Porédaka, dernière bataille en 1896, les Français vainquirent facilement Bokar Biro, dernier Almamy qui n'avait pu réunir autour de lui que quelques fidèles. Thierno Mamadou Bah est mort en 1971 au Camp Boiro. Nous tenons son manuscrit de son fils Bano Bah, économiste, ancien ministre ; nous avons respecté l'organisation très pédagogique de l'ouvrage faite par l'auteur. Nous remercions très sincèrement Monsieur Bah Bano de l'amitié et de la confiance qu'il nous a faite en nous permettant de publier l'ouvrage de son père.

Thierno Mamadou Bah a souhaité que son ouvrage suscite des critiques, et que d'autres plumes ambitionnent de mieux faire connaître l'histoire du Fouta-Djallon. En lui faisant écho, nous souhaitons que la présente édition rencontre les faveurs du public et amène les cadres et érudits du Fouta à apporter leur contribution à l'enrichissement du patrimoine national.

Mais peut-être est il plus indiqué d'adresser une telle supplique au Ministère de la Communication et de la Culture. Et c'est le lieu de rappeler qu'en 1990, ce Département avait lancé une campagne de collecte des Traditions et de manuscrits. Hélas, ce ne fut qu'un feu de paille.

Il est encore temps de procéder à cette collecte. Naturellement, il faut auparavant, repétons le, créer les conditions pour que certains biens quittent le cadre familial pour être versé dans le patrimoine national. Il y a une politique à élaborer pour cela, et au plus tôt, sous peine de perdre à jamais une documentation écrite d'une valeur inestimable.

Professeur Djibril Tamsir Niane